Par Marie-France Cros
Nouakchott pratique l’esclavage malgré l’Onu et ses
propres lois.
Parce que cela leur donne bonne conscience,
beaucoup de gouvernements préfèrent laisser entendre que l’esclavage par
ascendance - être esclave parce que vos parents l’étaient - n’existe
plus. Mais ce n’est pas vrai. Aujourd’hui, en Mauritanie, le quotidien des
populations serviles d’ethnie haratine (1) est une vie en dehors de la
Déclaration universelle des droits de l’homme."
Biram Dah Abeid, président de l’organisation
mauritanienne de lutte contre l’esclavage "Initiative de la résurgence
antiesclavagiste" (IRA), lui-même descendant d’esclaves, est en tournée en
Europe pour faire connaître son combat. Nous l’avons rencontré.
Contrairement à ce que l’on pense souvent - "et
à l’idée qu’entretiennent les autorités mauritaniennes " - il ne
s’agit pas d’une survivance du passé dans des milieux ruraux archaïques.
"Là où nous luttons, c’est dans la capitale, Nouakchott. Dans les
quartiers chics, résidentiels et administratifs, où vit la classe dirigeante.
Les gens que nous avons réussi à traîner en justice sont issus de la
bourgeoisie dominante, qui fait des études en Europe" , souligne M.
Abeid. "Le dernier cas auquel l’IRA a travaillé, est un homme
d’affaires, cousin du Président, dont la maison est située à 30 m du palais
présidentiel Comment peut-on dire que l’esclavage est confiné au monde rural ?
, insiste-t-il. C’est dans ces milieux aisés que la pratique de l’esclavage
continue. Il y a plus de cas dans les villes que dans les zones rurales."
Nouakchott ratifie sans appliquer
Car, souligne le militant antiesclavagiste, malgré le
système des Nations unies, malgré les normes et conventions internationales,
rien ne change en Mauritanie bien que Nouakchott signe et ratifie ces
conventions. Et bien que l’esclavage soit devenu illégal sur son territoire
depuis 1981 et criminel depuis 2007 (une loi punit de cinq à dix ans de prison
ceux qui pratiquent l’esclavage mais n’a encore été appliquée qu’une seule
fois). "Il est même inscrit comme crime contre l’humanité dans la
Constitution mauritanienne depuis 2012, souligne le militant. Finalement,
ces conventions ne servent qu’à protéger les pays qui pratiquent l’esclavage,
comme la Mauritanie : on signe, mais on viole sa signature - sans conséquence
parce qu’il n’y a pas de système coercitif international. La coercition, la
communauté internationale ne l’utilise que lorsqu’il y a des enjeux
économiques, stratégiques" , ajoute avec amertume M. Abeid.
Un code du IXe siècle
Selon lui, la seule pression vient d’organisations de
défense des droits de l’homme. "Quand ces organisations s’en mêlent,
certains gouvernements écrivent des lettres à celui de Nouakchott."
Rien de plus ? Une grimace. "Non" , répond le militant.
Biram Dah Abeid explique que conventions
internationales et lois internes ne sont pas appliquées en Mauritanie parce que
celle-ci leur préfère un code ancestral - l’Abrégé, de Cheikh Khalid Mohammed
Ibn Ishagh - rédigé au IXe siècle et dont de nombreuses exégèses ont été
écrites jusqu’au XVe siècle. "En Mauritanie, ce code est considéré
comme l’interprétation du Coran, donc comme la Sharia (loi islamique). Et
la République islamique de Mauritanie considère, dans le préambule de sa
Constitution, que la Sharia est la source de la loi. Or, ce livre divise les
musulmans en deux catégories : les hommes libres et les esclaves, les
noirs" - bien que le Coran interdise de faire un esclave d’un
musulman.
Les esclaves - qui forment environ 20 % de la
population mauritanienne - sont des biens que l’on peut vendre, qui n’ont pas
droit à l’éducation et sur lesquels le maître a droit de vie et de mort. "Ce
code dit aussi que les femmes esclaves sont les objets sexuels du maître, quel
que soit leur âge. Que le maître doit castrer les esclaves hommes pour éviter
le mélange des sangs; c’est pour cela que l’esclavage se transmet par la mère :
ses enfants seront automatiquement esclaves. Le code dit aussi que les femmes -
en général, pas seulement les esclaves - n’ont pas les qualités requises pour
choisir leur mari et qu’elles mentent plus que les hommes Ce code est une
interprétation erronée et machiste du Coran, mais c’est lui qui est appliqué en
Mauritanie" , détaille le militant.
Apartheid
Le sort des esclaves affranchis et de leurs
descendants, comme Biram Abeid - soit environ un tiers de la population
mauritanienne - est également cause d’indignation. "Leur liberté est
théorique. Ils portent des noms reconnaissables et sont donc victimes de fortes
discriminations à l’école, face au droit de propriété foncière, face aux
services publics. C’est un apartheid" , accuse M. Abeid.
(1)Descendants
des Bafours (autochtones présents dans la région avant l’invasion arabo-berbère
du XVe siècle) et des esclaves amenés d’autres régions.
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