Le vent poussait notre petit voilier depuis le promontoire d’Iwik, au sud du Quai Saint-Jean, en direction de l’île d’Agadir au nord du Banc d’Arguin. Le temps était au clair et le ciel d’un azur bleu profond ; on dirait que l’océan flirtait avec le ciel dans le dos du maître du mauvais temps, de la tristesse et des cumulonimbus. Allongé à l’ombre de la voile, je me laissais glisser dans un profond sentiment de béatitude et de paix et me répétais à moi-même : c’est ainsi que, toujours, devrait être le voyage et ce fut ainsi, certainement, que se déroulaient les premiers pas de l’ascension des premiers Soufistes sur le chemin de la connaissance. C’est la joie d’approcher un but tant convoité. Vivement Agadir, sa lumière, son calme et son silence où je pourrais m’isoler, m’adonner à la prière, à l’intimité et à la contemplation.
Spontanément, je me surpris à murmurer la parole du Seigneur, grand et miséricordieux : « …quand tu seras bien installé, toi et ceux qui t’accompagnent, sur le navire, dis : grâce à Allah qui nous a sauvés des méchantes gens et dis : mon Dieu installe moi dans un lieu béni, Tu es Celui Le mieux à même de le faire… ».
Dès que le soleil avait atteint le zénith, mes prières furent violement interrompues par le vacarme qui provenait d’une petite île que nous nous apprêtions à contourner. Un spectacle étrange. Les oiseaux, dont de grands goélands, se jetaient les uns contre les autres en essayant d’éviter de s’écraser contre le sol du petit îlot. De cette gigantesque mêlée de plumes, de becs et de griffes s’élevaient des cris stridents d’une insoutenable tristesse. Je ne pus résister à la tentation de suspendre mes contemplations pour demander au skipper quelques explications. « C’est l’île de la Tristesse, me dit-il. Les oiseaux arrivent ici assoiffés par un long et épuisant voyage. Le sol de cette île, aride et désertique, réfléchit les rayons du soleil. Les oiseaux, de loin, attirés par ce mirage, croient qu’il s’agissait là d’eau douce. A l’approche du rocher, ils tentent une ultime manœuvre pour éviter de s’y écraser. C’est ce qui provoque cette cohue et les cris de désespoir que les volatiles poussent. C’est pour cela qu’on la surnomme « l’île de la tristesse » ».
A mon tour, je poussais un bruyant soupir. Un soupir plein de tristesse et de désespoir. Je faillis sombrer complètement dans la mélancolie en observant ce spectacle quand un éclair de lucidité divine me traversa l’esprit. Après tout, me consolais-je, ces pauvres oiseaux ne sont pas les seuls dans cette triste situation : il y’a une grande similitude entre le comportement de ces pauvres volatiles assoiffés qui s’écrasent, après un long périple, sur le rocher de cette île aride et inhospitalière et celui de ces dératés qui halètent en courant derrière cet autre mirage que constitue le dialogue politique qu’organisent depuis quelques jours les services du Général au Palais des Congrès de Nouakchott.
L’île reçoit la visite d’oiseaux divers et variés. On y aperçut des aigles, des pélicans, des cigognes. Il y’en a qui ont des griffes et d’autres qui sont édentés. On relève la même chose chez les politiciens du Dialogue. Certains possèdent des serres redoutables et acérées, d’autres jouent de leur plumage chatouillant ou, tel le paon, en faisant la roue. On y compte aussi de paisibles colombes muettes, des pigeons, des dindons de la farce et de bruyantes perruches et perroquets bavards. Tous sont différents mais gardent en commun cette soif viscérale qui les précipitent tous vers ce mirage que miroitent, au loin, les rochers arides et désolés.
Au premier jour, sortit le Général. Attifé de sa plus belle tenue, il ouvrit le Dialogue. Ce fut, pour lui, l’occasion de massacrer la langue du Coran. Pas un accord ni une règle de syntaxe ne résistera à ses assauts. Il ajoutera, pour finir, au répertoire de l’art de déclamation du Coran, son style particulier que les spécialistes apprécieront. Il fut chaudement applaudi.
Aux premiers rangs se sont pressées les importantes personnalités. On y vit de nombreuses VIP, souvent membres des anciens gouvernements, les visages marqués par le désespoir s’adonner aux messes basses et autres apartés.
Ziene Ould Zeidane, qui déclarait, il y a quelques temps, être décidé d’entamer une abstinence définitive de la politique, applaudissait à tout rompre. A-t-il encore en mémoire ce que vit, en ce moment, le Chriv de Néma[1], qu’Allah le délivre?
A côté de Zeine, il y avait Cheikh El Avia Ould Mohamed Khouna. Lui aussi applaudissait de temps en temps. Il vient d’être démis de ses fonctions à la suite d’un lamentable vol de droits de visa à l’ambassade de Mauritanie au Maroc. Il applaudit. Mais que ferait-il de mieux dans ce bas monde ?
Assis en tailleur, dans le même rang que les deux personnages précédents, Ould Elwaghf, campe sur ses dossiers. Du linge sale qu’il a du mal à faire sécher sur le fil d’étendage public. Il est le mieux placé pour savoir que le dialogue, les accords et les engagements pris par les apôtres de la Mauritanie Nouvelle ne valent que pour ceux qui y croient.
Tous, au fond d’eux-mêmes, abhorrent Ould Abdel Aziz. Mais la soif et la longue traversée du désert sont impitoyables…
Parmi les oiseaux de cette île de la Tristesse, il y a le paon le plus majestueux, Boidjel Ould Hmeid. Boidjel le magnifique. Fier héritier et exécuteur testamentaire exclusif de la pensée de Ould Taya, Boidjel s’est toujours délecté des malheurs des autres.
La biographie politique de Boidjel recèle une somme considérable d’intrigues, de coups tordus et de manigances.
On peut citer, pour commencer, l’enregistrement qu’il avait réalisé d’une conversation privée qu’il avait eue avec Kane N’Diawar, l’ancien directeur de la Caisse Nationale de Sécurité Sociale, comme, si pour Boidjel, le mot confiance ne revêt pas la signification admise par tout un chacun. Il exploita, sans vergogne, cet enregistrement pirate pour provoquer le limogeage de Kane N’Diawar, sa déchéance ainsi que celle des siens de la nationalité mauritanienne et son expulsion vers le Sénégal.
On peut citer aussi comment il avait trahi la confiance de feu Mohamed Mahmoud Ould Erradhi, responsable syndical. Cette trahison amènera le syndicaliste en prison puis au chômage. Elle profitera à Boidjel et ses acolytes qui en tireront de nombreux bénéfices.
L’un des traits de caractère de cet oiseau de mauvais augure, est son arrogance. Non content d’avoir affaibli le camp de l’opposition au Général, à laquelle il avait pris une part active à sa façon, il joue maintenant le rôle du procureur. Aux Parlementaires des partis de l’Opposition ayant refusé le dialogue du Général, il intime l’ordre de rendre leur écharpe. Ils auraient, aux yeux de cette bruyante perruche, failli à leur devoir national.
Il est possible que Boidjel ait oublié ce qu’il répétait à propos du Général. Moi je ne l’ai pas oublié. Ne disait-il pas, il y a quelque temps, que Ould Abdel Aziz le détestait parce que lui, Boidjel, avait pris le Général la main dans la caisse lors qu’il détournait les salaires de feu Guewad Ould Bennan ? Il semble que Boidjel a trop soif et hâte de récupérer les cents millions d’ouguyas qu’il avait été obligé de rendre au trésor public. C’est la grande soif, mais prenez garde, Boidjel, la petite île est aride et désertique !
Et puis il y a le cas du Président Messaoud. Trop vieux et dépassé par les événements, il n’est plus que l’ombre de ce qu’il était. Envolée la confiance. Evaporé le charisme à l’approche de la date de péremption du personnage. Il cherche désespérément une planche de salut du côté du Pouvoir. Conserver coûte que coûte ses avantages acquis. Déjà Ould Berbess commence à lui tailler de croupières en devenant le chef effectif d’Elhor et de l’APP. De l’autre côté, Biram Ould Abeid est en train de lui damer le pion en s’attirant les bons sentiments d’une partie de sa garde rapprochée.
Messaoud qui, par la volonté du tout puissant, s’est métamorphosé en un banal notable du Hodh visse son turban empoussiéré et prend sa place dans le rang en attendant son tour pour avoir sa part du gâteau. Il déclare, à ceux qui veulent encore l’écouter, qu’il ira, coûte que coûte, à l’île du Dialogue. Mon Dieu, Toi qui connais les gens et les choses !
La situation d’Ibrahima Sarr est tout simplement désespérée. Grand habitué des antichambres et des salles d’attente, il est en proie à une avidité sans bornes. Depuis les dernières Présidentielles, Sarr cherche à arracher une concession, un geste ou la moindre promesse tenue lui permettant de regarder, les yeux dans les yeux, ceux qu’il prétend l’avoir mandaté. Sa tragédie rappelle celle de l’un des héros de l’immense écrivain sénégalais, Sambène Ousmane. Le personnage expérimentera toutes sortes d’attentes déçues, d’espoirs sans lendemains et de frustrations répétées parce qu’il avait tout donné et se retrouve complètement démonétisé.
Les liens de Sarr avec la jeunesse pular se distendent au rythme de l’accumulation de ses promesses ou des promesses que lui fait le Pouvoir. Il croyait toucher au but en s’inscrivant au Dialogue et c’est ce moment que la jeunesse pular a choisi pour faire exploser la situation… Kaedi et Maghama s’enflamment au moment où s’apprêtent à s’embraser Boghé et Sabkha. Pendant ce temps, Sarr continue son combat légendaire pour que le pular soit langue officielle au Souk de Oukadh[2]. Voici un volatile à la mémoire courte. Inlassablement, Sarr s’approche de l’île de la Tristesse, se rend compte du mirage, amorce une manœuvre de rétroaction en poussant des cris de désespoir puis, comme une mouette idiote, revient pour se désaltérer.
En réalité, le dialogue de Sarr est empreint d’absurdités. Toute concession qu’il prétendra faire au Pouvoir s’apparentera à un présent offert par celui qui ne le possède pas à celui qui ne l’a pas mérité.
Evidemment, il y avait aussi les partis politiques. De petits partis, parfois insignifiants. Il y avait le parti « Hamama » (Colombe ou Pigeon !) dont la base populaire est composée d’un colonel à la retraite non exempt de bonté et de tolérance, d’un sergent plein de spontanéité et vitalité et d’un caporal bon vivant. C’est braves militaires se réunissent régulièrement pour invoquer leurs batailles et hauts faits d’armes du temps où la Mauritanie disposait d’une armée digne de ce nom. Il y’avait aussi cet autre parti dont personne ne parle et que préside le député Kane Hamidou Baba en alternance avec son épouse. Tous deux furent incapables de prouver leur « mauritanité » devant les tribunaux de l’Etat civil créés récemment par le Pouvoir pour vérifier la nationalité des mauritaniens. Ces tribunaux sont très controversés et je suis le premier à m’en indigner.
Sur le territoire de la majorité gouvernante, d’autres oiseaux se bousculaient. Au sommet s’était juchée Mintate Mint Ehdid occupant le perchoir de Moawya à la présidence du Parti Républicain. Visiblement cette dame n’eut aucun mal à occuper cette place, tellement il n’y avait pas bousculade pour se l’arracher. Sûrement par respect de la mémoire de celui qu’ils avaient si longtemps adoré, les ténors de l’ère de Ould Taya ne tenaient pas à cette place. Voyant Mintate occuper les avant-postes de la Majorité, Messaoud, pris de dégoût, renonça à prendre la tête de sa délégation. Il file la patate chaude à Boidjel qui la file à Mohamed Yehdhih Ould Moktar Elhacen qui finit par accepter.
On désigne des commissions et installe des experts. Mais voyant que tout le monde était d’accord sur tout, l’autorité de tutelle demande au Parti de l’Union Pour la République de mettre un peu de piquant dans les rouages. On en chargea le dénommé Mohamed Yahya Ould Horma (Hayatou, pour les intimes). C’est ainsi que des points de désaccord ont été trouvés et théâtralement mis en exergue pour donner une petite coloration « politique » au fameux dialogue. Les points de désaccord trouvés seront tellement importants qu’il fut décidé, pour donner le temps aux partenaires de les résoudre, de jouer les prolongations.
On m’a rapporté qu’un important débat avait éclaté à propos de la parité sur les listes électorales entre Mintate et Hayatou. Mintate aurait appelé Sanghott, le sénateur du parti présidé par Mint Meknass, à la rescousse. Mais rien à faire, Sanghott, malgré la devanture féminine de sa formation, bottera en touche.
Mais Mintate, ne voulant pas lâcher le morceau si facilement, demanda à Sanghott ce que serait l’avis de sa présidente qui avait boycotté le Dialogue et avec lui la Mauritanie toute entière depuis son limogeage du poste de Ministre des Affaires Etrangères à la suite de l’affaire des passeports diplomatiques.
Et à Sanghott de répondre : son Excellence, la Présidente est une partie intégrante de la Majorité et le parti qu’elle préside soutient sans réserve Ould Abdel Aziz exactement comme avant lui Sidi, Ely et Moawya…
Soudain, je vis des couples de dauphins s’approcher de notre embarcation et nous escorter en exécutant une chorégraphie qu’ils semblent avoir longtemps répétée. Je compris que nous approchions de la terre ferme. L’air était parfumé et doux et le soleil entamait sa course vers le couchant. Je levai les yeux pour essayer de deviner, au loin, les silhouettes des Îles Bahamas avec leurs côtes chargées de fleurs merveilleuses, leurs belles filles, leur musique caribéenne diffusant la joie et la bonne humeur. J’allais ainsi sombrer dans une sorte de mélancolie quand je fus repêché par la grâce divine et me retrouvais sur le quai de l’île d’Agadir en train de psalmodier les paroles du Seigneur : «… l’affaire a été conclue… et il a été dit : au diable les oppresseurs… ».
Hacen Ould Mokhtar
(Article paru sur Taqadoumy.com et consultable ICI dans sa version arabe originale, la traduction a été réalisée avec le concours de Kassataya.com)
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