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lundi 2 juillet 2012

Ces graves menaces d’instabilité qui, à l’instar du Mali, pèsent sur la Mauritanie




 
Introduction 
Le développement des tristes événements, ces derniers mois au Mali, et surtout les lectures qui en sont faites par de nombreux analystes m’ont conduit à me poser un certain nombre d’interrogations que je juge pertinentes. En effet, c’est sans aucun doute l’écrasante majorité des communicateurs qui semble stipuler que le « triomphe » des mouvements islamistes (AQMI, Ansar Eddine) et la victoire de la rébellion touareg (MNLA) qui ont abouti à la proclamation de l’indépendance du Nord-Mali sous l’appellation de l’Etat de l’Azawad ont été possibles à cause du laxisme du régime d’Amadou Toumani Touré. Tout en reconnaissant que la chute du régime de Moamar El Khaddafi engendrée par l’intervention militaire de l’OTAN, sous l’égide des Nations Unies, a été l’une des causes « lointaines » de la situation au Mali, les mêmes commentateurs ajoutent que ces seules causes ne sont pas suffisantes, puisqu’au Niger, en Mauritanie et en Algérie, les mêmes effets qu’au Mali (rébellion), n’ont pas été enregistrés. Ainsi, à en croire ces analystes, si le Mali s’est retrouvé dans cette situation, c’est uniquement de la faute des Maliens, en l’occurrence de l’ancien pouvoir d’Amadou Toumani Touré ; que les risques pour les pays limitrophes sont minimes. De ce point de vue, la Mauritanie – puisqu’elle combat activement contre le terrorisme – ne peut en aucune manière se retrouver dans une situation similaire. Mais ces allégations sont-elles rationnellement fondées ?
Le caractère offensif et apparemment équipé et structuré de l’armée mauritanienne est-il une garantie suffisante de prévention contre toute instabilité ? Rien n’est moins sûr lorsqu’on évalue objectivement un certain nombre de risques.
1. L’état des lieux
 La situation de crise multidimensionnelle que vit la Mauritanie d’aujourd’hui est censée interpeller, non seulement les Mauritaniens, mais aussi toutes les grandes puissances soucieuses de la paix et de la stabilité du monde. En effet, tant par sa position géographique que par sa configuration démographique, la Mauritanie occupe naturellement une place stratégique dans la géopolitique de la sous-région ouest-africaine.
Vaste zone tampon entre l’Afrique noire (Sénégal, Mali) et le Maghreb arabe (Algérie, Maroc), le pays s’étend sur 1 039 000 km carré dont plus des deux tiers sont désertiques. Il s’agit d’une étendue de sable réfractaire à l’épanouissement de toute vie humaine, de sorte que la densité démographique y avoisine un (1) à deux (2) habitants au km carré. C’est pourquoi cette grande partie du territoire, peu fréquentée, est privilégiée par des groupes de malfaiteurs de tous genres (extrémistes islamistes, cartels de drogue) qui ne ménagent aucun effort pour en faire leur bastion. Quand on sait que cette bande saharienne du territoire mauritanien est naturellement prolongée d’une part dans le territoire malien, et d’autre part jusqu’en Algérie, il devient alors plus aisé d’imaginer l’ampleur des enjeux en rapport avec la maîtrise de ces espaces immenses
1.1. Facteurs exogènes
Il pèse sur la Mauritanie deux menaces extérieures d’instabilités graves : la présence au sein du territoire malien de 5000 à 10 000 réfugiés négro-mauritaniens qui se sont inscrits dans les liste du HCR pour rentrer dans leur pays et que les autorités mauritaniennes actuelles s’évertuent à nier alors même que Sidi Ould Cheikh Abdallahi (renversé par le putsch du 06 Août 2009) avait reconnu officiellement l’existence de ces réfugiers. Rappelons que la présence de ces réfugiers au Mali date de 1989 où le régime anti-noir de Mouawiya ould Sid’Ahmed Taya (actuellement réfugié au Qatar) a déporté et chassé plus de 120 000 Mauritaniens de race négro-africaine avant de s’adonner, à l’encontre de la même communauté, à une véritable tentative de génocide. Grâce au Président Sidi, une bonne partie de ces anciens déportés au Sénégal sont rentré à la suite de l’accord tripartite signé entre l’Etat du Sénégal, le HCR et la Mauritanie en 2008.
L’opération de retour qui devrait également concerner les 10 000 réfugiers du Mali, à été brutalement interrompue par le Président Aziz qui ne l’a jamais souhaitée en réalité. Aussi, ces réfugiers qui désespèrent de rentrer chez eux seraient bien tentés de prendre des armes pour reconquérir leurs terres et leur citoyenneté mauritanienne. Ils sont d’ailleurs encouragés en cela par la situation d’anomie dans laquelle se trouve leur pays d’accueil (absence d’autorité de l’Etat au Mali) et surtout la réussite de la rébellion touareg. Pourquoi pas nous, pourraient-ils se dire ?
La deuxième menace est sans aucun doute la plus importante. Il s’agit du danger que constitue Al Qayda au Maghreb Islamique (AQMI). En effet, depuis 2007, un noyau d’extrémistes salafistes originaires pour l’essentiel d’Algérie, précédemment appelés Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat (GSPC) a prêté allégeance à l’internationale Alqayda pour devenir sa section opérante au Maghreb d’où leur nouvelle dénomination d’AQMI. Leur première action d’éclat contre la Mauritanie a été l’assassinat de touristes français, en 2007, aux alentours d’Aleg (ville située à 250 km à l’Est de Nouakchott, la capitale). Depuis, cette organisation terroriste s’est renforcée à la foi en moyens humains (recrutement dans les banlieues de Nouakchott, d’Alger…) qu’en équipements militaires (véhicules Tout-terrain neufs, fusils mitrailleurs, lance-roquettes…) grâce aux fonds perçus ça et là comme rançons de ressortissants européens souvent pris en otage.
L’armée mauritanienne fait ce qu’elle peut pour anéantir cette organisation, mais la grande mobilité de l’ennemi sur un territoire grand comme presque deux fois la France rend sa tâche presque impossible, eu égard à la proportionnalité des forces en présence. Aujourd’hui encore AQMI reste une menace sérieuse, tant directe (possibilité d’attentats, prise en otage de ressortissant occidentaux) qu’indirects (instabilité dans la sous-région) pour la Mauritanie.
1.2. Facteurs endogènes
 Il existe au moins trois principaux facteurs internes qui, même pris séparément, sont chacun, suffisants pour plonger la Mauritanie dans une instabilité sans précédent dont elle aura du mal à se relever. Ces facteurs – que nous allons citer par ordre de dangerosité – sont le crucial problème de la cohabitation raciale et ethnique, la crise du jeu démocratique, et enfin la position et le poids de l’armée nationale dans les institutions de la république.
-          La cohabitation raciale et ethnique
 Le non traitement du problème de la cohabitation constitue de loin la plus grande menace historique interne que traverse la Mauritanie. En effet, depuis 1960, année de l’accession du pays à la souveraineté internationale, la Mauritanie est minée par l’incapacité dont firent preuve les différents régimes qui se sont suivis à sa tête quant à se positionner à équidistance par rapport à ses composantes nationales. Car de par sa configuration démographique, la Mauritanie est composée d’une majorité raciale noire (Hratines[1], (autour de 40%) Peuls, Soninké et Wolof (autour de 40%, communément appelés Négro-africains) et d’une minorité arabo-berbère (autour de 20%)[2].
Toutes les communautés noires sont confrontées à une discrimination qui se traduit par un déni d’humanité pour une partie des Hratines, encore aujourd’hui soumis à l’esclavage, et un déni de citoyenneté pour les Peuls, les Soninkés, les Wolofs et l’autre partie des Hratines libérée du joug esclavagiste.
Ces très graves discriminations (Racisme et esclavage) se sont traduites dans l’histoire lointaine et récente de la Mauritanie par des soubresauts qui, à chaque fois, ont creusé davantage l’écart entre les composantes nationales mauritaniennes. En 1986, le Manifeste du Négro-mauritanien opprimé publié par les Forces de Libération Africaines de Mauritanie (FLAM)[3] aboutit à l’arrestation et l’incarcération de toute l’élite progressiste négro-africaine ; en 1987 une tentative de putsch attribuée à des officiers négro-africains se termine par l’exécution de trois d’entre eux (ce fut la seule fois où des Mauritaniens sont tués pour une tentative de coup d’Etat, sans doute parce qu’ils étaient noirs). En 1989, le pouvoir mauritanien de l’époque (dominées par le courant Nassériste et Batthiste) entreprend d’amputer à la Mauritanie sa composante noire d’abord en déportant et chassant plus de 120 000 Négro-africains, avant de s’adonner à l’extermination de ceux qui sont restés. La dernière grande opération sanguinaire a été l’exécution de 500 officiers et sous-officiers noirs en 1991 avec une pique jamais égalée : la pendaison de 28 militaires d’entre eux, la veille du 28 novembre 1960 pour « célébrer funestement » l’indépendance de la Mauritanie.
Plus récemment, la lutte négro-africaine, après une longue période « d’hibernation », à l’intérieur du pays, a connu une recrudescence aiguillonnée par quelques discours racistes prononcé par les membres de l’actuel gouvernement sur le poids et l’importance accordés aux langues mauritaniennes mais encore et surtout par les débuts d’exclusion de cette même communauté dans les enrôlements sensés sécuriser par la biométrie l’état civil mauritanien. Constatant l’orientation exclusionniste que prenaient ces enrôlements (rejets massifs de la composante négro-africaine) plusieurs organisations à caractère politique ou non se sont regroupées au sein d’un collectif dénommé « Touche pas à ma Nationalité »[4] entamant ainsi une série de manifestations pour exiger l’enrôlement de tous. Par ailleurs, le même collectif réclame également l’introduction dans le système éducatif des langues poular, wolof et soninké dans le système éducatif.
Parallèlement à la lutte des Négro-africains (Peuls, Soninkés et Wolofs) pour la reconquête totale de leur citoyenneté, c’est-à-dire de l’égalité avec les Arabo-berbères, le combat des Hratines contre le déni d’humanité a été peut-être moins sanglant, mais certainement pas moins douloureux. Les militants de SOS Esclave[5] et plus récemment de l’Initiative pour la Résurgence du mouvement Abolitionniste (IRA)[6] ont souvent séjourné en prison, subi des tortures et humiliations de toutes sorte à l’instar de leurs frères négro-africains.
Aussi, depuis 2010, il est rare qu’un mois se passe sans que l’actualité ne signale des heurts entre les militants – toujours plus nombreux – antiracistes et anti-esclavagistes et les forces de l’ordre dans la capitale mauritanienne. Il suffit d’ailleurs de se promener dans Nouakchott pour se rendre compte, par l’omniprésence des forces de l’ordre, que le pays est sous haute tension.
-          La crise dans le jeu démocratique.
 Comme si la situation n’était pas suffisamment compliquée avec les graves problèmes de cohabitation, la crise du jeu démocratique vient s’y ajouter accroissant ainsi les risques d’instabilité. Après l’échec des négociations entre la majorité présidentielle et une partie de l’opposition démocratique (RFD, PLEJ, UFP …), cette dernière ne cesse de faire monter la tension en invitant à ses partisans à renverser le pouvoir par une descente massive et permanente dans la rue, à l’instar que ce qui s’est passé dans les pays arabes. La dernière sortie de l’opposition aurait réuni près de 30 000 personnes, du jamais vue auparavant en Mauritanie. En réalité la stratégie de l’opposition semble être d’harceller le régime d’Aziz pour le pousser à commettre des erreurs et justifier ainsi l’exécution d’un nouveau coup d’Etat par une partie de l’armée. N’a-t-on pas entendu un certain nombre de leaders de l’opposition appeler ouvertement à un putsch contre Aziz ? En outre c’est un secret de polichinelle que de savoir qu’Ely Mohamed Vall, le tombeur de Maouya devenu opposant d’Aziz, compte toujours des amis haut placés dans l’appareil sécuritaire de l’Etat. Tout porte à croire que cette tension ira en s’amplifiant puisque, ni cette opposition, ni le pouvoir ne semblent vouloir laisser du lest. Il ne serait même pas exagéré d’affirmer que par les temps qui courent, la Mauritanie n’est pas à l’abri d’un coup d’Etat imminent. La situation délétère que l’on connait dans la capitale ces dernières semaines, est très analogue à celle qui prévalait en 2009 lorsque Mohamed ould Abdel Aziz se préparait à faire son putsch contre Sidi ould Cheikh Abdallahi.
-          La position de l’Armée.
Si face à la menace du terrorisme islamiste, l’institution des Forces armées et de sécurité constitue une grande partie de la solution, il n’en demeure pas moins qu’au point de vue de l’instauration et de la consolidation de la démocratie, elle reste un frein sérieux. En effet, depuis la prise du pouvoir par l’armée le 14 juillet 1979, elle n’a en réalité jamais consenti à retourner définitivement dans ses casernes. Les militaires tiennent soient à gouverner directement (régimes de Khouna ould Haydalla, celui de Maouya ould Taya, la transition d’Ely ould Mohamed Vall et enfin celui de Mohamed ould Abdel Aziz) soit indirectement Et lorsque le pouvoir civil élu démocratiquement s’exerce souverainement, refusant ainsi d’être une marionnette entre leurs mains, l’élite militaire n’hésite pas à mettre un terme au jeu démocratique en orchestrant – comme à ses habitudes – par coup d’Etat. Ce fut exactement ce qui s’est passé en Août 2008 lorsque l’Armée, avec à sa tête l’actuel locataire du palais gris, déchut Sidi ould Cheikh Abdallahi, le seul Président démocratiquement élu et qui comprit réellement les enjeux vitaux du problème de la cohabitation intercommunautaire en Mauritanie.
Les coups d’Etat étant devenus une tradition dans ce pays, il n’est pas étonnant que la moindre querelle dans la hiérarchie de l’armée se traduise par un nouveau putsch. C’est d’ailleurs ce qu’à compris l’opposition actuelle qui fait tout pour, d’une part créer une situation d’instabilité pour justifier un coup d’Etat et d’autre part inciter insidieusement une partie de l’armée à renverser le pouvoir en place.
Conclusion
On voit bien au terme de notre analyse que la Mauritanie est bien plus en danger que ne semblent s’en apercevoir bien des observateurs. Aussi, en ce moment, la pertinente question est celle de savoir si l’actuel Président Mohamed ould Abdel Aziz est suffisamment outillé pour parer aux graves dangers qui menacent organiquement la sécurité du pays. Difficile de répondre par une simple affirmative ou négative à cette interrogation.
Toutefois, en considérant, d’une part les actes posés ça et là par l’homme, son mode de gouvernance caractérisé par un exercice à la fois absolutiste et individuel du pouvoir, il est permis de douter raisonnablement sur ses capacités à sauver la Mauritanie des grandes tensions, en tout cas de l’instabilité institutionnelle du moins de l’implosion
Parmi les éléments qui corroborent à cette inquiétude, on peut citer d’abord son incapacité à faire l’égalité entre les composantes raciales et ethniques et à combattre efficacement l’esclavage qui se traduit par l’identification de plus en plus partagée des communautés hratines, peules, soninkés et wolofs à un destin commun de race opprimée, malgré les différences de langues et de cultures.
Ensuite son incapacité à promouvoir un dialogue inclusif pour s’entendre avec toute l’opposition sur le minimum, et réussir ainsi à ramener à l’intérieur le calme et la sérénité nécessaires pour pouvoir de consacrer plus efficacement à la lutte contre le danger extérieur représenté par AQMI, Ansar eddine et autres menaces aux frontières.
C’est pourquoi, si la communauté internationale (notamment la France et les USA) qui a déjà exprimé ses vives inquiétudes quant à la situation qui prévaut au Mali, a intérêt à ce que l’instabilité ne s’étende pas à la Mauritanie, elle doit alors d’ores et déjà user de toute son influence pour que le gouvernement de Mohamed ould Abdel Aziz prennent les devants et ouvre un débat national tant sur le problème de la cohabitation que sur celui de la refondation effective de la démocratie. Il semble que plutôt que d’attendre l’éclatement des conflits pour jouer aux pompiers, elle gagnerait à œuvrer dans le sens de la prévention de ces conflits.
Dr Mamadou Kalidou BA
Enseignant-chercheur à
l’Université de Nouakchott
Mauritanie


[1]              Les Hratines sont racialement noirs, linguistiquement hassanophones (langue arabo-berbère) et culturellement hybrides (sédiment culturel négro-africain et apparence arabo-berbère. Cette communauté comporte les Esclaves et anciens esclaves.
[2]              Jusqu’au jour d’aujourd’hui, il n’existe pas de statistiques basées sur un recensement démographique précis. Les chiffre que l’on retrouve à l’Office National des Statistique chiffrant notamment les Négro-africains à 16% correspondent à une estimation faite sous l’ère de Maouya ould Taya dont le régime est connu pour son extrémisme anti-négro-africain.
[3]              Dont le leader charismatique est Samba Thiam, aujourd’hui encore réfugié aux USA avec de nombreux militant de cette organisation
[4]              Parmi les Organisations membres, on peut citer : l’Initiative Mauritanienne pour l’Egalité et la Justice ‘IMEJ), Fede jokere endam, (groupe pour la bienfaisance et la concorde) Conscience Citoyenne (CC) et des Individualités venant de plusieurs partis politiques.
[5]              Toujours dirigé par l’infatigable Boubacar ould Messaoud ; Messaoud oul Boulkheir, l’actuel Président de l’Assemblée nationale aussi a été membre fondateur de SOS-Esclave et reste toujours militant de cette cause.
[6]              Organisation dirigée par Biram Abeid ould Dah, en ce moment même en prison pour autodafé d’ouvrages d’interprétation islamique qui cautionnent l’esclavage.

 

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