Ibrahima Diallo des Flam- Europe de l´ouest: ‘Avec ce recensement, on veut nous rendre complètement apatride’
 Le  recensement en cours en Mauritanie préoccupe la communauté  négro-mauritanienne de France.Samedi dernier, elle a battu le macadam à  Paris pour demander son arrêt. En marge de cette manifestation, le  chargé de la presse et de la communication des Forces de libération  africaines de Mauritanie (Flam)section Europe de l´ouest, Ibrahima  Diallo, revient sur les raisons de leurs craintes et ‘le danger’ que  constitue cette opération de comptage de la population.
Le  recensement en cours en Mauritanie préoccupe la communauté  négro-mauritanienne de France.Samedi dernier, elle a battu le macadam à  Paris pour demander son arrêt. En marge de cette manifestation, le  chargé de la presse et de la communication des Forces de libération  africaines de Mauritanie (Flam)section Europe de l´ouest, Ibrahima  Diallo, revient sur les raisons de leurs craintes et ‘le danger’ que  constitue cette opération de comptage de la population. Wal Fadjri : Pour quelles raisons manifestez-vous contre le recensement des populations mauritaniennes ?
Ibrahima  DIALLO : Nous manifestons contre un projet d'enrôlement général des  populations mauritaniennes. Un enrôlement dans lequel nous sentons les  négro-mauritaniens (Soninké, Wolof, Bambara, Haal Pulaar, Haratine)  complètement exclus. Nous considérons que ce projet est extrêmement  dangereux pour la postérité de la Mauritanie. Nous faisons face à une  situation qui est extrêmement grave, beaucoup plus que la déportation  des centaines de négro-mauritaniens en 1989. 
Pourquoi ? 
Parce  que nous voyons, au niveau de Nouakchott et dans certaines villes de  l'intérieur de notre pays, de plus en plus de personnes qui ont souvent  un passé d'anciens ministres, d'anciens hauts responsables de l'Etat,  qui n'ont pas pu se faire recenser. Parce que tout simplement des  agents, qui sont chargés de le faire, leur posaient des questions sur  leur identité. On leur demande, par exemple, pourquoi ils sont nés au  Sénégal avant 1930 ? Pourquoi ils sont nés au Mali avant 1945 ? Ce sont  des questions comme ça qu'on pose à des personnalités qui ont exercé de  hautes fonctions dans l'Etat. Ne parlons pas du peuple qui est renvoyé  purement et simplement pour des compléments d'information, de  renseignements pour des papiers douteux ; alors que, généralement, ce  sont des papiers qui ont été établis par l'Etat mauritanien. 
Avez-vous des preuves de toutes ces accusations que vous faîtes portées aux autorités mauritaniennes ? 
Le  tout Premier ministre de la santé de la Mauritanie, en l'occurrence  Babacar Alpha n'a pas pu se faire recenser, parce que tout simplement on  lui a demandé de fournir un certificat de naissance de sa mère.  Pourtant, il a plus de 90 ans. Le colonel Baba Ly, qui fut l'un des  principaux instigateurs de plusieurs coups-d'Etat en Mauritanie qui ont  porté certains, comme Ould Taya et d'autres au pouvoir, n'a pas pu se  faire recenser parce qu'il est né au Sénégal. Alors que l'actuel  président de la République, Mohamed Ould Abdel Aziz est né à Louga  (ville au nord du Sénégal). Et c'est le premier qui a été recensé. Ce  sont des faits qui sont réels. 
Moi  même qui vous parle, mon père n'a pas été recensé parce qu'on lui  demande de revenir plus tard car, on ne recense que ceux qui sont nés  avant 1945 en Mauritanie. Avant 1945, la Mauritanie n'existait pas.  Avant 1945, il n'y avait que Kaédi, Mboutt ; il n'y avait pas Néma. Néma  et Ayoun n'appartenaient pas à la Mauritanie. Ça appartenait au Soudan  français (Mali actuel, Ndlr). Tous les Noirs sont aujourd'hui frustrés.  Nous sommes très mobilisés pour refuser systématiquement de revivre un  énième génocide. Ce que nous voyons-là (la manifestation tenue samedi à  la Place Trocadéro, Ndlr) entre dans le plan contre le génocide qui est  mis en exécution depuis les indépendances par le premier président de la  Mauritanie, Ould Dada. 
Est-ce que ce ne sont pas des cas exceptionnels ? 
Ce  ne sont pas des cas exceptionnels. Quand vous allez à Bogué, quand vous  allez à Kaédi ou dans certains centres de recensement à Nouakchott,  vous verrez des Noirs sortir des bureaux complètement humiliés,  complètement abattus. On n'a pas encore vu sur une tribune des  populations maures dénoncer cet état de fait. On n'a pas vu encore de  Maures dire qu'on leur a posé des questions humiliantes, des questions  qui les ont vexées. (…). Nous avons des personnes d'origine sénégalaise,  burkinabè qu'on refuse de recenser. Alors qu'en Mauritanie, par  exemple, les Ouédraogo sont installés depuis très longtemps. Mais le  petit peuple mauritanien n'acceptera pas, ne se laissera pas faire. Nous  allons nous mobiliser, nous allons nous battre. De toutes les façons,  nous n'avons plus rien à perdre car, nous avons tout perdu. Il ne nous  restait que ce peu de dignité, mais on veut nous rendre complètement  apatride. 
Est-ce que ce n'est pas du rôle de l'Etat de veiller au contrôle de la nationalité pour qu'il n'y ait pas de fraude ? 
Justement  je vais vous dire qu'hier (vendredi dernier, Ndlr), le président Abdel  Aziz a fait une apparition à la télévision pour dire que ceux qui  manifestaient à Nouakchott et en France, étaient de nationalité  douteuse. L'Etat Mauritanien n'a jamais fait quelque chose pour  sécuriser les documents d'état-civil. On a vu, à partir des années 1966,  des autorités administratives arabo-berbères faire table-rase des  archives coloniales. On a vu des documents d'état-civil, qui avaient été  établis par la France coloniale, se faire brûler complètement. Dans ces  archives coloniales, il y avait des documents d'état-civil de  négro-mauritaniens. Ces dernières années, on a essayé de détruire toutes  traces de la présence physique des négro-mauritaniens en Mauritanie. 
On  a vu, après la déportation, des villes se faire rebaptisées. On a vu,  pendant la déportation, des autorités déchirer des documents  d'état-civil des gens que l'on déportait ainsi. On a vu également durant  les différentes opérations de recensement de la population, des agents,  mal intentionnés, venir détruire systématiquement le patronyme des  gens, changer des dates de naissance, de lieux de naissance, notamment  durant le Recensement administratif à vocation d'état civil (Ranvec). Ce  sont des réalités. C'est pour vous dire que l'Etat mauritanien n'a  absolument rien fait pour sécuriser les documents. Mais il a tout fait  pour saboter systématiquement tous les documents d'état-civil de  certains Mauritaniens. C'est un plan qui a été mûrement et savamment  réfléchi et qui est aujourd'hui en train d'être exécuté. 
Quel est l'intérêt de l'Etat mauritanien de faire tout cela ? 
On  a toujours voulu prévaloir dans ce pays une certaine supériorité  numérique des arabo-berbères sur les autres communautés, notamment  négro-mauritanienne. Tous les recensements – Dieu sait qu'on en a connu  de très nombreux – n'ont jamais été publiés. On s'est toujours prévalu  de cette supériorité numérique pour dire que les Noirs sont  minoritaires. Mais plus on fait de recensement, plus on se rend compte  que cette évidence n'est pas exacte. On a déporté en 1989. En 1988, il y  a eu un recensement. Ce recensement de 1988 avait commencé à faire  vaciller cette évidence et on s'est servi de cela pour déporter. Malgré la déportation, nous sommes encore-là. 
Tout  récemment, il y a eu le Ranvec dont les chiffres n'ont jamais été  publiés. Ces chiffres avaient donné des indicateurs. Ils se sont dits  qu'ils seraient en difficulté de faire valoir leur supériorité  numérique, s'ils publiaient le Ranvec de 1998. Surtout que les Haratines  refusent de se faire recenser dans le groupe arabo-berbère. Ces  populations disent qu'ils ont leur spécificité. Ce qui fait que les  arabo-berbères se réduisent à une portion congrue. Ils savent qu'ils ne  constituent pas cette majorité. Donc on essaie de faire tout pour dire  aux Noirs qu'ils sont des ‘Tirailleurs sénégalais’, des maçons maliens  et des footballeurs guinéens. Sur les 13 agents, qui font le recensement  aujourd'hui, il n'y a qu'un seul Noir. Jeudi dernier, le directeur qui  se charge de cette opération d'enrôlement, a dit audiblement à ce Noir  qu'il n'est pas Mauritanien, parce qu'il se nomme Massina. 
Quel appel lancez-vous aux autorités mauritaniennes ? 
Nous  leur demandons de mettre un terme le plus rapidement possible à cette  opération d'enrôlement que nous trouvons complètement raciste que nous  n'accepterons pas et que nous nous battrons jusqu'au bout. Cette  opération d'enrôlement ne passera pas. Elles ont intérêt à retirer ça le  plus rapidement possible pour ne pas créer à la Mauritanie un conflit.  Elles doivent savoir que nous sommes particulièrement déterminés. 
Propos recueillis à Paris par Moustapha BARRY (Correspondant permanent de Walfadjri) 
 

 
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