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mercredi 1 février 2012

Rapport de la Rapporteuse spéciale sur les formes contemporaines d’esclavage, y compris leurs causes et leurs conséquences, Mme Gulnara Shahinian, sur sa mission en Mauritanie (24 octobre-4 novembre 2009)


 
Nations Unies A/HRC/15/20/Add.2
Assemblée générale Distr. générale
24 août 2010
Français
Original: anglais
A/HRC/15/20/Add.2
2 GE.10-15628
La Rapporteuse spéciale a rencontré des victimes de l’esclavage qui avaient été
totalement privées de leurs droits humains fondamentaux. Ces victimes s’étaient
récemment enfuies de chez leurs maîtres et ont rapporté qu’elles avaient laissé des proches
derrière elles. L’absence d’autres moyens de subsistance, les taux élevés d’analphabétisme
et le manque d’informations, auxquels s’ajoutent l’éclatement des familles et les méthodes
utilisées par les maîtres, notamment le recours à la religion, pour maintenir leur domination
font que l’acceptation de leur condition héréditaire d’esclave est profondément enracinée
chez les victimes. En outre, les maîtres résistent aux tentatives visant à changer ce mode de
vie. Par suite, de facto l’esclavage en Mauritanie demeure un processus lent et invisible, qui
a pour résultat la «mort sociale» de milliers de femmes et d’hommes.
Se fondant sur ses constatations, la Rapporteuse spéciale a notamment recommandé
que la loi contre l’esclavage de 2007 soit modifiée de façon à définir plus clairement
l’esclavage afin d’en faciliter la répression et qu’elle prévoie une assistance aux victimes
ainsi que des programmes socioéconomiques pour aider à leur réinsertion. La Rapporteuse
spéciale recommande en outre au Gouvernement mauritanien de mettre au point une
stratégie nationale détaillée et globale de lutte contre l’esclavage.
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Annexe
Rapport de la Rapporteuse spéciale sur les formes
contemporaines d’esclavage, y compris leurs causes et leurs
conséquences, Mme Gulnara Shahinian, sur sa mission en
Mauritanie (24 octobre-4 novembre 2009)


Table des matières
Paragraphes Page
I. Introduction............................................................................................................. 1−4 5
II. L’esclavage en Mauritanie − Rappel historique...................................................... 5−14 5
A. L’esclavage dans la société négro-africaine ................................................... 9−11 6
B. L’esclavage dans la société maure.................................................................. 12−14 6
III. Cadre normatif et institutionnel .............................................................................. 15−31 7
A. Le cadre juridique international et régional .................................................... 15−21 7
B. Le cadre juridique et institutionnel national ................................................... 22−31 9
IV. Formes contemporaines de l’esclavage en Mauritanie............................................ 32−69 11
A. L’esclavage en Mauritanie.............................................................................. 32−37 11
B. Aspects sexospécifiques de l’esclavage en Mauritanie .................................. 38−41 12
C. Les enfants victimes de l’esclavage................................................................ 42−47 13
D. L’esclavage et les personnes âgées................................................................. 48 14
E. L’esclavage et la religion................................................................................ 49−50 14
F. L’esclavage et la discrimination ..................................................................... 51−53 14
G. L’esclavage et la terre..................................................................................... 54−61 15
H. L’esclavage et l’héritage................................................................................. 62−63 16
I. L’esclavage et les réfugiés.............................................................................. 64−69 17
V. Mesures pour lutter contre l’esclavage ................................................................... 70−83 18
A. Politique de lutte contre l’esclavage .............................................................. 70−73 18
B. Programmes de lutte contre l’esclavage ......................................................... 74−83 18
VI. Principales difficultés.............................................................................................. 84−101 20
A. Mécanismes institutionnels............................................................................. 84 20
B. Loi de 2007 contre l’esclavage....................................................................... 85−89 20
C. Application de la loi de 2007 contre l’esclavage............................................ 90−98 20
D. Difficultés rencontrées par les rapatriés du Mali et du Sénégal...................... 99−101 22
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VII. Conclusions et recommandations............................................................................ 102−119 22
A. Stratégie globale ............................................................................................. 102−104 22
B. Loi et mesures contre l’esclavage................................................................... 105 23
C. Sensibilisation ................................................................................................ 106 24
D. Programmes.................................................................................................... 107−112 24
E. Recommandations concernant les rapatriés du Mali et du Sénégal ................ 113−117 25
F. Recommandations à la communauté internationale ....................................... 118 25
G. Recommandations aux entreprises ................................................................. 119 25
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I. Introduction
1. Conformément au mandat énoncé dans la résolution 6/14 du Conseil des droits de
l’homme, et à l’invitation du Gouvernement mauritanien, la Rapporteuse spéciale sur les
formes contemporaines d’esclavage, y compris leurs causes et leurs conséquences,
Mme Gulnara Shahinian, a effectué une mission officielle en Mauritanie du 24 octobre au
4 novembre 2009. Son principal objectif était d’évaluer l’efficacité des mesures, lois et
programmes spécifiques destinés à lutter contre l’esclavage.
2. Au cours de sa mission, la Rapporteuse spéciale a tenu des consultations
approfondies à Nouakchott avec le Président de la République, le Premier Ministre, le
Président de l’Assemblée nationale, d’autres hauts responsables du Gouvernement, des
organisations de la société civile, des institutions universitaires, des syndicats, l’équipe de
pays des Nations Unies, la communauté des donateurs, des représentants des partis
politiques et des dirigeants religieux. Elle a également recueilli les vues d’anciens esclaves
de Bassiknou et de Nema dans le cadre de consultations et de forums de discussion ouverts.
Elle s’est rendue à Atar et Rosso, où elle s’est entretenue avec des membres de la
collectivité et des représentants des autorités locales, afin de bénéficier de leurs vues et de
leurs opinions.
3. La Rapporteuse spéciale saisit cette occasion pour remercier le Gouvernement
mauritanien de son invitation et de l’assistance et de la collaboration qu’il lui a apportées
durant sa mission. Elle apprécie aussi grandement l’assistance apportée par de nombreuses
organisations de la société civile et institutions, en Mauritanie et à l’étranger, ainsi que la
coopération de l’équipe de pays des Nations Unies en Mauritanie. Elle est reconnaissante
aux victimes de l’esclavage des informations qu’elles lui ont fournies.
4. La Rapporteuse spéciale a fait part de ses conclusions préliminaires au
Gouvernement à l’issue de sa visite. Elle attache une grande importance à la coopération
établie avec le Gouvernement et souligne qu’elle souhaite et entend poursuivre son
dialogue avec lui.

II. L’esclavage en Mauritanie − Rappel historique
5. La Mauritanie est composée de deux grands groupes culturels et ethnolinguistiques:
les Arabo-Berbères communément appelés Maures, pour la plupart nomades et habitant
principalement le nord du pays, et la population négro-africaine, composée des ethnies
pular, soninké et ouolof, en majorité sédentaire et habitant le sud et l’est du pays. Outre ces
deux grands groupes, il existe une communauté de Haratines, appelés également Maures
noirs, qui sont négro-africains par la couleur de leur peau, mais font partie intégrante du
groupe ethnique maure, dont ils partagent la langue et la culture. L’islam est la religion
officielle de la Mauritanie. L’arabe est la langue officielle, tandis que l’arabe hassaniyya, le
pular, le soninké et le ouolof ont le statut de langues nationales.
6. L’esclavage existe depuis des siècles dans toutes les communautés ethniques de
Mauritanie. Il est profondément enraciné dans une structure sociale hiérarchisée. Les
esclaves sont considérés comme des possessions et subissent des traitements dégradants. Ils
travaillent pendant de longues heures et ne sont pas rémunérés pour leur travail. Ils
dépendent totalement de leurs maîtres pour leur nourriture, leur habillement et leur
logement. En retour, les maîtres se sentent liés à leurs esclaves par une relation d’ordre
paternel.
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7. Le nombre de personnes vivant en esclavage à l’heure actuelle en Mauritanie n’est
pas connu. On pense qu’il a diminué du fait des lois et programmes successivement mis en
oeuvre par la Mauritanie pour éliminer l’esclavage.
8. La Rapporteuse spéciale a constaté des divergences de vues concernant la
persistance de l’esclavage en Mauritanie. Certains nient catégoriquement l’existence de
cette pratique et déclarent que subsistent seulement «des vestiges de l’esclavage». D’autres
en nient l’existence dans leur communauté, mais montrent du doigt d’autres groupes
ethniques; d’autres encore prétendent qu’il se limite à la communauté arabo-berbère et
d’autres, enfin, affirment qu’il existe également dans les communautés négro-africaines
telles que les communautés pular, soninké et ouolof, mais s’apparente plutôt à un système
de castes.

A. L’esclavage dans la société négro-africaine
9. La société mauritanienne est hautement stratifiée sur la base de critères raciaux et
ethniques. Dans les communautés négro-africaines, les nobles et les hommes libres sont au
sommet de la hiérarchie, suivis par les groupes appartenant aux «castes» (ordinairement des
groupes professionnels et endogames tels que les forgerons et les musiciens), les esclaves et
leurs descendants occupant le dernier rang de l’échelle sociale.
10. D’après les informations fournies à la Rapporteuse spéciale, les esclaves négroafricains,
en fonction de la situation économique de leurs maîtres, bénéficient de facto de
l’égalité d’accès aux services de base tels que l’éducation, mais, s’agissant des cérémonies
sociales − culte, mariages, enterrements −, les esclaves négro-africains doivent respecter les
barrières de caste. Ainsi, chez les Soninkés, les esclaves ne sont pas autorisés à occuper le
premier rang dans les mosquées et ne peuvent pas être enterrés dans les mêmes cimetières
que leurs maîtres.
11. L’esclavage dans la communauté négro-africaine est moins souvent mentionné parce
qu’il y prend la forme d’une stratification sociale. Il est également plus difficile de
l’identifier, car il est présent au sein d’un groupe racial homogène, à la différence de
l’esclavage au sein de la communauté maure.

B. L’esclavage dans la société maure
12. Les Maures blancs (Arabo-Berbères) constituent une élite qui contrôle l’économie et
la plupart des rouages de l’appareil d’État, notamment le Gouvernement, l’armée et la
police. Historiquement, ils ont attaqué, réduit en esclavage et assimilé des groupes
ethniques noirs sédentaires installés le long du fleuve Sénégal. Aujourd’hui, ces populations
assimilées sont aussi dénommées Maures noirs. À la suite de la loi de 1905 abolissant
l’esclavage en Mauritanie, les Maures noirs ont été progressivement affranchis et ont été
communément appelés les Haratines − terme qui vient du mot arabe signifiant liberté − car
ils sont perçus par le reste de la société comme étant des esclaves affranchis. Les Haratines
continuent d’être victimes de discrimination, de marginalisation et d’exclusion en raison de
leur appartenance à une «caste servile»; c’est surtout à propos de ce groupe ethnique que
l’on parle d’esclavage de nos jours en Mauritanie. Dans de nombreux cas, les Haratines,
même affranchis, continuent de servir leurs maîtres parce qu’ils leur sont attachés par des
liens économiques, culturels et psychologiques et qu’ils n’entrevoient aucune autre option
viable. Qu’ils soient affranchis ou encore asservis (abid), les Maures noirs sont appelés
Haratines.
13. Dans ce vaste pays essentiellement désertique, il est extrêmement difficile aux
esclaves de s’enfuir et d’abandonner leurs «familles». Les Haratines qui fuient leurs maîtres
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vont vivre dans des adwabas, des campements de descendants d’esclaves, ou dans des
bidonvilles à l’extérieur des grandes villes. Les anciens esclaves deviennent ainsi les
membres les plus pauvres de la communauté: ils n’ont guère accès aux services de base tels
que l’éducation et leurs possibilités d’emploi sont limitées. Ils occupent fréquemment des
emplois de service et autres emplois subalternes dans les centres urbains. Dans certains cas,
d’anciennes femmes esclaves travaillent dans les zones urbaines comme domestiques chez
des parents de leurs anciens maîtres ou comme prostituées. Dans d’autres cas, des femmes
esclaves affranchies établissent des petits commerces en vendant des articles tels que le
couscous ou la menthe; quant aux hommes, ils travaillent comme portefaix ou gardiens de
nuit.
14. Le fait que les anciens esclaves négro-africains et haratines n’ont pas accès aux
services de base et à des moyens d’existence différents contribue à propager l’idée qu’ils
demeurent des êtres inférieurs et qu’ils seront toujours des esclaves.
III. Cadre normatif et institutionnel
A. Le cadre juridique international et régional
1. Niveau international
15. La Mauritanie est partie aux instruments internationaux relatifs aux droits de
l’homme ci-après: Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de
discrimination raciale, Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et
culturels, Pacte international relatif aux droits civils et politiques, Convention contre la
torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants, Convention sur
l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, Convention
relative aux droits de l’enfant, Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de
l’enfant, concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie
mettant en scène des enfants et Convention internationale sur la protection des droits de
tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille. La Mauritanie a émis des
réserves, fondées sur la charia islamique, au Pacte relatif aux droits civils et politiques, à la
Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et
à la Convention relative aux droits de l’enfant. Aux fins de ce rapport, il importe aussi de
noter que la Mauritanie est partie à la Convention relative au statut des réfugiés.
16. La Mauritanie est également partie aux instruments internationaux ci-après qui
interdisent expressément les formes contemporaines d’esclavage: Convention relative à
l’esclavage de 1926 et Protocole amendant la Convention relative à l’esclavage,
Convention supplémentaire relative à l’abolition de l’esclavage, de la traite des esclaves et
des institutions et pratiques analogues à l’esclavage de 1956, Protocole additionnel à la
Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à
prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants,
la Convention no 138 de l’Organisation internationale du Travail (OIT) concernant l’âge
minimum d’admission à l’emploi, la Convention no 182 de l’OIT concernant l’interdiction
des pires formes de travail des enfants et l’action immédiate en vue de leur élimination et la
Convention no 29 de l’OIT concernant le travail forcé ou obligatoire.
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2. Observations et recommandations adressées par des organes conventionnels
à la Mauritanie
17. Plusieurs organes conventionnels1 ont émis des observations et des
recommandations relatives à l’esclavage en Mauritanie, dont les plus récentes sont celles
émises par le Comité des droits de l’enfant. Dans ses observations finales, le Comité a
exprimé sa préoccupation concernant le nombre élevé d’enfants qui travaillent, notamment
dans l’agriculture, et la persistance de l’esclavage fondé sur la caste, qui touche
particulièrement les filles employées comme domestiques et les garçons contraints à la
mendicité par des marabouts (chefs ou enseignants religieux islamiques). Le Comité s’est
dit également préoccupé par l’absence de services oeuvrant à l’affranchissement et à la
réinsertion des enfants victimes de l’esclavage et par le manque d’initiatives destinées à
sensibiliser le public au problème des pratiques traditionnelles de l’esclavage en général. Le
Comité a recommandé, entre autres, à la Mauritanie de prendre toutes les mesures
nécessaires pour éliminer l’esclavage et, en particulier, de veiller à ce que les auteurs de ces
pratiques soient tenus responsables conformément à la loi. Le Comité a prié instamment la
Mauritanie de mettre en oeuvre une stratégie nationale de lutte contre l’esclavage,
notamment en analysant les causes profondes de cette pratique, et de prendre des mesures
efficaces pour affranchir les victimes de l’esclavage et faciliter leur réadaptation
psychosociale et leur réinsertion2.

3. Niveau régional
18. La Mauritanie a ratifié la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples qui
interdit expressément l’esclavage dans son article 5. À la suite d’une mission effectuée en
Mauritanie en juin 1996, la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples a
«noté qu’il était encore possible de trouver des personnes considérées comme des esclaves
dans certaines parties du pays»3.
19. La Commission a déclaré qu’il était de la responsabilité de la Mauritanie d’assurer
l’application effective de sa législation nationale abolissant l’esclavage4, et donc de faire
respecter la liberté des citoyens, de mener des enquêtes et d’engager des poursuites
judiciaires contre les auteurs des violations de la législation nationale.
20. Entre 1986 et 1992, la Commission a reçu des communications émanant de groupes
de défense des droits de l’homme qui affirmaient que l’esclavage et d’autres pratiques
apparentées perduraient en Mauritanie. En mai 2000, la Commission a recommandé, entre
autres, au Gouvernement mauritanien de «faire une évaluation de la situation de telles
pratiques dans le pays en vue d’identifier avec précision les causes profondes de leur
survivance et de mettre en place une stratégie tendant à leur éradication totale et définitive»
et «de prendre des mesures administratives adéquates pour l’application effective de
l’ordonnance no 81-234 du 9 novembre 1981, portant abolition de l’esclavage en
Mauritanie»5.
1 Voir les observations finales du Comité pour l’élimination de toutes les formes de discrimination à
l’égard des femmes, CEDAW/C/MRT/CO/1, et du Comité pour l’élimination de toutes les formes de
discrimination raciale, CERD/C/65/CO/5.
2 Voir les observations finales du Comité des droits de l’enfant, CRC/C/15/Add.159.
3 Malawi African Association et al. c. Mauritanie, Commission africaine des droits de l'homme et des
peuples, communications nos 54/91, 61/91, 98/93, 164/97 à 196/97 et 210/98 (2000).
4 Ordonnance no 081-234 du 9 novembre 1981.
5 Malawi African Association et al. c. Mauritanie.
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21. La Mauritanie a également ratifié les accords régionaux ci-après: Protocole à la
Charte africaine des droits de l’homme et des peuples relatif aux droits de la femme en
Afrique et Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant.

B. Le cadre juridique et institutionnel national
1. Législation
22. Au cours du dernier siècle, l’esclavage en Mauritanie a été aboli, en théorie, par la
voie législative à trois reprises. Il le fut la première fois en 1905, par le biais d’un décret
colonial qui prévoyait l’application à la Mauritanie de la loi française votée en 1848
abolissant l’esclavage dans toutes les colonies françaises. Cette abolition a été réaffirmée,
lors de l’indépendance, par la Constitution de 1961, qui intégrait les principes de la
Déclaration universelle des droits de l’homme. En 1980, suite à l’indignation générale
suscitée par la vente de M’barka, une Maure noire asservie, dans la localité d’Atar, le
Président Haidallah avait annoncé dans une déclaration l’abolition de l’esclavage. Cette
déclaration est devenue par la suite l’ordonnance no 081-234 du 9 novembre 1981.
23. L’ordonnance no 081-234 du 9 novembre 1981 portant abolition de l’esclavage
constituait une mesure extrêmement importante, mais elle comportait plusieurs
inconvénients. Elle donnait de l’esclavage une définition trop vague, ignorant ainsi le sort
de nombreuses personnes réduites à un état de quasi-esclavage. Pour que l’ordonnance se
traduise dans les faits, elle aurait dû être accompagnée par des mesures effectives
s’attaquant aux racines du problème, en particulier en offrant aux esclaves des alternatives
possibles et en leur enseignant leurs droits − faute de quoi, les esclaves affranchis et leurs
descendants retourneraient chez leurs maîtres. En outre, l’article premier de l’ordonnance a
définitivement aboli l’esclavage sur le territoire national, mais n’a pas imposé de sanction
pénale pour cette pratique. L’article 2 énonçait que, en conformité avec la loi islamique,
une indemnisation pour l’abolition de l’esclavage serait versée aux personnes y ayant droit,
c’est-à-dire aux propriétaires d’esclaves. Les détails du plan d’indemnisation seraient
arrêtés par une commission nationale composée d’oulémas (docteurs de la loi musulmans),
d’économistes et d’administrateurs. Aucun décret d’application n’a été adopté, ce qui a
rendu la loi pratiquement inopérante. Avant la déclaration de 1980, il y avait eu désaccord
sur la question de savoir s’il fallait se contenter de rendre obligatoire l’affranchissement des
esclaves ou si celui-ci devrait s’accompagner de mesures de dédommagement au bénéfice
de la personne à l’origine de l’esclavage. Il semble qu’aucune proposition visant à instaurer
des mesures de compensation en faveur des victimes n’ait été faite, et rien n’indique que la
commission ait jamais été formée6.
24. L’adoption, le 3 septembre 2007, de la loi portant incrimination de l’esclavage et
réprimant les pratiques esclavagistes a constitué une étape cruciale dans l’approche de cette
question en Mauritanie. Le Premier Ministre, présentant le projet de loi, l’a décrit comme
«un tournant décisif visant à éliminer toutes les tares héritées du passé, à promouvoir une
culture d’égalité, de tolérance et de citoyenneté et à mettre en place des conditions
favorisant le progrès et l’émancipation de tous les Mauritaniens». Cette position contraste
avec l’attitude de déni manifestée par le passé au sommet de l’État7.
6 Amnesty International, Mauritanie: un avenir sans esclavage? (Londres, 2002), p. 7.
7 Ainsi, en septembre 2001, un représentant du Gouvernement mauritanien déclarait au Comité des
droits de l’enfant que «la société mauritanienne n’avait jamais connu la servitude, l’exclusion ou la
discrimination … et que, par conséquent, il ne pouvait y subsister de vestiges de ces pratiques»
(CRC/C/SR.724, par. 22).
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25. La loi, en son article 2, définit l’esclavage comme «l’exercice des pouvoirs de
propriété ou certains d’entre eux sur une ou plusieurs personnes» et interdit, en son
article 3, «toute discrimination, sous quelque forme que ce soit, à l’encontre d’une personne
prétendue esclave». Le crime d’esclavage, commis par «quiconque réduit autrui en
esclavage ou incite à aliéner sa liberté ou sa dignité ou celle d’une personne à sa charge ou
sous sa tutelle, pour être réduite en esclave» est puni par une peine d’emprisonnement de
cinq à dix ans et une amende représentant de 2 000 à 4 000 dollars des États-Unis environ8.
26. Le texte codifie également les «infractions liées à l’esclavage», qui sont
sanctionnées par des peines allant de six mois à deux ans d’emprisonnement et par une
amende représentant entre 200 et 840 dollars. Ces infractions incluent l’appropriation de
biens, de produits ou de gains provenant du travail d’un esclave; le préjudice causé à
l’intégrité physique d’un esclave ou le refus de laisser un enfant d’esclave accéder à
l’éducation9.
27. La loi prévoit une assistance et une indemnisation financière pour les personnes
affranchies de l’esclavage ou des pratiques esclavagistes et incrimine des pratiques telles
que l’exploitation sexuelle des femmes esclaves par leurs maîtres ainsi que le fait de
justifier l’esclavage. En outre, lorsqu’une pratique analogue à l’esclavage a fait l’objet d’un
signalement aux autorités, notamment les gouverneurs, les préfets, les chefs locaux et les
agents des forces de police, et que ces personnes n’y donnent pas suite, elles sont passibles
de peines d’emprisonnement et d’une amende (art. 12). Le Ministre de l’intérieur a donné
instruction à ces autorités de faire appliquer la loi et le Ministre de la justice a ordonné aux
procureurs d’enquêter sur toute allégation d’esclavage signalée10.
28. Les associations des droits de l’homme sont habilitées à dénoncer les atteintes à
cette loi et à aider les victimes. Ces dernières sont exemptées des frais de procédure
(art. 15).
29. Adoptée en 2003, la loi 025/2003 portant répression de la traite des personnes
incrimine l’enrôlement, le transport et le transfert de personnes par la force ou sous la
menace à des fins d’exploitation sexuelle ou économique.
30. En ce qui concerne le racisme et la discrimination, l’article premier de la
Constitution mauritanienne garantit à tous les citoyens, sans distinction d’origine, de race,
de sexe ou de condition sociale, l’égalité devant la loi et interdit l’incitation aux actes de
discrimination raciale et ethnique; il contient des dispositions pénalisant toute diffusion
d’idées fondées sur la supériorité ou la haine raciale, toute incitation à la discrimination
raciale ainsi que tous actes de violence ou provocation dirigés contre toute race ou tout
groupe de personnes d’une autre couleur ou d’une autre origine ethnique. La Constitution
garantit également, en son article 15, le droit à la propriété et à l’héritage à tous les citoyens
sans aucune distinction. L’article 395 du Code du travail établit l’égalité d’accès à l’emploi
et interdit toute discrimination, distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race,
l’ascendance nationale, la couleur, le sexe, la religion, les opinions politiques ou l’origine
sociale.
2. Structure institutionnelle
31. Le Gouvernement a établi le Commissariat aux droits de l’homme, à l’action
humanitaire et aux relations avec la société civile, qui est dirigé par un commissaire et a
8 Voir la loi no 2007-048 du 3 septembre 2007 portant incrimination de l’esclavage et réprimant les
pratiques esclavagistes.
9 Ibid.
10 Ibid.
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vocation à traiter les séquelles de l’esclavage. En mars 2009, le Commissariat a lancé le
Programme pour l’éradication des séquelles de l’esclavage (PESE), qui s’attache à
identifier les anciens esclaves ainsi qu’à leur fournir d’autres moyens de subsistance et des
services de base tels que l’accès à l’eau, à la santé et à l’éducation. Le PESE travaille avec
22 communautés dans 397 villages. Chaque communauté, en collaboration avec les
pouvoirs publics, met au point son propre plan d’action quinquennal.
IV. Formes contemporaines de l’esclavage en Mauritanie
A.    L’esclavage en Mauritanie
B.      
32. La plupart des responsables qu’a rencontrés la Rapporteuse spéciale ont admis que
l’esclavage existait toujours, mais seulement dans des zones rurales et reculées. Ces
responsables ont souvent évoqué les aspects psychologique et physique de l’esclavage. Ils
ont reconnu la nécessité d’aller au-delà de la promulgation de lois contre l’esclavage en
faisant connaître ces lois et en s’attaquant au problème de la pauvreté, qui affecte tant les
maîtres que les esclaves.
33. D’autres responsables ont nié l’existence de l’esclavage, déclarant que, sur le plan
juridique, la Mauritanie avait aboli et incriminé l’esclavage, lequel n’existait donc plus en
tant qu’institution. Ces responsables ont parlé de séquelles ou de vestiges de l’esclavage qui
résultaient de la pauvreté.
34. Après avoir analysé les entretiens menés avec des victimes de l’esclavage résidant à
Atar et Rosso ou originaires de Nema, la Rapporteuse spéciale estime que les situations qui
lui ont été décrites comportent les éléments clefs qui définissent l’esclavage11. Les victimes
ont décrit des situations dans lesquelles elles étaient complètement à la merci de leur
propriétaire, en raison des menaces physiques et/ou psychologiques qu’elles subissaient;
elles ne pouvaient prendre aucune décision ayant trait à leur vie de manière indépendante et
sans la permission de leur maître; elles étaient traitées comme des marchandises − par
exemple, des filles étaient données en cadeau de noces; elles étaient privées de liberté de
mouvement, et elles étaient forcées de travailler pendant de longues heures pour une
rémunération minime, voire sans aucune rémunération. En outre, les victimes se voyaient
refuser le droit d’hériter. Ces victimes avaient échappé à l’esclavage et parlaient des
proches qu’elles avaient laissés derrière elles et qui vivaient toujours en esclavage. La
Rapporteuse spéciale a par conséquent conclu que de facto l’esclavage existait encore dans
certaines parties reculées de la Mauritanie.
35. Dans les zones rurales, des hommes, des femmes, des garçonnets et des fillettes
continuent de vivre en esclavage. Il n’est pas rare que des esclaves qui s’enfuient retournent
vivre chez leurs maîtres parce qu’ils n’ont pas d’autres moyens de subsistance. La
Rapporteuse spéciale a appris que d’anciens esclaves dans les zones rurales rencontrent des
difficultés pour acquérir des terres et que certains sont obligés de donner un pourcentage de
leur production à leurs anciens maîtres. Par conséquent, bien qu’ils soient «affranchis»,
d’anciens esclaves continuent d’être traités comme des esclaves.
36. Les anciens esclaves des zones rurales qui s’enfuient de chez leurs maîtres ou qui
sont «affranchis» continuent d’être asservis en milieu urbain. Ces anciens esclaves
retombent en esclavage en raison de la discrimination, du manque d’éducation ou de
11 L’esclavage est défini à l’article premier de la Convention relative à l’esclavage de 1926 comme
«l’état ou la condition d’un individu sur lequel s’exercent les attributs du droit de propriété ou certains
d’entre eux».
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12 GE.10-15628
formation professionnelle et du manque de moyens leur permettant de trouver un autre
mode de subsistance.
37. La Rapporteuse spéciale a également eu connaissance d’autres pratiques analogues à
l’esclavage telles que les mariages précoces et forcés, le servage, les pires formes de travail
des enfants (notamment enfants contraints à la mendicité), la traite des personnes et la
servitude domestique, qui touchent les hommes, les femmes, les garçons et les fillettes. Ces
formes d’esclavage concernent les anciens esclaves ainsi que des personnes qui n’ont,
historiquement, jamais été asservies. Toutefois, la Rapporteuse spéciale a relevé que, dans
la majorité de ses entretiens, lorsqu’elle soulevait ces questions, nombreux étaient ceux qui
ne considéraient pas de telles violations des droits de l’homme comme des formes
contemporaines d’esclavage.

B. Aspects sexospécifiques de l’esclavage en Mauritanie
38. Les femmes sont les plus vulnérables, car elles subissent une triple discrimination:
en tant que femmes, en tant que mères et en tant qu’esclaves. Elles sont considérées par
leurs maîtres avant tout comme de la main-d’oeuvre puis comme productrices de maind’oeuvre.
Les esclaves de sexe féminin qui vivent au domicile de leurs maîtres sont
rarement autorisées à s’éloigner du campement de leur maître. Leur journée de travail
commence généralement avant le lever du soleil pour s’achever après son coucher. Elles
doivent prendre soin des enfants du maître, aller chercher l’eau, ramasser du bois pour le
feu, piler le mil, déplacer des tentes faites de lourdes peaux d’animaux et effectuer d’autres
tâches domestiques. Les femmes esclaves sont fréquemment battues et parfois violées par
leurs maîtres, qui les considèrent comme leur propriété. Leurs enfants sont également
considérés comme appartenant au maître et, de même que les autres esclaves, peuvent être
loués ou prêtés ou donnés en cadeau de noces. En se séparant des enfants d’une femme
esclave, ou d’un autre membre de sa famille, le maître est en mesure d’exercer un contrôle
plus étroit sur la femme esclave. Celle-ci est en effet moins susceptible de désobéir ou de
chercher à s’échapper quand elle ne sait pas où ses enfants sont et que seul son maître a
cette information. Ni un père esclave ni une mère esclave n’ont de droits sur leurs enfants.
39. Quand une esclave se marie, le maître peut faire main basse sur sa dot. En outre, un
maître peut autoriser un mariage, mais refuser d’«affranchir» l’esclave, s’assurant ainsi que,
du fait de ce mariage, l’époux et les futurs enfants de la femme esclave travailleront pour
lui ou pour sa famille. Le maître peut également contraindre des esclaves mariés à se
séparer ou à divorcer. Dans ce cas de figure, c’est généralement l’esclave de sexe masculin
qui est contraint de partir, souvent après avoir subi une série de menaces verbales et
physiques. Cet esclave est en effet vu comme une menace pour le foyer du maître, car on
craint qu’il n’incite au départ les «possessions» du maître (la femme esclave et ses enfants).
Un mari et père esclave est seulement reconnu si le maître a consenti au mariage, ce qui est
rarement le cas. Nombreux sont les esclaves qui ne connaissent pas leur père ou leur grandpère.
Des noms génériques qui ne sont pas les noms de leurs parents biologiques sont
ordinairement donnés aux enfants à leur naissance.
40. Les hommes, femmes et enfants esclaves se voient dénier leur droit à une vie de
famille, ce qui est en violation directe des instruments internationaux relatifs aux droits de
l’homme auxquels la Mauritanie a adhéré12.
12 Art. 10 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels; art. 23 du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques; par. 1 et 2 de l’article 18, par. 1 de l’article 27 et
par. 1 de l’article 29 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples; art. 16 de la
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GE.10-15628 13
41. La Rapporteuse spéciale a rencontré des femmes et des filles qui avaient fui
l’esclavage dans les zones rurales et avaient été séparées de force de leurs familles en raison
de l’esclavage. Ces femmes avaient passé leur vie à chercher leur mère ou leurs enfants.
Dans certains cas, les filles retrouvaient leurs mères et étaient en mesure de les sauver de
l’esclavage. Mais il arrivait aussi que les filles retrouvent leurs mères et leurs frères et
soeurs et que ceux-ci refusent de quitter leurs maîtres, en raison de leurs croyances
religieuses ou parce qu’ils ne voyaient pas d’autre solution possible, financièrement parlant.

C. Les enfants victimes de l’esclavage
42. La loi mauritanienne prévoit que les enfants à partir de l’âge de 14 ans peuvent
travailler dans le secteur non agricole; les enfants âgés de moins de 13 ans ne peuvent
travailler dans le secteur agricole que si le Ministre du travail accorde une permission en
raison des conditions locales. Toutefois, la Rapporteuse spéciale a été informée que des
enfants âgés de moins de 13 ans travaillaient dans tous les secteurs d’activité.
43. Il y a deux manières pour un enfant de devenir un esclave en Mauritanie de nos
jours: par la naissance ou s’il est donné en cadeau. Le droit de ces enfants de naître libres
est violé et leurs droits fondamentaux à une identité, une famille et une enfance sont
bafoués. Tout esclave en Mauritanie a aussi connu une enfance asservie. Les enfants
grandissent sans connaître leurs parents ou leurs frères et soeurs. Leurs maîtres, qui sont
leurs proches socialement, leur tiennent lieu de famille, ce qui rend encore plus difficile
pour les enfants asservis de s’échapper. Dans les cas où un maître reconnaît les enfants
qu’il a eus d’une esclave, les enfants sont généralement séparés de leur mère.
44. À la campagne, les enfants asservis prennent généralement soin du bétail, s’occupent
des cultures vivrières, exécutent des tâches domestiques et autres tâches importantes en
appui aux activités de leur maître.
45. Les enfants vivant dans des conditions analogues à l’esclavage dans les zones
urbaines travaillent souvent comme domestiques.
46. En ce qui concerne le phénomène des talibés (élèves des écoles religieuses ou
disciples d’une secte religieuse ou d’un maître religieux spécifiques), qui sont contraints par
des marabouts à mendier dans les rues au profit financier de ces derniers, il est largement
admis que ces enfants ne sont pas mauritaniens et viennent du Sénégal ou du Mali.
L’utilisation des enfants aux fins de mendicité est une forme d’esclavage13. La Rapporteuse
spéciale a été informée que le Gouvernement travaillait avec les religieux pour mettre un
terme à cette pratique. Toutefois, dans les nombreuses conversations que la Rapporteuse
spéciale a eues à travers le pays, beaucoup ne considéraient pas la mendicité comme une
forme d’esclavage.
47. La Rapporteuse spéciale a également été informée de mariages précoces forcés, dont
certains impliquaient des fillettes victimes de la traite aux fins de mariages forcés dans
d’autres pays. Cette pratique contrevient directement à l’article 2 de la Convention
supplémentaire relative à l’abolition de l’esclavage, de la traite des esclaves et des
institutions et pratiques analogues à l’esclavage, qui interdit les mariages précoces forcés.
Convention sur l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes; et art. 16 de la Convention
relative aux droits de l’enfant.
13 Voir la Convention de l’OIT no 182 concernant l’interdiction des pires formes de travail des enfants et
l’action immédiate en vue de leur élimination.
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D. L’esclavage et les personnes âgées
48. La Rapporteuse spéciale a été informée que les esclaves âgés sont censés continuer
de travailler. Leurs enfants restent parfois avec eux, comme esclaves, parce qu’ils ne
veulent pas quitter leurs parents − généralement leur mère − car alors il n’y aurait plus
personne pour prendre soin d’eux. La Rapporteuse spéciale a eu connaissance du cas d’une
ancienne esclave qui est retournée chez son maître pour y chercher sa mère âgée, qui était
atteinte de cécité passagère. Celle-ci a refusé de partir avec sa fille parce qu’elle avait été
esclave pendant tant d’années qu’elle ne pouvait imaginer une autre vie possible, étant âgée
et en mauvaise santé. Elle croyait également que quitter son maître aurait pour conséquence
une punition de nature religieuse. À la deuxième tentative, sa mère a quitté son maître.
Cette femme a depuis recouvré la santé et la vue grâce à l’aide d’une organisation non
gouvernementale (ONG).

E. L’esclavage et la religion
49. Pendant des années, on a répété aux esclaves que, s’ils faisaient ce que le maître leur
disait de faire, ils iraient au paradis, mais que, s’ils se détournaient de leur maître, ils
renonçaient au paradis. Il s’agit là d’un puissant mécanisme de contrôle qui enseigne à ceux
qui sont asservis d’obéir aux ordres et d’accepter leur sort, sous peine d’être oubliés par
leur Dieu. Sans accès à l’éducation ou à d’autres moyens de subsistance, nombreux sont
ceux à croire qu’ils sont esclaves par la volonté de Dieu.
50. Lors de rencontres avec des théologiens et des chefs religieux, la Rapporteuse
spéciale a été informée que les maîtres se fondaient sur une interprétation erronée de la
religion pour maintenir les esclaves dans un état de subordination. En outre, les chefs
religieux ont rapporté que certains de leurs homologues citaient des passages du Coran pour
justifier l’existence et la persistance de l’esclavage.

F. L’esclavage et la discrimination
51. La pratique de l’esclavage est illégale, mais l’esclavage en Mauritanie repose en
partie sur des attitudes discriminatoires profondément enracinées. Dans la société
mauritanienne, fortement stratifiée et fondée sur l’appartenance à des castes, même les
anciens esclaves ou descendants d’anciens esclaves continuent de vivre avec le stigmate de
leur «classe servile» et sont ostracisés. Du fait des pratiques discriminatoires, les anciens
esclaves sont bien souvent relégués dans les emplois manuels ou de service dans les zones
urbaines. Quand ils s’élèvent au-dessus de leur condition, les anciens esclaves continuent
de se heurter à la discrimination. La Rapporteuse spéciale a ainsi eu connaissance d’une
situation où un membre de la communauté soninké appartenant à une caste inférieure a été
nommé Ministre mais sa propre communauté a refusé de le reconnaître. Cela montre que,
même lorsque le Gouvernement a eu recours à la discrimination positive, les bénéficiaires
ont rencontré des difficultés car certaines communautés ont refusé d’abandonner leurs
vieilles idées traditionnelles concernant l’esclavage fondé sur la caste. Même lorsqu’elle est
nommée à un poste important, la personne n’est pas respectée.
52. Socialement, les individus continuent d’être stigmatisés et ostracisés parce qu’ils
sont esclaves ou anciens esclaves, ce qui a un impact profond sur leur psychisme. La
Rapporteuse spéciale a eu connaissance de cas où des Maures blancs font activement
obstacle au développement de Haratines; par exemple, des Maures blancs ont refusé de
payer des maçons haratines et ont préféré payer plus cher des étrangers − en l’occurrence
des Gambiens. La Rapporteuse spéciale a également été informée qu’un groupe de
Haratines, qui avaient reçu de l’argent du Programme alimentaire mondial, avaient été
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GE.10-15628 15
empêchés de forer des puits par des Maures blancs qui leur ont volé leur équipement et ont
contesté leur droit d’occuper les terres.
53. La Rapporteuse spéciale a entendu les témoignages d’anciens esclaves qui ont fait
état de la discrimination qu’ils subissent en matière d’accès à la justice, d’égalité des
chances dans l’emploi et d’accès aux services de base tels que l’éducation.

G. L’esclavage et la terre
1. Législation foncière mauritanienne
54. Le 25 juin 2003, le Gouvernement a adopté la loi no 025/2003 portant répression de
la traite des personnes, qui prévoit pour les auteurs de telles infractions des sanctions
pénales pouvant aller jusqu’aux travaux forcés à perpétuité.
55. L’article 15 de la Constitution mauritanienne garantit le droit de propriété. En 1983,
soucieux de mettre en valeur des terres pour la production agricole, le Gouvernement a
promulgué la loi sur la réforme agraire, qui garantit la propriété foncière privée. Toutefois,
cette loi énonce également que le Gouvernement peut exproprier des citoyens, moyennant
indemnisation, en vue de répondre aux «besoins de développement économique et social»
plus larges de la collectivité. Les communautés qui, en conformité avec leurs coutumes,
sont opposées à la propriété et à la vente individuelles des terres, doivent créer des
coopératives et se faire enregistrer officiellement en tant qu’associations. Dans les zones
rurales, l’expropriation de facto perpétrée par des agents puissants disposant d’appuis parmi
les hauts responsables est monnaie courante. Des conflits entre les Haratines et les maîtres
Maures blancs ont également éclaté dans les zones rurales lorsque les premiers ont
revendiqué la propriété de terres en faisant valoir que c’étaient eux qui les cultivaient14.
56. Aux termes de la loi, le Gouvernement peut accorder des titres de propriété pour des
terres non exploitées, notamment les jachères, à quiconque s’engage à les bonifier et
possède les ressources nécessaires pour ce faire. Par suite, des Maures blancs ont acquis des
terres, situées le long du fleuve Sénégal, qui appartenaient traditionnellement aux
communautés négro-africaines. Cette situation est en partie à l’origine des tensions de la fin
des années 80 entre les responsables de l’État et les communautés de la région du fleuve
Sénégal, patrie des ethnies pular, soninké et ouolof. Ces tensions ont finalement abouti
entre 1989 et 1991 au massacre, orchestré par l’État, et à l’expulsion vers le Mali et le
Sénégal, de milliers de citoyens négro-africains. En outre, les terres abandonnées par les
Négro-Africains en fuite ont été données à des Haratines, ce qui a accentué les tensions
entre les deux groupes lorsque les Négro-Africains sont rentrés15.

2. Constatations de la Rapporteuse spéciale
57. Traditionnellement, la terre appartenait aux aînés de la communauté ou aux nobles
qui étaient les maîtres (dans les communautés maure blanche et négro-africaine, il s’agissait
de ceux qui n’appartenaient pas à la caste des esclaves). La propriété foncière se
transmettait d’une génération à l’autre. Les esclaves cultivaient des parcelles de terrain,
mais n’en étaient jamais propriétaires. Cette situation relevait du servage16. Les esclaves
14 Cf. Cédric Jourdé in «Country report − Mauritania: Countries at the Crossroads 2007» (Washington,
Freedom House, 2007).
15 Ibid.
16 Le servage est la condition de quiconque est tenu par la loi, la coutume ou un accord, de vivre et de
travailler sur une terre appartenant à une autre personne et de fournir à cette autre personne, contre
rémunération ou gratuitement, certains services déterminés, sans pouvoir changer sa condition − cf.

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16 GE.10-15628
devenaient des serfs en ce qu’ils partageaient avec leurs maîtres tout profit qu’ils tiraient de
la terre, cédant ainsi à leurs maîtres une part de leur production.
58. De nos jours, les maîtres, même s’ils vivent en ville, possèdent toujours les titres de
propriété des terres cultivées par les esclaves. La Rapporteuse spéciale a été informée de
cas de servage: d’anciens esclaves haratines cultivaient des parcelles de terre depuis des
années mais s’en voyaient refuser la propriété juridique, alors que la même parcelle était
volontiers cédée à des Maures blancs qui n’investissaient pas dans la terre. Ces derniers
obligeaient alors les anciens esclaves haratines à leur verser une redevance ou les
expulsaient de leurs terres. À cet égard, la Rapporteuse spéciale a rencontré un groupe
d’anciens esclaves haratines réduits au servage, connu sous le nom d’Organisation de
sauniers d’Idjil, qui ont extrait du sel durant de nombreuses années. Ils paient une taxe aux
autorités locales pour exploiter la terre, ainsi qu’une taxe à leur maître. Ils ont déposé
plusieurs plaintes contre les demandes de paiement de leur maître, mais en vain. En outre,
on leur a refusé la propriété juridique du terrain.
59. La Rapporteuse spéciale a été informée que des maîtres expulsaient les esclaves de
leurs terres s’ils ne votaient pas pour le candidat choisi par leur maître. Ces esclaves se
sentaient par conséquent également privés de leurs droits.
60. Les esclaves qui s’enfuient ou sont affranchis migrent vers les centres urbains où ils
vivent dans des bidonvilles, la plupart du temps sans aucun titre de propriété officiel.
61. Il importe d’aborder la question du régime foncier dans les zones rurales et urbaines.
Des solutions doivent être trouvées aux questions de propriété foncière, en particulier les
rapports fonciers entre maîtres et anciens esclaves, car faute de quoi elles seront
probablement cause de conflits. La Rapporteuse spéciale a été informée que, dans certaines
régions, notamment la région d’Atar, il existait une commission de distribution des terres.
Cette commission était composée du préfet de région, du maire, des conseillers municipaux,
d’experts techniques et de dirigeants de la communauté. Il est essentiel que les
commissions foncières soient représentatives des différents groupes présents dans la
communauté.

H. L’esclavage et l’héritage
62. Lorsque les esclaves meurent, leurs biens peuvent être revendiqués par le maître ou
la famille du maître. Un esclave ou les enfants d’un ancien esclave ne jouissent pas du droit
d’hériter de leurs parents. Cette situation perpétue le cercle vicieux de l’esclavage, dans la
mesure où l’héritage pourrait servir de base matérielle à l’esclave pour acheter sa liberté ou
celle de ses enfants.
63. La Rapporteuse spéciale a eu connaissance d’une affaire de succession en suspens
depuis 2003. Malgré les jugements rendus en faveur de la famille de l’ancien esclave,
l’homme prétendant être le maître de l’ancien esclave avait refusé de se conformer aux
décisions des tribunaux. On pense que le jugement n’a pas été appliqué en raison des liens
du maître avec les autorités locales.
art. 1, al. b de la Convention supplémentaire relative à l’abolition de l’esclavage, de la traite des
esclaves et des institutions et pratiques analogues à l’esclavage.

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GE.10-15628 17
I. L’esclavage et les réfugiés
64. Maaouya Ould Sid’Ahmed Taya a été Président de la Mauritanie de 1984 à 2005.
Durant sa présidence, des rapports ont fait état de violences physiques et sexuelles contre la
communauté négro-africaine de Mauritanie. Des arrestations arbitraires et des exécutions
sommaires de Négro-Africains ont été signalées. Les documents d’identité des victimes ont
été détruits et leurs biens et leurs terres ont été confisqués. À la suite de ces évènements, les
Mauritaniens d’origine négro-africaine se sont réfugiés au Sénégal et au Mali ou ont été
expulsés vers ces pays. À titre de représailles, des Maures blancs et des Haratines
mauritaniens vivant au Sénégal ont été exécutés ou expulsés vers la Mauritanie.
65. Cette question intéresse la Rapporteuse spéciale à un double titre. En effet, à
l’époque où ces violations ont été commises contre la communauté négro-africaine, de
nombreux esclaves de la communauté maure avaient été affranchis ou avaient fui leurs
maîtres. Ces anciens esclaves, les Haratines, n’avaient nulle part où aller et aucun moyen de
subsistance. Aussi, lorsque les Négro-Africains se sont enfuis, certaines de leurs terres
furent données aux Haratines. En outre, les dizaines de milliers de Mauritaniens qui ont fui
vers le Sénégal et le Mali, en raison des violences à caractère ethnique survenues entre
1987 et 1991 étaient en majorité des Négro-Africains, dont certains étaient esclaves. Afin
de résoudre ce problème humanitaire, le 12 novembre 2007, les Gouvernements
mauritanien et sénégalais et le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés
(HCR) ont signé l’Accord tripartite sur le rapatriement volontaire des réfugiés mauritaniens
au Sénégal.
66. L’accord énonce les obligations de chaque partie, afin de garantir l’organisation du
retour volontaire des réfugiés en Mauritanie dans des conditions satisfaisantes, sous la
supervision du HCR17.
67. Il est tenu compte des compétences des réfugiés lors de leur réinstallation. Ainsi, la
Rapporteuse spéciale a rendu visite à des rapatriés à Rosso, dont la majorité avaient été
fonctionnaires ou enseignants avant de fuir. Ils avaient été relogés à proximité d’un centre
urbain, de façon à optimiser leurs chances d’utiliser leurs compétences. Les personnes qui
avaient des compétences en agriculture étaient en règle générale réinstallées dans des zones
rurales. Le Gouvernement attribue des terres aux rapatriés (de 200 à 500 m2 de terrain
suivant la taille de la famille), des papiers d’identité et de la nourriture pour trois mois, ainsi
que des articles non alimentaires.
68. En outre, plusieurs autres projets visent à favoriser la réinsertion des rapatriés,
notamment des projets de création de revenus et des projets à impact rapide exécutés par
l’Agence nationale d’appui et d’insertion des réfugiés avec le soutien des Nations Unies.
69. Le HCR a indiqué à la Rapporteuse spéciale que l’on dénombrait environ 15 000
rapatriés, dont 50 % détenaient une carte d’identité et 85 % avaient reçu un certificat de
naissance. La majorité des rapatriés appartient à l’ethnie pular. Selon des chiffres du
Gouvernement, les rapatriés seraient actuellement au nombre de 19 086.
17 Voir l'Accord tripartite sur le rapatriement volontaire des réfugiés mauritaniens au Sénégal.
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V. Mesures pour lutter contre l’esclavage
A. Politique de lutte contre l’esclavage
70. La Rapporteuse spéciale a été impressionnée par la volonté de toutes les personnes
qu’elle a rencontrées − du Président mauritanien aux anciens esclaves − d’aborder la
question de l’esclavage, de rompre avec le passé et avancer sur la voie qui conduira à sa
disparition.
71. La Rapporteuse spéciale a accueilli avec satisfaction l’adoption de la loi de 2007
contre l’esclavage qui incrimine cette pratique et signale ainsi clairement que l’esclavage ne
sera pas toléré en Mauritanie.
72. Étant donné qu’aucune affaire fondée sur la loi de 2007 contre l’esclavage n’a
encore été portée devant les tribunaux, la Rapporteuse spéciale a été informée que le
Ministère de la justice mettait actuellement sur pied une commission pour réviser la loi et
formuler des suggestions quant aux moyens de la renforcer.
73. Le Gouvernement a adopté une politique d’action positive afin de promouvoir
l’égalité des chances et la diversité ethnique. Ainsi, à partir des années 90, des Haratines
ont progressivement été élus ou nommés à des postes de décision importants, dont celui de
Président de l’Assemblée nationale (2007). Un certain nombre de Haratines, dont une
femme, ont été élus députés. En outre, l’actuel Président de la Cour constitutionnelle, le
Ministre de la justice et le Ministre de l’intérieur sont des Haratines. Cette évolution
témoigne de l’émergence d’une élite haratine qui acquiert graduellement des droits égaux
en matière d’accès à la prise de décisions en Mauritanie.

B. Programmes de lutte contre l’esclavage
74. Le Commissaire aux droits de l’homme, à l’action humanitaire et aux relations avec
la société civile a établi un plan national pour lutter contre les vestiges de l’esclavage. Ce
dispositif, appelé Programme pour l’éradication des séquelles de l’esclavage (PESE),
prévoit la création d’activités génératrices de revenus et un accès à la santé et à l’éducation
pour les anciens esclaves. Il convient de mentionner que le Gouvernement a alloué environ
4 millions de dollars des États-Unis (1 million de ouguiyas) à ce programme. En outre, en
2009, un nouveau programme conjoint des Nations Unies d’une durée de trois ans sur la
prévention des conflits a fait l’objet d’un accord avec le Commissariat aux droits de
l’homme, à l’action humanitaire et aux relations avec la société civile. Le but de ce
programme est de s’attaquer aux causes profondes de l’agitation sociale liée aux séquelles
de l’esclavage et de favoriser la cohésion sociale.
75. La Ministre de la famille, de l’enfance et des affaires sociales a informé la
Rapporteuse spéciale qu’elle collaborait avec le Ministère de l’intérieur pour traiter le
problème des enfants des rues, dont certains sont talibés, à Nouakchott. Les enfants vivant
dans la rue sont susceptibles d’y travailler, ce qui les rend vulnérables à des abus analogues
à l’esclavage18. Il existe une unité de police spécialisée, formée à travailler avec les enfants.
Le Ministre de l’intérieur a informé la Rapporteuse spéciale qu’un enseignement ou une
formation professionnelle étaient dispensés aux enfants qui bénéficiaient aussi d’un
hébergement. Le Ministre de l’intérieur a en outre signalé à la Rapporteuse spéciale que ses
18 Cf. Convention no 182 de l’OIT; également, Étude du Secrétaire général des Nations Unies sur la
violence contre les enfants, Rapport mondial sur la violence contre les enfants (Genève, Service des
publications de l’ONU, 2006), p. 250.

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services surveillaient les madrassas pour s’assurer que les enfants n’étaient pas encouragés
à aller mendier au profit de leurs maîtres religieux.
76. Par le passé, les enfants d’esclaves mauritaniens étaient victimes de la traite et
envoyés aux Émirats arabes unis pour travailler comme jockeys dans les courses de
chameaux. La Ministre de la famille, de l’enfance et des affaires sociales a informé la
Rapporteuse spéciale que ces enfants avaient été rapatriés en Mauritanie en 2005 et, dans
tous les cas où cela était possible, rendus à leurs familles. Le programme mis en place visait
également à ce que les enfants puissent se réinsérer correctement dans leurs communautés
et reçoivent une indemnisation qui les aiderait à aller à l’école ou, pour les plus âgés, à
s’engager dans des activités génératrices de revenus. Le Gouvernement a élaboré un plan
d’action, établi un comité de pilotage, travaillé conjointement avec les ONG et le Fonds des
Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) et suivi les progrès de leur action. La Rapporteuse
spéciale a été informée que le programme s’était achevé au bout de deux ans car il avait
rempli ses objectifs.
77. Le Ministre de l’emploi et de la formation professionnelle a informé la Rapporteuse
spéciale d’un programme lancé en 2008 en vue de fournir des microcrédits aux anciens
esclaves pour qu’ils puissent créer des petites entreprises. Le programme fournit également
des conseils à ses bénéficiaires.
78. Afin de promouvoir l’intégration positive des rapatriés du Sénégal et du Mali, une
cérémonie de pardon, de prière et de réconciliation s’est déroulée au niveau national le
25 mars 2009, sur les rives du fleuve Sénégal, en vue de guérir les blessures causées par les
violations passées des droits de l’homme19.
79. La Commission nationale des droits de l’homme, créée en 2007, a joué un rôle
important en prônant l’éradication de l’esclavage et en promouvant la réinsertion sociale et
économique des esclaves ainsi que leurs droits civils. Elle est en outre habilitée à donner
une suite juridique aux allégations de violations des droits de l’homme, dont l’esclavage, en
procédant à des investigations indépendantes.
80. Les autorités ont reconnu la nécessité d’associer les dirigeants religieux à la lutte
contre l’esclavage en Mauritanie; ainsi, le décret de 1981 abolissant l’esclavage a fait suite
à la tenue de consultations approfondies au sein des cercles islamiques et à une annonce du
Gouvernement selon laquelle, tous les musulmans étant égaux devant Allah, il ne pouvait y
avoir de justification à la perpétuation de l’esclavage20.
81. La Rapporteuse spéciale a rencontré des dirigeants religieux qui ont pris position
clairement contre l’esclavage, rejetant l’idée qu’il puisse être associé de quelque manière
que ce soit à l’islam. Ils ont travaillé avec leurs communautés pour lutter contre l’esclavage
et les pratiques analogues à l’esclavage. Toutefois, ils reconnaissent la nécessité de susciter
une prise de conscience et de changer les attitudes et les croyances de la population
concernant l’esclavage.
82. En 2007, de concert avec la Commission nationale des droits de l’homme et les
organisations de la société civile, le Gouvernement a mené une campagne nationale de
sensibilisation visant à faire connaître la loi de 2007 portant incrimination de l’esclavage.
83. La Rapporteuse spéciale a de plus été informée de l’action d’organisations telles que
SOS Esclaves et l’Association mauritanienne des droits de l’homme, qui aident les esclaves
qui ont fui leur maître en leur fournissant des conseils juridiques, une assistance juridique
19 Voir le compte rendu analytique de la 5e séance de la Conférence d’examen de Durban,
A/CONF.211/SR.5, par. 11.
20 Voir la loi de 2007 contre l’esclavage.
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en vue d’intenter une action, un hébergement temporaire et, chaque fois que possible, un
microcrédit pour créer une petite entreprise.

VI. Principales difficultés
A. Mécanismes institutionnels
84. Le Commissariat aux droits de l’homme, à l’action humanitaire et aux relations avec
la société civile a établi le PESE pour remédier aux séquelles de l’esclavage, mais ce
programme ne s’attaque pas aux formes actuelles de l’esclavage en Mauritanie. En outre, il
est axé uniquement sur les aspects liés à la pauvreté et ne prend pas en compte des facteurs
tels que la discrimination, ce qui offrirait pourtant la possibilité de changer les attitudes et
les croyances des anciens esclaves et des maîtres en lançant une campagne soutenue de
sensibilisation. De surcroît, le Gouvernement ne dispose pas de données précises sur la
nature et l’incidence de l’esclavage en Mauritanie, d’où la difficulté d’adopter en la matière
des mesures appropriées. La nécessité s’impose donc de traiter le problème des pratiques
esclavagistes en Mauritanie selon une approche plus globale, en menant des actions qui
s’inscrivent dans la durée.

B. Loi de 2007 contre l’esclavage
85. Cette loi aborde uniquement la question de la responsabilité pénale individuelle des
propriétaires d’esclaves et ne peut en conséquence être appliquée que dans le cadre de
poursuites pénales, sans possibilité pour les victimes de se constituer partie civile afin
d’obtenir réparation ou des dommages et intérêts.
86. La loi ne prend pas en compte le problème − inextricablement lié à l’esclavage − de
la discrimination fondée sur la situation sociale des personnes autrefois asservies et de leurs
descendants, qui continuent d’être victimes de discrimination sur le plan juridique, sur leur
lieu de travail et dans leur vie sociale.
87. Bien que des formes d’esclavage telles que le servage aient été signalées en
Mauritanie, la loi ne les mentionne pas.
88. La loi ne prévoit pas de mesures d’application spécifiques et faute d’une véritable
stratégie à long terme visant à faire connaître la loi, beaucoup reste à faire pour changer les
attitudes et le comportement de la population en ce qui concerne l’esclavage.
89. La loi ne mentionne pas les programmes de réadaptation qui fourniraient d’autres
moyens de subsistance aux anciens esclaves. Or, de tels programmes sont essentiels si l’on
veut éviter que les anciens esclaves ne tombent dans une servitude volontaire, où ils
continueront de travailler pour leur maître en échange d’argent ou d’un paiement en nature
− logement, nourriture, etc.

C. Application de la loi de 2007 contre l’esclavage
90. Depuis son adoption, aucune poursuite n’a été engagée en vertu de cette loi. Étant
donné que ses dispositions concernent uniquement la responsabilité pénale individuelle des
propriétaires d’esclaves, son application repose entièrement sur le bon vouloir de la police
et du ministère public. Lors d’entretiens tant avec des responsables gouvernementaux
qu’avec des représentants de la société civile, l’absence de dispositif d’application a été
mentionnée comme un problème qui permet à l’esclavage de perdurer.
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GE.10-15628 21
91. La Rapporteuse spéciale a été informée que des cas d’esclavage avaient été signalés
aux autorités compétentes. Toutefois, soit ces affaires étaient requalifiées en «querelle de
succession ou conflit foncier», soit elles ne donnaient pas lieu à des poursuites faute
d’éléments de preuve suffisants; ou bien encore, la personne qui avait porté plainte avait
subi des pressions de sa famille élargie, de son maître ou parfois des autorités locales pour
la contraindre à retirer sa plainte. Il en résulte que les affaires ne sont jamais signalées
comme des affaires d’«esclavage», de sorte que, sur le plan judiciaire, les cas d’esclavage
n’existent pas.
92. La police et les tribunaux se sont montrés réticents à donner suite aux allégations de
pratiques analogues à l’esclavage qui sont portées à leur attention, soit en raison d’un
manque de connaissance suffisante de la loi ou simplement en raison des pressions de
certaines communautés ou de certains groupes. Bien que la loi prévoie des sanctions
pénales en cas d’inertie des autorités, les poursuites au titre de cette disposition dépendront
en toute probabilité des mêmes autorités auxquelles il incombe de donner suite aux plaintes
relatives à l’esclavage.
93. Cette loi est difficile à faire appliquer dans les communautés nomades des zones
rurales. Il est plus aisé de réprimer l’esclavage au sein de communautés sédentarisées ou
vivant en milieu urbain. Ainsi, les enfants ne sont pas systématiquement déclarés, en
particulier dans les zones rurales. Il est par conséquent difficile de surveiller des enfants qui
se déplacent avec leur maître. La porosité des frontières avec l’Algérie, le Mali, le Maroc et
le Sénégal fait qu’il est facile aux maîtres de garder leurs esclaves et difficile d’informer
l’esclave et les maîtres que l’esclavage est désormais aboli. En outre, les esclaves sont
habitués à ce mode de vie nomade auquel ils ne voient pas d’alternative.
94. La Rapporteuse spéciale a été informée de la réticence des juges à prendre des
mesures appropriées pour offrir des recours juridiques permettant de protéger les victimes
de l’esclavage. On lui a aussi indiqué que, parfois, les magistrats n’appliquaient pas la loi
de 2007 contre l’esclavage car ils ne voulaient pas être perçus comme déloyaux et être
ostracisés par les leurs.
95. La Rapporteuse spéciale a pris connaissance de documents illustrant les cas qui
avaient été présentés aux tribunaux, mais où le requérant (esclave) avait interrompu la
procédure et retiré sa plainte. Les plaintes portées devant les tribunaux entraient
principalement dans trois catégories, comme exposé ci-après.
96. La première catégorie concerne les affaires introduites par les ONG de défense des
droits de l’homme au nom des esclaves. Dans ces cas, les ONG reçoivent des informations
d’un esclave qui s’est enfui. La gendarmerie est généralement informée et se rend sur les
lieux pour vérifier les faits rapportés par le requérant. Le processus d’enquête est alors
interrompu à différents stades: soit la gendarmerie arrive et, par crainte et par solidarité
sociale, les personnes vivant au domicile du maître ou de la parenté du maître nieront qu’il
existe une quelconque forme d’esclavage, soit l’affaire est enregistrée et présentée au
tribunal, mais, suite aux pressions sociales, financières et religieuses subies, le requérant
retire sa plainte.
97. Dans la deuxième catégorie, les affaires sont présentées comme des plaintes
concernant l’héritage. Certains Mauritaniens descendants d’esclaves sont économiquement
prospères, cultivant la terre sur laquelle ils vivent depuis des années. Toutefois, lorsque
l’ancien esclave meurt, ses biens sont revendiqués par son ancien maître et sa parenté, qui
déclarent que tous les biens créés par l’esclave appartenaient à son maître. Bien que les lois
de 1981 et de 2007 interdisent l’esclavage, l’ancien maître peut alléguer l’existence de
contrats passés entre lui et son ancien esclave. Cette assertion verbale est généralement
acceptée par les tribunaux.
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98. Enfin, dans le troisième cas de figure, une personne est prise en flagrant délit
d’esclavage. Cela est très difficile, car les gens sont conscients que l’esclavage a été aboli et
incriminé et ils ont mis au point de nouvelles manières de le dissimuler.

D. Difficultés rencontrées par les rapatriés du Mali et du Sénégal
99. La question des rapatriés étant liée au problème de l’esclavage, la Rapporteuse
spéciale est préoccupée au premier chef par le fait qu’il n’y a eu aucune mention ou
reconnaissance de l’impact que l’esclavage ou ses vestiges pourraient avoir sur le
programme de rapatriement. Il n’apparaît pas clairement comment le Gouvernement
mauritanien préviendra ou gérera les tensions entre les Haratines et les rapatriés négroafricains.
Les Haratines vivant sur les terres ayant appartenu aux Négro-Africains subissent
déjà une discrimination en tant qu’anciens esclaves, à laquelle pourrait s’ajouter maintenant
une autre discrimination en raison du problème de la terre. D’où la nécessité d’aborder la
question de la réforme agraire en Mauritanie, afin de prévenir tout conflit à l’avenir. En
outre, il n’apparaît pas clairement comment le Gouvernement préviendra la pratique de
l’esclavage fondé sur la caste au sein de la communauté négro-africaine vivant dans les
camps.
100. La Rapporteuse spéciale a également reçu des informations selon lesquelles le
programme de rapatriement avait été freiné par la bureaucratie et le manque de moyens
humains et financiers de l’État. Les rapatriés l’ont en outre informée du manque
d’installations convenables, telles que logement et toilettes. Ils ont exprimé leur frustration
de ne pouvoir, quoique compétents et capables, exercer une activité génératrice de revenus
suffisants. Les rapatriés obtiennent une parcelle de terrain, des vaches et de la nourriture
pour trois mois, après quoi ils sont censés devenir autonomes. Comme l’a exprimé un
d’entre eux, «on nous a donné une vache, mais pas les moyens durables de nous nourrir ou
de nourrir la vache, qui finira par mourir». Dans les sites d’accueil de rapatriés de Rosso,
des préoccupations ont été formulées concernant l’oisiveté de nombreux jeunes hommes
auxquels il faudrait proposer des activités telles que la formation professionnelle pour les
occuper et leur donner des qualifications en vue d’un emploi.
101. La Rapporteuse spéciale a également été informée que certains rapatriés avaient une
expérience d’enseignants et de fonctionnaires. Elle a pris note de la colère et de la
désillusion des rapatriés face à l’absence de suivi de leur rapatriement. En outre, elle a été
informée que certains habitants de Rosso se plaignaient que les rapatriés étaient bien plus
prospères que la population locale.

VII. Conclusions et recommandations
A. Stratégie globale
102. La Rapporteuse spéciale se félicite grandement de la volonté politique
manifestée par le Gouvernement et des programmes qu’il a institués en vue
d’éradiquer l’esclavage. Toutefois, même si les actions du Gouvernement ont eu pour
résultat de faire reculer l’esclavage, ce dernier demeure une réalité de la Mauritanie
moderne - en particulier dans les zones rurales reculées, où des violations des droits de
l’homme continuent de se produire. Si on ne s’attaque pas au problème ou s’il est
partiellement traité (c’est-à-dire si les efforts se portent uniquement sur les «vestiges
de l’esclavage»), l’esclavage continuera de faire obstacle au développement du pays.
103. Un premier pas vers une action globale de lutte contre l’esclavage serait de
concevoir une stratégie nationale à cette fin. La Rapporteuse spéciale a été informée
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que le Gouvernement était disposé à se doter d’une stratégie nationale. Cette stratégie
pourrait être fondée sur une étude de l’histoire et de la nature de l’esclavage en
Mauritanie. La Rapporteuse spéciale encourage le Gouvernement à entreprendre une
telle étude avec le soutien du Programme des Nations Unies pour le développement et
de la Communauté européenne. La stratégie pourrait ensuite être mise au point par
diverses parties prenantes, notamment les représentants des pouvoirs publics, les
organisations de la société civile traditionnellement impliquées dans la lutte contre
l’esclavage, les ONG internationales, les organismes des Nations Unies et la
communauté des donateurs. Ces diverses parties prenantes pourraient constituer un
organe institutionnel qui mettrait en oeuvre la stratégie nationale de lutte contre
l’esclavage et en assurerait le suivi.
104. En outre, l’ensemble des services gouvernementaux, des organismes
internationaux et des ONG devraient prendre en compte l’esclavage et les «vestiges de
l’esclavage» lors de la conception et de l’exécution de programmes en Mauritanie.
B. Loi et mesures contre l’esclavage
105. La Rapporteuse spéciale engage le Ministre de la justice à envisager ce qui suit
lors de l’examen de l’efficacité de la loi de 2007 contre l’esclavage:
Édicter une loi contre les pratiques discriminatoires fondées sur la caste ou sur
l’esclavage à base ethnique;
Donner une définition plus claire de l’esclavage, dans le cadre de la loi, de façon
à inclure les formes contemporaines d’esclavage, comme celles subies par les
talibés;
Incorporer dans la loi de 2007 des dispositions qui prévoient l’assistance aux
victimes et leur indemnisation;
Prévoir la possibilité pour les victimes de l’esclavage d’intenter une action
civile, ce qui donnerait aux victimes et aux organisations de défense des droits
de l’homme agissant dans leur intérêt le droit de recourir directement aux
tribunaux contre un acte d’esclavage ou de discrimination, au lieu de compter
sur la police ou d’autres autorités pour engager des poursuites pénales dans de
tels cas. Cela pourrait se faire en ajoutant une deuxième partie à la loi actuelle
ou en introduisant une loi séparée, mais connexe;
Instituer un mécanisme indépendant financé par le Gouvernement, consacré
par la législation, qui puisse mener des enquêtes de sa propre initiative et soit
habilité à porter devant les tribunaux des affaires civiles d’esclavage ou de
discrimination;
Prévoir également dans le cadre de la loi de 2007 la création d’un comité
réunissant les multiples parties prenantes, chargé de concevoir une stratégie
nationale de lutte contre l’esclavage et d’en assurer la mise en oeuvre et le suivi;
Inclure dans la loi de 2007 des dispositions prévoyant des programmes de
réinsertion qui fourniraient d’autres moyens de subsistance aux anciens
esclaves. C’est essentiel pour éviter que les anciens esclaves ne tombent dans la
servitude volontaire, c’est-à-dire continuent de travailler pour leur maître en
échange d’espèces ou d’un paiement en nature − logement, nourriture, etc. De
tels programmes devraient en outre prévoir un enseignement pour les anciens
esclaves − qui constituent les éléments les plus marginalisés de la société − et
veiller à ce qu’ils soient alphabétisés. Les programmes existants tels que le
PESE devraient être consacrés par la loi afin de garantir leur pérennité;
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Inscrire dans la loi des mesures d’accompagnement qui énoncent les moyens
pour les anciens esclaves d’accéder aux ressources financières et économiques,
à la propriété foncière et au microcrédit et de bénéficier d’un soutien pour
obtenir justice.
C. Sensibilisation
106. Il importe de faire évoluer les mentalités à tous les échelons de la société. Une
stratégie à long terme est nécessaire pour éradiquer l’esclavage, car il existe un besoin
réel de changer les attitudes et les cultures. Les campagnes de sensibilisation doivent
être renouvelées et soutenues dans les zones rurales et urbaines. Les campagnes
nationales doivent viser à faire connaître l’interdiction de l’esclavage et son
incrimination. Il s’agit d’informer les esclaves sur leurs droits, les organes auprès
desquels ils peuvent déposer plainte, les modalités de dépôt d’une plainte et le soutien
qu’ils peuvent obtenir auprès du Gouvernement et des ONG. La dimension culturelle
étant primordiale dans la lutte contre l’esclavage, l’action de sensibilisation doit
impliquer les oulémas et les imams, notamment ceux des zones rurales. Les
campagnes peuvent utiliser la presse, les débats, les conférences, la télévision, la radio,
etc., et devraient également inclure des séminaires de formation spécialisée
obligatoires pour les juges, les représentants des autorités locales, la gendarmerie, la
police, les médias et les ONG.
D. Programmes
107. Pour être efficaces, la loi modifiée et le plan d’action devraient s’accompagner
d’une large gamme de programmes prévoyant, par exemple, l’accès à l’éducation de
base, à la formation professionnelle, aux activités génératrices de revenus, au
microcrédit et à l’égalité des chances en matière d’emploi. L’efficacité de ces
programmes devra faire l’objet d’un suivi. La loi a affranchi les esclaves mais si l’on
veut éviter qu’ils se comportent de façon soumise, les anciens esclaves doivent avoir les
moyens d’être autonomes et se sentir capables d’agir en tant qu’individus. Offrir aux
anciens esclaves d’autres moyens de subsistance permettra également de prévenir la
servitude volontaire.
108. Afin que le travail servile soit exposé au grand jour et contrecarré, les anciens
esclaves suivant une formation devraient être en mesure d’obtenir des qualifications
professionnelles et de s’inscrire auprès d’agences de l’emploi gouvernementales ou
privées afin d’obtenir des emplois légaux.
109. Il est nécessaire de développer et de renforcer les capacités des ONG qui luttent
contre l’esclavage. Elles ont pu émanciper les esclaves, mais une fois ceux-ci
affranchis, elles n’ont pas été en mesure de leur proposer des modes de subsistance
différents. Une coopération étroite devrait s’instaurer entre les ONG et le
Gouvernement afin de protéger les esclaves affranchis et de leur fournir les moyens
nécessaires pour travailler.
110. La pauvreté est présente dans toutes les communautés en Mauritanie. Il est par
conséquent important que ceux qui abordent le problème de la pauvreté tiennent
compte de l’effet que leurs programmes peuvent avoir sur l’esclavage dans la
communauté et examinent, par exemple, la façon de remédier à la pauvreté lorsque les
anciens maîtres et esclaves vivent côte à côte dans la pauvreté ou lorsque le maître
possède la terre que cultivent les esclaves. Ceux qui financent ou mettent en oeuvre les
programmes devraient être capables de déterminer si ces programmes profitent aux
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maîtres ou aux esclaves. Le nouveau Document de stratégie pour la réduction de la
pauvreté doit inclure des programmes ciblant spécifiquement les esclaves.
111. Les programmes visant à rétablir les droits des enfants des anciens esclaves
sont essentiels et devraient s’attacher à fournir à ces enfants un état civil indiquant
leur filiation naturelle, favoriser leur scolarisation et faciliter le regroupement
familial.
112. Il faudrait mettre en place des programmes qui s’attachent à fournir aux
femmes esclaves en fuite un accès immédiat à des droits fondamentaux tels que
l’alimentation et l’hébergement. Ces programmes devraient également être axés sur
l’autonomisation des anciennes esclaves en leur fournissant une éducation élémentaire
et d’autres moyens de subsistance afin qu’elles soient en mesure de subvenir à leurs
propres besoins et à ceux de leur famille.
E. Recommandations concernant les rapatriés du Mali et du Sénégal
113. Il importe que le programme de rapatriement tienne compte de l’effet que
l’esclavage ou les «vestiges de l’esclavage», en ce qui concerne la terre, par exemple,
peuvent avoir sur les rapatriés et les communautés qui les entourent. Les campagnes
de sensibilisation destinées à promouvoir la loi de 2007 contre l’esclavage devraient
également s’attacher à informer les rapatriés et les communautés au sein desquelles ils
vivent.
114. Il est nécessaire d’entreprendre des projets visant à prévenir la discrimination
contre les rapatriés en soulignant de quelle manière les rapatriés bénéficient à la
communauté.
115. Le Gouvernement et le HCR doivent veiller à ce que les rapatriés aient un accès
convenable aux services de base et bénéficient d’une formation et d’activités
génératrices de revenus durables.
116. Afin d’aider à la bonne réinsertion des rapatriés, leurs compétences, capacités
et connaissances devraient être utilisées pour leur fournir des moyens d’existence
durables et leur permettre de contribuer au développement des communautés dans
lesquelles ils vivent.
117. La prise de décisions relatives aux programmes est actuellement centralisée à
Nouakchott, mais les programmes doivent être décentralisés afin que les pouvoirs
publics puissent mettre en oeuvre les décisions concernant chaque région.
F. Recommandations à la communauté internationale
118. La communauté internationale a un rôle important à jouer en oeuvrant, de
concert avec le Gouvernement mauritanien et les ONG, à intégrer la lutte contre
l’esclavage dans ses programmes, en fournissant une assistance technique et en
finançant les projets de lutte contre l’esclavage et contre les «vestiges de l’esclavage».
G. Recommandations aux entreprises
119. Les entreprises, notamment les sociétés étrangères investissant en Mauritanie,
devraient adhérer aux critères internationaux qui interdisent le recours au travail des
enfants et le travail forcé. Elles devraient mettre au point une politique de
responsabilité sociale des entreprises qui leur permette d’investir dans le
développement des compétences professionnelles sur le marché du travail

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