Lorsqu’un militant des droits de l’homme, de l’envergure de Birame ould Dah Ould Abeid, internationalement reconnu et primé pour le combat qu’il mène pour la promotion des droits de l’homme en Mauritanie notamment pour l’éradication de l’esclavage dans ce pays, se permet d’incinérer délibérément des recueils de textes religieux du culte musulman malékite favorisant l’esclavage, cela ne saurait surprendre et outrer que des gens qui ignorent tout de l’homme ou feignent de l’ignorer et sont prêts à le condamner, à le vilipender voire l’assassiner sans aucune forme de procès. Ceux qui ont approché Birame et l’accompagnent dans son combat ont bien perçu le sens de cet acte qui, une foule d’individus, relève de l’impiété. Cet acte, à regarder de près, relève plutôt d’une certaine responsabilité au plan éthique. On ne percevrait pas le sens Ethique du combat de Birame, s’il n’était une autre façon, une autre démarche plus radicale de combattre l’esclavage encore persistant subi par ses frères noirs, haratines soumis sans distinction de sexe, d’âge, à une servitude humiliante et dégradante, parce qu’un certain ordre religieux musulman, en Mauritanie, y véhicule une idéologie visant à la légalisation dogmatique de l’esclavage et dont il garantit le maintien, la perpétuation. Pourtant, il existe bien une loi votée en août 2007 par l’assemblée nationale mauritanienne criminalisant l’esclavage.
Comment s’explique, alors, ce qui apparait bien ici comme une distorsion, un déséquilibre entre une morale religieuse et une morale étatique qui se veut dans son inspiration démocratique ? Posée en ces termes, la polémique, autour de l’autodafé d’ouvrages soi-disant musulmans par Birame Dah Ould Abeid, le président de l’organisation qui répond au nom de initiatives du mouvement de résurgence abolitionniste (IRA) luttant contre l’esclavage persistant en Mauritanie, pourrait être abordée et traitée correctement de façon dépassionnée, en tournant le dos à tout fanatisme, aux attitudes opportunistes et à toute volonté de récupération sociopolitique d’un acte que l’on s’acharne à présenter, d’une manière fortement médiatisée, comme une offense à l’islam et à tous les musulmans. Il y a quelque chose que doivent savoir ceux qui exigent des autorités mauritaniennes des sanctions contre Birame, ils vont devoir trouver des vérités, des arguments solides pour contrer les motifs qui l’ont conduit à perpétrer l’acte qu’on lui incrimine. Un acte qu’il ne reniera pas et qu’il a justifié le vendredi 27 avril 2012, au cours d’une conférence de presse donnée à la veille de son arrestation. Il justifie l’incinération de ces recueils soi-disant islamiques, parce qu’ils contiendraient des passages où il est y dit, par exemple, qu’un maitre « peut, à tout moment, prononcer la nullité du mariage de son esclave (homme ou femme), s’il veut le vendre…le maître peut castrer son esclave pour qu’il s’assure qu’il n’aura pas de rapports sexuels avec sa maîtresse... ». Aussi, La vraie question qui se pose, ici, dans ce qu’il convient d’appeler l’Affaire Birame, n’est ni plus ni moins que la question du rapport des mauritaniens aux valeurs, en général. Et, plus particulièrement, en ce qui nous concerne ici, les valeurs auxquelles certains d’entre eux se référent pour asseoir et perpétuer l’esclavage. Ne cherchons pas ailleurs. Il faut se poser les vraies questions, pour pouvoir appréhender ce qui, ici, est en jeu. Est-il admissible, qu’un pays ayant soi-disant opté pour une constitution démocratique et l’a adoptée, accepte, en son sein, ne serait-ce qu’un instant, la pratique de l’esclavage qui dans sa négation foncière de la liberté de la personne humaine se situe aux antipodes de l’idée de la Démocratie et de ses principes fondateurs ? Aussi, faut-il rappeler que la démocratie telle que nous la connaissons, aujourd’hui, avant de devenir une culture, un art de vivre, un système de gouvernement a été pensée plus particulièrement au dix-huitième siècle, celui des lumières, en partant d’interrogations sur les principes de la politique et cela dans le cadre d’un système rationnel structuré autour des concepts de Souveraineté et de Liberté. En effet, c’est par la suite que des hommes ont été mus par la volonté d’établir des institutions visant à assumer le gouvernement du peuple par le peuple et le but qui les animait était de protéger les libertés individuelles afin d’empêcher que les autorités politiques oppressives ne les piétinent. Ainsi, Ce qu’il faut savoir c’est que lorsqu’un peuple se réclame de la démocratie et adopte une constitution qui y est conforme, il ne fait au fond, qu’exprimer la souveraineté du Droit, en donnant à la notion de Liberté une réalité substantielle. La liberté qu’un peuple énonce dans sa constitution n’est que l’idée subjective de sa liberté et l’Etat, dans un tel contexte, n’est que la traduction spatiale de cette médiation juridico-politique. Aussi, nous comprenons mieux le sens et la portée de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de constitution ». Aussi, faut-il admettre que lorsqu’on vote des lois, qu’on les adopte et que l’on ne les applique pas, on leur ôte toute crédibilité et toute garantie. Tel est le sort réservé à la loi criminalisant l’esclavage en Mauritanie.
Ceci nous amène à nous demander, si un pays, où les droits de milliers d’individus soumis à l’esclavage sont bafoués quotidiennement, pourrait prétendre avoir une constitution.
Bref, est-ce que la Mauritanie a réellement une constitution ? Cette interrogation se justifie bien, concernant un pays où l’esclavage est pratiqué au vu et au su de tout le monde et en toute impunité et qu’une certaine conception de l’islam favorise, sans que l’Etat ne sévisse légalement de façon constante et avec vigueur contre une telle pratique pourtant condamnée par la loi et qu’un amendement de la constitution vient de criminaliser récemment, en cette année 2012. Alors, faut-il bien admettre qu’il existe bien une distorsion entre l’Etat de Droit consacré, du moins en théorie, par la constitution mauritanienne et une certaine vision de l’islam comme valeur qui, selon certains observateurs, transcende cette constitution se voulant démocratique. Le général, Mohamed Ould Abdel Aziz, a bien exprimé cette vision, à l’occasion d’une manifestation de dignitaires religieux mauritaniens dont une délégation reçue par le général a exigé des sanctions contre Birame, pour atteinte aux valeurs de l’islam. La réplique du général est sans appel, dans la mesure où il laisse entendre explicitement à ses interlocuteurs, que l’Islam est supérieur à la démocratie, que la Mauritanie est un Etat islamique et non laïc et sous l’injonction de ses soi-disant religieux, Birame sera arrêté et inculpé pour violation des valeurs islamiques des mauritaniens. Obligation est de reconnaitre, que Birame a été condamné sur l’injonction de dignitaires religieux et avec la complicité de la morale et de la puissance étatiques incarnées par un général putschiste, chef d’Etat de fait d’une certaine soi-disant république islamique de Mauritanie démocratique, une et indivisible, selon sa constitution politique, où la loi islamique, à savoir la charia, n’est paradoxalement, appliquée que partiellement, étant entendu que dans l’arsenal juridique du pays, les lois d’inspiration islamique coexistent avec celles d’inspiration occidentale, pour ne pas dire universelle. Aussi, faut-il souligner que si toutes les lois du pays sont censées être conformes à la charia, toutefois il convient de reconnaitre que les sentences prononcées au nom de Dieu à savoir les houdouds tels que les flagellations ou la peine capitale n’ont pas été appliquées depuis le régime militaire d’ould Haidallah des années 1980. Cette coexistence de lois d’inspiration différentes est, souvent, mal assumée comme en témoignent ces propos du général ould Abdel Aziz. C’est étonnant, de la part de cet homme qui pourtant ne cesse de dire à qui veut l’entendre, que sa soi-disant élection comme président de la république, en juillet 2009, a été selon lui démocratique et ne souffre d’aucun doute et ne saurait faire l’objet d’aucune contestation de la part de ses opposants politiques. Par ailleurs, en tirant toutes les conséquences des propos susmentionnés du général Abdel Aziz, nous sommes amenés à penser que, selon lui, l’islam pourrait ne pas s’accommoder de la démocratie, que les valeurs de référence de l’un pourraient se distinguer de celles de l’autre. Et, en cas de conflit entre les deux systèmes de valeurs qu’impliquent l’un et l’autre, son choix se porterait sur les valeurs islamiques en raison de leur supériorité. A cet égard, nous sommes forcés de reconnaitre que les lois votées et adoptées par le peuple mauritanien n’ont pas les mêmes valeurs, selon qu’elles sont d’inspiration islamique ou selon qu’elles sont d’une autre inspiration. De qui émanent ses lois, sinon d’un seul et même peuple. Faut-il croire que dans la constitution mauritanienne, les différentes sources d’inspiration des lois pourraient être antinomiques ? Est-ce pour juguler une telle anomalie, qu’il est stipulé dans la constitution mauritanienne que l’islam est la seule source du droit. Voilà qu’avec ces propos du général Abdel Aziz, la schizophrénie installée au sommet de l’Etat mauritanien, au cœur de sa soi-disant constitution politique et de ses institutions. Ne s’y était-elle pas déjà installée ? Ne nous trompons pas, c’est là que réside le vrai problème dans ce pays. L’arrestation et l’inculpation de Birame en est révélateur. A quelque chose malheur est bon, son arrestation ne fait que relancer le débat sur l’opportunité d’un travail de déconstruction de la société mauritanienne toujours drapée dans un conservatisme culturel en se cachant derrière de soi-disant valeurs islamiques. Un conservatisme entretenu par la culture des dominants et ses affidés qui sont montés au créneau contre Birame ould Dah ould Abeid et ses compagnons de lutte. Une telle attitude de leur part constitue en soi un frein à l’émergence d’un véritable Etat de droit en Mauritanie. Rien de surprenant à cela, quand on sait qu’il n’y a qu’un pas à franchir pour conclure avec le général Ould Abdel Aziz, que l’idée de liberté serait étrangère à l’islam, puisque selon lui cette religion pourrait ne pas s’accommoder de la démocratie, la liberté s’arrête là où commence l’islam. Peut-être, avons-nous mal interprété ses propos. Toutefois, nous attendons de lui, qu’il nous explique ce qu’il entend par l’islam est supérieur à la démocratie, que la Mauritanie est Etat islamique et non laïc et ce à l’occasion de l’accusation portée contre Birame selon laquelle, il a porté atteinte aux valeurs islamique des mauritaniens. Le débat est ouvert et mérite qu’on s’y attèle. D’autant plus, que des Imams et des Fiqhs mauritaniens demandent à ce que les Ulémas (chefs religieux musulmans) se prononcent clairement sur l’esclavage en Mauritanie. De toute façon, Le général Mohamed ould Abdel Aziz nous doit des explications même en tant que président de fait qui s’est arrogé le droit du peuple mauritanien à s’autogouverner, en perpétrant son coup d’Etat militaire du 6 aout 2008, au nom d’un certain mouvement de « rectification démocratique ». Ou faut-il croire qu’il a déjà clos le débat, en créant, le 24 mai 2012, par décret, suite à un conseil de ministre, un Haut conseil islamique pour les fatwas constitué de neuf érudits dans le domaine islamique, qui peut émettre des avis juridiques et traiter des cas non résolus et recevoir des recours gracieux ? Cela ne serait-il pas une façon détournée de faire juger Birame de manière expéditive par une instance créée à cet effet, en le soustrayant au jugement du système judiciaire en cours en Mauritanie qui, dans certains de ses aspects, est respectueux, ne serait-ce que formellement, de certaines normes juridiques internationales? La schizophrénie est entrain de gagner d’avantage les institutions mauritaniennes, son sommet est atteint et il faut ajouter à cela la dérive idéologique islamiste qui les caractérise en ce moment. A cet égard, l’islam devient l’épée et le bouclier dont use le tenants de ses institutions pour exécuter et défendre leurs projets de domination au nom des « valeurs islamiques des mauritaniens ». Aussi, cette épée pourrait être brandie par les terroristes d’Al Qaida au Maghreb islamique (Aqmi) comptant au sein de leur commandement de nombreux mauritaniens qui pourraient exiger, en toute légitimité, que dans la république non laïque de Mauritanie (comme aime à le préciser le général Abdel Aziz), mais plutôt islamique de Mauritanie, que la charia loi islamique y soit appliquée intégralement. Ce débat entre laïcité et islam est déjà posé entre les mouvements de rébellion qui occupent le Nord du Mali, à savoir entre le mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) qui revendique un Etat laïc et le mouvement religieux islamique Ansar dine, un allié d’Aqmi, qui lui prône un Etat islamique.
Pour en revenir à l’affaire Birame ould Dah, ne nous nous voilons pas la face, C’est un faux procès que l’on veut intenter contre lui et dont on peut douter de la légalité et de la légitimité, en raison de la mise sous tutelle de l’appareil judicaire mauritanien par le régime d’exception imposé par le chef d’Etat de fait en la personne de Ould Abdel Aziz. Ce qui vient d’être prouvé par le limogeage, sans motifs juridiques valables, de Seyid ould Gailany, le président de la cour suprême. Ce faux procès contre Birame auquel se prêtent bizarrement certains adversaires politiques du général putschiste, qui pourtant ne reconnaissent pas sa légitimité et moins encore son régime considéré comme une imposture. Les seuls procès qui se justifient, à notre sens, en Mauritanie, sont ceux qui doivent être intentés contre des individus qui ont porté atteinte gravement au régime démocratique issu de la transition politique conduite dans le pays en 2005. Les seuls procès qui se justifient doivent être intentés contre ceux qui se sont rendus responsables, il y a près de deux décennies, de violations massives et graves des droits de l’homme de caractère raciste contre des composantes nationales mauritaniennes et qui restent toujours impunies. Ceux qui méritent d’être jugés ce sont ceux qui pratiquent impunément l’esclavage en Mauritanie et ceux qui pillent les ressources économiques de ce pays et laissent l’écrasante majorité du peuple croupir dans la misère et l’angoisse que celle-ci engendre chez les déshérités. Pour nous résumer, le seul procès qui mérite d’être fait, en Mauritanie, est celui des valeurs et la seule interrogation qui s’impose, dans le contexte où nous parlons, devrait porter sur la civilité des mauritaniens. Qu’est-ce que la civilité d’un peuple, sinon sa capacité à vivre ensemble qui se manifeste dans ses mœurs en général, ses coutumes, ses règles et ses lois. A cet égard et en particulier, la loi civile est le bien qui appartient en propre à un peuple. Voulue par le peuple, dans une démocratie, cette loi est le levier par lequel l’Etat exerce sa puissance et exprime sa souveraineté et à la même occasion celle du peuple. Si on admet, par ailleurs que la loi est une règle volontaire posée par des hommes à laquelle tout en chacun est censé obéir à l’égal de tout autre, nous sommes en droit de penser que le légalisme en Mauritanie n’est que de façade et reste problématique, pour la raison essentielle qui tient au fait que l’Etat constitutionnel n y est que formel. L’Etat mauritanien qui promulgue une loi pour protéger les victimes de l’esclavage, en leur reconnaissant des droits, est le même Etat qui couvre ceux qui pratiquent l’esclavage.
Aussi, en guise de conclusion, permettez-nous de rappeler, à ceux-là qui se prétendent musulmans et qui sont amnésiques face à tant d’injustices criantes, en Mauritanie, cette parole du coran, selon laquelle, Allah a béni les enfants d’Adam. Ces enfants portent en eux la marque du souffle divin et sont dotés d’intelligence et de la faculté de discernement entre le bien et le mal et y sont sensibles. Rappelons à nos dignitaires religieux mauritaniens, que nombre de ces enfants d’Adam sont dans les fers, en Mauritanie. Enfin, pour quitter le débat, nous voudrions rappeler ici, en raison des solides vérités qu’elle contient, la Déclaration d’indépendance des Etats-Unis d’Amérique de 1776 soumise à son congrès par Thomas Jefferson : « Tous les hommes sont crées égaux ; ils sont doués par le créateur de certains droits inaliénables ; parmi ces droits se trouvent la vie, la liberté et la poursuite du bonheur ».
Moustapha Touré
Dakar, le/6/5/2012 – 1ere version revue et corrigée Dakar, le /28/5/2012
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