Tout fout le camp : plusieurs jeunes filles de l’université de Nouakchott viennent d’être détenues en isolement total (au moins pour quelques unes et pour quelques jours). Passe encore que de jeunes manifestants soient mis aux arrêts, même dans des lieux tenus secrets. Mais que des jeunes filles de moins de 20 ans soient détenues dans des lieux inconnus et par on-ne-sait quelle autorité, sans aucun contact avec leurs familles respectives est tout simplement ahurissant.
Tout fout le camp : le zeste de morale qui nous restait, le soupçon de sens de l’honneur que nous avions hérité et le peu de dignité que nous avions. On ne se gêne plus. Dans un pays où l’on s’extasie sur la place privilégiée réservée à la femme, la première question qui saute à l’esprit c’est : mais comment est-ce possible ?
Sur les images publiées par le site Alakhbar, c’est une manifestante qui apporte une réponse : on n’a jamais vu une manifestante de la communauté maure se faire emprisonner dans un endroit inconnu, sans contact avec sa famille plusieurs jours durant. C’est cela donc. Cette même manifestante qui interpelle un agent des forces de l’ordre dont elle a soigné le fils durant une semaine en pédiatrie, sans que l’agent ne débourse un traitre sou. Un agent qui lui faisait face la matraque à la main à défaut d’un pansement, d’un bistouri ou d’une perfusion. Au milieu de la foule noire qui proteste, une autre manifestante présente un (seul) visage blanc : l’artiste Tahra Mint Hembara venue témoigner sa solidarité avec les familles des étudiantes. Tahra justifiait sa présence par le refus de considérer qu’en Mauritanie chacun devait se limiter à ses propres revendications : maures et noirs séparés. Un pays deux peuples.
Elle ne croit pas si bien dire. Quand des jeunes maures manifestent dans le sillage du printemps arabe, des noirs les ignorent au prétexte qu’il ne faut pas valider la thèse de l’arabité de la Mauritanie en mimant ce qui se passe ailleurs. Quand des noirs manifestent contre le recensement qu’ils jugent discriminatoire, ils constatent que peu de maures épousent leur combat. Dans les deux cas d’ailleurs, ceux qui se mobilisent ne sont pas nombreux. Où sont passés les autres qui ont autant de raison de s’indigner ? Sont-ils inconscients ? Apathiques ? Lâches ? Opportunistes ? Se sentent-ils non concernés ? Tout ça à la fois ? Des « visages blancs » comme celui de Tahra Mint Hembara qui se désolidarisent des manigances des politiciens, il y en a beaucoup en Mauritanie. Des « visages noirs » comme ceux de ces militantes qui crient leur dégout d’un système nauséabond, il y en a aussi beaucoup en Mauritanie. Mais ils sont trop silencieux alors que les odieux hurlent trop fort.
Au milieu de ce champ de ruines, les politiciens exultent. Des jeunes sont-ils victimes des balles des forces de l’ordre à Maghama, la plupart dans le dos y compris pour une dangereuse jeune fille de 8 ans, frêle comme un roseau ? Leurs familles doivent se débrouiller pour les évacuer, par leurs propres moyens, sur l’hôpital de Kaédi. Un jeune manifestant se fait-il sectionner la main par une grenade lancée par la police ? Le secours ne lui viendra que de l’intervention d’une Allemande après des appels à l’aide restés vains ! Honte ! Trois fois Honte ! Dans l’intervalle, une jeune fille est-elle victime d’une balle à bout portant ? Des hauts fonctionnaires au sommet de l’Etat se mobilisent et un avion spécial est affrété pour une évacuation au Maroc dans les 48 heures. Un instituteur tente-t-il de s’immoler par le feu (ou succombe-t-il sous les balles tirées par la garde présidentielle) ? On s’affaire en haut lieu pour préparer un avion d’évacuation que seule la mort, hélas, l’empêchera de prendre. Cherchez l’erreur.
Vous comprendrez alors pourquoi la question de la cohabitation des communautés en Mauritanie doit être discutée sans tabou. Vous comprendrez aussi pourquoi les voix qui posent la question de l’unité de la Mauritanie sont de moins en moins inaudibles. Car, quand on se limite à dire que l’Etat républicain et la démocratie suffisent à tout régler, on s’expose à une réponse du genre, « tous les animaux sont égaux mais certains sont plus égaux que d’autres » (Georges Orwell). L’accusation d’extrémisme, de terrorisme, d’étroit… que l’on brandit au visage de ceux qui osent crier au racisme en Mauritanie est périmée. Parce que « cabri mort n’a plus peur de couteau ». Parce que de plus en plus, il faudra appeler un chat par son nom. Quand un sage scrute le ciel en plein jour et par ciel dégagé et soutient mordicus qu’il ne voit pas le soleil accablant qui vous éblouit et vous brûle la peau et les pieds, vous avez le droit de douter -au choix- de sa sagesse, de son acuité visuelle ou de sa bonne foi. Le pire est peut être devant nous.
Abdoulaye DIAGANA pour Kassataya.com, Source : www.kassataya.com
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire