Si la stratification de la société mauritanienne dans
toutes ses composantes, répondait jadis à des
exigences d'ordre structural ou cosmogonique, voire même ontologique,
de nos jours cette vision archétypale n'a plus sa raison de persévérer
encore moins de vouloir réglementer les rapports sociaux. En effet les procédés
généraux de la pensée, ont abouti à un nouvel esprit scientifique
depuis le début du siècle dernier. Cet esprit qui se veut lui-même débarrassé
de tout aspect anthropomorphique penche plutôt en faveur d'une marche
inexorable de l'Humanité vers plus de justice et d'égalité des
chances. La science, patrimoine commun de l'Humanité est venue bouleverser
cette vieille « pluie » de l'archaïsme en procédant selon les termes
de l'épistémologue Gaston Bachelard à « une véritable psychanalyse de la
connaissance ». Pour accéder à la science, selon toujours Bachelard, l'esprit
n'est jamais jeune; il est même très vieux car il a l'âge de ses préjugés. « Ainsi
rajeunir spirituellement c'est accepté aussi une mutation brusque qui doit
contredire le passé » .Après la théorie de la connaissance, voici
venu le temps politique incarné par l 'Etat de droit, réceptacle
malgré lui de toutes les aspirations des ayants-droit que nous sommes
et qui, parallèlement au devoir de la conscience universelle, se doit
d'être le dépositaire d'une juridiction qui annihile les
préjugés sociaux bien que ces derniers soient antérieurs à la
naissance de cet Etat post-colonial .Certes il sera très difficile
pour la féodalité nourrie dans la sphère des contradictions qui
lui sont favorables de se démunir de son matériau archaïque
et discriminatoire. C’est pourquoi parler de la féodalité en
Mauritanie s'avère, aux yeux de certains compatriotes un non- événement;
un exercice sensible, souvent périlleux pour d'autres .Cependant
quand une catégorie d'hommes se voit réduite en « strates humaines »,
rebutée parce qu'ayant été moulée des siècles durant au vu de considérations
bancales, il y a lieu, et à juste raison d'élever la voix. Notre
attention se portera cette semaine sur les griots et forgerons
parmi lesquels il y a des ingénieurs, des avocats désormais célèbres, des banquiers,
des officiers supérieurs, des cadres compétents, professeurs d'universités, mais
aussi des citoyens lambda et qui évoluent dans une société, leur...
société avec cette fois des ... esprits lobotomisés. Cette situation
malencontreuse à l'égard d'une frange citoyenne, nous réconforte dans
notre volonté, à l'instar de la dénonciation de l'esclavage d'évoquer
l'origine, d'ailleurs combien contingente des castes de griots et de
forgerons dans nos sociétés mauresque et negro-mauritanienne anté-coloniales.
Ceci dans le seul but d' « exorciser » les consciences
encore réfractaires afin de les rendre « poreuses aux souffles » des
lendemains, qu'on espère, porteurs d'équité. Alors, d'où viennent nos
griots et nos forgerons, musiciens et artisans indispensables jadis à la
société traditionnelle? En dehors de récits de certains chroniqueurs Arabes
tels Al Bakri, Ibn Batuta,du 12ème siècle de l'ère chrétienne, les
enseignements nous parviennent justement de cette « caste » de
griots née dans un contexte(chez les négro-africains)où l'écriture était inexistante.
Une chose est sûre: la condition de griot et de forgeron n'est ni
une « invention » berbère, ni Arabe, encore moins Arabo-berbère
mais plutôt négro-africaine. Au 13 ème siècle l'Empire Mandingue(Mali) qui
s'étendait de la Guinée (son berceau)aux frontières Tchadiennes, englobait
l'actuel Mali, le sud du Sénégal, une partie du Burkina-Faso, le nord de la
Cote d'Ivoire, du Ghana et une partie du sud-est mauritanien. Cet
empire s'organisait en castes et chacune correspondait à une profession ou à
une activité artisanale: griots, forgerons, tisserands, pêcheurs esclaves
etc...Enfin on peut rencontrer le griot ou guiw en Mauritanie blanche, chez
les Toucouleurs; dans ce cas il s'appellera gawlo, en Ouolof guewel, en Soninké
Djâré et enfin djeli au Mali, son berceau. Plus on remonte en
Afrique du Nord, rares sont les familles de griots ou
de forgerons. D'ailleurs d'illustres tribus guerrières du
nord-mauritanien: les Oulad Dleim, les Rgueibatt pour ne citer que celles-ci
n'ont jamais possédé le moindre griot à cause probablement de la distance
qui les sépare du « trab es-soudan ».
LES GRIOTS MAURES
En interrogeant des griots sur leur origine
et d'où leur vient cette « profession généalogique », certains vous répondront
qu'ils viennent de l'Andalousie, d'autres vous diront qu'ils sont des
« chorfas », descendant du Prophète(PSL).Toujours est-il que
les Berbères islamisés dont les plus célèbres furent les
Mourabitounes n'avaient pas de griots. D'ailleurs un adage maure illustre bien
cette affirmation depuis les temps immémoriaux, et qui disait que
le griot ne peut être l'ami du marabout. Il faut attendre
l'arrivée de la tribu Arabe des OULAD M'BAREK principalement repartie
entre les deux Hodhs et l'Assaba, jouxtant la frontière malienne. C'est de
la proximité de l'Empire du Mali que les Oulad M'Barek eurent leur premier
griot. Qu'importe son statut social car il pouvait être un arabe, un
soudanais, un berbère pourvu qu'il fasse de la musique et satisfasse
l'aristocratie Oulad M'Barek. Le 1er griot du « trab el-beidhane » s'appelerait
Eli N'beith Ould Haiballa; d'autres sources parlent aussi d'un certain
Agmouthar. Mais le griot le plus célèbre chez les Maures du Hodh et du
Tagant est sans doute l'ancêtre éponyme de Ehel Abba, Sedoum Ould
N'djartou. Chez les Emirs du Trarza la palme d'or revient à l'inimitable Ould
Manou, ancêtre de Ehel Meidah. Mais tout cela est récent. Car le griot ou djeli
en Bambara, Balla Fasseké Kouyaté accompagnait déjà Soundiata Keita le roi
du Mali vainqueur du roi-sorcier de Sosso, Soumaoro Kanté en 1235 à Kirina. Si
les Maures sont des Arabes, ils tirent des pans de leur tradition des us et
coutumes d'Afrique noire, du Sénégal et surtout du Mali. Un long voisinage de
part et d'autre laisse forcément des empruntes indélébiles. Il est indéniable
que le répertoire musical maure ou Ezawane, relatant l'épopée des Oulad M'Barek
et des autres tribus guerrières de Mauritanie, ne soit imbibé de la sémantique
Soninké du Baghounou, du Kaarta, de Kingui (près de Kobeny) ou Bamanan du
Mali. Les « chors » que les griots maures ont immortalisés, sont
souvent à connotation soninké ou bambara tels; vaghou, ghringué, signimé, beré
ou Nouwefel, ce « monstre » venu de la contrée de zara ou gassambara,
en plus des noms de guerre tels; Dicko, Siby, Baby, Soghofara, Dieng, Fall
etc.. sont autant de preuves matérielles qui dénotent de l'influence de
nos inconditionnels voisins du Sud sur la culture des arabes de
Mauritanie. La romancière Antillaise Maryse Condé dans « Ségou »
évoque les échanges amicaux, souvent conflictuels entre les
princes Oulad M'Barek et les Mansas (princes) du royaume bambara de Ségou.
Les familles de griots spécialisées en généalogie, ou en art oratoire sont
mieux placées pour faire l'inventaire de notre Histoire. Ces familles étaient
tenues de père en fils de perpétuer la tradition dans une société
maure pourtant qui connaissait déjà l'écriture. Ce constat n'existe
nulle part dans le monde arabe ou plus près de nous l'espace maghrébin!
LES
FORGERONS MAURES
Tout comme les griots les forgerons maures n'échappent
pas à la règle de la proximité d'avec les peuples noirs. Dans les sociétés
paysannes les forgerons jouent un rôle très important car ils produisent des
outils agraires et dans les sociétés expansionnistes, les armes pour la guerre.
Si l'existence du griot est limitée à des pays tels le Mali, la Guinée, le Sénégal,
la Mauritanie, le Niger, le concept de forgeron va au-delà de la sous-région.
On peut même remonter dans le temps avec « l'homo faber » ou
fabriquant d'outils pour chasser et se défendre contre ses adversaires. Les
outils sont indispensables à l'homme et constituent un prolongement de la main
pour matérialiser son action .Plus prêt de nous, les Grecs ramenaient
l'origine de la technique, au vol du feu aux « dieux » par Prométhée.
Le mythe prométhéen de « l'homme à la mesure de toute chose » serait
le premier « axiome » d'où nous viennent la science et les
diverses techniques. D'ailleurs dans le reste du monde Arabe, en dehors de la
Mauritanie, l'appellation « Moualim » (forgeron en Mauritanie) est
beaucoup plus expansive voire sublime. C'est encore de notre voisinage d'avec
le Mali que naitra l'idée de forgeron chez les Maures avec son concept à peine péjoratif.
Les forgerons de l'Ouest-africain seraient les descendants de Soumaoro Kanté,
Roi-sorcier, ayant régné au 13ème siècle sur le royaume du Sosso, dans la région
de Koulikoro, près de l'actuelle capitale malienne Bamako. Soumaoro succéda à
son père vers 1200 de l'ère chrétienne. Sorcier, invulnerable, après avoir
attaqué le Mandé(Mali) il est confronté à Soundiata Keita qui le vainc grâce à
une flèche munie d'un ergot de coq blanc (seule arme pouvant le tuer).Depuis
cette période les forgerons jouissent d'un grand prestige, tantôt méprisés, mais
toujours craints surtout en Afrique sub-saharienne. Comme les griots il suffit
de dépasser le « Ezefal » au nord de la Mauritanie pour que la
notion » de forgeron se fasse également rare. Car cette « profession »
est aussi l'héritière des empires moyen-âgeux, négro-africains qui
l'exportèrent vers d'autres contrées limitrophes: à savoir le Sénégal,
la Gambie, le Niger, la Mauritanie, le nord-Mali par l'intermédiaire des
nomades Touaregs etc...A noter que chez les Maures si les forgerons manient le
fer, l'or et le bois d'ailleurs avec une dextérité admirable, les forgeronnes, elles,
tannent les peaux de bêtes et posent le henné. De cette culture ancestrale, certains
griots et forgerons y trouvent leur compte de par leur proximité avec
l'aristocratie et ses nombreux feudataires. Certains en profitent mais, et ce
n'est point un secret, beaucoup en souffrent intimement.
UNE SOCIÉTÉ CONSERVATRICE
Dans un Etat de droit où les pouvoirs législatif
et exécutif sont élus par le suffrage universel, autrement dit un homme, une voix,
les structures sociales régulant les rapports entre les
citoyens doivent avoir le même degré de nivellement à la base. L'égalité
des chances corollaire d'une justice équitable pour tous serait le credo d'un
ensemble qui tend vers l'universalité de l'émancipation des hommes face à
la pesanteur des préjugés. Certes nos sociétés maure et négro-mauritanienne sont très conservatrices, chacune évoluant dans son
couloir, parallèles comme deux asymptotes proches mais ne se
confondant jamais. Les féodaux negro-mauritaniens gardent jalousement leur « acquis »
depuis des siècles et veulent qu'on stigmatise uniquement les maures
quant à l'esclavage dont sont victimes les Haratines. On constate que pour
maintenir et profiter du système de castes, les
deux composantes de la société mauritanienne s'érigent en alliés
objectifs. Les « noces » se gâtent juste le moment de procéder
cette fois au « partage du gâteau » comme le dit sans
ambages le président Sarr Ibrahima Moktar(SIM) de AJD/MR. On ne le dira jamais
assez la stratification de la société mauritanienne est un
frein à son développement économique. C’est un mal que
tout homme épris de justice et d'équité se doit de combattre. L'émergence
de castes et son maintien privilégient une entité paresseuse aux
relents parasitaires, ce au détriment de l'autre éternelle spoliée le
plus souvent laborieuse et dynamique. Il est temps que les Mauritaniens
revisitent les préceptes de leur sainte religion. Car entre un aristocrate de
l'abomination et un griot pieux, au comportement irréprochable, notre Seigneur
a déjà fait Son choix.
ELY OULD KROMBELE
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