Serions-nous,
au sein du parti Radical pour une Action Globale (RAG) et de l'Initiative pour
la Résurgence du mouvement Abolitionniste (IRA), racistes ? Serions-nous
contre les Maures "blancs" (Bidhane[1])? Est-il vrai que nous
dénonçons seulement l'esclavage chez les Bidhane et passons sous silence la
même servilité dans les communautés négro-africaines? Pourquoi réclamons-nous
des mesures de ségrégation positive au profit de la communauté des Hratine[2]
alors que la pauvreté est prégnante au sein de toute la population? Serions-nous
communautaristes, des politiciens comme il s'en trouve partout, qui voudrions
faire des Hratine nos fieffés et des Adwabe (villages hratine) nos chasses
gardées électoralistes?
C'est
certainement ce que laisse penser de nous l'administration de Ould Abdel Aziz
en rejetant la demande de légalisation de RAG par son évocation de l'article 6
de la loi sur les partis. C'est aussi ce que laissent penser l'aristocratie et
la féodalité esclavagistes maures (arabo-berbères) qui voient en nous un danger
mortel pour l'ordre qu'elles s'échinent à perpétuer et dont elles tirent
justification et finalité de leur domination. C'est aussi, et nous le
regrettons, ce que semblent penser une frange de l'intelligentsia arabo-berbère
qui se laisse intimider par le discours des féodaux obscurantistes hargneux. A
tous, nous adressons le présent rappel.
Nous
vivons dans un pays où les esclavagistes les plus notoires sont des Bidhane (ethnie
arabo-berbère, minoritaire et dominante). Des générations de maîtres, au fil
des siècles, s’élevaient, dans la vie, par-dessus la sueur et les cadavres de
leurs esclaves, comparables au bétail, ce troupeau de somme dont ils viennent
récolter la moisson, chaque saison, chaque jour. Les maitres, exemptés, tant
d’années durant, de tout labeur, détiennent la propriété des terres arables et
l’usufruit conséquent ; ils détiennent le privilège exclusif et définitif,
en vertu de la loi du plus fort, habilement maquillée en précepte
religieux ; eux qui violent des filles à peine pubères, en renient la
descendance, exploitent des
mineurs à domicile et des familles entières sans contrepartie, se retrouvent
sous la protection du droit et ce depuis toujours.
Ce
sont des Bidhane qui protègent d'autres Bidhane en usant de leur influence au
sein de l'Administration et de l'Etat qu'ils dirigent. Ce sont aussi des
Bidhane qui monopolisent – oui le terme reste faible - les leviers de
l'économie, de l'Armée et de la presse y compris la majorité des journaux,
radios et télévisions, réputés
« indépendants ». Ce sont des Bidhane qui régentent les âmes en
Mauritanie et profitent de cet insigne et terrible privilège pour élever, au
statut de sacré, des interprétations rétrogrades et anachroniques de notre
sainte religion, commises par des jurisconsultes moyenâgeux aux fins de
réglementer, par exemple, le commerce des esclaves et la conservation de cette
infamie ; ceux-ci, les plus redoutables parmi les maîtres, gardiens de
l’orthodoxie religieuse, décident que la vie d'un esclave ne vaut pas celle du
fils de son maître, ainsi, coule-t-il de source qu’ils s’opposent à l’égalité
des droits, découragent l’exercice démocratique et considèrent come criminel le
mariage mixte et par mésalliance. C'est dans le milieu Bidhane que l’on use de
vocables racistes, tels "Kahlouch" (noiraud au sens péjoratif et
méprisant) et "abd" (esclave), pour désigner à la fois un Hartani et
un Négro-mauritanien, par référence à la pigmentation de leur peau. Cette forfaiture est si bien
ancrée chez les Bidhane qu’elle en constitue le socle culturel, un trait de
distinction qui les différencient des autres Arabes et Berbères dans l’espace
sahélo-saharien.
Mais
loin de nous l'idée de penser que tous les Bidhane sont coupables de ces monstruosités, ni
directement et encore moins par hérédité. Nous en voulons pour preuve que nombre
de nos militants et alliés descendent de féodalités notoires titulaires de
positions sociales dominantes. Aurions-nous accepté de placer une telle
confiance en de telles personnes si elles n’étaient la négation incarnée du
racisme ? Non, évidemment, non !
Il
est vrai que nous nous sommes tous, Hratine, Bidhane et Négro-mauritaniens
(membres des ethnie peulh, soninké, ouolof ou bambara)[3] au sein du RAG et
d'IRA, donné le mot de ne pas accepter le déterminisme de nos naissances. Nos
origines ethniques, de caste, de région ou de naissance n'épuisent pas nos
volontés respectives. Nous trouvons réducteur de se laisser définir par la
seule épithète bidhani, hartani ou kowri (nègro-africain). Il y a, dans la
formulation de l’identité, nos propres expériences, nos observations, notre
vécu, nos lectures, nos rencontres qui forgent une vision des choses et
établissent des échelles de valeurs. Les Bidhane, dans nos rangs, sont
absolument décomplexés et ne prennent en rien pour eux le discours de
dénonciation que nous adressons, avec eux, aux esclavagistes de leur communauté
d'origine. Bien au contraire. Et comment aurait-il pu en être autrement?
Pourquoi les progressistes arabo-berbères se laisseraient-ils intimider par ce
qui s'apparente à du terrorisme intellectuel pratiqué par les
esclavagistes ? L'intelligentsia progressiste et moderniste arabo-berbère
n'a rien à voir avec le syndicat du crime de l'esclavage que constituent la
conjonction de la féodalité et de l'obscurantisme religieux et les détenteurs
du pouvoir au sein de l’Etat. Nous en sommes sûrs et certains au sein du RAG et
d'IRA, mais c'est aux membres de cette intelligentsia, née de et dans la
domination de naissance, de le prouver ; au demeurant, la parole
courageuse qui dénonce la supériorité de race et promeut l’égalité des droits, doit
commencer à sourdre, de nouveau, parmi les Bidhane ; pourtant elle y
restait si minoritaire, presque inaudible et souvent caricaturée, ces deux
dernières décennies.
Les
partis politiques classiques, opérant sur la scène mauritanienne, ont tous,
dans leur programme, une ou deux lignes se référant à la lutte contre "les
séquelles de l'esclavage" qu'ils dépoussièrent à intervalles plus ou moins
réguliers lors de joutes électorales. Les plus progressistes parmi eux
inscrivent la lutte contre "les séquelles de l'esclavage" dans un
vaste schéma conditionné par l'avènement d'un hypothétique Etat de droit dont
les contours et l'échéancier sont régulièrement et indéfiniment discutés, donc
différés.
Pour
nous au sein du RAG et d'IRA, la méthodologie est toute autre, pour ne pas dire
inverse. Nous partons de la question spécifique de la lutte contre l'esclavage
pour hâter l'avènement de l'Etat de droit, pas seulement au bénéfice des Hratin
mais de tous les cadets sociaux, sans omettre, la réhabilitation des groupes
victimes de persécution spécifiques et d’impunité, tels les Négro-africains de
Mauritanie, les femme et les membres des castes.
Nous
commencerons par abolir, dans les faits et irréversiblement, toute relation de
servilité et d’infériorité pour instaurer l'équité entre les gens. Nous
accorderons, aux esclaves et anciens esclaves, le droit – naturel- de l'accession
à la propriété foncière, grâce à l'instauration d'une réforme agraire
volontariste, efficace et planifiée pour rétablir les éternels
laissés-pour-compte dans leur dignité ; ainsi, goûteront-ils, enfin au fruit légitime
de leur labeur. Par une telle réforme nous valoriserons le travail et
impulserons l'agriculture nationale, dans la perspective d’une écologie
exigeante qui allie rentabilité, économie des ressources et reboisement
généralisé du pays. Nous instaurerons des mesures de "rattrapage"
économique et éducationnel en faveur des zones de plus grande pauvreté qui se
trouvent être peuplées majoritairement par les Hratin. Une telle
« correction », si elle est menée en toute efficience, rehausserait
le niveau de vie moyen des Mauritaniens, étant entendu que la population
concernée représente une bonne moitié des habitants. Une telle ségrégation
positive renforcerait l'idée de solidarité nationale, l'une des tâches dévolues à
l'Etat de droit au même titre que la sécurité sociale, le recouvrement de l'impôt
et tous les mécanismes de redistribution de la richesse nationale.
L'égalité
des droits, le rétablissement dans leur dignité des citoyens mauritaniens, la
redistribution des richesses, le métissage matrimonial, le respect de la
diversité culturelle du pays, sont des thématiques que nous aborderons
concrètement, sur le terrain, aux côtés des gens. C'est un combat contre toutes
les formes d’exclusion, héritées de notre jeune histoire. Comment, en effet,
lutter pour l'égalité entre Hratin et Bidhane et accepter qu'il y'ait un
racisme anti-Noir? Comment concevoir la lutte pour l'émancipation des Hratin et
accepter l'institutionnalisation de la marginalisation des femmes? Comment, une
fois les Hratin rétablis dans leur dignité, accepter le système de castes où
sont confinés les "Maalmine" [4], "Igawen"[5], "Aznaga"[6]
et autres groupes injustement méprisés par le modèle de stratification de
notre société.
Quant
à l'esclavage au sein des communautés négro-africaines, son éradication
s’achèvera, à un rythme encore plus soutenu, car il n’en subsiste plus que des
expressions résiduelles, déjà condamnées à l’extinction. L’on agit, dans ce
domaine, comme dans la fable du berger - bien connue chez les Bidhane - qui
entra dans l'enclos et choisit de commencer par faire semblant de traire le
plus beau bélier du troupeau; à son voisin qui s'étonnait, il répondit: "je
commence par le bélier pour que les brebis sachent que leur tour ne saurait
tarder".
Nous
sommes, avant tout, des combattants pour l'égalité et la reconquête de la
dignité. Nos rangs sont ouverts à toute personne mue par les mêmes objectifs.
Nous comptons, parmi nous, des Bidhane, des Hratin et des Kwar. Notre effort
est entièrement tendu vers l'éradication effective et définitive de l'esclavage
en Mauritanie. Si vous êtes progressistes et épris de justice, si vous
souhaitez faire avancer les mentalités et libérer les énergies des
Mauritaniens, rejoignez-nous et ne vous laissez pas intimider par ceux qui
mènent une bataille perdue d'avance : nos détracteurs.
Touré Balla TOURE, Secrétaire Général de RAG
Mohamed BABA, Coord.
Chargé des sections d'IRA en Europe
Nouakchott
le 21 Août 2013
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[1]:
"Bidhane": pluriel de Bidhani, littéralement "appartenant à la
communauté des Blancs", se dit d'un Maure "blanc" de Mauritanie.
[2]:
"Hratine": pluriel de Hartani: se dit des esclaves, anciens esclaves
ou leurs descendants en Mauritanie. Cette communauté représente plus de 50% de
la population du pays.
[3]:
"Kwar": pluriel de Kowri, se dit, en arabe dialectal, des
Négro-africains (ressortissant des ethnies Halpular, Wolof, Soninké ou Bambara).
[4]:
"Maalmine": pluriel de M'alam. Il s'agit, chez les Maures, d'une
caste d'artisans dont les hommes travaillent les métaux et le bois et les
femmes le cuir. Ils correspondent aux forgerons dans les sociétés
négro-africaines.
[5]:
"Igawen": pluriel d'Iguiw. Il s'agit, chez les Maures, de la caste
des musiciens. Ils correspondent aux griots dans les sociétés négro-africaines.
[6]:
"Aznaga": pluriel de "Aznagui". Il s'agit, chez les Maures,
de tributaires.
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