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dimanche 7 août 2011

Un présent qui s’explique à partir d’un passé récent (« Election présidentielle du 18 juillet 2009 ») par Boye Alassane Harouna



altLe 29 août 2009 je publiais le texte  ci-dessus : « Election présidentielle du 18 juillet 2009 ». Celle-là même qui porta au pouvoir le Général Mohamed Ould Abdel Aziz, paré cette fois-ci d’un costume. « Cette fois-ci » ? Parce que le 6 août 2008, le Général Mohamed Ould Abdel Aziz prenait le pouvoir en destituant le président Sidi Ould Cheikh Abdallahi.
Le pouvoir usurpé le 6 août 2008 porte ainsi dans ses entrailles ce péché originel qui résulte de l’illégalité de son mode d’acquisition — le coup d’Etat du 6 août 2008 —, et de l’arrêt brutal, qui s’ensuivit, du processus d’ouverture démocratique et des réformes importantes qui étaient en cours. Or, c’est le 6 août 2008 qui rendit possibles l’élection présidentielle du 18 juillet 2009 et son résultat, le sacre de Mohamed Ould Abdel Aziz. Aussi, le 18 juillet 2009 en soi n’expie pas le péché qui entache le 6 août 2008. Il le capte par héritage, et le porte. La présidence de Mohamed Ould Abdel Aziz en sera toujours imprégnée.
Que les amis lecteurs me pardonnent de leur soumettre, pour lecture ou relecture, un texte publié il y a deux ans. A ma décharge, qu’ils me permettent de faire valoir que, de mon point de vue, plusieurs faits et évènements que le pays a vécus depuis l’élection du 18 juillet 2009, et d’autres qui font l’actualité tiennent leur source, pour l’essentiel, de cette élection du 18 juillet 2009 et des conditions qui l’ont rendue possible.
En effet, la configuration politique actuelle, la composition et la recomposition — par addition ou soustraction — des principaux camps politiques (celui de la majorité et celui de la coalition de l’opposition démocratique, notamment), les va-et vient de certains partis politiques entre le camp de l’opposition et ce qui est improprement appelé ici majorité présidentielle, va-et-vient qui dénotent sinon un manque de conviction et de projet cohérent, du moins une absence de vision tactique ; certaines alliances ou affinités politiques ; certains positionnements par rapport à des questions fondamentales ayant trait au devenir du pays, etc. ; à y regarder de près, on s’aperçoit aisément que tous ces faits et agissements trouvent bien leurs esquisses dans la longue période préélectorale qui se boucle le 18 juillet 2009.
Dans ce texte, j’y soulignais que 1) la stabilité et la sécurité du pays, 2) les rapports pouvoir/opposition, 3) la Question nationale… étaient au nombre des dossiers brûlants et urgents auxquels il importait d’apporter rune solution juste et durable. Deux ans après l’élection présidentielle du 18 juillet 2009, quelle évolution significative peut-on raisonnablement relever quant au traitement de ces questions ? Aucune. Pire, les choses se sont dangereusement aggravées. Retenons la Question nationale, pour illustration.
1) Mars 2010 (Sauf erreur de date). « Que voulez-vous, la Mauritanie est un pays arabe ! », affirmait sans gêne le Premier ministre Moulaye Ould Mohamed Laghdaf en réponse à un journaliste. La ministre de la culture, dans son sillage, dissertera dans le sens de la suprématie de la langue arabe sur les autres langues nationales.
2) Premier semestre 2011. L’Etat, ou ce qui en tient lieu, s’abrite derrière différents montages et manœuvres pour déposséder les populations négro-africaines du sud de leurs terres en vue de les vendre à des investisseurs étrangers, saoudiens notamment. Aucune région du sud n’échappe à cette expropriation, selon les informations dont nous disposons. La cession des terres serait même effective. C’est, dit-on, pour éviter des révoltes massives et coordonnées des populations de la vallée que les cessionnaires, avec la bénédiction de l’Etat, ne prendraient que progressivement possession des terres ainsi acquises.
3) Le fameux recensement à «vocation d’Etat civil » en cours. Véritable tragi-comédie, illustration non pas de l’effacement ou de la démission de l’Etat mais de son extinction quasi complète. A sa place opèrent des lobbies, groupuscules racistes, idéologiquement marqués par des pratiques et discours discriminatoires. Groupuscules, érigés en institutions, qui font leurs lois, couverts par les hautes autorités du pays. Par leur composition, leurs méthodes et règles de travail, les commissions de recensement excluent à partir de critères ethniques plus qu’elles ne recensent les citoyens en tant que tels.
Qu’est-ce qui ressort de tout ce qui a été dit sur le comportement et les pratiques de ces commissions de « recensement » qui rappellent étrangement ces autres lugubres « commissions de listes » constituées lors des évènements de 89/90, et qui avaient vocation de définir quel Négro-africain devait être exproprié avant d’être déporté ? Humiliation, mépris, dédain, agressivité, désinvolture, arrogance, absence totale de la plus élémentaire attitude de correction et de courtoisie que chaque citoyen est en droit d’attendre des autorités de son pays, de son administration et de ses agents dont la raison d’être première est précisément d’être à l’écoute et à la disposition des citoyens, des administrés. Cette correction et cette courtoisie qui sont le propre de nos traditions africaines, que l’on doit aux personnes âgées en particulier, et que recommande l’islam dont on se réclame, ce sont bien elles qui sont piétinées par les commissions de recensement tantôt avec une allégresse gamine, tantôt avec un cynisme sans nom. (Demander à des sexagénaires ou à des octogénaires de présenter le certificat de décès de leurs parents, dans un pays où jusqu’à un passé encore récent le certificat de décès et l’autopsie n’étaient guère des pratiques administratives systématiques, cela procède-t-il d’une logique de recensement ou d’une volonté d’exclure ?)
La récurrence de la négation du caractère multiethnique de la Mauritanie qui s’exprime ici au travers de l’exclamation du Premier ministre : « Que voulez-vous, la Mauritanie est un pays arabe ! » (D’où la logique de la suprématie de la langue arabe.) ; l’expropriation en cours des terres de la vallée ; Le fameux et tragi-comique « recensement à vocation d’état civil » toujours en cours ; qu’est-ce qui relie ces trois actes qui sont le fait des pouvoirs publics et qui n’auraient pu être conduits et aboutir sans l’aval du chef de l’Etat ? La mise en cause de l’identité intrinsèque de la communauté négro-africaine de Mauritanie, ou, dit autrement, la logique de son exclusion ou de son effacement par assimilation (la déformation des prénoms négro-africains pour leur donner une consonance arabo-islamique et l’imposition de l’arabe comme langue officielle en sont une illustration). Examinons rapidement ces trois questions qui nous mènent directement à la Question nationale ou à la définition des normes du vivre-ensemble entre les différentes composantes nationales du pays.
La langue, marqueur identitaire par excellence s’il en est, sa négation par sa dépréciation constante conduit à terme à asphyxier le groupe ethnique qui l’utilise, à freiner son épanouissement en réduisant ses membres au rang de citoyens de seconde zone. Dis-moi ta langue de naissance, je te dirai qui tu es. Elle est sans doute l’un des principaux signes distinctifs de l’identité de la personne, de son appartenance (nationale, ethnique, voire religieuse). « …Sur ces trois qualités cependant [celles essentielles qui définissent un individu], la qualité essentielle est le langage…», nous dit Amadou Hampâté Bâ (“Aspects de la civilisation africaine”).
Les terres constituent, dans le milieu négro-africain de Mauritanie plus qu’ailleurs sans doute, plus qu’un moyen de production et de subsistance ; leurs histoires se confondent souvent avec celles des familles ; elles symbolisent un passé, désignent une ascendance ; elles sont un legs sacré, un patrimoine inaliénable dont le mode de transmission de génération en génération est régi par le droit coutumier. Pour tout dire, elles sont une partie constitutive de l’identité de leurs propriétaires. Dis-moi ta zone de culture, dis-moi où se situent tes champs, je te dirai qui tu es et qui sont les propriétaires des champs qui sont contigus aux tiens. Ignorer les liens indéfectibles qui lient, ici plus qu’ailleurs, le paysan noir à ses terres, c’est ne rien connaître au b.a.-ba en matière d’histoire ou de culture négro-africaine du pays. Ou vouloir délibérément précariser davantage des populations déjà dépourvues du minimum nécessaire pour une existence décente.
Le recensement « à vocation d’état civil ». Il vise donc, par définition, à formaliser l’identité du citoyen, à fixer son appartenance nationale, qui le distinguera des citoyens d’autres pays. Le lui refuser pour des motifs aussi grotesques que ceux qu’on entend, c’est lui refuser sa citoyenneté, c’est nier son identité, c’est en faire un paria sur sa terre natale, celle de ses aïeux, c’est l’exclure de la communauté nationale.
La question linguistique, la question des terres, la problématique du « recensement à vocation d’état civil », toutes ces questions posent ouvertement ou en filigrane l’incontournable Question nationale via la question identitaire qui en constitue le substrat. Vieille question, consubstantielle à l’avènement de l’Etat mauritanien, polluée et rendue explosive par le racisme d’Etat au point de mettre en péril l’existence même du pays à plusieurs reprises. Pour dire les choses rapidement, hier, sous les régimes précédents, celui de Taya notamment, pour marginaliser, pour exclure, pour massacrer, pour déporter les populations négro-africaines du pays, on biaisait, on construisait des prétextes, etc. Ce qu’il y a aujourd’hui d’inédit et d’extrêmement grave que révèle ce  « recensement », c’est qu’on ne se contente plus de faire du Noir un citoyen de seconde zone, on en fait plutôt et ouvertement un apatride. Résultat : on n’aura plus besoin de le déporter. Il suffira de l’expulser, le cas échéant, parce qu’on aura construit les instruments « légaux » de cette expulsion : son absence des registres d’état civil ; son nouveau statut de sans-papiers. Pas de citoyenneté, donc. Les autres, ceux qui auront provisoirement échappé à l’usurpation ou à la déconstruction de leur nationalité, ceux-là se verront davantage fragilisés quand viendra à terme le processus de dépossession de ce qu’il leur restait comme moyen de subsistance : leurs terres, par exemple. Et avant cette échéance, inéluctable en raison de la logique d’exclusion du racisme d’Etat, ils auront été réduits en masse anonyme et invisible, noyée dans la communauté arabo-berbère, par étouffement de leurs langues et de leurs cultures. En somme, la mort programmée de la communauté négro-africaine, pas nécessairement dans le sens de son extinction physique en tant que communauté ; mais par dépossessions successives de ses droits, par la réduction de son poids démographique, par extinction de ce qui fonde son identité et fait sa spécificité (langues, histoire, cultures, etc.)
Ainsi intégré, en tant qu’étape, dans le processus global d’exclusion et d’étouffement des Négro-africains, le « recensement à vocation d’état civil » apparaît ici avec tout son caractère  scandaleux et odieux. C’est l’appréhension de la vraie nature de cette opération « recensement » » et ses conséquences dévastatrices pour la cohésion nationale qui a suscité l’indignation et la réprobation que traduisent les réactions massives et presque instantanées enregistrées aussi bien en Mauritanie qu’à l’extérieur. La jeunesse dont le slogan-programme « Touche pas à ma nationalité… » restera sans doute un repère historique de ce moment tragi-comique dans la gestion de ce qui a directement trait à la Question nationale (le « recensement à vocation d’Etat civil ») ; quelques partis et organisations ; la société civile ; quelques personnalités éminentes, responsables d’associations ou cadres de partis politiques ; tous firent entendre leurs voix avec véhémence à travers diverses manifestations et déclarations. Digne réaction à soutenir, à encourager, à amplifier davantage. Mais qui reste une gouttelette d’eau qui ne couvrira pas, hélas, le silence pour ne pas dire l’indifférence incroyable de la majorité de la classe politique, des intellectuels, des cadres, des personnalités religieuses, des notables…
Qu’attendre de l’élite, de l’avant-garde, des citoyens responsables face à ce qui conduit inexorablement à l’implosion de leur pays, ce recensement en l’occurrence ? Qu’ils transcendent leurs clivages politiques, ethniques…, se rassemblent en un front unique pour s’opposer énergiquement à toute entreprise qui vise à saper les fondements du pays et de la nation encore fragile. C’est en ces circonstances que se fait l’apprentissage du vivre-ensemble, que se construit la solidarité nationale face à l’épreuve que traverse une région du pays ou une de ses composantes nationales ; c’est là que doit d’abord commencer la construction de l’unité nationale.
Quelles perspectives ?
« Pour une Mauritanie unie et indivisible. », soutiennent certains.
Dans ces conditions, et au regard des nouvelles variantes du développement du racisme d’Etat, des slogans du genre « Pour une Mauritanie unie et indivisible » laissent un écho pathétique et traduisent une forme de résignation, une certaine utopie, du genre de celles qui ne se réalisent jamais.
L’aspiration à une « Mauritanie unie et indivisible » est sans conteste noble et légitime. Mais la question est dépassée. Elle ne doit pas, aujourd’hui, sans modification fondamentale des données politiques actuelles en matière de cohabitation nationale, être posée en ces termes. Car l’unité suppose 1) qu’on soit au minimum deux, 2) que l’envie et la volonté de s’unir et de vivre ensemble soient partagées, réciproques. Or, l’Etat censé mettre en œuvre les conditions de cette « Mauritanie unie et indivisible » développe depuis sa naissance des politiques contraires à l’émergence d’une « Mauritanie unie et indivisible ». Aussi, la seule question d’actualité qui vaille d’être posée c’est « Comment bâtir une Mauritanie unie et indivisible ? ». Et la question, dès qu’elle est posée, il se comprend vite qu’elle constitue plus l’expression d’un doute ou une attestation supplémentaire de la disposition à vivre ensemble qu’une conviction quant à une possible réalisation de cette « …Mauritanie unie et indivisible ». La question « Comment bâtir une Mauritanie unie et indivisible ? » restera sans réponse, donc incongrue, tant qu’on n’aura pas en face un pouvoir avec une volonté politique réelle de trouver une juste solution au problème de la cohabitation. 
Autonomie du sud, Sécession… ?
C’est pour toutes ces considérations, et à la faveur de cette aberration que constitue ce recensement, que la tendance favorable à l’Autonomie ou à la sécession commence à gagner du terrain. A bien observer la chose, on note qu’il s’agit moins d’une lubie ou d’un coup de sang que d’une option revendiquée et assumée. Option longtemps perçue par des aînés, reprise et développée par les FLAM depuis plusieurs années.
Mieux, d’autres vont plus loin et n’excluent guère une sécession pure et simple du Sud. L’adhésion à ces options politiques comme solution à la cohabitation deviendra de plus en plus massive et populaire à mesure que s’accentueront des pratiques discriminatoires (comme le recensement actuel) portant gravement atteinte à l’intégrité et aux droits fondamentaux de la communauté négro-africaine. Voilà qui doit interpeller l’ensemble de la classe politique, les autorités actuelles du pays et les citoyens soucieux de l’avenir du pays. Il y a bien là de quoi inciter à une vaste concertation nationale transparente, à laquelle doivent prendre part toutes les forces politiques, tous les acteurs de la société civile et les populations, pour définir une solution juste et respectueuse des droits de toutes les composantes nationales du pays. Car, il ne faut pas se bercer d’illusions et croire utopique l’évolution possible et même probable du pays vers une Autonomie du sud, voire une séparation. Il s’agit donc d’éviter  — avant qu’il ne soit tard — que cette hypothèse ne se vérifie par volonté unilatérale et sous n’importe quelle forme…
Le Sud Soudan, ce n’est pas le Sud de la Mauritanie, certes. Le Soudan, ce n’est pas la Mauritanie, bien sûr. Mais un point commun de taille, tout de même : une discrimination et une exclusion anachroniques, à base confessionnelle et ethnique au Soudan, à base ethnique en Mauritanie. C’est ce dénominateur commun qui fit basculer le sud Soudan dans la longue résistance armée qui déboucha sur son indépendance récente. Si — aujourd’hui — en Mauritanie on est loin d’une issue semblable à celle que vient de connaître la crise soudanaise, absolument rien n’exclut qu’elle advienne dans 20 ou 30 ans. Les Mauritaniens, la classe politique et les autorités du pays seraient bien inspirés de faire de cette question l’objet de leurs réflexions et de bien méditer l’expérience soudanaise.
 Quant aux formations politiques, Associations, personnalités indépendantes qui affirment mettre au cœur de leur combat politique l’émancipation de la communauté noire et la sauvegarde de ses droits, si elles sont sincères et conséquentes, il est grand temps pour elles, tout en conservant au besoin leurs spécificités en tant que formations politiques (ou personnalités indépendantes), de travailler à construire un front vaste, uni, solide et durable, à élaborer des programmes d’actions communs sur la base d’une vision stratégique claire. La sensibilisation, l’encadrement et la mobilisation des populations du sud notamment, doivent être au centre de cette alliance politique. Ce front devra ensuite s’élargir à toutes les forces démocratiques et progressistes du pays qui militent franchement pour une Mauritanie égalitaire.
 
Boye Alassane Harouna
Le 5 août 2011

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