« Nous ne partageons pas avec Ould Abdel Aziz la même approche sur la manière de régler les problèmes qui compromettent l'unité nationale»
Le Calame : Que reste-t-il aujourd’hui des FLAM ? Des communiqués de presse, des congrès, dans des salons feutrés, aux recommandations presque jamais appliquées. Pour beaucoup de négro mauritaniens, ce qui reste des FLAM à l’étranger est en déphasage total avec la réalité que vivent les négro-mauritaniens qu’ils sont censés défendre ? Etes-vous d’accord ?
Kaaw Touré : D´abord les FLAM c´est l´histoire d’une résistance patriotique des plus opiniâtres, celle qui n´a jamais plié, ni dévié, celle qui n’a jamais été récupérée, en dépit des manœuvres et agressions de toutes sortes. Les FLAM. constituent sans conteste, dans l’histoire de notre pays, la force politique qui a fait montre de la résistance la plus longue et la plus constante. Je ne crois pas aussi que notre discours sur le racisme, l´esclavage, les réfugiés, l´identité du pays et l´impunité soit en déphasage avec la réalité du pays. Au contraire il devient de plus en plus audible et plus frappant à l´intérieur comme à l´extérieur. L´actualité du pays avec cet enrôlement discriminatoire vient encore d´une manière éclatante nous conforter dans nos analyses et dans nos positions. Nous continuons à dénoncer l’injustice dont la communauté négro-mauritanienne est victime et tous les exclus du Système en Mauritanie. Ils se reconnaissent tous dans notre combat. L´histoire retiendra aussi que les FLAM ont fait l´histoire de ce pays. Nous avons été les premiers à nous insurger contre le dictateur Ould Taya et le système discriminatoire qu’il a solidement bâti et conforté. Cela nous a valu la répression la plus sanglante, la plus cinglante et la plus haineuse jamais enregistrée dans ce pays.
Depuis leur création, les FLAM s´étaient fixées entre autres objectifs : la résolution de la question nationale, la lutte contre l´esclavage et les pratiques féodales, l´instauration d´une véritable démocratie en Mauritanie où le fait d´être arabe, noir, haratine, znaga ne serait ipso-facto une condition rédhibitoire. C´est ce paradigme que nous avons rappelé et voulu concrétiser en Mauritanie qui nous a valu la dénonciation, la répression jusqu’à l’élimination physique de ceux que nous comptions de plus chers dans notre mouvement.
A l’époque, cependant il ne s’était pas trouvé suffisamment de bonnes volontés dans les formations politiques concurrentes pour formuler, avec autant d’exigence que nous, la revendication d’une réelle égalité entre tous les citoyens mauritaniens. Mais tel le roseau de la fable qui ploie sous la poussée de la bourrasque sans pour autant casser, les FLAM ont survécu à toutes les tempêtes de sable du régime de Taya. Nous avons payé cher notre droit à l´expression.
Aujourd´hui il est facile de se réclamer de l´opposition et de bomber le torse ! Nous n´avons pas attendu la « démocratisation » du pays, la libération de la parole ou l´avènement de l´internet pour dire non à cette gestion discriminatoire, à caractère raciste, instaurée dans ce pays. C´est grâce aux FLAM que l´opinion internationale a découvert le vrai visage du régime mauritanien et l´apartheid méconnu de notre pays.
C´est grâce aux FLAM que le monde occidental et africain a découvert aussi le sort des déportés mauritaniens et des esclaves en Mauritanie.
C´est grâce aux FLAM que le génocide planifié par des franges intolérantes de nationalistes arabes a échoué. C´est grâce aux FLAM que les tortionnaires et autres génocidaires sont pourchassés et interdits de séjour dans des pays respectueux des droits de l´homme. C´est aussi grâce à l’impact de notre discours clair, cohérent et suivi, que les masses négro-africaines allaient prendre, pour la plupart, conscience de leur oppression. C´est encore grâce à notre encadrement que les déportés ont résisté pendant ces 20 ans aux chants des sirènes de Nouakchott, et maintenu intacte la tension du retour, jusqu´à la reconnaissance officielle de leur déportation par les nouveaux régimes.
On ne le dira jamais assez, un de nos acquis le plus essentiel, demeure celui d’avoir réussi, surtout, à rompre le mur du silence qui entourait cette politique ignominieuse de discrimination à caractère raciste et ces pratiques esclavagistes dont sont victimes les populations noires mauritaniennes.
La Mauritanie est un pays secret; nos dirigeants politiques se sont toujours évertués à soustraire à la curiosité internationale les problèmes de fond du pays, par la dissimulation et les diverses manœuvres mensongères !
Nous avons ainsi, à travers le « Manifeste du Négro-Mauritanien opprimé » diffusé à l’extérieur, notamment au sommet de l’Union Africaine tenu à Hararé (Zimbabwe) en 1986 montré le vrai visage de la Mauritanie; chose que Ould Taya n’a jamais réussi à digérer !
Nous avons ainsi, à travers le « Manifeste du Négro-Mauritanien opprimé » diffusé à l’extérieur, notamment au sommet de l’Union Africaine tenu à Hararé (Zimbabwe) en 1986 montré le vrai visage de la Mauritanie; chose que Ould Taya n’a jamais réussi à digérer !
Aujourd´hui toute la classe politique parle dans son ensemble de l´unité nationale, du retour des déportés, du passif humanitaire, chose fort heureuse, alors qu´hier ces sujets étaient tabous et considérés comme "fond de commerce des nationalistes étroits, des ennemis du monde arabe à la solde du sionisme". L´histoire vient encore une fois de démontrer que seule la vérité est révolutionnaire; nous n´avons jamais failli dans notre mission de combattants de la liberté, de sentinelle du pays, de garde-fous de la démocratie et d´objecteurs de conscience.
Le régime de Taya et les tenants du Système ont cherché, en vain, par tous les moyens à nous casser, à nous marginaliser, à nous diaboliser. Ils ont essayé par la répression, la corruption, la diffamation mais le socle dur est resté ferme et déterminé, loin de tout opportunisme et amateurisme; voilà ce qui reste des FLAM et ce que retiendra des FLAM tout patriote honnête et sincère et surtout ce que retiendront de nous les annales de l´Histoire. Enfin ce qui reste des FLAM ce sont ces milliers d´hommes de foi, ces femmes de conviction profonde, incorruptibles et imperturbables toujours prêts à relever d´autres défis. C´est pour ainsi dire que le discours des FLAM est toujours dans l´air du temps et que les revendications qui ont été à la base de la création de ce mouvement se posent toujours avec plus d´acuité.
Le Calame : Qu’est-ce qui empêche ce qui reste de ce mouvement de rentrer au pays, constituer un parti politique ou intégrer d’autres, afin de défendre, de manière démocratique, ses idées sur l’arène politique nationale? Le président Mohamed Ould Abdel Aziz ne vous a-t-il jamais tendu la main comme à Ibrahima Sarr, de l’AJD/MR? Si oui, pourquoi vous n’avez pas accepté de composer avec lui ?
Le mouvement reste plus que jamais vivant et mobilisé malgré toutes les épreuves subies. Quant à notre retour, si vous suiviez l´actualité en bons journalistes, vous auriez su que notre mouvement a pris lors de notre dernier congrès, tenu en France, la résolution de se redéployer à l´intérieur et de reprendre notre place auprès de notre base et de notre peuple. Le retour se prépare activement et sereinement aussi bien à l´intérieur qu´à l´extérieur du pays et vous verrez bientôt les FLAM, inchaallah, en Mauritanie avec toute leur force et dans toute leur splendeur.
Nous n'avons pas de contact avec le Général Ould Abdel Aziz. Nous n'avons rien demandé, lui n'a rien entrepris non plus. Nous ne partageons pas la même approche sur la manière de régler les problèmes qui compromettent l'unité nationale. Notre impression est qu'il s'est plus employé à déplacer les problèmes qu'à leur apporter des solutions de fond. Il compte certainement sur la lassitude des victimes et sur la stratégie "du diviser pour mieux régner" et espérer ainsi voir s'imposer ses réformettes qui occultent l'essentiel. Il a tort !
Le Calame : Ce que d’aucuns qualifient de « fonds de commerce » de votre organisation est largement aujourd’hui repris en charge par certains partis politiques, des organisations de défense des droits humains, de la société civile, particulièrement l’IRA de Biram Ould Dah Ould Abeid. Que reste-il de vos idéaux pour la Mauritanie ? Biram serait-il plus téméraire ou plus convaincu de la justesse de son combat que les FLAM ?
A votre avis, doit-on reprocher aux FLAM le fait que la classe politique et les activistes des droits de l'homme de l'intérieur se soient ralliés à leurs discours et idéaux, ou au contraire n'est-il pas plus honnête de féliciter leur clairvoyance? Nous avions peut-être eu tort d'avoir raison avant tout le monde, c'est à dire d'avoir osé défier seuls les périls à l'époque où la vaillance n'était pas la denrée la plus commune. Nous, on est plutôt honorés d'avoir suscité des vocations dans la défense de la justice et de l'égalité, mais aussi d'avoir crée des émules? J'espère seulement que la concurrence autour de ce "fonds de commerce" ne poussera pas certains négociants à brader l´affaire!!! Plus sérieusement, si, pour certains, la politique est une affaire d´intérêt et de marchandage, Dieu merci, de notre côté, nous ne sommes pas bercés à l'école de la fourberie des marchands d´illusion car pour les FLAM, la politique est avant tout une question de principes et d´éthique.
Par rapport aux autres, le moment venu, le peuple pour lequel nous nous battons saura faire la différence entre la copie et l'originale, car personne ne pourra défendre nos idéaux mieux que nous-mêmes ! Je salue au passage le combat que mène notre ami et frère Biram pour qui nous avons beaucoup de respect et de considération. Nous sommes convergents sur beaucoup de points. J´en profite pour lui apporter tout notre soutien, qu´il sait être sincère, tout en exigeant avec lui la libération de militants arrêtés arbitrairement.
Quant à la témérité et au courage, je crois que les FLAM n´ont plus rien à prouver. Nous avons fait nos preuves en affrontant le régime militaire le plus sanguinaire, au moment où tout le monde rasait les murs, si l´on ne le trouvait plutôt fréquentable. Nous avons fait nos preuves sur le terrain avant notre exil forcé et avant tout le monde mais aussi à l´extérieur. Que faites-vous de nos martyrs de Oualata, Djreïda, N´beyka, Azlat, Inal et de la vallée ? Il faut savoir que nous revenons de loin et que la lutte n´a pas commencé aujourd´hui. Le chemin vers la liberté est encore long mais la victoire est inéluctable. La lutte continue !
Propos recueillis par Ahmed Ould Cheikh -Le Calame numéro 799 du mardi 23 août 2011
Merci de tenir bon et la lutte continue. La vraie justice triomphera, celle du Tout Puissant (Allah) Bocar DIAGANA
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