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samedi 23 juin 2012

Le cadre de concertation des réfugiés et déportés mauritaniens de la vallée du fleuve Sénégal



Déclaration du 20 juin 2012, à l’occasion de la journée mondiale du réfugié

Voila à peu près 23 ans  que nous déportés mauritaniens au Sénégal et apatrides de jure sommes en exil au Sénégal. C’est devenu une tradition de nous exprimer, nous déportés mauritaniens, à l’occasion de cette journée mondiale célébrée à l’honneur de tous les réfugiés, à travers le monde où il existe approximativement près d’un milliard de refugiés  et auxquels nous rendons un vibrant hommage. Aussi,  avons-nous une pensée pieuse pour les âmes disparues à cause des persécutions, de l’exclusion et des injustices sociales.
Pour  faire un bilan succinct de la situation des réfugiés mauritaniens au Sénégal, nous nous focalisons sur l’année charnière qui, à notre sens, a constitué un début de solution aux multiples problèmes que nous connaissons jusqu’ici.
En effet, le 12 Novembre 2007 venait d’être signé un accord tripartite international entre les gouvernements sénégalais, mauritanien et le Haut commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés(HCNUR) représentés respectivement,  par les ministres de l’intérieur Me Ousmane Ngom, Mr Yall Zakaria Alassane et son Excellence Mr Didier Laye, le représentant du HCR à Nouakchott.
Cet accord avait suscité beaucoup d’espoirs, car constitué de 28 articles qui traitent  essentiellement des points de règlement de nos problèmes  jugés prioritaires. Ces 28 articles se déclinent de la façon suivante :
·       Le droit au retour (Article 1)
·       Le caractère volontaire du rapatriement (Art 2)
·       La préservation de l’unité familiale (Art 3)
·       Le rapatriement dans la sécurité et la dignité (Art 4)
·       La responsabilité du pays d’asile (Art 5 à 8)
·       La responsabilité du pays d’origine (Art 9 à 17)
·       La responsabilité du HCR (Art 18 à 22)
·       La commission de rapatriement (Art       23 à 25)
·       L’entrée en vigueur de l’accord (Art 26)
·       L’expiration et la dénonciation de l’accord (Art 27)
·       Et le règlement des différents (Art 28).   
       Voila schématiquement résumé un très beau document construit sur des bases solides pouvant fonder l’espoir et animer la fibre patriotique et qui aurait dû faciliter le retour de la quasi totalité des refugiés mauritaniens dans leurs pays.  Ce qui ne fut pas le cas  et ce qui  laissa place à des  profonds  regrets. Officiellement près de 14 000 réfugiés mauritaniens sont restés au Sénégal ce après les opérations de rapatriement  des réfugiés mauritaniens au Sénégal dans le cadre dudit accord tripartite. Aussi, entre janvier 2008 et mars 2012, 24 490  réfugiés seront rapatriés. A notre avis, les structures qui ont été mobilisées, pour l’application de ces principes de respect et de dignité humaine sous-tendant l’accord tripartite, ont manqué à leurs obligations. Nous le disons, car nous sommes persuadés que du premier au dernier article, bien d’aspects n’ont pas  été respecté ni dans la lettre et ni dans l’esprit. L’exemple le plus illustratif ce sont les membres des familles divisées de part et d’autre du fleuve Sénégal et cela malgré de nombreuses sollicitations pour leur unification. Faut-il rappeler que la Conférence de Plénipotentiaires des Nations Unies sur le statut des Réfugiés et des Apatrides considère, en sa section B, que «  que l’unité de la famille, cet élément naturel et fondamental de la société, est un droit essentiel des réfugiés, et que cette unité est constamment menacée… et constatant avec satisfaction que d’après le commentaire officiel du comité spécial de l’apatridie et des problèmes connexes les droits des réfugiés sont étendus au membre de sa famille, et recommande aux gouvernements de prendre les mesures nécessaires pour la protection de la famille… » Aussi, Le HCR, malgré les efforts consentis, doit donc mesurer toute la portée de cette fracture sociale, car jusqu’à preuve du contraire c’est la branche des Nations Unies qui est censée prendre en  charge  notre sécurité  et notre protection et nous assister autant que possible.
Pour ce qui est de son bras opérationnel dans cette prise en charge, à savoir l’Office Africain pour le Développement et la Coopération (l’OFADEC), les déportés de la vallée sont  plus que jamais  déçus par son comportement à leur égard.
Rappelons  que l’OFADEC s’est engagé en faveur de la Redevabilité, dans le cadre de l’Humanitarian Accountiblity Partnersship(HAP) auquel il a souscrit. Autrement dit cet office  estime que dans son entreprise, entre autres, de protection et d’assistance aux réfugiés, ses actes se doivent d’être autant que possibles  rendus transparents vis-à-vis  des bénéficiaires que ledit office entend aider et appuyer. Et, cette Redevabilité s’entend par l’ensemble des mécanismes par lesquels les individus, les organisations et les Etats rendent compte de leurs actions et en sont tenus pour responsables, d’une part ; et d’autre part, par l’ensemble des mécanismes par lesquels les individus, les organisations et les Etats peuvent exprimer en toute sécurité leur plainte et/ou préoccupation et obtenir réparation.
Nous déportés mauritaniens de la vallée, pensons que nous sommes pris au dépourvu par l’OFADEC.
En effet, sept principes sont à la base de cette notion de redevabilité concernant le programme d’intégration locale dont il est ici question.
1.   Respecter et promouvoir les droits des bénéficiaires (refugiés)
2.   Etablir les normes applicables dans le travail d’assistance
3.   Informer ces bénéficiaires sur ces normes et leur droit de participer
4.   Impliquer les bénéficiaires dans la mise en œuvre et l’évaluation des projets qui sont destinés
5.   Donner la possibilité aux bénéficiaires et aux personnels de soumettre des plaintes et le cas échéant de trouver  des solutions  pour y remédier 
6.   Démontrer l’adhésion aux normes par la supervision et en faisant des rapports sur ce sujet
7.      Mettre en œuvre ces principes dans le travail avec des partenaires opérationnels.
Partant de ces principes, nous estimons que le programme d’insertion locale  en ce qui nous concerne et non d’intégration locale, tel que mené jusqu’ici est en porte-à-faux  avec ces principes en raison du manque de communication, d’implication des bénéficiaires. Toutefois, nous tenons à préciser que nous restons attachés à notre droit à l’information  en tant que liberté fondamentale et que garantit la déclaration universelle des droits de l’homme approuvée le 10 décembre 1948  par l’Assemblée générale des Nations Unies. Cette déclaration ainsi que la Charte des Nations Unies sont prise en considération dés l’entame du préambule de la Convention de 1951 relative au statut de Réfugiés. A cet égard, il est préciser que «l’organisation des Nations Unie a, à plusieurs reprises, manifesté la profonde sollicitude qu’elle éprouve pour les réfugiés et qu’elle s’est préoccupée d’assurer à ceux-ci l’exercice le plus large possible des droits de l’homme et des libertés fondamentales… »
Par ailleurs, un  autre aspect nous préoccupe profondément et qui  demeure toujours sans réponse, c’est celui de notre acquisition des cartes d’identité de refugié devant faire suite à la campagne d’identification des réfugiés aux Sénégal. Nous profitons de l’occasion pour poser  le problème continuel des réfugiés mauritaniens  qui ne sont pas  encore  identifiés et enregistrés pour l’obtention de la carte d’identité,  faute d’accès aux centres d’inscription (recensement) ou faute de communication. Soulignons que  selon les autorités sénégalaises, sur 10 010 cartes d’identité de réfugiés confectionnées, seulement 2 200 cartes ont été distribuées. La raison de ce retard est liée au déroulement de l’élection présidentielle de mars 2012 au Sénégal, qui constituait la priorité de l’administration. Rappelons, que la campagne d’enregistrement des réfugiés au Sénégal qui devait aboutir à l’établissement d’une carte d’identité de réfugié valant titre de séjour pour cinq ans avait débuté en mai  2011.
Aussi, nous interpellons l’opinion nationale sénégalaise et internationale sur ces faits regrettables et nous ne  saurions souscrire à un programme qui n’aurait pour fin que de nous utiliser et non nous servir, ceci  quitte à ce que l’aide internationale qui devrait nous être destinée soit bloquée, jusqu’au règlement des problèmes susmentionnés. Bien entendu, toutes nos revendications n’excluent  pas l’idée d’un retour éventuel dans notre pays à savoir la Mauritanie, dés lors où les conditions sociopolitiques seront satisfaisantes. Ce qui est loin d’être le cas pour le moment dans la mesure où il y sévit une crise politique sans précédent entre le pouvoir issu du coup d’Etat  militaire du 6 aout 2008 et l’opposition  et qui se traduit par le  non renouvellement du parlement mauritanien dont le mandat a expiré depuis novembre 2011.L’intérêt que nous portons sur la vie politique et sociale doit  rappeler  à ceux  qui feignent de l’ignorer,  que nous ne sommes pas des réfugiés classiques qui,  par suite d’événements survenus et craignant pour leurs vies, se trouvent hors de la Mauritanie dont nous avons la nationalité. Nous sommes des Apatrides de jure, pour notre écrasante majorité  et  avons été victimes de la déportation par notre propre gouvernement qui  politiquement et administrativement  a  décidé de dénier notre droit à la nationalité mauritanienne et à nous en priver.  Certes, nous sommes aujourd’hui sans nationalité, mais nous sommes tout proches  de notre pays et avons le privilège de l’apercevoir, pourvu que nous portions notre regard sur la rive droite du fleuve Sénégal  qui est à notre opposé. A cet égard, toute manœuvre ou manipulation visant à nous empêcher de recouvrer un jour nos nationalités mauritaniennes seront vaines, qu’elles proviennent d’individus ou d’institutions, elles seront considérées par nous  et à juste titre comme complicité dans la tentative de génocide contre les négro-mauritaniens et telle qu’elle fut envisagée par les autorités mauritaniennes entre 1989 et 1992. Comme en témoignent nos déportations massives dés 1989  au Sénégal et au Mali et qui ont été suivies d’expropriations à grandes échelles et de pogrom à caractère raciste contre nos concitoyens noirs se trouvant en Mauritanie et  notamment contre la composante noire de l’armée mauritanienne qui a été victime d’arrestations arbitraires et d’exécutions sommaires et dont les ayants-droit demandent toujours que justice soit faite. Vous comprendrez que de notre point de vue,  accepter de nous fondre dans la population sénégalaise qui du reste nous accueille dignement, par une naturalisation, c’est accepter le fait accompli d’une tentative de génocide. Vous comprendrez  donc que nous profitons de tous les avantages que le droit international nous procure pour préserver et recouvrer notre dignité. C’est aussi l’occasion de rappeler, que c’est pour la préservation de la dignité humaine que la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide approuvée le 9 décembre 1948, que la déportation et l’esclavage, entre autres, sont définis comme crimes contre l’humanité et sont considérés comme crimes de génocide dés lors où il sont commis dans l’intention de détruire un tout ou partie d’un groupe national. Ces définitions sont reprises par les articles 6 et 7 du statut de Rome de la cour pénale internationale. La déportation ou le transfert forcé de populations y sont définis comme « le fait de déplacer de force des personnes, en les expulsant ou par d’autres moyens coercitifs, de la région où elles se trouvent légalement, sans motif admis en droit international ». A cet égard, il s’offre à tout déporté mauritanien la possibilité juridique d’ester en justice en vue de réparer le crime de déportation dont il est victime. Une telle éventualité n’est pas  à exclure tant que nous restons attachés à notre pays et c’est la raison essentielle pour laquelle nous restons attachés à notre statut de réfugié au Sénégal, après vingt-trois ans d’exil. Cette éventualité devient de plus en plus probable, dans la mesure où un négationnisme de très mauvais augure concernant les violations massives et graves des droits de l’homme des années 1989-1990 cherche à se frayer un chemin en Mauritanie et qui irrémédiablement risque de ruiner le combat des rapatriés que constituent les ex- réfugiés du Sénégal, ceci en vue du recouvrement de tous leurs droits suite à leurs expulsions  en 1989-90. Des droits pourtant garantis par l’accord tripartite susmentionné et non respectés pour l’essentiel par les autorités mauritaniennes qui en sont pourtant partie prenante. Pour finir, nous exigeons au nom de la dignité humaine que l’on se penche sur la question des déportés et réfugiés mauritaniens qui n’ont pas bénéficié des avantages obtenus par nous réfugiés du Sénégal. Aussi, nous remercions tout de même les autorités sénégalaises et celle du HCNUR , pour les efforts consentis pour la solution de nos problèmes  et en espérant toujours que d’autres efforts encore plus fructueux seront menés à cet effet.

Vive la liberté, la démocratie et la justice.

Le cadre de concertation  des déportés et réfugiés mauritaniens de la vallée du fleuve Sénégal
                                                          
                                                             Richard Toll, le 20 juin 201     
                     
                             Source : Moustapha Touré

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