Le Calame : Que
pensez-vous de la fondation de l’agence nationale de lutte contre les séquelles
de l’esclavage, de la lutte contre la pauvreté et l’insertion ?
Samory
Ould Beye : La
fondation d’une telle agence, en place de celle qui était loin d’avoir achevé
sa mission, nous gêne, à plus d’un titre. A mon avis, elle vise à susciter la
zizanie entre les communautés haratine et négro-mauritanienne. Nous nous
refusons à ce jeu. C’est une agence trop connotée, mise en place pour leurrer
les Mauritaniens. Sa mission paraît assez floue, on y a mis tout et rien, sans
aucune concertation avec les intéressés. Nous aurions souhaité qu’une telle
décision soit l’objet d’entretiens poussés avec l’ensemble des acteurs
politiques, de la société civile, des ONGs et des experts internationaux.
Ensuite, l’esclavage, dont l’Etat refuse d’admettre l‘existence ou, pour être plus
nuancé, la persistance, n’est pas caractérisé. S’il s’agit, pour certains,
d’une discrimination positive, pour nous, en revanche, c’est un instrument à
visée électoraliste que nous dénonçons, parce que nous avons l’impression qu’à
travers cette institution, les Haratines sont considérés, par une frange de la
population, comme de grands enfants. La nomination de l’ancien ministre de la
Communication, Hamdi Ould Mahjoub, à la tête de cette institution, est une
parfaite illustration de cette réduction infantiliste que nous n’acceptons pas.
Pour
vous cette nouvelle agence est donc sans objet ?
Comme je
l’ai dit plus haut, l’immensité des domaines qu’elle embrasse fait douter de sa
réussite. Elle ne pourra, a priori, régler aucun problème. A notre humble avis,
pour que l’agence puisse atteindre les objectifs qu’on prétend lui assigner, il
fallait partir d’un diagnostic sur le terrain, avec une forte implication des
populations cibles. Si toute la pléthore d’institutions mises en place par les
gouvernements successifs a échoué, c’est parce qu’on n’a pas pris en compte,
tout simplement, l’avis des populations bénéficiaires. Il faudrait, également,
procéder à des réformes pointues sur la propriété foncière, en supprimant, en
particulier, le métayage. Il n’est pas rare de voir des populations noires
travaillant aux champs en sortir les mains vides, parce que le propriétaire
leur prête tout et le récupère sur la récolte. Il faut mettre fin à cette
exploitation éhontée.
Comment
cette agence pourrait-elle contribuer à l’épanouissement de ceux qui n’ont ni
terre, ni cheptel, ni immobilier, ni fonds ? Comment des gens dont les
enfants peinent à aller à l’école et à se soigner peuvent-ils s’épanouir ?
Voilà les préoccupations réelles des Haratines et des Négro-mauritaniens. Nous
craignons que l’agence finisse comme celles, nombreuses, qui l’ont précédée.
Combien de milliards ont été injectés dans des adwabas parfois fictifs ?
Ont-ils contribué à mettre fin à la précarité des conditions de vie des
habitants de ces taudis ? Ceux qui ne connaissent pas ces aléas
peuvent-ils entendre les plaintes de ces démunis, maintenus, jusqu’ici, dans la
misère ? Nous en doutons fortement.
Enfin,
nous estimons fondamental de pousser les oulémas à émettre des fatwas contre
tous ceux qui se livrent à des pratiques esclavagistes. Le gouvernement ne doit
pas se préoccuper uniquement des séquelles de cette ignominie, il doit surtout
combattre le chômage dont sont particulièrement victimes les jeunes harratines
et négro-mauritaniens ; prendre des mesures, pour réduire le fossé qui ne
cesse de se creuser, entre une composante favorisée et une autre qui
s’appauvrit de jour en jour. L’observation attentive du tissu économique permet
de constater ce gap. L’Etat doit, pour prouver sa volonté politique, supprimer
la fameuse règle de la représentativité, dans les fonctions gouvernementales où
seule une composante se taille la part du lion. Tout le reste n’est que
populisme. Le parti Moustaqbel se tient justement là, en sentinelle, pour dire
non à la ségrégation, non à la marginalisation et non au racisme d’Etat.
Propos
recueillis par DL
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