Birame Ould Dah Ould Abeid, un militant mauritanien au verbe haut, engagé depuis de longues années dans la lutte contre l'esclavage, s'est-il rendu coupable d'une provocation de trop ? Depuis le 29 avril, le président de l'Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste (IRA) ainsi que dix autres personnes (des proches, de simples militants ou des responsables de l'IRA) sont emprisonnés à Nouakchott, sans inculpation ni visite de leurs avocats.
On leur reproche d'avoir "violé les valeurs islamiques du peuple mauritanien" lors d'une manifestation contre l'esclavage, une pratique en cours en Mauritanie mais niée par les autorités. Amnesty International demande la libération de ceux qu'elle considère comme des "prisonniers d'opinion".
Les faits remontent au 27 avril. Un vendredi. Birame, musulman négro-mauritanien descendant d'esclave dans un pays dominé économiquement et politiquement par les Maures, réunit quelques militants pour une prière collective organisée hors des lieux de culte officiels où le sujet de l'esclavage est tabou. L'acte est politique.
Puis - et c'est ce qu'on lui reproche et qui embarrasse les organisations de défense des droits de l'homme -, il brûle sur une place publique d'un quartier populaire de la périphérie de Nouakchott des livres de droit musulman du rite malikite où l'exploitation de l'homme par l'homme alimente des considérations détaillées sur les droits du serviteur et les devoirs du maître. Des livres très anciens mais encore étudiés et qui soutiennent la pratique, toujours en cours, de l'esclavage, malgré le déni des autorités et de l'élite mauritaniennes.
Birame a pris soin de ne pas jeter dans les flammes les pages comportant des passages du Coran ou des mentions des noms d'Allah et de son prophète Mahomet. Mais son arrestation, quelques heures plus tard, mobilise un nombre impressionnant de troupes d'élite, qui font alors un usage disproportionné de la force.
"MALADROIT ET PROVOCATEUR"
Depuis, des ONG mauritaniennes représentatives, parmi lesquelles l'Observatoire mauritanien des droits de l'homme, SOS Esclaves, la Ligue mauritanienne des droits de l'homme, qualifient ce geste de "maladroit et provocateur". Elles n'en demandent pas moins sa libération "d'urgence" ainsi que celle de ses proches, "à moins de leur garantir dans les meilleurs délais un procès selon les standards internationaux".
En France, l'Action des chrétiens pour l'abolition de la torture (ACAT) a écrit au président mauritanien, Mohamed Ould Abdel Aziz, s'inquiétant de "la garantie de l'intégrité physique et psychologique" des personnes incarcérées. "Ils ne sont toujours pas inculpés malgré l'échéance du délai légal de leur garde à vue", nous disait au téléphone, mercredi 23 mai, Me Bah Ould Mbarek, coordonnateur du collectif d'avocats mobilisé pour cette affaire.
Amnesty rappelle que le droit à la liberté d'expression recouvre "même des formes d'expression pouvant être considérées comme profondément choquantes". Et c'est peu dire que l'autodafé du président de l'IRA a choqué, y compris ses amis. "Birame est incontrôlable, il va trop loin et cela nuit parfois à la cause juste qu'il défend, confie un de ses proches, mais ce n'est pas une raison pour le harceler." Birame et d'autres militants antiesclavagistes "subissent régulièrement harcèlements et intimidations", rappelle l'ACAT.
Le 15 février 2011, Birame et cinq autres membres de l'IRA avaient été graciés par le président alors qu'ils avaient été condamnés à des peines de prison en raison de leur militantisme. Ses avocats s'inquiètent aujourd'hui des charges qui pourraient être retenues contre lui. A Nouakchott, la rumeur dit que les autorités judiciaires chercheraient à requalifier l'accusation en "actes de terrorisme".
"FOULES HYSTÉRIQUES"
"Le pouvoir ne cherche-t-il pas à donner des gages aux religieux mauritaniens alors que le nord du Mali [frontalier de la Mauritanie] tombe sous l'emprise de groupes islamistes ? Birame serait alors un bouc émissaire", s'interroge un défenseur des droits de l'homme. Le collectif mauritanien des droits de l'homme s'interroge ainsi sur la spontanéité "des foules hystériques [qui] déferlent dans les rues et villages du pays, qui hurlent au blasphème et réclament le meurtre de Birame".
La télévision publique (TVM) a diffusé et rediffusé en boucle les images des ouvrages brûlés suivis de reportages exaltés sur "l'ampleur de la colère des masses". Et lorsque le président Aziz reçoit, quelques jours plus tard, une délégation de marcheurs lui enjoignant "d'infliger un châtiment exemplaire aux apostats de l'IRA", l'ancien militaire putschiste, fer de lance régional dans la lutte contre Al-Qaida, prend "un engagement inédit de sa part en promettant l'application de la charia en Mauritanie", s'inquiète Boubacar Messaoud, président de SOS Esclaves.
Des ONG dénoncent "la talibanisation rampante de la société". Des témoignages soulignent la propagation d'un islamisme radical dans certaines mosquées des quartiers populeux de la capitale où les imams trouvent l'oreille attentive des jeunes désœuvrés.
Le président mauritanien, un ancien officier supérieur maure, élu à l'été 2010 après avoir pris le pouvoir à la faveur d'un coup d'Etat en 2009, fait face une opposition politique de plus en plus large qui demande maintenant sa démission. Dans un contexte régional de crise, il évolue également dans une société mauritanienne fracturée, à cheval sur les espaces arabo-berbère et négro-africain.
Le thème de l'esclavage est donc hautement sensible. "Pour les autorités, cette question est réglée depuis l'abolition de l'esclavage en 1981 et depuis sa criminalisation dans le Code pénal, en 2007. On en parle au passé, on raconte l'histoire d'une grand-mère qui a été esclave. Aujourd'hui, ils ne sont plus soumis par la force mais par leur propre culture et leur propre éducation. Ils sont à côté de nous, gardant les chameaux, balayant les rues, mais on le nie", dénonce Boubacar Messaoud.
"Nous devons éviter de le nier parce que cela nuit à son éradication", a reconnu, mardi, l'opposant et président de l'Assemblée nationale Messaoud Ould Boulkheir. Fondateur du mouvement Elhor qui a lutté aux débuts des années 1980 contre l'esclavagisme, il fut pour cette raison plusieurs fois jugé et condamné.
Christophe Châtelot
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