Quelque part, au poteau 11 du quartier d’Arafat, Oumoulkhaïr Mint Yarba et ses cinq enfants, deux filles et trois petits garçons, survivent, dans une maison de « fortune ». C’était bien le septième jour du mois béni de Ramadan, mais ni elle ni sa fille de plus de vingt ans ne jeûnaient, le Ramadan ne leur dit, probablement, pas grand-chose. Deux ans après avoir été extraite de sa vie d’esclave, Oumoulkhaïr ne semble pas encore totalement adaptée aux nouvelles réalités de sa vie. Elle prétend être née pendant la guerre du Sahara et devrait, donc, avoir 36 ou 37 ans. Elle paraît bien en avoir quinze de plus, au bas mot. Regard figé, mine pensive, sourire incohérent. Jusqu’en 2010, Oumoulkhaïr n’a vécu qu’à Yaghref, dans les environs d’Atar. Avec ses maîtres. Ses parents, elle ne les connaît pas. Sa mère est morte, alors qu’elle n’avait que deux ans. La dernière fois qu’elle a vu son père, qui vit toujours, pourtant, à Tibergeunt, aux environs d’Akjoujt, elle n’avait que quatre ans. Oumoulkhaïr Mint Yarba a commencé sa vie d’esclave très tôt. Dès cinq ans, elle lavait déjà la vaisselle, partait aux commissions, apportait le bois mort, préparait le thé, gardait les animaux qu’elle attachait et détachait. Quand elle évoque sa condition, les traits de son visage, rongé par les soucis, changent. Le ressentiment et l’amertume se lisent clairement, à travers ses gestes peu organisés. Un discours en véritable coq-à-l’âne. Aucune cohérence. Aucune suite logique. Aucun conformisme.
« Regardez-moi, je ne sais pas encore porter convenablement le voile. Je suis restée, jusqu’à vingt ans passés, presque sans habits. Juste une vieille robe, souvent déchirée, qu’une de mes maîtresses m’a lancée. C’est quand j’ai accouché, au moins trois fois, que j’ai commencé à porter le voile ». Ses cinq enfants sont tous fils « d’elle-même ». Totalement ignorants et ne disposant d’ « aucune ligne » (expression Hassanya signifiant qu’ils ne disposent d’aucun état-civil).Tout-à-fait symptomatique de la « bonne » esclave. Oumoulkhaïr le dit sans gêne. Avec ses maîtres, sa journée commençait aux environs de 4 heures du matin avec l’inspection de tous les animaux, la supervision de l’allaitement des plus petits et des plus faibles, la préparation du petit-déjeuner. Et se poursuivait jusqu’aux heures les plus tardives. Pour la moindre faute, Oumoulkhaïr subissait les châtiments les plus durs. Avoir égaré une chèvre, ou laissé le loup blesser une bête, le jeune maître dont elle dépendait directement lui infligeait les pires corrections.
Parfois, Oumoulkhaïr se tait. Sa fille Selekha est prise de fou-rire. Ses deux petits-enfants,Yarba et Ben ‘Ich, rôdent auprès de son petit commerce, espérant un moment d’inattention pour lui subtiliser les quelques bonbons qui constituent l’essentiel de ses marchandises. Selon elle, toute sa vie a constitué un véritable calvaire. Au bord des larmes, Oumoulkhaïr se rappelle, encore, comme si c’était hier, du jour où ses maitres l’obligèrent à aller suivre les animaux, sans sa fille Oumoulbarka d’à peine un an, car, lui disaient-ils, « la priorité est aux quelques bêtes qui doivent mettre bas aujourd’hui et, pour cela, tu dois avoir tout le corps [mains et dos] libre pour pouvoir ramener les éventuels rejetons ». Le soir, à son retour, les enfants du village lui apprirent la mort de sa fille. Oumoulbarka, restée toute la journée sans boire, avait, effectivement, rendu l’âme. Elle gisait à la même place, la petite robe pleine de sable, les fourmis avaient couvert tout son petit corps. Oumoulkhair procéda, seule, à l’ensevelissement de sa fille qu’elle enfouit dans un trou, au coin du village.
Pires corrections
Dans la véranda où Oumoulkhaïr s’est confortablement installée, traînent quelques coussins et ustensiles. De temps à autre, son mouton vient renverser la théière qui chauffe sur le fourneau. Les reliefs d’un repas attendent preneur, au coin de la maison. Oumoulkhaïr prétend être devenue une spécialiste du riz au poisson et le téléphone qui pend à son cou atteste qu’elle est en pleine reconversion dans sa nouvelle vie de femme libre et émancipée. Ce n’est qu’en 2010, grâce à une forte mobilisation de l’organisation SOS-Esclaves, qu’Oumoulkhaïr a été extraite de sa condition d’esclave. Craignant les poursuites judiciaires, ses anciens maîtres, en complicité avec les autorités, procèdent à des manipulations et la « dégagent », avec six têtes de chèvre, une petite tente et quelques outils de leur village, pour aller l’installer à Guediwar, une localité relevant de la commune d’Aïn Ehl Taya. Quelques semaines après, Oumoulkhaïr et ses enfants débarquent chez son frère Ben’Ich qui travaillait avec un célèbre ancien haut-gradé de l’armée. Une autre vie d’esclave commence. Retour à la quadrature du cercle. Travaux de toutes sortes, sans aucune rémunération. Abus divers sur Oumoulkhaïr et sa fille Selekha, prétendument mariée par l’ancien officier. Intimidations et tracasseries diverses. Nouvelle mobilisation des défenseurs des droits de l’Homme, Oumoulkhaïr et ses enfants reviennent à Ain Ehl Taya d’où son demi-frère, M’barek Ould Mahmoud, l’emmène à Nouakchott, le 15 février 2010. Entre deux bégaiements, Oumoulkhaïr dit, à qui veut l’entendre, qu’elle ne renonce pas à ses droits. « Je ne récite pas la Fatiha, ma fille a été violée. Malgré mes cinq enfants, je ne me suis jamais mariée. Nous avons subi toutes sortes de sévices, physique et moral ». Oumoulkhaïr sursaute car son mouton et ses deux petits-enfants s’apprêtent à la ruiner, en lui subtilisant le peu de choses que sa « table » contenait. « Comme les voleurs de l’autre soir dont un m’a aveuglée, avec sa torche », raconte Oumoulkhaïr.
Le fourneau refroidit, la théière cessa de bouillir, la journée avançait lentement. Oumoulkhaïr, sa fille Selekha et ses autres petits-enfants pensaient, déjà, aux modalités de leur hypothétique dîner. En attendant que la société lui rende justice, l’ancienne esclave redevenue libre poussa un long bâillement et nous invita, ayant enfin compris que nous partions, à attendre la coupure du jeûne.
Sneïba El Kory
« Regardez-moi, je ne sais pas encore porter convenablement le voile. Je suis restée, jusqu’à vingt ans passés, presque sans habits. Juste une vieille robe, souvent déchirée, qu’une de mes maîtresses m’a lancée. C’est quand j’ai accouché, au moins trois fois, que j’ai commencé à porter le voile ». Ses cinq enfants sont tous fils « d’elle-même ». Totalement ignorants et ne disposant d’ « aucune ligne » (expression Hassanya signifiant qu’ils ne disposent d’aucun état-civil).Tout-à-fait symptomatique de la « bonne » esclave. Oumoulkhaïr le dit sans gêne. Avec ses maîtres, sa journée commençait aux environs de 4 heures du matin avec l’inspection de tous les animaux, la supervision de l’allaitement des plus petits et des plus faibles, la préparation du petit-déjeuner. Et se poursuivait jusqu’aux heures les plus tardives. Pour la moindre faute, Oumoulkhaïr subissait les châtiments les plus durs. Avoir égaré une chèvre, ou laissé le loup blesser une bête, le jeune maître dont elle dépendait directement lui infligeait les pires corrections.
Parfois, Oumoulkhaïr se tait. Sa fille Selekha est prise de fou-rire. Ses deux petits-enfants,Yarba et Ben ‘Ich, rôdent auprès de son petit commerce, espérant un moment d’inattention pour lui subtiliser les quelques bonbons qui constituent l’essentiel de ses marchandises. Selon elle, toute sa vie a constitué un véritable calvaire. Au bord des larmes, Oumoulkhaïr se rappelle, encore, comme si c’était hier, du jour où ses maitres l’obligèrent à aller suivre les animaux, sans sa fille Oumoulbarka d’à peine un an, car, lui disaient-ils, « la priorité est aux quelques bêtes qui doivent mettre bas aujourd’hui et, pour cela, tu dois avoir tout le corps [mains et dos] libre pour pouvoir ramener les éventuels rejetons ». Le soir, à son retour, les enfants du village lui apprirent la mort de sa fille. Oumoulbarka, restée toute la journée sans boire, avait, effectivement, rendu l’âme. Elle gisait à la même place, la petite robe pleine de sable, les fourmis avaient couvert tout son petit corps. Oumoulkhair procéda, seule, à l’ensevelissement de sa fille qu’elle enfouit dans un trou, au coin du village.
Pires corrections
Dans la véranda où Oumoulkhaïr s’est confortablement installée, traînent quelques coussins et ustensiles. De temps à autre, son mouton vient renverser la théière qui chauffe sur le fourneau. Les reliefs d’un repas attendent preneur, au coin de la maison. Oumoulkhaïr prétend être devenue une spécialiste du riz au poisson et le téléphone qui pend à son cou atteste qu’elle est en pleine reconversion dans sa nouvelle vie de femme libre et émancipée. Ce n’est qu’en 2010, grâce à une forte mobilisation de l’organisation SOS-Esclaves, qu’Oumoulkhaïr a été extraite de sa condition d’esclave. Craignant les poursuites judiciaires, ses anciens maîtres, en complicité avec les autorités, procèdent à des manipulations et la « dégagent », avec six têtes de chèvre, une petite tente et quelques outils de leur village, pour aller l’installer à Guediwar, une localité relevant de la commune d’Aïn Ehl Taya. Quelques semaines après, Oumoulkhaïr et ses enfants débarquent chez son frère Ben’Ich qui travaillait avec un célèbre ancien haut-gradé de l’armée. Une autre vie d’esclave commence. Retour à la quadrature du cercle. Travaux de toutes sortes, sans aucune rémunération. Abus divers sur Oumoulkhaïr et sa fille Selekha, prétendument mariée par l’ancien officier. Intimidations et tracasseries diverses. Nouvelle mobilisation des défenseurs des droits de l’Homme, Oumoulkhaïr et ses enfants reviennent à Ain Ehl Taya d’où son demi-frère, M’barek Ould Mahmoud, l’emmène à Nouakchott, le 15 février 2010. Entre deux bégaiements, Oumoulkhaïr dit, à qui veut l’entendre, qu’elle ne renonce pas à ses droits. « Je ne récite pas la Fatiha, ma fille a été violée. Malgré mes cinq enfants, je ne me suis jamais mariée. Nous avons subi toutes sortes de sévices, physique et moral ». Oumoulkhaïr sursaute car son mouton et ses deux petits-enfants s’apprêtent à la ruiner, en lui subtilisant le peu de choses que sa « table » contenait. « Comme les voleurs de l’autre soir dont un m’a aveuglée, avec sa torche », raconte Oumoulkhaïr.
Le fourneau refroidit, la théière cessa de bouillir, la journée avançait lentement. Oumoulkhaïr, sa fille Selekha et ses autres petits-enfants pensaient, déjà, aux modalités de leur hypothétique dîner. En attendant que la société lui rende justice, l’ancienne esclave redevenue libre poussa un long bâillement et nous invita, ayant enfin compris que nous partions, à attendre la coupure du jeûne.
Sneïba El Kory
j'ai des larmes aux yeux comment on peut être aussi cruel cela ne devait pas se terminer ainsi sans justice.
RépondreSupprimerComment c'est possible je ne crois pas mes oreilles
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