Nous
voulons, à travers cette lettre, interpeller les autorités compétentes et
l'opinion publique nationale et internationale sur l'injustice manifeste et
l'arbitraire caractérisé dont nous sommes victimes; le Juge nous a spolié de la
terre (Lieu-dit "Boulehrath", Moughataa de Barkeywel) qui nous a vu
naître, que nous avons toujours travaillée et que travaillaient nos ancêtres
depuis plus d'un siècle au profit d'un individu qui l'a revendique
prétextant que notre père fut son
esclave.
La
terre en question est une terre agricole que notre père, Mohamed Ould Amar,
cultivait pour nourrir ses enfants (Sidi Ould Amar, 75 ans, Mohamed Salem Ould
Amar, 62 ans et Elhacen Ould Amar, 70 ans; les deux premiers sont visibles sur
la photo). Mais, pour le dénommé Mohamed El mokhtar Ould Khatra, alias Hakka,
cette terre est la propriété de son père, feu Mohamed Mahmoud Ould Khatra. Nous
nous rappelons bien de ce Ould Khatra qui nous rendait régulièrement visite et
qui prétendait être notre maître et celui de notre père. Il venait à chaque
moisson et repartait avec la moitié de la récolte comme le font tous les
maîtres d'esclaves qui sévissaient dans les différents oueds de la région. Mais
ce qui est remarquable dans cette affaire est le fait que Ould Khatra n'a
jamais habité Boulahrath. Il réside à Diouk, localité située dans la Moughataa
de Guérou. Il n'a jamais travaillé cette terre et ne faisait que cueillir le
fruit du travail des autres sous prétexte qu'ils furent ses esclaves.
Pour
revenir au litige actuel, il se trouve que notre père, feu Mohamed Ould Amar,
avait autorisé la dénommée Bayka Mint Mahmoud à cultiver un lopin de sa terre.
Après Bayka, sa fille, Lezeiba Mint Soueilem, l'avait aussi cultivée. Après la
mort de ces deux femmes, la fille de Lezeiba, Rakya Mint Bilal, a prétendu que
son fils, Abdellahi Ould Fati, avait acheté la moitié du lopin en question à
Mohamed Elmokhtar Ould Katra (qui tient son titre de propriété du fait que
notre père fut esclave du sien).Quand nous eûmes vent de cette vente, nous
contactâmes Rakya pour lui rappeler que la terre nous appartenait et que notre
père l'avait seulement prêtée à sa grand mère et que personne ne pouvait en
disposer sans notre consentement.
C'est
Ould Khatra qui porta l'affaire devant le juge de Barkeywel. Nous expliquâmes au
Juge que cette terre appartenait à notre père qui tirait sa propriété des
aménagements qu'il y fit, de sa mise en valeur depuis plus d'un siècle et ce
selon la règle de base qui dit que "la
terre appartient à celui qui la met en valeur". Nous lui expliquâmes
que nous sommes nés sur cette terre et que nous y vécûmes jusqu'à cet âge
avancé et y avons investi le travail de toute une vie malgré les sécheresses,
les invasions de criquets et autres fléaux naturels. Comment alors comprendre
que quelqu'un d'autre puisse avoir le droit de la vendre et d'en disposer juste
parce qu'il prétend être le fils de celui qui prétendait être le maître de
notre père.
Pour
le plaignant, la terre appartenait à son père qui l'a confiée à ses esclaves (allusion
à notre père et à Bayka).
Le
Juge demanda à chacune des deux parties de produire des témoins à l'exclusion
de tous documents ou écrits et en précisant que chaque partie assisterait à la
consignation des témoignages de la partie adverse.
Pour
ce qui nous concerne, nous avons présenté 13 personnes ayant, toutes, côtoyé
notre père et attestant de notre attachement à cette terre. Le Juge les a
toutes déclarés recevables et en a consigné les témoignages en la forme
convenue.
Quant
à la partie adverse, elle produisit une liste de noms dont la majorité des
porteurs n'est plus de ce monde et que le Juge a récusée tout à fait
logiquement exigeant la présence physique de tous les témoins comme convenu.
Mais
que ne fut pas notre surprise quand, quelques jours plus tard, nous apprîmes
que Ould Khatra avait présenté dix témoins que le juge avait agréés en notre
absence. Parmi les noms de ces prétendus témoins au moins trois correspondaient
à des personnes décédés et un à une dame très âgée et aveugle qui habite
Nouakchott et dont les fils ont démenti le fait qu'elle ait pu aller témoigner.
Les autres sont de nouveaux venus et ne connaissent rien à l'histoire de cette
terre.
Mais
nous comprendrons la raison de cette volteface quand nous apprenons, de sources
particulières, que notre adversaire avait été l'hôte du juge Mahfoudh Ould
Mohamed Lemine et que ce dernier avait accepté l'invitation du premier à passer
une journée à ses frais à Boulehrath!
C'est
ainsi que le Juge avait fini par rendre son verdict en faveur de Mohamed
Elmokhtar Ould Khatra lui octroyant la terre sur laquelle nous travaillons.
Nous apprendrons plus tard que le même juge aurait voulu rendre son jugement
exécutoire pour nous chasser manu militari de notre terre si ce n'était
l'intervention du Préfet qui obtint qu'on puisse finir la saison agricole que
nous avons déjà commencée. Mais c'est maintenant la deuxième saison que nous ne
semons plus alors que cette terre est notre gagne pain unique. Nous ne pourrons
pas envisager l'hypothèse d'en être privés la saison prochaine.
Evidemment,
nous avions interjeté appel contre ce jugement inique et partisan. L'appel a
été introduit près la cour de cassation de la capitale de l'Assaba depuis le
mois de Ramadan mais il est pour le moment resté sans réponse. Toutes les
portes commencent à se refermer devant nous et nulle part dans cette République
une main ne veut nous secourir. Nous continuons pourtant à vouloir régler cette
question par les voies pacifiques mais nous commençons à prendre conscience de
la vraie discrimination.
Aux
autorités compétentes, au Président de la République, au Ministre de la
Justice, à l'Administration et aux Organisations de défense des droits de
l'Homme nous lançons un appel pressent pour nous venir en aide. Nous sommes des
hommes libres et personne ne peut disposer de nos biens ni de nos corps sous
prétexte qu'il tenait notre père en esclavage. L'évocation d'un tel prétexte
est un aveu de culpabilité et devrait faire honte à son auteur plutôt que le
servir devant la justice. Nous dénonçons ici la collusion et la connivence
entre la Justice et les forces féodales en vue de nous spolier de notre unique
gagne pain en violation de la Chariaa et du code pénal en vigueur.
Sidi
Ould Amar
Mohamed
Salem Ould Amar
Le
16 avril 2013
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