L’actualité en Mauritanie est dominée par l’acte condamnable et répréhensible du Président de l’IRA Monsieur Birame Oul Dah Ould Abeid. L’IRA s’est, à juste titre, excusée. Le Président AZIZ en a profité pour susciter et organiser des réactions hystériques en chaîne. Ma culture religieuse est assez limitée pour porter un jugement juridique éclairé et éclairant. L’ampleur de la condamnation est à la mesure de l’importance d’un autre sport national, l’hypocrisie collective.
L’analyse de l’acte et du combat de l’IRA peut être apprécié en se fondant sur deux repères : la conjoncture nationale délétère et les tares structurelles de la société et de l’Etat mauritaniens.
La conjoncture nationale est à l’image du seul responsable de la dilution des repères, de la brutalité comportementale, du mensonge et de la démagogie organisée et, plus grave, des divisions et de l’arbitraire. Ce seul responsable a pour nom Mohamed Ould Abdel Aziz. Depuis, son accession brutale au pouvoir, au nom dont on ne sait quelles franges de la population, il a distillé les germes de la division : les élites contre le peuple, les riches contre les pauvres, les tribus les unes contre les autres, les noirs contre les blancs, les noirs contre les noirs, les intègres contre les prévaricateurs. Le pays s’est mué en un cirque géant. Jamais on n’a atteint un tel niveau d’abîme de l’Etat et de déconfiture morale.
Deux récents événements indissociables de l’acte condamnable de Monsieur Birame restituent bien les caractéristiques du climat actuel dans notre pays : l’attaque frontale contre les religieux et les guides à Nouadhibou et les propos tenus à l’encontre, dit-il, du « million de poètes » oubliant au passage qu’il s’agit ici, non pas de poésie mais, de culture qui est l’essence même de l’homme et l’âme du mauritanien authentique. Mais, pardonnons-lui son incurie évidente. S’attaquer aux guides religieux appelés barbus en les traitant de menteurs et d’imposteurs n’est pas moins condamnable que l’acte de Birame.En outre, traiter avec une désinvolture inqualifiable ce qui est la marque et le fond du patrimoine national en dit long sur l’atmosphère créée par, non pas, un modeste militant mais, par un Président de la République.
Et, pourtant aucune marche n’a été organisée pour condamner l’attitude abjecte et les propos hasardeux de la personne censée rassurer, sauvegarder, respecter et faire respecter. Aucune manifestation quand la TVM a diffusé les corps déchiquetés d’êtres humains, musulmans de surcroît.
En fait, la diffusion en boucle de la scène de Birame sur la télévision nationale est en soi condamnable et incompréhensible. Si un citoyen commet un acte ignoble qui heurte la morale et piétine notre foi collective, l’Etat ne saurait et ne devrait en faire étalage. La banalisation de l’acte n’a d’égale que le cynisme du Président de la République. D’autant plus que nous savons que le passage sur la TVM a été décidé par le Président lui-même. Qu’on ne vienne pas dire que c’est le Directeur Général qui en a décidé ainsi.
A cet égard, les médias publics et leur Chef AZIZ doivent être condamnés sans ambiguïté. Aucun Chef d’Etat mauritanien n’aurait accepté une telle diffusion. C’est à la fois immoral et irresponsable. Jeter de l’huile sur le feu n’est pas du niveau d’un Chef d’Etat.
Mais le fond de la question est ailleurs. Brutaliser la société, banaliser les outrances et les transgressions récurrentes, stigmatiser toutes et tous, y compris les Oulémas ne conduisent qu’à la déconfiture morale et à aux actes odieux en tout cas hasardeux. Comprendre et expliquer l’acte de Birame et bien d’autres découlent du comportement pervers de l’Etat lui-même.
Par ailleurs, comment comprendre le « Statut de Commandeur » des croyants et de défenseur de l’islam d’un personnage qui fait l’exact contraire des prescriptions de cette sainte religion tous les jours : mensonge, démagogie, arbitraire, outrance et remise en cause de l’intégrité des Oulémas et leur mépris ? L’adhésion-fourvoiement des foules venues exprimer leur condamnation devant le palais présidentiel est tout simplement grotesque. C’est l’expression de cette hypocrisie collective qui mine et gangrène le corps social. Jamais, un peuple n’a fait preuve d’une aussi déroutante versatilité et d’aussi grands écarts vis-vis de la vérité et des questions de fond.
En effet, l’acte de Birame, au-delà de son caractère abject et contreproductif, pose une véritable question : islam/esclavage/république.
Cette question doit être abordée, sans tabou mais, avec sérieux et responsabilité. Il y va de la cohésion sociale et nationale. Aussi longtemps qu’on n’aura pas crevé cet abcès nous ferons face aux pires turpitudes. Dans un ancien article, le Professeur Yahya Ould El Bara avec la bénédiction de Abdel Weddoud Ould Cheikh, à l’époque Directeur de l’IMRS, avait tenté d’interroger l’islam et tous les référentiels religieux sur ces questions. Son article s’intitulait Al-tabi’iyya ‘ind al-fuqahâ’ al-mûrâniyyîn, waqfat ta’ammul (pp122-145). Bien sûr, il a été censuré et le bulletin AL-Wasit avec. C’est dire combien est sensible cette question pour les tenants du système archaïque et inégalitaire qui prévaut dans ce pays.
A cet égard, l’acte aussi odieux que condamnable de Monsieur Birame ne doit pas être l’occasion de se voiler la face. L’Etat mauritanien et son clergé prompts à organiser des cirques doivent savoir qu’aucune société ne peut vivre en harmonie si certaines franges continuent à être des bêtes de somme. Les conditions de vie des esclaves etanciens esclaves sont justifiées de manière sadique par des versions de la sharî’a. Est-ce justifié ? Est-ce vrai ? Voilà les questions auxquelles Birame et d’autres veulent des réponses. A ces questions principielles s’ajoutent les séquelles psychologiques : racisme, mépris, statut de citoyen de seconde zone…
Plus généralement, un Etat démocratique est-il compatible avec une généralisation de l’appartenance à une religion ? La Constitution qui fonde l’Etat mauritanien d’aujourd’hui garantit toutes les libertés et intègre les principes édictés par la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. A cet effet, qu’on le veuille ou non elle pose une autre question suscitée par l’acte de Birame : sommes en tant que citoyens soumis à l’hégémonie d’un seul et même système de pensée religieuse? Le statut de l’esclave est-il celui du citoyen défini par la constitution ou la Shari’a ? Voilà les vraies interrogations qui méritent d’être abordées collectivement pour garantir une évolution citoyenne responsable.
Certains pensaient tuer ou corriger Monsieur Birame. Attention nesuivez pas la manipulation d’un Président aux abois. Il est aussi outrancier que peut l’être Birame. Assassiner un Harratine qui a exprimé, de manière contreproductive, la sédimentation de frustrations séculaires conduira à la guerre civile et au désastre. La vague de changement ne s’arrêtera jamais. Il n’est pas tard d’en maîtriser l’évolution.
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