Ce
texte vient d'être de remporter Prix Habib Ould Mahfoud du Jeune
Journaliste en Herbe 2012. Son Auteur Dialtabé Diop est aujourd'hui
parmi les rares journalistes mauritaniens à dénoncer les pratiques
esclavagistes en Mauritanie, le règlement du passif humanitaire et la
discrimination des négro-mauritaniens. Son auteur est lauréat de la
mention spéciale du journalisme contre l'impunité en Afrique, 2012
organisé au Cameroun.
J'ai le plaisir de vous le partager avec vous avant toute publication officielle.
« Il est beau de ne pratiquer aucun métier, car un homme libre ne doit pas vivre pour servir autrui. » disait Aristote.
Bien
qu’il ait été aboli en 1981, l’esclavage continue d’exister en
Mauritanie. La Loi N° 2007-048 du 03-09-200, portant incrimination de
l’esclavage est restée comme un cautère sur une jambe de bois, sur le
dos des asservisseurs. Son adoption en 2007 par le parlement n’a pas eu
le coup d’éclat escompté, malgré l’appel de pied des organisations de
droits de l’homme qui continuent de crier au scandale. « Quiconque
réduit autrui en esclavage ou incite à aliéner sa liberté ou sa dignité
ou celle d'une personne à sa charge ou sous sa tutelle, pour être
réduite en esclave, est puni d'une peine d'emprisonnement de cinq à dix
ans et d'une amende de cinq cent mille ouguiyas (500.000 UM) à un
million d'ouguiyas (1 000 000 UM). »
Voté
et adopté par les parlementaires, l’article 4de la loi No 2007,
incriminant l’esclavage n’inquiète guère les esclavagistes. L’affaire
des deux mineures, Selama Mint Mbarek et de sa sœur Maimouna Mint
Mbarek, a montré les limites de son application. Âgées respectivement de
14 et 10 ans, leur histoire avait ulcéré au mois de mars dernier,
l’opinion public et suscité un tollé dans le rang des
anti-esclavagistes.
Devenu
un sujet tabou, l’esclavage en Mauritanie n’a pas encore livré tous ses
secrets. Les témoignages des victimes, le combat mené par les
organisations anti-esclavagistes, ainsi que la criminalisation de
l’esclavage par l’Etat n’ont pas permis d’éveiller les consciences des
esclavagistes et de beaucoup d’esclaves qui continuent de broyer le pain
noir.En Mauritanie, l’esclavage et ses séquelles demeurent des réalités
incontestables et ils sont liés aux systèmes de castes.
«
Les mortels sont égaux; ce n'est point la naissance, C'est la seule
vertu qui fait leur différence. » La population de la Mauritanie est
composée de deux grands groupes culturels et ethnolinguistiques: les
Arabo-Berbères et les négro-africains (pular, soninké et ouolof,), il
existe une autre communauté de noirs, appelés les Haratines. Nombreux
d’entre eux vivent jusqu’à présent sous le joug de l’esclavage, même si
certaines personnes continuent de le nier. MOB, est un descendant
d’esclaves. La trentaine, il est cadre dans la fonction publique, il
nous raconte les dessous de l’esclavage «Les esclaves harratines sont
considérés par leurs maitres (arabo-berbères) comme des possessions et
subissent des traitements dégradants. Ils travaillent pendant de longues
heures et ne sont pas rémunérés pour leur travail. Ils dépendent
totalement de leurs maîtres pour leur nourriture, leur habillement et
leur logement. » Une dépendance économique et psychologique qui empêche
l’esclave de quitter son maitre, même s’il est affranchi, car il ne sait
pas où aller.
Une exploitation physique et morale qui a été souvent décriée par les ONG anti-esclavagistes, telles que SOS-ESCLAVES et IRA.
Une exploitation physique et morale qui a été souvent décriée par les ONG anti-esclavagistes, telles que SOS-ESCLAVES et IRA.
Affranchis
ou en fuite, les esclaves harratines vivent dans des conditions
difficiles à l’extérieur des grandes villes. Pauvres, ils n’ont guère
accès aux services de base tels que l’éducation et leurs possibilités
d’emploi sont limitées. Ils occupent fréquemment des emplois emplois
subalternes dans les centres urbains ou deviennent des dockers au port
ou gardiens de maison. Nombreux d’entre eux n’ont pas été déclaré par
leur maitre à leur naissance, entrainant de problèmes majeurs
d’identification dans les registres nationales. En nombre, les esclaves
affranchis vivent dans des régions pauvres et reculés (triangle de la
pauvreté, Lexeiba Barkéol et Mbout)L’autodafé perpétré par le leader de
l’IRA (incinération de livres du rite malékite jugés esclavagistes) est
venu éveiller les consciences sur ce fléau.
Selon
notre interlocuteur, cet acte controversé dénonce le ras bol des ongs
antiesclavagistes qui ne savent plus à quel saint se vouer.Lors d’une
conférence de presse organisée au mois de mai dernier, le président de
l’assemblée nationale avait réagi face au refus des pouvoirs publics de
reconnaitre l’esclavage en Mauritanie. « En Mauritanie, où l’esclavage
est officiellement interdit depuis 31 ans et criminalisé depuis cinq
ans, cette pratique « existe bien » et le nier « nuirait à son
éradication ». L’esclavage existe bien en Mauritanie, nous devons le
reconnaître et éviter de le nier parce que cela nuirait à son
éradication», avait-il déclaré .
En
milieu negro-africain, l’esclavage est beaucoup moins visible. Les
esclaves et leurs descendants occupent le dernier rang de l’échelle
sociale, mais ne dépendent pas de leurs maitres pour survivre par
rapport aux esclaves harratines. Les nobles et les hommes libres sont au
sommet de la hiérarchie, suivis par les forgerons et les musiciens. Ce
que l’esclave négro-africain partage avec le haratin, c’est le mépris
dans le regard du prétendu noble.Aujourd’hui nous n’avons pas un chiffre
exact du nombre de personnes qui vivent en situation d’esclavage en
Mauritanie, aussi bien dans les villes que dans les campagnes
mauritaniennes.L'esclavage dont souffre le pays a de profondes racines
historiques, sociologiques, culturelles et économiques et la lutte pour
l’éradiquer est par définition un processus long et complexe comme le
prouvent les expériences de nombreux autres pays. Le faible niveau
d'information des victimes et des populations en général, les préjuges
sociaux tenaces, les lacunes de l'arsenal juridique, la mauvaise volonté
de nombreux secteur de l'appareil d'Etat, le faible niveau de
scolarisation et de succès scolaire, la pauvreté et la marginalisation
qui en découlent, mais aussi la résistance tenace des forces
conservatrices de la société sont autant de facteurs qui limitent les
progrès dans ce domaine.
« Les lois sont faites pour secourir les citoyens autant que pour les intimider. »
« Les lois sont faites pour secourir les citoyens autant que pour les intimider. »
L’ordonnance
no 081-234 du 9 novembre 1981 portant abolition de l’esclavage
constituait une mesure extrêmement importante, mais elle comportait
plusieurs lacunes.
L’adoption,
le 3 septembre 2007, de la loi portant incrimination de l’esclavage et
réprimant les pratiques esclavagistes a constitué une étape cruciale
dans l’approche de cette question en Mauritanie, même si l’application
des textes a toujours fait défaut.Pour trouver une solution à ce fléau
qui menace l’unité nationale, nous avons rencontré quelques leaders
d’ong de droits, de l’homme.
Fervent
défenseur des droits de l’Homme, Boubacar Ould Messaoud, président de
l’ONG SOS-ESCLAVE, déclare « Il est essentiel, que les victimes, la
société civile, et les autorités a tous les niveaux unissent leurs
efforts pour surmonter les nombreux obstacles a travers une volonté
politique réelle et sincère, une vision et une stratégie et des
programmes appuyés par des ressources conséquentes. Il faut pour cela
que des études scientifiques soient encouragées pour approfondir les
connaissances sur la situation et identifier des critères objectifs de
mesures des progrès. Il faut que les victimes et les ONG concernées
jouent un rôle actif à cet égard et ne soient pas maintenues à l'écart
de la planification, de gestion de tels programmes. »
Même
son de cloche pour le président du Forum National des droits
humains(Fonadh), Mamadou Sar qui déclare « En adoptant une nouvelle loi
sur l’esclavage en septembre 2007, la Mauritanie a, pour la première
fois, levé un pan du tabou sur l’esclavage, même s’il a fallu plusieurs
décennies de lutte pour qu’une loi incriminant l’esclavage puisse être
adoptée.
Cependant,
l’esclavage continue d’être pratiqué en Mauritanie du fait de l’absence
des mesures d’accompagnement efficaces pour lutter contre ce phénomène,
mais aussi de la non application de la loi, qui fait désormais de
l’esclavage un crime.
Les
cas d’esclavage traités depuis l’adoption de loi 2007-048 démontrent
que les pratiques esclavagistes demeurent récurrentes en Mauritanie.
Mais au vu de ce qui précède, il n’est pas étonnant que les autorités
contribuent à perpétuer ces pratiques d’un autre âge par le silence et
la collusion, la banalisation des faits qui consiste à réduire des
pratiques esclavagistes en une simple affaire d’exploitation domestique.
»
La
présidente du Comité de Solidarité avec les victimes, Mme Lalla Aicha
Sy demande quant à elle, l’application des textes juridiques. « Pour
lutter contre l’esclavage l’Etat mauritanien doit : prévoir de
meilleures conditions de vie pour les esclaves (travail décent, santé,
éducation logement …). L’Etat doit veiller à l’application des textes
juridiques, en sanctionnant ceux qui pratiquent l’esclavage.
Sensibiliser les esclavagistes sur la loi incriminant l’esclavage et la
conséquence fâcheuse et inadmissible de cette pratique. Veiller à
l’application des textes juridiques, en sanctionnant ceux qui pratiquent
l’esclavage, ce qui ne pourrait se faire qu’avec l’indépendance de la
justice qui doit avoir les moyens adéquats pour accomplir cette mission.
»
«
C’est l’amour de nous-mêmes qui assiste l’amour des autres; c’est par
nos besoins mutuels que nous sommes utiles au genre humain. »
Par
ailleurs la lutte contre l'esclavage et ses séquelles doit être menée
en coordination avec toutes les luttes contres toutes les injustices qui
prévalent dans la société mauritanienne sur la base d'une analyse
objective sans tabous et fondée sur les valeurs essentielles d'équité,
de justice loin de toute instrumentalisation de type conjoncturel ou
particulariste.
La
lutte contre l'esclave est dirigée contre l'esclavage, les
esclavagistes et ceux qui les soutiennent, pas contre une communauté
quelconque en tant que telle et tous les citoyens mauritaniens épris de
justice et d'équité et soucieux de l'avenir du pays devraient la
rejoindre et y contribuer. La lutte contre l'esclavage est
fondamentalement une lutte pour la justice et le respect de l'être
humain. Elle puise ses sources aussi bien les orientations de notre
religion, l’Islam, en faveur de la justice et de la liberté de l'homme,
les traditions positives du peuple mauritanien que dans l'héritage
commun de l'humanité en matière de droits de l'homme. Elle fait partie
intégrante et contribue considérablement à la lutte générale pour la
démocratie, le développement, la prospérité du pays, l'unité et le
bonheur de son peuple.
Elle
fait partie du vaste effort de tous les hommes sur tous les continents
pour la construction d'un monde meilleur pour les générations actuelles
et futures. La Cour Internationale de justice (CIJ) fait de la
protection de l’esclavage l’un des deux exemples « d’obligations
découlant du droit relatif aux droits de l’homme » ou obligations
incombant à un Etat envers l’ensemble de la communauté internationale.
La pratique de l’esclavage est donc universellement considérée comme un
crime contre l’humanité, et le droit de ne pas être soumis à l’esclavage
est jugé fondamental « que toutes les nations sont tenues d’attaquer
les Etats qui le violent devant la Cour de justice »
Dialtabé Diop
Source: Flere.fr
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