La Mauritanie regorge d’intellectuels, de talents et de génies. Des ressources humaines mal exploitées, ou plutôt dilapidées à l’instar de ses richesses. Les divisions d’antan hantent la jeunesse comme par héritage de la vieille garde. Si bien que les intellectuels ont failli à leur mission d’éclaireurs pour une société qui en a fort besoin. La présence sur la scène politique des mêmes acteurs depuis deux décennies réduit tout à des positions partisanes dictées pour certains par l’intime conviction, et pour d’autres par des tendances politiques plus proches d’organisations mafieuses qu’autre chose. Cette fissure de la classe intellectuelle profite au même groupe qui s’est enrichi par le pillage des deniers publics et dont le seul souci est désormais de sécuriser des biens mal acquis contre toute lumière.
En dehors même des sensibilités politiques, le poids de la tradition est le cauchemar du Mauritanien, d’ailleurs à juste titre, comme dans bon nombre de pays pauvres. Comme par hasard, la tradition se retrouve en position de frein au développement. Une tradition qui lutte pour sa propre survie et qui voudrait que la société reste éternellement une société de classes. C’est là le vrai piège de nos intellectuels puisqu’ils se soumettent à cet exercice de conservation des valeurs qui va les réleguer en majorité au rang de bons à rien. Le clivage est visible partout, dans toutes les sphères de la société. Que ça soit entre maures et noirs, entre tribus maures ou entre castes noires, les mêmes divisions apparaissent pour la même raison. La pensée libre ne peut être produite que si on se soumet à son libre arbitre. Il faudra donc se libérer de l’emprise des traditions pour devenir une sorte de bête de somme pour la société. Adieu les sentiments d’amour propre et de compassion qu’on nous a fait croire utiles et obligatoires. Fini ce sentiment d’être redevable envers la société. Il faut rompre avec l’idée d’obéissance aux valeurs qui ne cherchent en réalité qu’à garder une image temporelle de la société : cette photo prise à un instant, précieusement cadrée et éternellement accrochée sur la façade de la société.
A mon sens et c’est un avis personnel très discutable, le progrès social est plus fort que la conservation des valeurs. Cependant, ces valeurs présentent un intérêt historique lorsqu’elles sont évolutives dans le temps. C’est l’histoire même de la société. Donc c’est cette histoire-là qu’il faut enseigner et la laisser suivre son cours. Et si elle restait figée à un ensemble de valeurs, on voit que l’histoire de la société se réduit à celle des hommes. Des hommes sans idées propres ou aux idées réduites à la pensée imposée par les thèmes tolérés de la société. Des hommes sans histoire amenés à représenter l’histoire ! La meilleure forme de conservation des valeurs est l’enseignement de l’histoire de la société dans laquelle ces valeurs sont évolutives. C’est donc une collection de photos prises à des instants différents et non la même photo reproduite à chaque instant.
Le Mauritanien est loin de prendre la mesure du problème. C’est pourquoi il va rester attaché à ces valeurs en toutes circonstances. On sait bien qu’il y a un malaise ; on voit à peu près où il se trouve, mais on n’ose pas le pointer du doigt. Tellement on a appris à penser par la société que notre pensée libre en est morte. Alors, les intellectuels Mauritaniens, tels des clochards, vont se livrer à une autre bataille sans finalité morale, à savoir la critique de la production intellectuelle de leurs pairs, sans se soucier du vrai problème social auquel ils devront pourtant s’atteler un jour. Un mauritanien prédestiné à être riche, vit riche et ignorant : c’est le cas de Aziz et Taya entre autres. Ce mauritanien est riche parce qu’il est maure et avantagé par un système discriminatoire injuste et criminel. Un autre mauritanien prédestiné à être riche, vit riche et menteur : c’est le cas de tous les nègres de service. Ce mauritanien noir est riche parce qu’il a choisi de sacrifier les noirs pour un confort matériel. Un autre mauritanien prédestiné à être riche, vit pauvre parce qu’il est honnête et se contente de tout et de rien. Ce mauritanien-là est typiquement noir, victime de la ségrégation imposée par le régime ou de l’esclavage. Il peut aussi être maure, victime d’une discrimination tribale selon laquelle il y a des « khayma kebir » (grande tente ou nobles) dont il ne fait pas partie. Si on explore la société de long en large, on se rend compte que même si les formes d’injustice ne sont pas les mêmes, la majorité absolue de la population souffre de ces groupuscules incultes dont l’arme de prédilection est la violence répressive et les crimes organisés.
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