Natif de Ould Yengé, dans le sud de la Mauritanie, il est installé en France depuis 1999 quand il y était venu pour ses études de troisième cycle après une maîtrise de droit privé obtenue en 1998 à Nouakchott.
Il est titulaire d’un DEA de Droit des sociétés obtenu en 1999-2000, puis un DESS de droit des affaires en 2004, et d’un doctorat de droit privé et sciences criminelles depuis 2007 à l’Université de Perpignan portant sur "le système judiciaire Mauritanien : unité de juridiction et dualité de régime".
En 2010 il a décidé d’exercer la profession d’Avocat au sein du Barreau de Paris en collaboration avec un grand Cabinet d’Avocat spécialisé dans le droit international privé : SELARL Dingomé Ngando & associés.
Actuellement en vacances en Mauritanie, nous l’avons rencontré. Il a accepté de répondre à nos questions… Comment se passe votre expérience au barreau parisien?
Mon expérience en matière judiciaire est de deux ans, mais j’ai un cursus multidisciplinaire, ce qui permet de toucher à tout les domaines du droit, cela va du droit pénal au droit de la consommation au droit civil et droit social.
Par ailleurs dans tous mes travaux de recherches, j’ai eu à traiter des thèmes orientés sur le droit comparé, notamment le droit français et le droit des pays d’Afrique du nord Francophones.
Au niveau de notre diaspora mauritanienne en France, la bi-nationalité créé un certain malaise pour ses porteurs…La bi-nationalité est avant tout un avantage aussi bien pour le pays d’origine et le pays d’accueil que pour le Citoyen concerné. En effet, pour le pays d’origine la bi-nationalité de ses ressortissants peut constituer un réservoir où il peut trouver des cadres bien formés pour son développement.
Ensuite les bi-nationaux restent de bons, si ce n’est les meilleurs ambassadeurs de leurs pays quand ils sont dans leurs pays d’accueil ils constituent une partie non négligeable de la classe moyenne moteur de l’économie des pays natif.
Enfin quelque soit notre seconde nationalité, nous resterons toujours attachés à nos origines Mauritaniennes, nous fêtons toutes les fêtes nationales de notre pays d’origine en France, nous avons créé des associations de mauritaniens en France, au service des nécessiteux sur place et en Mauritanie.
Je veux dire que nous sommes très impliqués dans le développement de la Mauritanie, nous animons aussi des conférences et des débats sur des questions qui touchent notre pays, nous commentons l’actualité à travers les réseaux sociaux etc….
Vous faites annuellement un « pèlerinage » à votre Guidimagha natal, est-ce pour ne pas perdre les attaches?
Effectivement je reviens chaque année à la même période c’est-à-dire au mois d’Août pour rendre visite à mes parents qui sont vivants, mes frères et sœurs, mes amis et mon pays, car le dépaysement guette tous ceux qui vivent hors de leurs pays d’origine de façon durable.
Ce pèlerinage comme vous dites est devenu une obligation pour une autre raison, car je suis président et fondateur d’une association nommée Foyers des écoliers de Sélibabi, qui a pour but le soutien scolaire des enfants issus du milieu défavorisé de Sélibabi ayant des difficultés scolaires dès le fondamental.
Nous soutenons également les lycéens en particulier les terminalistes, comme vous le savez, depuis toujours, le guidimakha enregistre le plus faible taux de réussite au bac en Mauritanie.
C’est pourquoi, mes amis de « l’association ensemble pour Sélibabi » et moi avons monté une bibliothèque à Sélibabi grâce à des collectes de livres en France, nous avons ainsi reçu un gros lot de livre de la part de Diallo BIOS que je remercie au passage pour son geste.
De l’Hexagone où vous vivez, comment suivez-vous les problèmes de votre pays : la gestion du pouvoir, les griefs de l’opposition et les problèmes spécifiques comme l’enrôlement et les récents événements de Kaédi?
Nous suivons de très près l’actualité Mauritanienne grâce aux médias traditionnels RFI Africa N°1 Al Jazira pour ne citer que ceux là, mais aussi nous avons les journaux en ligne notamment Tahalil, Cridem et autre, et enfin la presse papier internationale.
Pour répondre par ordre à vos questions, je dirais en ce qui concerne la gestion du pouvoir, qu’il y a des efforts à faire dans la répartition même du pouvoir entre les différentes communautés sans pour autant passer par une politique systémique de quotas, il faut privilégier la compétence et le mérite d’abord au lieu de la tribu ou du rang social et que sais-je encore.
J’aspire avant tout à une Mauritanie moderne multiculturelle et développée tant au point de vue infrastructurel qu’au niveau des mentalités, car nous ne pouvons pas rester cantonnés dans le carcan du sous développement alors que nous disposons de tant de ressources et d’hommes compétents pour développer ce pays.
Je vous donne des exemples édifiants : aujourd’hui il n’existe pas assez d’universités de Médecine ou de pharmacie, ou d’école d’ingénieurs, notre pays est obligé de confier des formations à d’autres pays riverains, qui souvent retiennent les plus brillants de nos étudiants.
Voyons du côté de l’emploi, nous enregistrons un taux record de chômage, mais surtout les secteurs informels dominent les autres secteurs de l’économie, c’est un premier signe de sous développement et d’appauvrissement de l’Etat.
La législation du travail doit être intégralement revue et le contrat de travail écrit doit être obligatoire en Mauritanie, la possession d’un compte bancaire pour chaque salarié pour permettre une meilleur visibilité des transactions s’impose. Promouvoir les libertés et droits syndicaux.
La mise en place des agences d’intérim quitte à ce qu’elles soient publiques dans un premier temps, pour organiser la main d’œuvre avec plus d’efficacité dans la lutte contre le taux de chômage si élevé dans le pays.
Organiser des colloques et des rencontres entre les demandeurs d’emploi et les patrons sont des perspectives qui nous permettront de sortir le pays du marasme économique à mon avis.
En ce qui concerne l’enrôlement actuel, je me suis déjà prononcé sur cette question sur les ondes de RFI, mes propos se résument à dire que : Le pays a besoin d’un état civil fiable, c’est un fait, mais le fait de mettre en place une commission chargée de l’enrôlement, cooptée par l’Etat sans aucune forme de publicité particulière à la radio ou à la télé pour expliquer aux citoyens le mécanisme de cet enrôlement me paraissent les causes des suspicions qui émanent des populations et en particulier les Négro-Mauritaniens.
A mon sens il fallait procéder à une vulgarisation massive de l’opération, et donner une explication claire au citoyen lambda pour lever toute suspicion ou doute sur la cohérence du recensement.
Enfin je déplore le fait d’exiger la carte de séjour en France comme condition pour s’enrôler, ceci est une aberration à mes yeux et contribue à réconforter les suspicions sur le sérieux de l’enrôlement car beaucoup de mauritaniens noirs comme arabes, risquent d’être mis sur la touche et deviendront ainsi des apatrides ou au service du pays d’accueil et je trouve cela dommage.
Pour ce qui est des événements de Kaédi, avant de répondre à cette question d’actualité, permettez moi de revenir sur un passé proche de notre histoire.
Comme vous le savez Monsieur Isselmou, dans les années 1970, nos familles cohabitaient en harmonie et dans la paix à Ould yengé, nous étions comme des frères, je ne me suis jamais senti mal à l’aise chez les amis de mon père, je cite, Baby Ould Amar, Mohamed yahye Ould Sidi, Moustapha Ould Salihi ou chez les Hama khattar, non, jamais, j’ai même des frères qui portent les prénoms de certains d’entre eux.
Après, les événements de 1989, d’autres événements sont venus creuser un profond fossé entre les communautés créant ainsi un sentiment de méfiance dévastateur pour l’idée de nation tant convoitée depuis.
Certes des solutions ont été dégagées, il me semble qu’une commission vérité et réconciliation à la sud Africaine s’impose, pour effacer ce passage sombre de notre histoire et repartir sur de bonne bases.
C’est plus une question de réhabilitation qu’une question d’argent et d’indemnités. Je trouve que l’unité nationale a beaucoup souffert, car à l’époque, l’éducation d’un enfant qu’il soit blanc ou noir était l’œuvre de toute la société, mais jamais ce qui s’est passé à Kaédi n’aurait pu tourner au drame.
Dans l’affaire de Kaédi, celui qui a giflé la bonne femme aurait été réprimandé par toute personne pieuse qui aurait assisté à la scène, car les anciens sont sacrés comme l’indique notre sainte religion.
Ne sommes-nous pas tous des musulmans ? un hadith ne dit-il pas « la yuûmina ahadakoum hata youhibba liakhihi ma you hibbou li nefsihi » ? Il parait que des individus sont encore incarcérés suite aux émeutes qui ont suivi l’incident, je ne manquerai pas de demander leur libération, pour trouver une solution apaisée.
Un député français a accusé le président mauritanien il ya quelque mois d’être un "parrain de trafics illicites", comment avez-vous ressenti cela?
J’ai lu cette affaire dans la presse comme beaucoup, j’avoue que j’ai été surpris d’entendre de tels propos venant d’un élu d’une République dite démocratique, mais aussi choqué car on parle de mon pays et de son chef de l’Etat, ceci étant dit je donnerai mon analyse de juriste, pour dire que, si le député Français accuse le président de :
je cite « d’être un parrain de trafics illicites » il doit en apporter la preuve, sinon ses propos tombent sous coup du le délit de diffamation. « En France, la diffamation est une infraction pénale qui est par définition « l’allégation ou l’imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne à laquelle le fait est imputé ».
En l’absence de faits imputés, il s’agit d’une injure (art. 29 de la loi du 29 juillet 1881) Dans le respect de la présomption d’innocence, attendons l’issue du procès pour savoir sur quoi le député se base pour porter de telles accusations sur la personne du président de la République.
Comment évaluez-vous la situation générale de la Mauritanie sur les plans politique et économique…Je ne suis pas économiste de formation, je ne suis pas non plus un politicien ou politologue averti, cependant, j’ai mon avis sur la situation économique et politique du pays. Sur le plan politique, j’ai pu constater qu’il n’y a pas de véritable opposition au pouvoir en place, je peux dire que l’opposition est en déconfiture et ne propose rien de concret aux citoyens et plus ce sont toujours les mêmes qu’on reprend et on recommence. En d’autres termes, il n’y a pas d’alternance au sein des instances dirigeantes des partis d’opposition.
Une bonne opposition est celle qui présente un projet de société au pays, et c’est valable aussi pour ceux qui nous gouvernent, un pays ne gouverne pas les faits divers ou au gré du vent, il doit avoir un cap, c’est-à-dire des objectifs et puis faire le bilan des réalisations.
Je constate que le pays évolue très lentement par rapport à ses voisins surtout sur le plan des institutions, or pour bâtir un Etat fort il faut aussi des institutions fortes en plus des hommes forts.
Sur le plan économique le pays est encore en retard sur ces voisins, là encore les mêmes causes produisent les mêmes effets, l’absence ou en tout cas la non application de la législation de travail crée un déséquilibre suicidaire pour l’économie nationale, la question monétaire doit être revue à mon avis, faut-il garder l’Ouguiya?
Il faut organiser et structurer les acteurs économiques et mettre en place une législation cohérente pour attirer les investisseurs comme l’ont fait le Maroc, le Sénégal, l’Algérie et d’autres.
Propos recueillis par IOMS
Source :
Tahalil Hebdo (Mauritanie)
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