Avertissement : depuis le retour d’exil du président Moktar Ould Daddah, Ould Kaïe a voulu savoir les circonstances et les raisons de sa chute. Il a interrogé les collaborateurs du père-fondateur mais aussi les pustchistes. Entendre les raisons de chacun n’est pas les partager, mais mieux comprendre.
L’entretien a eu lieu, il y a deux ans, le dimanche 23 Avril 2006
questions et dires de Bertrand Fessard de Foucault
dires de Mustapha Ould Mohamed Saleck
Le 10 Juillet 1978, quand l’armée renverse le président Moktar Ould Daddah, vous êtes le chef de l’’état-major national, pour la troisième fois, et vous devenez le premier président des Comités militaires que le pays a connu jusqu’en 1992. Moktar Ould Daddah vous a connu instituteur et vous a fait faire les plus hautes études militaires – elles se faisaient toujours en France à l’époque – et vous avez été son premier aide-de-camp mauritanien. Vous avez été un temps gouverneur de région.
Je remplissais mes missions avec d’autant plus de cœur que j’y croyais, que je croyais à cette Mauritanie, dans ces circonstances tout à fait particulières. J’avais également l’appréciation, en tous cas les égards de la part de tout le monde, aussi bien du secrétariat général à la Défense. Jamais désignation ou initiative n’a été jugée plus juste qu’un garçon comme Mohamed Ould Cheikh : réaliste sur tous les plans. Pas du tout prétentieux en tant que personne, pas du tout prétentieux sur le plan technique. Mohamed Ould Cheikh était un garçon de poigne et quand il est quelque part, dans un gouvernement, on sent qu’il y a Mohamed Ould Cheikh, on sent qu’il y a une personne, qu’on pouvait convaincre, avec laquelle on discutait. Excellent collaborateur, vraiment tout désigné : c’est un chef, incontestablement. Un homme d’Etat. C’est pourquoi les gens ne l’ont pas toujours apprécié tel qu’il est parce qu’ils ont toujours voulu créer entre lui et Moktar une certaine mésentente. A laquelle, d’ailleurs, il se refusait, parce que – lui – il a le verbe franc. Quand il est devant Moktar, il lui dit les quatre vérités.
Une armée, ou pas ?
Nous nous sommes rencontrés, lors du Conseil national à Tidjikja, en Mars 1970. On commence d’envisager l’intégration de l’armée au Parti. Est-ce un problème pour vous ?
M. Sall Abdoul Aziz, à l’époque directeur de cabinet du Président, peut le confirmer. Je lui dis : j’ai l’impression que je piétine, je tourne sur place. Il y a des procédures. Ou bien nous voulons faire une armée, engager cette armée à un certain niveau. Si ce n’est pas le cas, moi je pense que j’ai encore un minimum de vigueur, confiez-moi de grâce quelque chose qui me permette d’être utile au pays et ne me demnadez pas de former des soldats qui ne font plus que manger et boire. Pendant très longtemps avec gentillesse, il m’a écouté. Vous êtes très fatigué, on va vous envoyer à Las Palmas, il y a des hôtels, passer un mois à l’étranger. – Je ne suis pas du tout fatigué … il me faut régler cette affaire, il me faut un équipement, il me faut une armée. Qui soit digne de ce nom, quelque chose d’abouti. Cela ne m’intéresse pas de faire de la politique. A ce moment-là, naturellement, on traversait toutes ces phases de vouloir intégrer l’armée au Parti. Le ministre du Parti, où chacun à son salon et où l’on compte les officiers qui sont là. Je me suis interdit ces choses-là, les militaires politiques, les politiques militaires… en tant que militaires, nous ne sommes pas faits pour faire de la politique. Ce qui m’intéresse c’est que ce pays-là reste sain et sauf. Et qu’il ait un outil militaire qui se développe, qui ait du matériel et qui suive l’évolution des matériels, que tous ces pays inventent… Rester en continuité avec ma conscience et en continuité avec ma formation.
Naturellement, j’ai préparé le dossier, dans un domaine, dans une ambiance, dans un monde auquel je n’appartenais pas du tout, où les gens s’achetaient des officiers pour avoir le plus grand groupe. En tout cas personnellement, moi, je n’y a pas participé. Nous avons fait Tidjikja, j’ai amené le dossier, il était prêt, il comportait tous les éléments pour la décision. A notre retour, une semaine, deux semaines, je suis revenu à la charge. Moktar a été suffisamment gentil quand même pour me rcevoir, il m’a dit : nous ne sommes pas un pays en guerre, et notre vocation n’est pas la guerre. Nous n’avons donc pas à nous armer. Nous ne le pouvons pas. Nous avons autre chose de plus urgent que les armes ou que l’équipement militaire. Nous avons besoin d’une présence … d’une grande police… noble, grande qui puisse parer aux petites éventualités. Nous n’avons aucune vocation à agresser personne et personne ne viendra… J’ai répliqué : je ne suis pas de cet avis. Nous avons des mines, nous avons du poisson, nous avons certainement du pétrole qui va apparaître par on ne sait qui, et les gens aujourd’hui ont tous des intérêts économiques… qui attireront certainement des convoitises de tous côtés. Et nous ne pourrons pas affronter ces situations. Moi, en tous cas, je ne peux pas affronter cette situation. Faites les choix que vous voulez, moi, je veux bien gérer peut-être des citoyens, les aider sur le terrain, mais pas cette expectative dans laquelle vous nous conservez… j’ai insisté plusieurs semaines, plusieurs mois, et en définitive, ils m’ont affecté dans l’administration régionale.
D’abord à Néma, adjoint à l’un des gouverneurs, puis je suis allé à Atar comme gouverneur, aussitôt après quelques mois ramené à Néma comme gouverneur, etc… je me suis exercé dans ce domaine de l’administration. Qui n’était d’ailleurs pas moins fatiguant, au contraire où j’ai eu à apporter certaines choses, au point que le Président a exigé que les gouverneurs soient présents à toutes les réunions du Bureau politique. Nous étions convoqués à toutes les réunions à participer à l’avenir du pays sans avoir à renier de mon côté le terrain.
Jusqu’au jour où de Néma, j’ai eu un petit problème avec les politiciens du Parti. Raison m’a été donnée quand même à au point que j’ai été chargé, pendant la dernière année que je suis resté, à avoir le chapeau du parti, et celui de Wali, du gouverneur. De Néma, j’ai rejoint Aleg. Où très tôt, nous avons eu ce problème de Boghé et nous avons presque failli venir aux armes avec les gens du Sénégal. Réunions avec le gouverneur du Fleuve et les préfets de Rosso, Kaédi. Du côté du Sénégal, il n’y avait qu’un seul représentant, un colonel très en cour. Bras de fer dans des conditions particulières, quand pendant deux jours, il nous a tenu tête… j’ai demandé à ce que nous restions seuls entre militaires et je lui ai dit : colonel, si vous êtes venus dans cette intention, qu’à cela ne tienne, faisons tout de suite le procès-verbal suivant et nous rentrons chacun dans son pays … nous n’avons plus rien à ajouter. Evidemment, cela a fait impression et l’officier a été suffisamment intelligent pour revenir sur tout ce qu’il avait avancé et terminer le travail assez correctement. Je suis rentré aussitôt à Nouakchott, et, au ministre d’Etat, chargé de l’Intérieur, à l’époque Ahmed Ould Mohamed Salah, j’ai dit : vous avez les résultats, le Sénégal est là, mais l’affaire va éclater sur la frontière du Sahara. Nous allons l’avoir dans très peu de temps … avec le Sénégal, nous n’avons aucun conflit, aucun contentieux que nous avons pu discuter. Le Sénégal st mû par un certain mouvement, par une certaine action, un certain conseil…et derrière il y a quelque chose qui se prépare. Méfiez-vous, cela va éclater. Vous verrez… Je suis parti, je crois que l’affaire a éclaté pas plus de quatre jours après mon retour à Aleg.
L’attaque surprise du Polisario sur Nouakchott
Et cette histoire-là, dès qu’elle a éclaté, on n’a pas trouvé mieux de m’affecter de la circonscription d’Aleg à la direction de la Sonimex, parce que c’était une société qui s’en allait à la dérive et qui tombait en faillite. Et je me retrouve donc directeur général de la Sonimex, il ne devait rester qu’une comptabilité mal fichue et des stocks pratiquement dévastés. Je n’étais pas prêt à faire çà, mais je n’ai pas perdu mon temps, je ne suis resté d’ailleurs que quelques mois. A peine le temps… c’était déjà en 1976… comme par hasard, nous nous trouvons à Nouakchott. Donc, un beau matin, tombent les obus du Polisario, à côté de la Présidence … je venais de rentrer à la Sonimex, je n’étais qu’un civil, et naturellement quand sont tombés les obus, je me suis dépêché à rentrer chez moi, j’avais mes affaires militaires, un petit équipement pour pouvoir m’habiller rapidement, s’il le fallait. Et je me suis dirigé au ministère de la Défense. J’ai trouvé les gens…qui était ministre à l’époque ? jusqu’au moment où il a accepté de me recevoir, il voulait me voir d’ailleurs, en me disant : qu’est-ce que vous faites là ? – Je crois que c’est le ministère de la Défense et je ne suis pas encore étranger, je voudrais bien savoir à quoi je peux être utile. Je ne peux pas rester dans cette situation, les bras croisés. – Votre place n’est pas là. Rejoignez l’état-major. Qu’à cela ne tienne, c’est tout ce que j’attendais. Je suis parti voir mes collègues à l’état-major. Je suis entré… je les ai trouvés un peu … le premier qui m’a… c’était l’adjoint, à l’époque c’était Maaouya Ould Taya. Qu’est-ce qu’il se passe ? qu’est-ce que vous faites ? rien. Où est le chef ? A l’époque, c’étaut Hamoud Ould Naji. Il est en train de dormir sur un petit lit. Qu’est-ce que vous avez fait ? rien. Nous n’avons rien fait jusqu’ici. Il y a une unité de la garde qui est sortie du côté de… Dans combien de temps, vous pouvez faire rassembler vos hommes, voilà ce qu’on pourrait faire ensemble, qu’y a-t-il comme officiers présents ? Il m’a dit : d’accord. Je n’avais pas mis les pieds là-bas depuis trois ans, mais je me suis rendu aussitôt près de M. Gallouedec. J’ai besoin de votre avion. Nous avons fait le tour de l’ensemble de Nouakchott, vu la petite unité de la garde qui était alignée dans la sebkha, avec Djeïda. Nous sommes allés plus loin, jusques là où se trouvait le PC du Polisario et nous avons constaté qu’effectivement il y avait une petite présence, une petite activité de ce côté-là. Je suis rentré donc avec la fin du rassemblement de mes collègues. Ecoutez, nous sommes là, vous ne pouvez pas vaquer à vos activités alors que le pays vient d’être attaqué. Nous ne savons pas ce qui peut recommencer. Avant la nuit, il faut nécessairement qu’une ceinture de protection soit installée autour de Nouakchott. Et avant dix-sept heures, tous sont partis pour se poster.
Et tout cela, uniquement par votre autorité morale, sans commandement effectif, légal !
Ni légal, ni quoi que ce soit. Naturellement, je ne reste pas derrière les gens qui exécutent, chacun avait... Sur le terrain, du côté de l’armée, il y avait deux ou trois officiers, un artilleur, un commandant de groupement assemblé à partir du disponibles des effectifs. Il y avait l’artilleur, tout ce qu’il y avait de disponible pour sortir, il y avait la gendarmerie, son chef, ils étaient également sortis. Les gens étaient à leur commandement. Ils n’avaient aucune raison de démissionner. Et moi… je ne me suis même pas mis en tenue, je suis resté en civil comme je l’étais avec mes archives et mes documents de Sonimex et pas plus. Une fois l’affaire lancée, je suis rentré naturellement, mais avec ce qu’il fallait toujours prêt dans ma voiture, tenue de combat et tout ce qui est attaché à ce que je fus comme militaire.
Et vous aviez gardé une arme de service ?
Même pas. Même pas… même pas… mais enfin dans les… l’armée était là, il n’y avait pas de problème, si cela était nécessaire. Je suis resté deux ou trois semaines, le temps de faire évoluer l’affaire et je me retrouve un soir, convoqué à la présidence de la République.
Evidemment, les événements du Polisario se précipitaient. Bloqués à Nouakchott, ils se sont retournés aussitôt sur Atar, Zouératte et toute cette période-là. Et les petites escarmouches contre le train, d’ailleurs, s’accentuaient très fort, parce qu’ils avaient dû descendre un effectif très important. Nous avons pu faire déclencher l’intervention des Jaguar : ah ! des frappes très fortes, sans lesquelles nous ne les aurions pas freinés. Parce qu’ils étaient entrés très profondément.
Donc, vous voyez le Président à ce moment-là.
Oui, oui. C’est sur sa convocation que nous sommes venus. Moi-même avec un certain nombre d’officiers. Il faut se concentrer et voir ce qu’il se passe. Nous sommes allés, rejoindre Atar le lendemain où il y avait des bagarres permanentes, loin sur tout le Dhar, des attaques sur Chinguetti, sur Ouadane, même à proximité d’Atar. Les gens criaient un peu partout, en disant : vous acceptez le Polisario… le commandement de la région d’Atar était confié à Haïdalla… Haïdalla, les gens… les civils, le taxaient d’avoir une antenne… d’être en termes… on le taxait de n’importe quoi…
… par sa parenté de naissance
Me voici de nouveau chef d’état-major. Cela a été au début difficile, mais après cela s’est très bien passé, parce que très tôt j’ai été obligé de modifier le dispositif il y avait une situation très dure à gérer.
La responsabilité du changement
Mais il se développait tout un autre esprit que je ne cherchais pas à connaître, aussi bien à l’occasion des événements de 1966, qu’à l’occasion de toutes les manifestations qu’il a failli y avoir, les mouvements… à l’occasion des réformes de l’enseignement qu’il fallait… sur lesquels il y avait beaucoup de contestations entre les arabisants et l’arabité des arabisants, et le choix des Négro-Africains de l’enseignement : un méli-mélo inextricable, et certains officiers, beaucoup, chaque fois, sont intervenus, sont venus … manifester, ou, en tout cas, essayaient de se dévoiler en disant que cette situation n’était pas supportable, qu’il fallait chercher… qu’il fallait cela… je n’ai jamais prêté l’oreille naturellement à cela parce que
On vous a prêté des velléités, comme vous le savez, dès 1966… en liaison, avec Mohamed Cheikh. On vous a fait porter beaucoup de péchés.
Cette histoire de Mohamed Ould Cheikh, je n’aurais pas été là, je me demande ce que … si, en Mauritanie, on se base ou si l’on prête l’oreille à ce que les gens sont capables de dire. On se perd complètement. Tant mieux, si j’étais intéressant… peut-être essayer de voir, de concrétiser ou d’obtenir un résultat. – Il y avait des gens qui ne pouvaient pas se tromper autant, ce sont les officiers français qui ont travaillé avec nous jusqu’à la dernière minute. Ils savaient parfaitement ce que chacun voulait et ce vers quoi on s’orientait. Maisje ne vivais pas dans cette ambiance-là… je n’ai jamais dit rien à personne et je ne me suis jamais non plus… et je ne le ferai jamais de ma vie… vanté d’avoir fait ceci. Je ne veux rien que servir mon pays. Rien d’autre l’essentiel pour moi, c’est que – sur le terrain – les résultats soient là. Il n’y a donc pas du tout de publicité à faire ou de quelque vocation de quelque chose de quoi que ce soit. Ce que j’avais à faire, encore une fois, était l’essentiel, et je n’ai jamais accepté… je n’ai jamais donné de réponse à telle génération ou à telle tendance ou à tel truc tendancieux. Jamais… jusqu’à présent d’ailleurs, je n’ai jamais accepté d’approcher la presse de près ou de loin, ou d’accepter.
Qu’est-ce donc qui vous a amené à prendre une telle responsabilité ?
Le président Moktar, moi je l’ai connu… je sais une chose. C’est que à la veille de… son départ… de ses derniers temps où il essayait d’en arriver à un certain point, il a commencé à faiblir, à faiblir en particulier devant un certain nombre de parents à lui, de sa région qui ont voulu en dernière mintute, voir, essayer de profiter de sa… de sa situation, de sa présence pour eux, de faire un certain nombre de choses. Je connais… j’ai des amis, de ses anciens ministres, qui ont dit après des visites qu’ils m’ont faites, après des voyages que j’ai faits avec eux, en tant que wali, en tant que gouverneur de région…. et eux, en tant que ministres, en travaillant sur le terrain, sur des choses concrètes… eh bien ! ils me quittent en racontant : cet homme-là – ils l’ont dit – cet homme-là va prendre le pouvoir.
Je n’ai rien à faire du pouvoir. Par contre, si j’ai des vérités devant moi, devant le pays, et ma confiance en Moktar, et mon désir de le voir… ma tristesse de le voir partir sur un mauvais chemin, de ne pas dire à ses ministres : non ! çà ne va pas, tel et tel domaine, votre façon de faire tel truc et telle chose ne correspondent pas à ce qu’il faut pour la Mauritanie. Il ne faut pas obligatoirement partir sur la volonté, ou suivre pas à pas, ou essayer de faire plaisir au Président ou aux ministres en leur disant que ce qu’ils font, est bien, alors que – en réalité – on est parfaitement conscient que çà ne l’est pas.
Il faut leur dire la vérité et je ne suis pas arrivé à me faire entendre. La preuve en est que … moi, à la veille, j’avais peur pour la vie de Moktar. On me dit… puisque les sous-officiers voulaient prendre le pouvoir. Ce n’est pas vrai, c’est une erreur, il n’y a pas d’officiers qui ont voulu prendre … il y en avait qui en avaient envie, mais ils savaient que, moi, j’étais là et que j’étais – si vous voulez – le passage obligé. Ils ne pouvaient pas entreprendre, dans cette armée que j’avais constituée à partir de zéro, que j’ai formée… qui est là… ils ne pouvait pas entreprendre la moindre action pour changer quoi que ce soit tant que je n’ai pas accepté de le faire. Mais il a fallu que j’entende, à travers certains milieux civils affirmer, que même si les militaires ne veulent absolument pas… que eux, étaient en train de chercher des carabines avec des lunettes, des tireurs d’élite, pour essayer… de saisir la première occasion pour faire disparaître Moktar.
Pour moi, cela constituait – une fois confirmé, cela constituait une honte ; un président au milieu d’une armée que j’ai constituée, que j’utilise, qu’on voit frappé à partir de telle chose. Cela, je ne l’aurais jamais accepté de ma vie, je ne l’accepterai jamais. Cela faisait partie des raisons que vous cherchez, qui sont là. L’ancien directeur de la SNIM … et là, il disait : il faut trouver une formule politique. Je veux bien… je me battrai jusqu’aux dernier de mes hommes pour défendre le pays, mais la décision est une décision politique. Il faut intervenir politiquement pour arrêter ce conflit ou doter votre armée. Personne ne refuse le combat, personne ne refuse le sacrifice, mais au moins un minimum de moyens pour pouvoir faire la guerre.
Et on ne les avait pas… on ne les avait pas, au départ.
Ni à l’arrivée. On n’avait absolument rien du tout. Le mieux, c’est qu’un certain nombre… pourtant, de ministres – et çà, c’est ce que l’on dit, personnellement, ce n’est pas mon domaine et je n’ai pas de vérification à faire. Mais certains ministres sont partis et ils ont eu, semble-t-il des aides très importantes de l’extérieur, que les forces armées, que le pays n’a jamais su ce qu’ils sont devenus. C’est çà l’un des drames.
Qu’ensuite, moi, je me suis retrouvé avec des troupes dans cette situation-là, des hommes sur le terrain, je veux bien qu’on fasse ce que l’on peut faire, mais le matériel que nous utilisons, les véhicules, tout avait besoin de carburant. Rien que çà, le plus simple. Qu’est-ce qu’on me disait ? Faites… réquisitionnez les stations de la S… comment cela s’appelle… de la SNIM. Le directeur… écoutez… il paraît… je signais des réquisitions chaque fois, des stocks, mais au bout d’une semaine, il n’y avait pas de quoi faire fonctionner les trains.
Nous qui avons besoin d’une liaison en permanence de Nouakchott jusqu’à la frontière, et surtout la partie du Sahara que nous … supervisons, eh bien, tout cela, çà demande du carburant et l’on ne peut pas épuiser par réquisition à la SNIM, et la SNIM ne se voit pas payer une seule facture. Le directeur était là… je l’avais pratiquement tout le temps dans mon bureau, çà criait partout. Là, c’étaient des manifestations claires. Mieux, ceux parmi les troupes qui supervisaient… eh bien, l’escadron… tous les matins, vous avez pratiquement la moitié, les autres ont emprunté des camions et sont allés au Sénégal. Certains, jusqu’à présent, ne sont pas encore retrouvés. C’est une situation…
… des hommes…qui désertaient, alors ?
… qui désertaient, bien sûr. Comment dans le sable, et enfouis avec la misère qu’ils ont, avec des années ou en tout cas des mois, sans voir leur famille, ni sans pouvoir leur donner quoi que ce soit. C’était vraiment une situation vraiment invivable : je n’ai jamais voulu exagérer les choses, mais enfin c’était là, les résultats étaient là. Ce n’était pas parce que les officiers voulaient prendre le pouvoir, ce n’était pas par vocation personnelle et que moi je voulais prendre le pouvoir. Cela n’a jamais été de mon goût, j’ai toujours renvoyé les officiers sur leur chemin, en disant : écoutez, vous rêvez ! qu’est-ce que vous avez pour faire… en tout cas pour assumer le pouvoir ? je vous connais tous. Qu’est-ce que vous avez ? pour assumer le pouvoir, il faut avoir une expérience, il faut avoir une formation, il faut avoir un niveau intellectuel suffisant et un niveau, surtout, de conscience nationale suffisant. Mais un lieutenant, formé… sorti hier commandant : prendre le pouvoir ? qu’est-ce que vous allez en faire ? où est la tente que vous allez dresser une fois que vous avez enlevé la tente du pouvoir, qui est installée là, qui est stable ? Je n’ai jamais accepté cette force-là…
Et au moment où se fait l’accord de Madrid et le partage, vous n’avez pas d’opinion ? vous ne sentez pas ? parce qu’il y avait une contradiction : on avait soutenu l’autodétermination du Sahara en pensant que ces Sahariens, étant Mauritaniens, vous viendraient, puis ensuite on partage pour un petit morceau, une exploitation commune, c’est…
Cà, çà va survenir complètement en dehors de moi. Je n’ai jamais eu vent de ceci ou de cela. Jamais, je n’ai été associé ni de près ni de loin, à cette situation-là. Ce sont des gens qui sont allés mener çà, je crois … pratiquement tous des civils. Et nous, en tout cas, sur le plan militaire, nous n’avons jamais été associés à ces problèmes d’accord, à ce qui se discutait avec le Maroc, l’Algérie, etc… nous voyions bien qu’il y avait un va-et-vient entre ces hauts niveaux, mais nous n’avons jamais été associés à quoi que ce soit.
Eh bien, je ne me suis pas limité à cela, à tout çà. Après des contacts personnels avec Moktar, j’ai essayé d’expliquer… je n’ai jamais réclamé autre chose que des moyens, jamais voulu autre chose ou alors – à défaut de moyens – de quoi faire arrêter par une décision politique, le carnage qui était en cours.
Et cette décision politique, vous l’aviez dans la tête ? vous la proposiez ? qu’est-ce que…
… avant le changement…
Vous ne la proposiez pas, ce n’était pas de votre ressort !
Non, moi, je ne sais pas me mêler de ce qui ne me regarde pas…enfin, de ce qui ne me regarde pas directement, je me limite à mes propres responsabilités. Parce que si je me mets à me placer au niveau des autres, à remplacer les autres…j’évitais surtout qu’on puisse comprendre que j’étais en train de chercher à faire arrêter la guerre parce que je ne voulais pas combattre. Je suis allé, dans des conditions vraiment incroyables, de nuit comme de jour, sans répit, pour justementt arrêter tout ce qui était à tel point… c’est la raison pour laquelle j’ai été amené à Nouakchott, c’est que dès que je suis entré dans ce secteur-là, non seulement on m’a ramenéà Nouakchott mais avant de me ramener à Nouakchott, nous rattacher tout ce qui était proche d’Atar et de ses environs, je me suis vu rattacher Choum, toute cette partie de la voie ferrée et les unités qui s’y trouvaient parce qu’on s’est aperçu qu’avec moi, serait utilisé et serait mis à profit, et qu’elles apporteraient… cela sortait de l’ensemble… j’ai des témoins, tout ce monde qui assistait à cela… il faut parler de cette période-là : avec la mission française, les Jaguar, aucun problème.
Mieux, quand on est revenu à Nouakchott, après les différentes réunions avec le Maroc au sujet des Comités de défense, l’utilisation des Marocains, etc… dont d’ailleurs je n’ai jamais voulu. J’entendais, et je l’ai dit devant le Roi et le président Moktar, que les unités marocaines qui sont là, deviennent des unités mauritaniennes, je les utilise de la même façon que les autres. Si ces unités doivent avoir une utilisation particulière, moi – je n’en ai pas besoin. Vous les retirez immédiatement chez vous, et vous les gardez. Parce que je ne voulais pas du tout que la souveraineté de la Mauritanie soit entachée de quoi que ce soit et que quelqu’un puisse, à travers la présence des unités, l’utilisation, des besoins, puisse dire : après tout, c’est nous qui commandons. C’est nous qui vous donnons ceci ou cela. Je regrette. Au point d’ailleurs que les unités, elles-mêmes, préféraient être exclues, préféraient partir.
Je suis allé voir le Président. Il faut quand même que vous entendiez les officiers, que vous les voyiez, que vous voyiez un peu dans quelle mentalité ils se trouvent, et que vos ministres, etc… et il m’a dit : bon ! je vais tenir une réunion avec les officiers du front, etc… les commandants de région pour faire le point de ce qu’il se passe. Eh bien ! on tient la réunion, on commence à discuter. Les officiers, la majeure partie des officiers et surtout ceux qui sont… un certain nombre d’anciens viennent carrément avec des idées tout à fait particulières, en disant que … ne se plaignent de rien. Ce qui les intéresse, c’est que la gestion se fasse… soit complètement décentralisée et que l’état-major cesse de conserver les moyens à son niveau et que … c’est tout ce qu’il fallait. Les officiers devraient donc être associés financièrement pleinement à tout ce qu’il se passe, et en particulier avoir leur gestion particulière, etc. Souhaitable, elle l’est en réalité. En réalité, qu’est-ce qu’on a fait ? tout ce qui était destinéaux régions était confiné entre les mains du commandant de région … militaire, il le gérait comme il le voulait. Certains n’ont pas trouvé mieux que de simuler des attaques le jour de leur retour avec des caisses qu’ils transportaient pour dire que … bon ! l’argent est tombé dans une embuscade. Il a été mitraillé de partout (rire) … je vous dis, le Mauritanien est très riche en imagination. Malheureusement, moi j’en manque complètement parce que, si je peux encore faire de petites narrations, l’imagination n’a jamais été mon fort (rire) ; c’était mon point faible, même en tant qu’élève. C’est pour vous dire un peu dans quelle ambiance çà se manifestait…
Bon, pour terminer, nous avions un procès-verbal, comme çà, sans rien dire, sans … rien… dire. Avec le Président et le ministre. Nous étions tous là… tout le commandement des forces armées était là.
Cette réunion, c’est celle du 5 Juin, ou quelque chose comme çà ? c’est très peu avant les événements, avant le putsch…
Le chef de l’Etat n’a pas dit autre chose que : écoutez, il n’y a qu’une seule solution, avec moyens ou sans moyen, nous nous battrons jusqu’au dernier homme. Cela, c’était la conclusion, il n’y avait pas autre chose. Nous nous battrons jusqu’au dernier homme, quelles que soient les conditions dans lesquelles on se trouvait. Voilà … en tout cas, pour moi, la conclusion : maintenant, il n’y a plus rien à faire. Il n’y avait pas de mesures, pour qui étaient là, en vue. Il n’y avait pas de renforcement des moyens parce que les ressources étaient complètement épuisées. Il fallait donc tenter le statu quo. Et – là – franchement… c’est dans ce contexte qu’est intervenue cette situation.
II
La réunion a été désastreuse ?
Absolument. Absolument. Absolument (voix de plus en plus basse)
Alors que vous l’aviez pensée comme une solution de décision collective, et un peu un sauvetage ?
Je pensais que le Président avait des solutions de rechange … que cela amènerait lui-même, le ministre et ses offciers à réfléchir sur ce que l’on peut faire pour sauver la situation. C’est-à-dire tel et tel moyen, ou s’entendre dire : écoûtez, tenez bon ! jusqu’à telle date, nous allons voir de quelle manière politiquement nous pouvons… Au lieu de cela l’assurance, le manque de conscience de ceux qui, parmi mes collègues, qui croyaient pouvoir survivre dans cette situation-là, qui se fichaient d’ailleurs que les hommes meurent, s’enfuient : ce n’est pas leur problème.
Y avait-il une stratégie ? une doctrine et un dispositif de défense ? ou bien une stratégie de contre-attaque, même de suite. Et y avait-il une conduite politico-stratégique, à la fois civile et militaire, de la guerre ? une espèce de cabinet de guerre ou de comité de guerre ?
Il n’y avait rien, sur le plan national, de particulier à la Mauritanie. Entre le Maroc et nous, il y avait la Commission de défense, qui était présidée à tour de rôle par le Président ou le Roi. On y faisait le point de l’évolution de la situation sur le terrain. Il y avait débat sur l’utilisation des moyens du Maroc. Ou les unités marocaines étaient là, et elles étaient intégrées aux unités mauritaniennes, et elles devaient donc répondre aux ordres du commandement mauritanien. Sans autre forme de procès, il n’y avait pas de procédure. Le Maroc, ou le Roi l’entendaient plus ou moins comme çà, mais naturellement le grand obstacle, c’était le commandement militaire marocain, et il y avait les troupes marocaines, sur le terrain à côté de nous, qui ne voulaient pas du tout être manipulées quotidiennement : faites ceci, ou faites cela… allons-y. Les gens étaient bien enterrés. Quelque part, ils préféraient – eux – que leurs unités soient utilisées soit comme des bouchons de défense, et non pas comme unité opérationnelle.
Le Polisario est un ennemi commun : ils ne visent pas seulement la Mauritanie, mais ils visent tout le monde, et comme par hasard – Dieu merci – quand il est en territoire mauritanien, ce qu’il cherche, c’est à éviter les unités mauritaniennes et à retrouver les points de défense des Marocains, pour axer sa défense sur les Marocains.
Nous, nous avions donc double tâche. De défendre les unités marocaines telles qu’elles sont enterrées là où au point de bouchon, que l’on doit normalement atteindre, et aller au-devant du Polisario quand il se met en attaque. Les unités marocaines, finalement, deviennent une charge pour nous, en tout cas une raison d’éparpillement des moyens, et nous ne profitons beaucoup de la présence des Marocains.
Et pour nous, notre haute direction considère qu’avec les Marocains, nous avons assez. Et ce n’est pas du tout çà. N’eût été la présence des Jaguar, de l’aviation qui est intervenue avec beaucoup d’énergie, qui a donné du souffle, qui a donné du courage aux unités mauritaniennes, nous aurions été très fatigués. Très très fatigués.
La décision
Alors, nous revenons à cet après-réunion…
Evidemment, se multipliaient les événements dans la clandestinité… je ne peux pas vous parler d’une organisation. Ceux qui ont participé à la préparation et tout çà, non seulement la préparation intellectuelle de cette… de ce changement, ni à son exécution, parce que finalement… moi, j’étais obligé… j’ai vu beaucoup de monde et je savais d’ailleurs que le Président avait presque – il faut le dire çà, nous sommes obligés de le reconnaître – avait presque cessé de fonctionner, de diriger le pays dans ces conditions-là, parce que c’était la ruée de tout le monde. Tout le monde parlait du changement dans la rue, et lui-même le savait : on a été combien… combien de gens sont allés lui raconter ce qu’il se passait. Ce devenait presque… et les officiers, un certain nombre d’officiers surtout, ceux qui avaient l’habitude de venir me contacter, de me parler, etc… deviennent très nerveux. Je n’avais plus finalement de choix que de les freiner, et de les arreter… ou de les neutraliser d’une façon ou d’une autre, ce qui à l’époque était très délicat parce que… si çà bouge à l’intérieur de cette façon-là et que les gens sont tout à fait pressés, eh bien ! sur la voie ferrée, les attaques se multipliaient très fort. Et un certain nombre d’officiers, un certain nombre de civils, les jeunes gens qui sont là derrière eux et qui les poussent, ceux-là je les connaissais tous et je les suivais tels qu’ils sont. Les civils d’ailleurs étaient beaucoup plus acharnés que les militaires.
Tout cet ensemble de mouvements ont fait que pratiquement, j’avais presque vidé Nouakchott, d’unités. Il n’y avait plus tous ces officiers qui se trouvaient tout à fait en dehors, et le seul qui revenait à la charge, c’est un peu le groupe des civils, qu’ils ont plus ou moins associés à çà, qui sont… qui se disent au courant. Effectivement, il y avait une demi-dizaine de jeunes cadres, civils qui étaient dans ce vent qui, déjà, qui voulaient précipiter les événements. Il y avait un certain nombre d’officiers, et en tout cas au moment du changement, quand c’est intervenu, il n’y en avait plus un à Nouakchott. Tous étaient sur les frontières.
Il fallait faire cela, sinon je ne saurais pas quand éclateraient les choses ni dans quelles conditions … ou à un moment où je ne serais pas en mesure d’éviter le désordre et ce qui peut arriver. Pratiquement, Nouakchott a été vidée de tous ceux qui pouvaient agir. Il n’y avait plus d’unités. Et finalement, ceux qui ont fini par exécuter le… le… l’intervention, l’arrestation… la récupération du président Moktar… n’étaient pas du tout dans le coup.Ils ne faisaient pas partie des gens qui étaient au courant. Rien… des gens à qui, à la dernière minute, ont été appelés voir… sans d’autres… sans idées eux-mêmes, sans très bien comprendre. Simplement, une espèce de petit plan de défense à organiser, une veille au désordre pour qu’il n’y ait pas… que rien ne bouge, et une sécurité à faire assurer au-devant des portes des différentes formations militaires et autres.
Rien d’autre. Les messieurs qui se disent intellectuellement présents à l’affaire, ou avoir préparé l’affaire, n’ont eu à se mêler de quoi que ce soit du point de vue exécution. Ils n’ont pas su à quel moment, cela devait se déclencher, ni à quel moment… jusqu’au moment, où ils ont reçu la convocation d’être présents à Nouakchott. Voilà un peu comment c’est arrivé.
Ce qui fait que ce n’est que pas vous qui, finalement, avez pris l’initiative… qui avez contacté des officiers, de vous-même.
Absolument pas. Par contre, j’ai fait l’objet de pressions… très longues…C’est contre ma nature : je ne pouvais pas préparer les officiers, les contacter, leur donner de faire ceci ou de cela dans une opération comme celle-ci, aussi périlleuse pour la Mauritanie, comme pour les vies des gens. Et moi, je tenais à ne conduire les officiers que dans une mission propre qui relève de leur véritable mission, de leurs véritables compétences, de leurs responsabilités. Et j’ai tenu en particulier à ce qu’il y ait… à ce que, si effectivement le changement devait avoir réussi … je devais être amené à faire cette intervention et que j’en sois le seul responsable. Qu’on ne puisse incriminer personne parce qu’autour d’un chacun de ceux qui s’y étaient mêlés, il y avait toute une publicité, les gens se sont livrés à coeur-joie, à faire… à manifester leurs intentions, à raconter dans certain salon, etc…
Cela a avorté plusieurs fois, … parce que les gens avaient préparé le coup, comme çà, gratuitement. Et prématurément …
En assumant la responsabilité … pour que les choses se fassent techniquement le mieux, vous avez également assumé, parce que seul devant l’Histoire, une rupture de légitimité et un autre ordre des choses – ce qui n’était pas votre but premier.
Pas du tout ! J’estime très franchement que ce n’est pas une rupture de légitimité parce que… à partir d’un certain moment où j’estime que la légitimité n’est plus… La légitimité demeure, tant que l’acteur principal est à même de prendre les choses en mains et de les faire évoluer. Et de prendre les décisions… Or, à partir d’un certain moment, il était clair aussi bien au niveau du Bureau politique, aussi bien au niveau du fonctionnement de l’administration, aussi bien au niveau de l’ensemble des autres administrations, que l’arrêt était devenu total.
Il n’y avait plus d’acteur qui fasse fonctionner… Déjà, en Février 1966, je m’étais trouvé avec un arrêté, je ne sais plus si c’est du ministre de l’Intérieur ou de je ne sais qui ? me disant : à partir d’aujourd’hui, etc… les responsabilités du fonctionnement de l’Etat et de la sécurité du pays, de ceci et de cela, sont à la charge nommément d’untel. Et j’ai passé un mois à régler les problèmes et les litiges entre enfants qui se battent pour des allumettes sur le terrain. Et le ministre de l’Intérieur a présenté : le pouvoir n’est plus entre nos mains, il est entre les mains d’untel. Et il a fallu que, moi-même, de mon initiative, je décide que tel jour je devais organiser la tenue d’un meeting populaire auquel seront présents et le Président et ses différents ministres etc… pour qu’ils prennent la parole…
C’est le meeting au ksar, le 14 ou le 15. Et la seconde occasion, çà a été laquelle ?
Une fois à Zoueratte. La première bombe a éclaté à F’Derick entre la Miferma et le personnel, il y a eu tous ces événements. Quand on menaçait Zouérate, on voulait recommencer la même chose, eh bien, j’ai dit à cette personne-là, attention, si vous désignez un collègue… un collègue que vous désignez : le patron de la gendarmerie, pour affronter cette histoire-là, vous allez avoir des gens sur le terrain… qui vont être tués. Ce qui n’a pas manqué. Le même soir, les gens se sont trouvés sur le tapis, sous les balles de la gendarmerie. Et il y a eu par la suite une grève à Zouérate – gouverneur d’Atar, pas du tout en fonction… et j’ai eu à revenir à Zouérate, comme gouverneur, passer un mois – je suis Mauritanien – et pour calmer les histoires de Zouérate. M. Baro était ministre du Travail à l’époque, le sait très bien, il en était revenu abasourdi de ces événements. C’est incompréhensible… avoir évité que cette action recommence. Les mêmes causes étaient là, et les mêmes procédés. Tranquillement
Le scenario
Le Président a été au courant… vous l’avez vu dans son livre – le samedi midi ou le samedi une heure, que du coup vos projets se sont arrêtés, que Ahmedou Ould Abdallah qui devait être – peut-être – l’exécutant, ne l’a plus fait, que Jiddou l’a peut-être fait, et que le samedi-dimanche vous avez – semble-t-il – été perplexes. Et est-ce que le président Moktar aurait pu… avait un moyen de réagir et de vous neutraliser, sans en même temps paralyser l’armée. Comment ? si vous vous mettez dans les deux rôles…
Non, voilà, je crois … c’est effectivement les personnes-mêmes que lui les a citées dans son livre… en tout cas, on les a vus le soir, on les a vus sortir de cette route… je vous dis, à Nouakchott. Ahmedou Ould Abdallah s’était effectivement porté malade… c’était lui qui devait exécuter… ou en tout cas son unité. Il n’a pas pu se lever : à l’époque il avait commencé des crises et qui ont fini d’ailleurs par se compliquer, se transformant en crise épileptique par la suite, qu’il a fallu qu’il aille se soigner à Dakar. Pour se porter donc disponible, mais son unité a été celle qui a exécuté ce qui a été exécuté… En fait, il faut dire une chose, qu’il n’y a pas eu beaucoup de choses, lui il a été mis au courant. Mais je crois qu’il n’avait pas… le Président le savait très bien qu’il n’avait pas de possibilités d’intervenir sinon de faire agir une ou deux personnes peut-être assez fidèles, qui ne seraient pas… qui n’auraient pas osé sortir la tête au moment… ou quelques minutes avant… le Président… que les petits jeunes gens qui sont allés voir le président Moktar. J’étais pratiquement seul à l’état-major, j’étais en train de suivre les mouvements du Polisario sur la frontière, et le ministre – à l’époque – de la Défense, accompagné d’un officier de gendarmerie, qui était son voisinage, sont venus me voir dans la salle d’opérations… le samedi soir, parce qu’il y avait deux réunions du Bureau politique au cours de laquelle on n’avait pas su que le colonel était indisponible, donc, ce soir-là le report. La nuit suivante, tout était en place et le ministre, c’est le samedi… tout seul, est venu dans la salle d’opérations. Et il n’y avait pas de Jiddou sur place – il était sur la voie ferrée, et il n’y avait pas de… ni Haidalla non plus… ce sont ceux qui étaient avancés comme étant si, vous voulez, les plus proches ou chez qui a germé cette idée…
… ce sont ces trois-là qui ont compté comme les germinateurs.
C’est çà.
Est-ce que le président Moktar pouvait contre-carrer votre plan ?
Personnellement, je ne vois pas comment il l’aurait contre-carré, parce qu’il n’y a pas d’unité disponible. A Nouakchott, la seule unité qu’il y a, c’est la 6ème région qui était à l’époque commandée par Ahmedou. Et lui donc… il n’y avait pas de… je ne pense pas… c’était très difficile à moins de vouloir vraiment faire éclater un certain nombre de choses, très difficile, très très difficile, parce qu’il n’y avait pas… il n’y avait pas de moyens disponibles qui pouvaient être…
Et alors votre scenario était plutôt de capturer le Bureau politique que de réveiller le Président dans son lit ?
Absolument. C’est ce qu’on voulait un petit peu… on voulait surtout que … éviter qu’il y ait une réaction… il n’y avait pas de raisons, nous n’avions l’intention de capturer qui que ce soit, nous voulions surtout les prendre pour les amener dans leur maison, leur demander de rester tranquilles là où ils sont, de ne pas s’activer, de ne pas bouger. Evidemment, le Président serait également mis quelque part en sécurité --- parce que évidemment, moi, je ne voulais pas du tout que çà prenne l’aspect d’une poursuite quelconque Les ministres, certains le lendemain, ont été … avaient été arrêtés, et ainsi de suite… cela a commencé vraiment en dehors de mes propres instructions.J’ai demandé des comptes, on m’a dit : nous avons préféré çà pour essayer de ne pas envenimer, qu’il n’y ait pas sur le terrain…
Vous étiez dans votre pensée, rétrospectivement, plus un chef nominal qu’un chef d’opération ? et les autres vous débordaient un peu, ou vous avez… vous dirigiez quand même l’ensemble ?
Le différend, dans cette histoire-là, c’est que… il n‘y a pas eu d’organisation en vue de faire telle ou telle action. Et je n’ai pas du tout accepté… je n’ai jamais accepté à un seul moment donné que quelqu’un y ait une initiative, jusqu’au moment ni une action quelconque. Je vous dis, dans le souci de faire que la seule responsabilité – s’il devait y en avoir – soit la mienne parce qu’on ne sait jamais… et surtout je craignais qu’il y ait une intervention extérieure. Je connaissais le roi du Maroc, et son esprit très éveillé. Sa rapidité d’instruction, d’intervention sont telles que … il n’était pas impossible de le voir faire des parachutages sur Nouakchott, ou dans les environs de Nouakchott, que moi j’avais pratiquement vidé de toutes les troupes mauritaniennes, je n’avais aucun élément d’intervention sur place, si ce n’est de petites unités assure la sécurité de l’ensemble. Je ne pensais pas à une action nationale quelconque.
Les autres ne se voyaient pas… en réalité, ils sont apparus par la suite, ont déclaré leur appartenance et voulu être présents, mais nous n’avons jamais… je ne les ai jamais vus pour discuter d’un plan quelconque à faire exécuter. Tous apparemment semblaient accepter ou dire qu’ils sont au courant mais aucun n’avait d’élément précis pour dire : nous allons organiser telle date… ils ne savaient que poser la question : quand est-ce qu’on va pouvoir ? quand est-ce que cela va se faire ? et c’est pourquoi il n’y a pas eu d’organisation commune en plus de çà.
Et vous avez décidé presque du jour pour le lendemain ?
Absolument. D’un moment à l’autre. Je tenais surtout à ce que l’exécution se fasse avant que il y ait une organisation quelconque, ou une préparation quelconque prévisible, si bien que à tout moment, même si tout le monde est au courant, même si nous étions obligés de donner des explications … apporter les preuves… Donc, çà pouvait cesser.
Les conséquences
… évidemment dans l’immédiat, vous n’aviez ni une idée sur la question saharienne et le Polisario, ni non plus une idée du sort de Moktar, ni non plus une idée du scrutin. C’était trop proche…
Moktar… pour moi, c’était très clair. Moktar était là, il fallait le traiter de la meilleure façon, vraiment digne de ce qu’il est, parce que … en fait, il n’y a pas de règlement de comptes. On n’a rien à en vouloir du fait de quoi que ce soit. Il y a le pays qui est là… pour moi, il n’y a qu’une seule chose, c’est de perdre tous les atouts nécessaires qui lui permettaient de pouvoir intervenir. Et de régler un problème qui est resté de son ressort, que nous avons voulu à ce qu’il reste de son ressort et sous sa propre responsabilité, à pouvoir le régler. C’est lui qui détient… la politique c’est lui qui … ses partenaires sont là. De la même façon qu’il a amené les négociations avec le Maroc, l’Espagne et tout ce qui s’ensuit, l’Algérie, tout cela Il doit être à même de savoir ce qu’il lui reste comme alternative possible pour pouvoir apporter un frein, pour avoir…
Et maintenant que le temps a passé et que nous avons atteint chacun des âges plus respectables, quand vous faites le bilan et notamment de cette responsabilité énorme que vous avez prise de prendre acte de ce qu’il se passait en 1978 et d’opérer ce changement, qui a provoqué finalement plutôt des désastres. Parce que l’évolution vous a échappé et le pays – on sent pendant la période Haïdalla la pluie de complots et la tension de tout le monde, à commencer par lui, Haïdalla – et alors ensuite les souffrances de vos compatriotes, un certain avilissement des gens. Moi, je le sentais en 2001… on sentait presque des gens qui avaient honte d’être Mauritaniens dans ce régime, mais qui ne pouvait pas faire autrement. Donc, ils avaient un discours d’âme dans leur salon particulier, et ils étaient obligés de plier devant Maaouyia, et cela devenait infernal. Et tout çà a été une évolution qui vous a échappé à partir de Juillet 1978.
Tout à fait. Cela, je le reconnais maintenant.
Trente ans après…
Mais qu’est-ce que vous voulez ? il y avait un choix. Il y avait un choix : ou bien prendre ce pays-là par la poigne et … sortir la Mauritanie de la période sanglante qu’elle venait de traverser, les morts que nous avons entraînées…
… vous les estimez à combien ? à peu près, parce que cela n’a jamais été dit.
Malheureusement, je n’ai pas fait de statistiques. Je sais qu’elles sont très nombreuses. Je suis resté sur le terrain directement en tant que… opérateur, très peu : quelques mois, mais j’ai assisté à des carnages terribles.
Des hécatombes.
Absolument. Le coup de Ouadane, et un peu celui de Chinguetti après, m’ont fait… m’ont mis devant des situations extraordinaires. Le coup de Ouadane m’a trouvé effectivement à Atar, j’ai pu démarrer très vite et j’ai été sur le terrain. Ce que j’ai dénombré chez moi … dans ma mouvance… j’ai pu dénombrer laissés sur le terrain par le Polisario, est inadmissible. Partout, des corps, des trucs brûlés. Ce qu’ont fait par la suite les avions en intervenant sur les Land-Rovers, ils tiraient… les voitures qui étaient … c’est effrayant… des deux côtés. Par la suite, les Jaguars, c’est surtout les morts du Polisario…
… que vous n’avez jamais analysés comme des mercenaires ? vous les avez analysés comme des combattants.
Non ! qu’ils soient mercenaires ou combattants, ils n’ont jamais en tout cas essayé d’être des amis. De suivre une voie raisonnable. C’était le fait de se lancer comme çà contre leurs frères, contre des troupes mauritaniennes qui ne leur ont rien fait, en définitive. Nous n’avons même pas… nous n’avons même pas occupé la parcelle qui nous revenait… c’est simplement…
Cela a été une présence très symbolique à Dakhla ?
Bien sûr, à Dakhla, il n’y avait pas tellement de présence militaire. C’était surtout un pouvoir civil qui s’est installé. Nous n’avons fait qu’assurer une certaine administration abandonnée. Le Polisario n’aurait jamais pu y accéder. Et les gens n’auraient jamais pu opérer, à partir de Dakhla, s’ils ne traversaient le territoire mauritanien. Il a fallu qu’on dise – nous : ou bien vous trouvez un chemin par lequel vous passez vers le Maroc si vous voulez, en tout cas par le territoire mauritanien vous ne passerez pas. Nous n’avions comme tension avec eux que çà, parce que le reste n’est qu’un terrain vague où il n’y a absolument rien du tout.
Enfin, vous avez en tout cas, une énorme responsabilité devant l’Histoire…
… tout à fait, j’avoue que j’ai le droit de le dire.
Je crois que la Mauritanie… je ne sais pas qu’est-ce qu’elle aurait pu faire… qu’est-ce qu’elle serait devenue ? est-ce que ce n’aurait pas été pire, à supposer que le changement se soit opéré ou tenté par la force ou à travers une trahison comme cela courait l’idée ? Est-ce que ce n’aurait pas été plutôt une crise sociale, une guerre civile qui aurait provoqué peut-être des dégâts beaucoup plus graves. Qui puisse… qui aurait peut-être atteint la souveraineté-même de la Mauritanie. Personne n’aurait sauvé la situation, si ce n’est une éventuelle intervention française, en disant : nous assurons la sécurité de la Mauritanie, nous assurons son intégrité territoriale. Mais on aurait été jetés dans une guerre civile …
Et psychologiquement, si le Président après avoir été « retapé » - parce qu’il était quand même… il est arrivé fatigué, et puis il y avait ces calculs rénaux, sa vie était en danger , on a le même médecin traitant d’ailleurs, le Pr. Daly – mais s’il était revenu, comme çà. Il prend l’avion avec son baluchon, son haouli, il arrive un matin comme çà, au début des années 1980, vous n’êtes plus au pouvoir d’ailleurs, quelle est la réaction du ouvoir militaire ? et quelle est la réaction des Mauritaniens ?
J’avoue que je ne sais pas. Moi, je ne pensais pas… voyez-vous, dans mon esprit, en essayant de le ménager, il revienne un petit peu, et que – même – il reconnaîtrait la situation tout à fait catastrophique. Il fallait… il ne faut jamais avoir honte de décrire les choses telles qu’elles sont. Mais la politique, évidemment : moi, je ne suis pas politicien, et je ne sais pas les tuyaux, ni les astuces de la politique et les procédés que les gens utilisent mais ne devraient pas déformer un homme par rapport à l’Histoire, surtout quand il exerce des responsabilités vis-à-vis de son pays, et en plein territoire de son pays. Je pense… je pensais que, au bout d’un certain temps, sa santé aidant – alors que ses complications sont arrivées alors que je n’étais plus déjà sur le terrain et pas présent…
Je voyais très bien le président Moktar revenir sur pied et rentrer dans son pays en disant : écoutez, ma période, je l’ai faite. Je préfère garder ma grandeur et mon estime, si ces pouvoirs ont besoin de mes conseils, je suis là et je les mets à leur disposition. Et si non… en tout cas, je me mettrais à travailler… j’écrirais ce que … par la presse, à travers certaines personnes en particulier pour çà. Moktar, sa personnalité, sa vocation religieuse, et logiquement sa maîtrise de soi par rapport à sa vie personnelle, loin de sursauts politiques et des satans politiques qui existent nombreux en Mauritanie, très nombreux,…
Cela aurait été fort utile...
Fort utile, absolument. S’il accepterait d’être le représentant du pays aux Nations Unies…
III
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