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vendredi 3 mai 2013

Discours de Biram Dah ABEID, président d’IRA-Mauritanie, lauréat 2013 du prix du risque des défenseurs des droits humains, octroyé par l’organisation Front Line Defenders.



Excellence, Monsieur le président de la république d’Irlande
Mesdames et Messieurs les ministres

Mesdames et Messieurs les députés et élus

Mesdames et Messieurs les représentants des ongs des droits humains

Mesdames et Messieurs les membres et dirigeants de l’organisation FrontLine Defenders

Je m’adresse à vous aujourd’hui, tout d’abord, pour vous remercier de m’avoir accordé votre soutien, le  long de ces dernières années au cours desquelles j’ai été confronté à la dangereuse hostilité de segments intolérants, au sein de ma société, et au sein du pouvoir politique et judiciaire de mon pays, la Mauritanie.

Je remercie en substance, le jury Européen et Irlandais de FrontLine, qui me distingue, ainsi, d’une liste des 90personnes, les plus valeureuses dans le monde, en terme d’abnégation, de sacrifice et de contribution à la défense et protection des droits humains.

 A cet instant solennel, honorable assemblée, ma pensée va directement, à ces milliers de femmes et d’hommes, militants et sympathisants d’IRA-Mauritanie et d’organisations amies, à mes loyaux compagnons de lutte, qui m’assistent et me secondent dans la rude épreuve de gestion d’une organisation non reconnue et victime d’une mise à l’index ;ma pensée, elle va aussi au comité de la paix, ces dizaines de jeunes d’IRA, qui ont décidé de me défendre par leurs corps, cœurs et plumes au péril de leur liberté, et de leurs vies; ma pensée va à mon épouse et aux membre de ma famille, qui, fidèlement et stoïquement, partagent avec moi, le difficile quotidien de la lutte et se battent à mes cotés et en premières lignes ;je n’oublie pas, non plus, les enfants et les femmes libérés par IRA du joug de l’esclavage ; leur gaité retrouvée et le gout, redécouvert, d’une vie sans maître, me comblent d’un réconfort moral et d’une satisfaction intérieur, ma pensée va, enfin, aux amis de l’ombre, y compris dans la système de domination, qui le trahissent, chaque jour, pour nous informer, nous prévenir, nous révéler les failles de l’oppresseur.  Sans leur concours précieux et discret, l’effort s’avèrerait bien plus ardu.

Je voudrais aussi réitérer ma solidarité aux voisins infortunés dans la prison civile de Nouakchott,  victimes de l’injustice comme Jibril Amoss etCheikh Ould Maouloud, maillons faibles de la chaine (un noir et un hratin) prisonniers bouc-émissaire de la « lutte contre la gabegie ». je transmets aussi à partir de cette tribune, toute mon empathie de croyant et de défenseur des droits humains, avec les femmes, les enfants et les mères des quatorze jihadistes mauritaniens condamnés à mort et à d’autres peines lourdes ; ces familles se retrouvent privées de visite et leurs proches soumis à l’isolement carcéral.

Je rappelle en outre, mon engagement indéfectible en faveur des veuves, veufs ou orphelins qui ont perdu tant de parents, au cour de la tentative de génocide qui a endeuillé les noirs de mon pays entre 1986 et 1992 ; je me souviens ici, de toutes les familles noires qui ont eu à souffrir par l’humiliation, l’expropriation et/ou l’exil.



Chers amis, le lutte pour la sanction et l’éradication du crime d’esclavage se trouve dans le centre des préoccupations et des activités d’IRA-Mauritanie ; en République Islamique de Mauritanie, posséder un être humains, le vendre, le donner, le gager, le céder, l’astreindre aux violences et exploitations sexuelles, travaux forcés, dangereux et /ou dégradants et sans rémunération, le priver de l’éducation, du mariage ou du voyage, exercer sur la personne des châtiments et des mutilations corporels, c’est l’ESCLAVAGE, qui était totalement légal jusqu’en 1981. A cette date, une junte militaire qui a pris le pouvoir par les armes et gérait le pays par décret, a adopté une ordonnance d’abolition de l’esclavage sans toutefois le délégitimer ni le désacraliser ; d’ailleurs, ironie du sort, l’article 2 de la nouvelle norme ordonne  « l’indemnisation financière de ceux qui doivent se séparer de leurs esclaves qui sont considérés des biens de manière implicite par cette ordonnance. » !!!!!

Le décret d’application de la loi, n’ayant pas vu le jour, les pratiques esclavagistes et les rapports maitres-esclaves, resteront en l’état ; en 2007, face à l’activisme désorganisations anti-esclavagistes, l’Etat mauritanien, dominé et dirigé depuis toujours par des segments tribaux - qui ont fondé leur mode de vie, code d’honneur et échelle de valeur sur l’esclavagisme - édictent une loi élevant l’esclavage  au rang de crime passible d’une peine d’emprisonnement de 5 à 10 ans.

Mais hélas, c’est l’Etat lui même, étrange paradoxe, qui conceptualise, parraine et finance la résistance à l’application du droit ; le contingent assigné au sabotage de la loi se compose d’abord des préfets, des gouverneurs, des juges, des officiers de police judiciaires ; les ministres et chefs d’Etat et, bien sur des dizaines d’ongs, dirigées par des membres ou thuriféraires du pouvoir ou des groupes dominants, s’ingénient à nier le phénomène, du moins à le relativiser, en parlant de « séquelles ». En plus de tous ces corps et corporations, les chefs tribaux, les érudits, les élus, la classe politique, l’élite instruite, contribuent, en majorité,  à  empêcher l’application de la loi contre l’esclavage : la production d’un négationnisme ambiant passe par la délation à l’intérieur du pays et le faux témoignage dans les médias, et les forums internationaux. C’est pourquoi, dans mon pays, le ministère des Droits de l’Homme, la commission nationale des droits de l’Homme et plus de 99pour cent des ongs des « droits humains », sont les nids des indicateurs, de faussaires et de contrefacteurs supplétifs de la police politique.

Honorable assemblée je serais dans l’obligation d’évoquer la démarche de duplicité qu’utilise l’Etat et les groupes dominants mauritaniens pour narguer le droit international et se jouer des organismes et partenaires internationaux ; la Mauritanie édicte de plus en plus des lois modernes contre l’esclavage et ratifie des conventions inter nationales de promotion et protection des droits humains mais, parallèlement, en sourdine,, l’Etat continue à promouvoir les anciennes références, tirées de manuels d’exégèses esclavagistes; ces écrits sont foncièrement  et explicitement producteurs d’inégalité fondées sur la race ; de tels livres partagent les musulmans en deux catégories : maitres et esclaves ; ils stipulent que l’esclave est un bien pour son maitre et que le propriétaire peut vendre son esclave, le céder, le gager, le donner ; le maitre dispose ainsi de la force de travail de son esclave sans rémunération et du corps des femmes qui sont ses esclaves même sans leur consentement et abstraction faite de leur âge ou de leur nombre ; dans un souci d’eugénisme digne du Comte de Gobineau et des Nazis, le maître y possède la faculté de castrer son esclave si la beauté de ce dernier est susceptible de susciter la convoitise de femmes nobles; le maitre pourrait aussi vendre une partie de son esclave et en excepter une autre, c'est-à-dire vendre une femme esclave à quelqu’un et excepter son vagin ; en conséquence, l’acheteur exploite la force de travail et le vendeur continue à disposer sexuellement de l’esclave. Cette description –non  exhaustive -  du Code Noir, toujours en vigueur et enseigné dans bien des écoles de droit et de théologie, se trouve codifié dans les livres qu’IRA a symboliquement incinéré le 27avril 2012 à Riyadh, à Nouakchott ; l’Etat, les érudits, les partis politiques mauritaniens  les considèrent sacrés et infaillibles, malgré les contradictions  grandes et flagrantes avec l’essence égalitaire, libératrice et humanitaire de l’Islam originel. Le gouvernement mauritanien confère à ces textes infâmes une supériorité établie  aux conventions et traités internationaux ; ces écrits que nous décrions sont à la base de la formation en Mauritanie, des magistrats, des officiers de police judiciaire, des administrateurs de commandement, des imams et des érudits ; c’est aussi, dans  ces pages cruelles, que la Mauritanie cherche la substance de sa législation  tels les codes, pénal et du  statut personnel.

Mesdames et Messieurs, ces livres sources de nos malheurs en tant que populations serviles (hratin), et  vecteur d’une publicité du pire à la religion musulmane, représentent la doctrine de d’Etat et la principale source de loi dans mon pays ; elles réglementent la vie, par la seule volonté d’une minorité qui domine et fonde sa continuité sur la nécessité de l’esclavage ; elle trouve dans la littérature du crime, la caution et la motivation  de sa forfaiture, reproduite depuis des siècles; la duplicité est telle que dans les forums et organismes internationaux, la Mauritanie se targue du record de ratifications alors qu’à l’intérieur, les pouvoirs exécutif et judiciaire invoquent la sacralité des lois traditionnelles, donc leur supériorité sur le droit international.

Chers amis, nous avons besoin de vous, pour

1   Amener la Mauritanie à renoncer   à la ligne politique et diplomatique du déni actif,  en reconnaissant l’existence de pratiques massives et multiformes de l’esclavage contre les Hratin;

2 Pousser la Mauritanie à rompre avec la duplicité et à conformer ses lois nationales - non seulement avec ces engagements internationaux qu’elle a souverainement adoptés -  mais aussi avec ses prétentions de République Islamique, et ce en souscrivant aux préceptes égalitaires, justes et humanitaires de l’Islam originel ;

3   Abroger   l’enseignement et la publicité de l’esclavage et autres formes d’inégalités contenus dans les livres  et codes multiséculaires que seul notre pays entoure encore d’immunité et d’inviolabilité.


Le 03 mai 2013-05-02

Dublin, Irlande.

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