L’autre identité
humaine en Mauritanie
Chers amis, je suis avec vous
aujourd’hui pour parler de la Mauritanie ; le pays de beaucoup parmi nous
ici. La Mauritanie de l’esclavage, la Mauritanie de la perpétuation de la honte
humaine mais aussi, chers concitoyens et amis de la Mauritanie chers confrère
de la Mauritanie, du déni.
J’ai honte, et je sais que vous avez honte et êtes touchés, très touchés
mais c’est la réalité, notre réalité que personne d’entre vous ne peut ignorer
et ne peut contredire. En Mauritanie, on n’est pas encore au 21 siècle. Ici et
là, chez nous en Mauritanie, il y a l’esclavage. Dans ce pays, la Mauritanie,
pourtant signataire de la quasi-totalité
des Conventions pour le respect de la dignité de l’homme, les hommes ne
naissent pas égaux.
Diverses formes d’esclavage
On entend par esclavage en
Mauritanie l’utilisation de l’homme par l’homme. Des hommes et femmes qui
travaillent gratuitement pour d’autres qui sont considérés comme leurs maitres.
La privatisation de l’être humain. L’esclavage est par ascendance ; il est
domestique, sexuel et moral.
L’Administration Territoriale et l’esclavage
Les walis (Gouverneurs) et les Hakems (Préfets) sont inféodés aux
chefferies traditionnelles. En complicité avec les esclavagistes et les
féodaux, l’autorité régionale agit et délibère. L’esclavage est occulté ou
encouragé.
La police judiciaire et l’esclavage
J’entends par police judiciaire la police nationale et la gendarmerie
nationale. C’est la première institution étatique qui reçoit et instruit les
dossiers relatifs à ce phénomène comme toutes les autres affaires des citoyens
plaignants. Jamais ces corps n’ont daigné s’occuper impartialement du phénomène
de l’esclavage. Dans tous les cas, ce sont les victimes
d’esclavage qui sont inquiétés et les esclavagistes soutenus … A chaque fois et
pour tout cas d’esclavage, il a fallu des sit-in des abolitionnistes (des
sit-in parfois réprimés et des militants interpellés, tabassés,
torturés, emprisonnés, jugés et condamnés, pour que la police essaye de
faire un semblant d’enquête qui n’aboutit généralement à rien devant le
tribunal.
Esclavage et acteurs politiques et religieux
Par leur silence et/ou leur interprétation de l’Islam, l’esclavage est
encouragé, légitimé, codifié et sacralisé. Pour
rappel, l’islam
intime l’ordre à l’homme d’être libre, car il n’autorise l’adoration que pour
Dieu. C’est dire que l’islam ne conçoit de statut de maitre que pour Dieu. Les acteurs religieux et
politiques qui sont toujours prompts à réagir aux événements dans les autres
parties du monde comme la Palestine, Syrie et autres, n’ont jamais clairement
évoqué ou combattu l’esclavage en Mauritanie, au contraire ils
mènent de temps à autre des campagnes de diabolisation contre les
abolitionnistes et produisent des prèches et des déclarations appelant au
meutre contre les anti-esclavagistes. Et pourtant, on soutient que la
Mauritanie est musulmane à 100%.
L’esclavage
et l’appareil judiciaire
De 2008 à
nos jours, sur plus de 18 affaires de pratiques
d’esclavage avérés, ce sont les plaignants qui ont payé un lourd tribut devant
les tribunaux plus tôt que les présumés coupables. Un appareil judiciaire
indépendant est l’apanage d’un Etat de droit respectueux de ses propres
lois ; la Mauritanie, elle, n’en est pas encore là. La justice
mauritanienne est encore très loin sur le chemin de l’indépendance, car
l’exécutif interfère dans l’appareil judiciaire.
Mes
amis voilà un peu le décor de la situation des institutions qui interviennent
dans la gestion de ce phénomène mais aussi celle des acteurs politiques et
religieux. Vous en déduirez vous-même la délicatesse de l’engagement des
militants abolitionnistes.
Oui, en Mauritanie on n’a pas tous les mêmes droits, on n’a pas tous
droit à la terre de culture. Oui en Mauritanie, les patronymes et les tribus
sont déterminants comme valeurs ajoutées à l’existence de l’homme mauritanien.
La société mauritanienne, avec et par la volonté de ceux qui nous
gouvernent, reste encore archaïque et moyenâgeuse. Les esclavagistes et les
féodaux se partagent le bonheur du pays. On assiste tout simplement à la
transposition des pouvoirs traditionnels déphasés et iniques à la gestion de
l’Etat.
La pratique d’esclavage connait
dans notre pays plusieurs formes, selon les communautés : dans la
communauté beydhane sur laquelle les yeux sont rivés ces derniers temps avec
les actions des militants antiesclavagistes, le phénomène est vivace, actuelle
et dans sa condition primaire.
L’homme comme objet, un robot à tout faire mais aussi comme un
instrument sexuel. La population la plus affectée est la gente féminine mais
aussi les enfants à bas âge des Haratines.
Pour la consommation
internationale, la Mauritanie a mis en place des outils juridiques novateurs
contre ce phénomène. La loi de 2007 qui a été précédée par d’autres instruments
juridiques comme celui de 1969 (circulaire du ministre de la justice de Moctar
Ould Daddah), l’ordonnance de 81 (sous l’ère Haidalla), et initié un programme
pour soulager la misère de ces populations dont le pouvoir d’Abdel Aziz dit
qu’elles ne souffrent que des séquelles de l’esclavage.
Paradoxalement dans ce pays où on
s’interdit la vérité, on continue à nier l’existence de ce phénomène, et à
l’issue du récent dialogue politique entre une partie de l’opposition et la
majorité présidentielle avec la bénédiction de Mohamed Abdel Aziz, on a porté
l’interdiction de l’esclavage au préambule de la Constitution. Pourquoi alors
introduire la criminalisation dans la loi fondamentale du pays d’un phénomène
qui officiellement n’existe pas ?
C’est dire que le principal mal
de la Mauritanie continue d’être cette hypocrisie congénitale qui nous taraude.
Le mensonge qui est devenu un mode de gestion des affaires du pays.
Ces
principes fondateurs de nature à civiliser notre société ne sont jamais
appliqués. Les affaires d’esclavage présentés à
la justice sont là pour témoigner de la désuétude des lois mauritaniennes.
Elles sont bonnes pour les tiroirs et pour servir auprès de la communauté
internationale. Vous allez m’interroger certainement sur les résultats du programme d’éradication
des séquelles de l’esclavage. Le régime de Mohamed Abdel Aziz a lui-même
répondu sur la non-efficience de ce programme pour les ayants droits car il est
de coutume de magnifier les actions du régime et surtout de les utiliser contre
les opposants.
Si la Mauritanie ne souffrait que des
séquelles de l’esclavage et qu’une action du gouvernement est menée contre le
phénomène, on aurait utilisé les bénéficiaires contre les abolitionnistes. Car
en ce moment le pouvoir n’a pas besoin de chercher les fatigués ou sous-fifres
au sein de IRA pour faire dissidence. Non, la Mauritanie est une République
Islamique où sévit l’esclavage. Des sous hommes et leurs maîtres … et cela dans
certaines proportions dans toutes les communautés.
L’esclavage des Haratines
Durant la dernière semaine du
mois de février, avec l’aide de l’ONG SOS-Esclaves, Matala a pu retrouver et
libérer toute sa famille (Une famille de neuf membres tenus en esclavage, dont
des enfants mineurs). Cela intervient au moment où les dossiers des esclaves de
Guerrou et Dar Naim (Nouakchott) sont pendant devant la justice ou tout
simplement restent sans issue favorable pour les esclaves. Leila Mint Ahmed
(l’épouse du leader abolitionniste Biram Dah Abeid), par le double langage et
la démission de l’Etat mauritanien, est maman aujourd’hui de plusieurs enfants
mineurs et adolescents (une dizaine), libérés du joug de l’esclavage par l’ONG
IRA-Mauritanie. Les cas pendants devant la justice sont très nombreux. Pour
camper le décor, je vais vous citer deux exemples :
De ces enfants chez Leila, je vous cite Said
et Yarg.
C’était en avril 2011 où, pour sauver ces deux jeunes garçons de
l’inhumanité, que les militants antiesclavagistes ont franchi une nouvelle
étape dans la recherche de la justice en menant une grève de faim pendant trois
jours.
Si le jeune SAID, âgé d'environ 14 ans, a pu fuir ses maîtres
quelque part dans la région du Brakna, c’est par l’action des militants que la
police a été contrainte de mener une enquête pour récupérer son petit frère
Yarg (10 – 11 ans).
Said et son frère Yarg |
Le verdict du 20 novembre 2011, prononcé par la Cour Correctionnelle
de Nouakchott, condamna un seul membre de la fratrie de 5 personnes à 2 ans de
prison ferme dont il purgera qu’un seul alors que la loi prévoit au moins cinq
ans de prison pour le crime de pratique qui était retenu contre lui.
Le
cas Mbarka : La petite domestique ou l’instrument sexuel de toute une
famille
Cette esclave, libérée grâce à
l’organisation IRA, raconte : « Notre maîtresse a prétendu avoir
besoin de moi pour de petits travaux domestiques, étant entendu que pour elle
nous sommes tous sa propriété privée car notre maman est son esclave, et il est tout a fait normal qu’elle
dispose de nous comme elle veut ! ». Et d’ajouter : « Je
suis la dernière à dormir et la première à se lever ». L’histoire de
Mbraka, la petite domestique ne s’arrêtera pas là car elle est aussi un
instrument sexuel. Elle raconte « Un jour, mon maître…. se lève et me
demande de lui masser les pieds. C’est ensuite qu’il m’intime l’ordre de
m’approcher et se couche sur moi contre ma volonté ». Chers amis, oui,
c’est dur et cruel, mais aussi cru…. Et d’ajouter : «Oui, il a récidivé
tant de fois. J’ai même su par la suite que son épouse était informée de ses
forfaits, mais elle n’en pas fait cure ».
Je suis tombée enceinte et ils
ont gardé le silence sur mon état et ont refusé de reconnaitre l’enfant. Après
le père, c’est le fils aîné, qui était aussi marié, qui a pris le
relais », conclue la désormais
jeune dame et ex-esclave libérée par IRA-Mauritanie
Vous savez pourquoi la femme de
son maître, même au courant, laisse son mari continuer ses forfaits ?
Parce que MBarka est une esclave et on ne doit pas être jalouse d’une esclave…
Pour
son mariage. Mbarka
dit : « Je me suis mariée ; un mariage qui sera de courte duré
car mon mari voulait m’amener chez lui en brousse où il vivait ; ce que
mes maîtres refusèrent. Ainsi, il a disparu pendant longtemps. Alors, je lui ai
envoyé un message pour l’informer de mon mécontentement. Il a accepté mes
exigences espérant que notre mariage puisse continuer. Il m’a envoyé une somme
de 30.000 UM que mon maître m’a remise en trois tranches et à des moments différents.
C’est ce dernier, qui viendra me voir porteur de la lettre de divorce ».
Ainsi, l’esclave est domestique
mais aussi un objet sexuel qu’on peut faire marier et faire divorcer ;
c’était le cas de Mbarka Mint Essatim qui a été libérée par les abolitionnistes
dont l’un est dans la salle ; je le salue au passage.
L’esclavage dans le milieu négro-africain
Dans la communauté
négro-africaine, si la pratique de l’esclavage en tant que tel a pratiquement disparu,
ses séquelles restent encore vivaces. La communauté des anciens esclaves dans
la société négro-africaine souffre de la stigmatisation et des stéréotypes.
L’ancien esclave n’a pas droit à la terre de culture. Ces gens, considérés
inferieurs, ne peuvent prétendre aux chefferies traditionnelles. Pour cette
communauté, à l’image de ce qui se passe chez les Haratins, travailler pour ses
« maîtres » est un acte islamique qui va être récompensé au jugement
dernier. Les mariages sont proscrits entre les groupes sociaux ou castes, car
les nobles se considèrent supérieurs aux anciens esclaves. Un exemple se
passait dans vos murs, ici à Paris, il y a quelques années. Toutefois, plus
riche et plus lettrée, la nouvelle génération s’émancipe du joug
communautaro-traditionnel et ne peut plus être réduite à l’esclavage. Dans
certains villages, le mot esclave ne peut plus être prononcé. C’est dire que le
complot du système esclavagiste et féodal, encouragé et soutenu par l’Etat, est
entrain de prendre un rude coup dans certains segments de cette communauté.
Comment finir avec l’esclavage
La question
mérite d’être posée et la réponse est trop simple. Pour commencer, le pouvoir
de Mohamed Ould Abdel Aziz doit finir avec le double langage. En Août 2011, à l’occasion d’un show radio
télévisé, le Président de la République Mohamed Ould Abdel Aziz, disait en
réponse à ma question : « S’il y’a des esclaves, en tout cas moi,
je ne les vois pas. Je suis sûr que cela n’existe que dans l’esprit de celui
qui veut les créer pour des raisons qui lui sont très personnelles. Ce sont des
gens qui véhiculent des choses qui n’existent pas, pour d’autres fins que nous
connaissons ».
On ne peut pas faire des lois
pour punir une pratique et en même temps dire que cette pratique n’existe pas.
C’est dire que la reconnaissance officielle de ce phénomène pourrait être un
début d’une volonté politique pour finir avec cette tare.
Il est absolument nécessaire
que l’esclavage soit aboli dans les livres qui représentent la référence pour
l’Etat et les différents corps qui la composent ; les livres prétendument
islamiques, et, qui ne sont en fait qu’un code d’esclavage des temps moyenâgeux,
des livres écrits entre le 9 emme et le 15 emme siècle J.C. et que le président
d’IRA a incinéré symboliquement le 27 avril 2012 pour attirer l’attention et de
la communauté internationale et du monde musulman sur le forfait qu’ils
contiennent ; codification de la vente d’être humains, la castration, le
viol, le travail forcé….Ces livres restent hélas, la base de la formation des
magistrats en Mauritanie, des officiers de police judiciaires, des
administrateurs, des imams, et des érudits ; ces livres restent aussi
inscrits dans la constitution mauritanienne comme principale source de loi.
Mais aussi, l’application des
lois en vigueur et en la matière. Ces actions doivent être accompagnées par une
action d’un programme national de sensibilisation contre cette pratique et la
vulgarisation des lois criminalisant ces pratiques. Et pour ce travail, l’homme
mauritanien libre doit prendre son bâton de pèlerin pour mener campagne car la
liberté des esclaves ne peut provenir seulement de l’Etat. En effet, tant que
l’Etat n’est pas en face de la nécessité de libérer les esclaves, il ne le fera
pas. L’exemple des Etats-Unis et de Haïti sont là pour nous édifier.
Contribution du journaliste Seydi Moussa Camara à la conférence du 30 Mars à Massy.
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