Depuis un
certain nombre d’années, j’observe un phénomène curieux qui est que le FLAM (ou
en tout cas certains de ses membres) combat des Noirs qui luttent et qui ne
partagent pas toutes ses valeurs ou qu’il ne maintient pas sous sa coupe. Je dis
souvent à des amis mauritaniens qu’ils font le travail du pouvoir à sa place.
Certaines pratiques du mouvement ont participé à diviser, exclure, freiner l’efficacité
de la lutte.
Pourquoi le fait
d’être noir impliquerait nécessairement un alignement sur la ligne politique du
FLAM ? Ensuite, quel est l’intérêt qu’a le FLAM à s’en prendre à ses
propres frères militants qui ne le combattent pas mais dont le seul tort est
d’avoir une autonomie de pensée.
Je pense
qu’une société est riche de sa diversité, il en est de même pour des mouvements
de lutte. Une pensée uniforme est toujours dangereuse et est signe de
médiocrité collective. On peut ne pas être d’accord sur tout mais accepter que
l’on partage certaines idées.
A mon avis,
le champ mauritanien se caractérise par sa banalité et son ignorance. Ainsi, ce
sont surtout les sentiments qui prennent le dessus sur la rigueur intellectuelle.
Cela se traduit au quotidien par le fait que chacun peut prétendre à tout quel
que soit son niveau. La parole, le m’as-tu-vu prennent une place importante sans
que des actes ne suivent.
Aussi, le
fonctionnement en groupe où l’individualité a très peu de place pose un réel problème.
Il est difficile de faire avancer une société où l’individualité créatrice est
étouffée : être différent est très mal compris dans le milieu mauritanien.
Or, toutes les sociétés ont progressé grâce
au courage et au génie de certaines
personnes et l’acceptation de la différence. L’idée n’est acceptée dans cet
environnement que lorsqu’elle émane de certaines personnes ou est l’objet de
consensus souvent affectif et non critique.
Le FLAM est
le reflet de la société mauritanienne et particulièrement haalpulaar actuelle.
La singularité y est mal perçue. On
avance en troupeau. La rumeur, les idées préconçues, les jugements hâtifs de
chaque individu se répandent vite et figent l’identité de la personne qui en est
la victime. On n’a pas encore intégré
que l’être, l’autre est une énigme. L’esprit d’Emmanuel Levinas[1]
n’a pas encore gagné du terrain dans ce milieu. On n’a guère assimilé que
« rencontrer un homme, c’est être tenu en éveil par une énigme. »
Ainsi, les âmes singulières sont considérées comme des marginaux.
Je pense
qu’il est de l’intérêt d’un peuple d’avoir des pensées différentes. Le FLAM doit intégrer que ceux qui ne sont pas de sa ligne
politique ne sont pas nécessairement ses
ennemis et qu’au contraire ils partagent
certaines idées avec certains d’entre eux. D’autre part, son ennemi ne doit pas
être un militant harratine ou négro-mauritanien ou même maure progressiste
mais le système politique mauritanien. Il a plus intérêt à rassembler qu’à
dépenser son énergie à diviser, à écraser des individus. A mon avis, leur
attitude dénote d’une faiblesse, car il est plus facile de chercher à abattre un
militant, de s'acharner contre un acteur politique harratine ou
négro-mauritanien que de lutter contre les pratiques du Général Aziz. Il est
plus facile de trouver jouissance dans des attaques personnelles que de faire
tomber la tour du Général. Il aussi plus aisé de diriger son énergie contre des
personnes que des créer un mouvement ayant une véritable assise populaire
capable de faire front aux pratiques du système.
Un jour,
j’ai entendu dire, de la part de Halpulaar, se prétendant militants, parlant de
Birame, «Nous ne voulons pas d’un Harratine comme dirigeant ! ». Il s’agit là d’une bêtise.
Un ami poète camerounais dit que les Africains
sont dans une logique d’échec collectif. On ne doit pas combattre des gens qui
font des choses, qui réussissent à poser des actes mais les soutenir. Malheureusement, de nombreux militants noirs
croient exister dans l’abattage de l’autre. Il suffit de lire ce que les uns
écrivent sur les autres pour voir la teneur de la violence des relations. Je
crois qu’il est temps que l’on sache qui est vraiment l’ennemi du peuple. L’ennemi du peuple n’est pas les Harratine ou des Négro-mauritaniens
indépendants d’esprit, des Maures victimes,
mais un système politique.
Une autre
question mérite que l’on y prête attention. Je ne comprends pas pourquoi
certaines personnes ne veulent pas qu’il ait un rapprochement entre la lutte
harratine, des dominés d’une manière générale, et la lutte négro-mauritanienne. Luttent-ils
pour la justice ou pour autre chose ?
A force de
réfléchir, il me semble que la lutte négro-mauritanienne est une lutte pour
l’accès au pouvoir et non un combat pour les droit civiques. Ce qui explique
que les mouvements négro-mauritaniens n’aient jamais condamné avec véhémence
l’esclavage. En fait, cette lutte est fortement marquée par la féodalité
négro-mauritanienne. Les Négro-mauritaniens appartiennent à une société féodale. Ils veulent le pouvoir comme les Maures mais se
soucient peu de l’égalité des citoyens. En réalité, la lutte négro-mauritanienne
cible le racisme d'État. Les questions relatives à l’égalité des citoyens ne
l’intéressent guère. Les sociétés
négro-mauritaniennes sont inégalitaires, divisées en castes. La féodalité maure
et négro-mauritanienne tient les rênes du pouvoir en Mauritanie. Ceux issus des basses couches en
sont marginalisés. On peut donc comprendre que la question de l’égalité des
citoyens ne soit pas prise en charge dans la lutte négro-mauritanienne.
Il est peut-être
temps de changer de registre, de saisir que la lutte doit être celle des droits
civiques et de l’égalité des citoyens. Tant que l’on n’aura pas compris cette dimension
de la question, les problèmes vont continuer à se poser. C’est une illusion que
de fermer les yeux sur une réalité. La Mauritanie est un pays où la notion de
l’égalité n’est pas intégrée. La lutte
des Noirs, comme celle des Maures dominés, doit être celle de l’égalité et non de la défense de communauté inégalitaire.
Le
changement en Mauritanie ne peut se faire sans tenir compte des effets
dévastateurs que l’esprit féodal fait peser sur le fonctionnement de l’Etat.
« Au
sein des sociétés maure, négro-africaine et harratine les êtres humains ne sont
pas égaux. Et entre ces communautés, il existe une hiérarchisation dans le
rapport au pouvoir. Les féodaux maures
sont les premiers bénéficiaires du système, suivent les féodaux négro-mauritaniens et en bas de
l’échelle les Harratine. En ce qui concerne cette hiérarchie, Maures et Négro-mauritaniens
sont d’accord.
Chez les Maures
et les Négro-africains, la société repose sur des castes. Les deux féodalités
se sont souvent alliées pour profiter du pouvoir. On voit donc aisément comment
la féodalité négro-africaine a été complice de la domination des Maures. Un
exemple : Pendant les événements de
1989. Pour être prudent, dans certains villages, pour ne pas dire dans de
nombreux villages, le tri des déportés s’est fait en fonction de l’appartenance
à des castes. Certains féodaux ont fait croire aux Maures qui déportaient que
certains Négro-mauritaniens étaient des Sénégalais. De nombreuses personnes
issues de la féodalité négro-mauritanienne se sont alliées avec Mawiya Ould Sid
Ahmed Taya entrainant avec elles leurs vassaux. Ce sont aussi celles issues des
classes supérieures négro-africaines qui se sont présentées comme candidats aux
élections. Je peux multiplier les exemples.
Un autre
exemple me parait intéressant. Les luttes féodales traversent les mouvements
politiques négro-mauritaniens. J’ai mis du temps pour le comprendre. Mais
certains comportements qui ont empêché de faire progresser la lutte à Paris
sont dus à la gestion féodale de ces mouvements.
L’impact de
l’esprit féodal sur le sort des Harratine est évident. Ce n’est pas pour rien
que la question harratine n’a pas été prise en compte par les Négro-africains. Les sociétés négro-africaines sont
elles-mêmes divisées en castes et les êtres ne sont pas reconnus comme égaux. Le
statut d’esclave n’est pas une chose outrageante. On connaît même le mépris des
Négro-africains à l’égard des Harratine. On peut donc comprendre pourquoi les Harratine
n’ont pas bénéficié du soutien des Négro-mauritaniens.
La
féodalité doit être combattue pour plusieurs raisons : En Mauritanie, c’est
elle qui a le pouvoir. Ce n’est pas le mérite de l’individu qui compte mais ses
origines. Ainsi, c’est la féodalité qui est à la tête de l’Etat.
L’esprit féodal est partagé par tous les esprits y compris ceux des dominés, ce
qui empêche l’émergence d’une lutte pour une véritable démocratie en
Mauritanie. Si l’esclavage se perpétue aujourd’hui en Mauritanie, c’est parce que
l’esprit féodal anesthésie les dominés. »[2]
Aujourd’hui,
nous devons chercher à nous rassembler autour de valeurs, unifier des forces
pour créer un Etat véritablement démocratique.
Oumar Diagne
Écrivain
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