Dernièrement, on a beaucoup parlé dans
notre pays de l’esclavage et des Haratines. Beaucoup de nos citoyens ont
fait preuve d’étonnement et de manque de compréhension envers leurs
revendications. Beaucoup de Maures disent que l’esclavage n’existe plus,
qu’il existe des lois qui l’incriminent. Pourquoi donc,
s’interrogent-ils, tout ce battage ? N’avons-nous pas coexisté en paix
durant des siècles? Qu’est-ce qui
justifie ce discours raciste? A quoi sert l’incinération de livres et
l’offensive dont font l’objet certains oulémas maures? Tout cela
n’est-il pas du passé?
Pour leur répondre, il faut d’abord leur
expliquer la signification de la condition d’ « esclave » ou d’ «
hartani ». Ils doivent pouvoir se mettre à la place des autres pour
mieux comprendre les choses.
Être hartani ou réduit en esclave
signifie qu’aux yeux de la communauté, tu as un déficit de droits et tu
te situes au bas de l'échelle sociale.
Être hartani ou réduit en esclavage
signifie que tu n’existes que pour des tâches physiques : élever les
troupeaux, creuser les puits, planter les palmiers et égorger et dépecer
les animaux.
Être hartani ou réduit en esclavage
signifie que tu es privé de ton droit à l’éducation et des droits de
propriété : tu ne peux posséder ni les animaux que tu élèves ni les
terres que tu cultives.
Être hartani ou réduit en esclavage
signifie que ta religion est incomplète : tu n’as pas à t’acquitter de
devoirs religieux tels que la Zakat, le pèlerinage, la grande prière du
vendredi… Même le mariage de ta propre fille est susceptible d’être
annulé si tes maîtres ou les siens n’ont pas été consultés.
Etre hartani ou réduit en esclavage
signifie que tu n’es pas membre à part entière d’un groupe tribal. Si la
chance t’accompagne, tu n’appartiens qu’à un seul groupe. Mais tu peux
aussi être la propriété de plusieurs : un quart de toi appartient à
untel, une partie de toi est offerte à un autre dans le cadre d’une
alliance ou d’un mariage…
Être hartani ou réduit en esclavage
signifie que n’importe quel quidam, même s’il ne te connait pas, peut se
permettre de te donner des ordres et s’attend à ce que tu lui obéisses.
Être enfant hartani ou réduit en
esclavage signifie que tu fais le travail domestique pour la famille du
maître ou que tu conduis une charrette à âne, pendant que les autres
enfants vont à l'école, s’amusent et jouent ensemble.
Être hartani ou réduit en esclavage
signifie que tes frères et sœurs sont dispersés dans différentes
familles pour les servir et servir leurs descendants. Cela signifie que
tu dois supporter de voir un gamin de 10 ans envoyer ta chère maman pour
lui acheter des bonbons à la boutique ; que tu la vois porter sur elle
les enfants d’autrui alors que personne ne te porte, toi, son propre
fils ; que tu vois les jeunes maures respecter les personnes âgées et
s’empêcher de fumer en leur présence, sauf avec ton grand-père qu’ils
enfument et à qui ils empruntent insolemment des allumettes.
Cela signifie que tu vis dans une
société qui enracine dans ton esprit que tu es inférieur aux autres, que
la Raison n’existe pas au sein des Noirs et qu’il existe pas mal de
choses qui échappent à ta modeste perception...
Etre hartani ou réduit en esclavage
signifie que tu es inapte, aux yeux de cette société raciste, à épouser
ses filles, même si tu es ministre ou quelque-chose de similaire.
Être hartani ou réduit en esclavage
signifie que tu dois supporter de voir tes amis d'enfance, qui ont
grandi avec toi dans le même quartier, monter les échelons
hiérarchiques, alors que tu trimes dans le même bureau pendant vingt
ans, si bureau il y a.
Etre hartani ou réduit en esclavage et
servir dans l’Armée de ton pays signifient que tu supportes d’être
exploité par un officier, de laver ses vêtements ou de conduire sa
voiture.
Toutes ces pratiques ont été exercées au
nom de la religion, avec l’approbation et la bénédiction des hommes du
clergé (oulémas). Nous ne devrions donc pas être surpris par
l’incinération de livres esclavagistes par les esclaves. A leur place je
ferais la même chose, voire pire.
Cher lecteur:
Mettez-vous à leur place et réfléchissez
bien à toute cette injustice pratiquée dans notre société au fil des
ans ! Que feriez-vous si vous étiez à leur place? Accepteriez-vous cet
état de fait ? Eux, ils ne l’acceptent plus. Et tout intellectuel qui se
respecte dans ce pays ne peut pas l'accepter.
Frères haratines :
Levez-vous pour récupérer vos droits,
pour libérer nos frères et les vôtres de l'esclavage et de l'ignorance.
Faites-le pour une Mauritanie source de fierté, où l’homme n'opprime
point son frère.
L’aube finira forcément par se lever.
Inévitablement, les Haratines se léveront, aussi.
Saleck Najem
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