Translate

dimanche 10 mars 2013

Entretien avec Moustapha Touré:coordinateur des associations et collectifs des réfugiés mauritaniens au Sénégal et au Mali




Moustapha Touré, coordinateur des associations et collectifs des réfugiés  mauritaniens au Sénégal et au Mali

Afrikum@ : Quelle est la situation actuelle des réfugiés mauritaniens au Sénégal ?
Moustapha Touré : La situation des réfugiés mauritaniens au Sénégal  est loin d’être aisée, pour ne pas dire qu’elle est très difficile. Celle-ci est  pénible pour la majorité des réfugiés, en raison des manques tant au plan sanitaire, alimentaire, du logement,
qu’au plan administratif. Sur ce dernier point, il est important de souligner que des décisions utiles et  bénéfiques en faveur des réfugiés ont été prises par le gouvernement du Sénégal. Celles-ci concernent l’octroi,  après 24 ans de déni, d’un statut de réfugié aux Mauritaniens, pour la plupart déportés au Sénégal  lors des évènements douloureux de 1989. Et ceci,  par la délivrance d’une carte d’identité biométrique de réfugié valant titre de séjour pour cinq ans et renouvelable. Une carte d’identité qui vient remplacer heureusement un récépissé de dépôt d’une demande pour une carte d’identité de refugié qui n’était valable que pour un an et renouvelable et n’était d’aucune utilité pour ces détenteurs. Si près de dix mille cartes d’identité biométriques ont été confectionnées par les autorités Sénégalaises et que  bon nombre ont été délivrées à leurs bénéficiaires, permettez-nous,  tout de même de  rappeler que  beaucoup de réfugiés mauritaniens restés au Sénégal ne bénéficient toujours pas de ces cartes. Pour cause, ils n’ont pas été encore recensés et enregistrés lors des campagnes organisées à cet effet, en vue de l’obtention du statut de réfugié. Donc, ils ont été laissés en rade. Aussi, nous appelons les autorités compétentes pour que ce statut soit élargi à tous les réfugiés  mauritaniens. Toutefois, il faut reconnaître qu’une certaine assistance nous est apportée à travers des programmes d’appui. Ces derniers couvrent des domaines variés: santé, éducation, accés à l'eau potable et activités génératrices de revenus. Mais pour être honnête,  avec toute la bonne volonté de l’OFADEC (Office Africain pour le Développement et la Coopération), bras opérationnel du Haut Commissariat des Nations Unies  pour les Réfugiés (HCR), des difficultés demeurent faute de moyens financiers conséquents.
Afrikum@ : Selon vous, qu’est-ce qui explique encore la présence des réfugiés mauritaniens  au Sénégal?
Moustapha Touré : La présence des réfugiés mauritaniens au Sénégal n’est pas de notre goût, contrairement à ce que pense une certaine opinion. Nous envisageons toujours le retour au pays si les conditions satisfaisantes à cet égard sont remplies, c’est la raison pour laquelle nous avons refusé toute application de la

clause de cessation au statut de réfugié  concernant notre cas,  en témoigne notre refus de toute naturalisation comme sénégalais, après 24 ans d’exil. Aussi faut-il rappeler,  qu’en faveur du changement du régime politique consécutif à l’éviction de l’ancien président Ould Taya à la tête de notre pays, en août 2005,  nous avons accepté la main tendue du régime de transition notamment  celle du  régime issu de cette transition politique et qu’incarnera  l’ancien Président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, démocratiquement élu en avril 2007. En tant qu’organisation de réfugiés, nous avons été l’un des principaux artisans du processus de rapatriement des réfugiés mauritaniens. Par ailleurs, nous étions présents à Nouakchott, en novembre 2012, lors de la signature de l’accord tripartite (HCR-Mauritanie-Sénégal) concernant le rapatriement des réfugiés mauritaniens au Sénégal. Nous avons été également des acteurs essentiels ayant pris part aux journées  nationales de concertation et de mobilisation  pour le retour des réfugiés et le  règlement du passif humanitaire, organisées à Nouakchott entre le 20 et 22 novembre 2007.Il faut ajouter, que nous avons accueilli en juillet 2007, la délégation interministérielle venue au Sénégal, nous inviter, au nom du chef de l’Etat, à rentrer au pays. Cette invitation fait suite au discours de l’ex- président Sidi Mouhamed Ould Cheikh Abdallahi, qui dans une adresse à la nation en juin 2007 reconnait qu’il y a eu des « pratiques absurdes » qui ont porté atteinte massivement et gravement aux droits de l’homme en 1989-90-91 contre des citoyens mauritaniens victimes de « dénis de droit d’une grande ampleur ». Aussi, tout en exprimant la compassion de la république à l’égard des victimes, il appelle à la  mobilisation et à la tolérance des mauritaniens afin de rechercher les voies et moyens appropriés pour le retour des réfugiés et le règlement du passif humanitaire grâce à l’appui du HCR et des partenaires au développement. Fort de toutes ces démarches comme préalables, nous avons estimé impérieux de convaincre nos frères réfugiés d’opter pour le retour au pays sous l’égide du HCR, dès lors où il leur est garantie une  réhabilitation dans tous leurs droits. A savoir, entre autres, le recouvrement de leurs nationalités mauritaniennes, de leurs biens,  ou à défaut  leurs  indemnisations, leurs réintégrations dans la fonction publique pour ceux qui  en avaient été radiés à l’époque des déportations. C’est dans ce contexte, que les opérations de rapatriement  des réfugiés mauritaniens allaient débuter en janvier 2008.  Par la suite, compte tenu  du coup d’Etat militaire d’août 2008, nous avons estimé que la confiance ne pouvait plus régner entre nous et le régime issu du coup de force que nous avons condamné vigoureusement dans une déclaration. Ce coup d’Etat constitue, à notre avis, un recul démocratique qui allait remettre en cause les acquis issus des concertations antérieures. C’était le retour du régime militaire responsable de l’élargissement du  fossé  existant entre nos communautés nationales, de la difficulté de cohabitation entre elles, du déséquilibre politique de notre pays. Nous ne croyons pas nous tromper, aujourd’hui,  si nous disons que le processus d’enrôlement pour sécuriser notre état civil est perçu par une partie des citoyens mauritaniens comme une volonté d’exclure une partie de la communauté nationale, comme en témoignent la controverse toujours actuelle autour de cette question et  les manifestations et la répression qui en découleront. Nous ne vous apprenons rien, lorsque nous disons que l’institution parlementaire de notre pays est en panne, dans la mesure où son mandat est arrivé à terme depuis plus d’un an et qu’une crise politique profonde y sévit depuis le coup d’Etat militaire d’aout 2008. Par ailleurs, nul ne peut nier les difficultés vécues par les rapatriés du Sénégal qui sont au nombre de 24.542. Le Forum des Organisations Nationales des Droits de l’Homme en Mauritanie (FONADH) regroupant 13 structures, ne reconnaissait-t-il pas récemment qu’il y a eu certes des avancées en matière d’insertion de ces rapatriés, mais que cela cache mal des situations défavorables liées notamment à la non délivrance des pièces d’Etat-civil à  bon nombre d’entre eux et à la persistance des questions liées au foncier,  touchant ceux qui ont été dépossédés de leurs terres, lors de leurs expulsions en 1989 ? Vous comprenez alors pourquoi les réfugiés mauritaniens restés au Sénégal ont décidé de sursoir  à leurs rapatriements, les évènements douloureux de cette époque sont encore  vivaces dans leurs esprits. Beaucoup de ces réfugiés ont perdu des proches dans des conditions tragiques et  ces  crimes restent impunis malgré certaines recommandations décidées au plan national relatif au devoir de mémoire, la création d’une commission nationale indépendante devant éclairer l’opinion sur de graves violations des droits de l’homme. Ces recommandations ressortent  des journées nationales de concertations de  novembre 2007. Par ailleurs, nous sommes ahuris par les propos de nos autorités qui affirment avoir soldé le passif humanitaire, quand on sait que plus de 10.000 déportés mauritaniens enregistrés  au Mali grâce  aux bons soins du HCR ne sont pas pris en compte par celles-ci. L’actuel  ministre de l’intérieur mauritanien va jusqu’à affirmer qu’il n’existe pas de réfugiés mauritaniens au Mali. Il faut souligner, jusqu’à aujourd’hui, que de nombreux ayants-droit des victimes de la répression et des pogroms des années 1989 exigent, au nom du devoir de mémoire, que justice soit rendue. C’est ainsi qu’une grande manifestation sera  organisée en ce mois de février, par le parti  politique AJD-MR et qui a regroupé des organisations des droits de l’homme et de la société civile mauritaniennes qui ont exigé que soit levée  la loi d’amnistie votée en 1993 par l’assemblée nationale et  consacrant l’impunité octroyée aux présumés responsables des violations graves des droits de l’homme  de cette époque. De toute façon, il y a lieu de savoir quel  sort a été réservé à la recommandation issue des journées nationales de concertation de 2007 et concernant la création d’une commission nationale indépendante d’enquête devant faire la lumière sur ces violations graves et massives des droits de l’homme  et situer les responsabilités.
 Afrikum@:Que pensez-vous de la position du HCR concernant les réfugiés mauritaniens  qui sont actuellement au Sénégal ?
Moustapha Touré : Nous pensons que  les Nations Unies ont tendance à réduire la question des réfugiés mauritaniens à une dimension strictement humanitaire. Cette question, pour être  définitivement et correctement résolue ne
 devrait pas  être  séparée de la crise multiforme et multidimensionnelle internes à la Mauritanie.  Et pour ce faire, il serait plus judicieux de la considérer donc dans sa globalité, en la rattachant aux solutions devant être apportées à la crise  politique relative à la bonne gouvernance, à la crise d’identité nationale liée à la cohabitation difficile des cultures et de des communautés nationales et aux règlement des problèmes de justice en raison du règne de l’impunité, toutes choses qui prévalent dans notre pays à savoir la Mauritanie et menacent de façon récurrente sa stabilité. Pourquoi ne pas alors, à l’instar de ce qui est prévu  par les nations unies dans le cas du conflit au nord Mali, prendre en compte la question des réfugiés mauritaniens au Sénégal et au Mali dans le cadre d’une stratégie intégrée pour le sahel prenant en considération les questions humanitaires, politiques, de gouvernance, de droits de l’homme et de développement ?  Par ailleurs, je ne saurais faire fi dans cette interview de la nécessité pour les autorités mauritaniennes de prendre en charge la question de l’esclavage dont sont victimes une frange importante de citoyens  noirs mauritaniens et ce de la part d’une certaine féodalité arabo-berbère.  Compte tenu de ce que nous venons d’évoquer, si l’on ne prend pas garde, la haine pourrait insidieusement s’installer entre les communautés noires et arabes, berbères vivant en Mauritanie et au Mali et alors  les risques d’une tragédie dont les retombées catastrophiques en matière de paix et de sécurité dans la sous-région pourraient être inévitables. La présence, de dizaines de milliers de réfugiés maliens touarègs  dans les pays voisins et plus particulièrement au Niger et en Mauritanie  et celle des réfugiés mauritaniens au Mali et au Sénégal victimes des déportations en 1989 par les autorités de Nouakchott, est un problème qui doit être impérativement réglé, au risque de constituer une source d’instabilité durable de la zone sahélo-saharienne.
Je souhaiterais conclure cette interview, si vous me  le permettez, par ces propos de  Rolland Breton tirés d’une de ses publications intitulée les Ethnies  et qui est à méditer: « En Mauritanie, l’équilibre précaire, secoué en 1989, entre l’ethnie dominante des maures nomades arabisés et une majorité réelle de paysans négro-africains islamisés de la vallée du fleuve Sénégal, pourra-t-il être

restauré constitutionnellement par la proclamation d’une « république islamique arabe et africaine ? A l’inverse, au Mali et au Niger, l’octroi aux touaregs, par les majorités négro-africaines islamisées, de droits culturels antérieurement à ceux des autres berbères du Maghreb ne les a pas mis à l’abri d’une répression permanente». Cette répression ne serait-elle pas, en partie, pour être honnête, la réponse à des velléités indépendantistes violentes de certaines franges de ces groupes ethniques qui  veulent remettre en cause l’intégrité des territoires d’Etats issus du découpage colonial lors du Congrès de Berlin de 1884-1885 proclamé intangible par l’organisation de l’unité africaine sur le principe uti possidetis : utilise ce que tu possèdes. La menace, sur la stabilité territoriale du Mali dont certaines villes du nord avaient été occupées illégalement par les extrémistes islamistes d’Ançar Eddine, du MUJOA affiliés à AQMI et leurs anciens alliés indépendantistes du MNLA dont certains des dirigeants seraient basés en Mauritanie, vient nous rappeler la fragilité de nos Etats pluriethniques et pluriculturels que des forces centrifuges et souvent obscurantistes tentent de démembrer. Des forces qui cherchent à remettre en cause une cohabitation entre communautés culturelles ou religieuses partageant un même espace national et que l’histoire lie presque irréversiblement dans des cadres institutionnels internationalement et juridiquement reconnus qui fonctionnent depuis plus d’un quart de siècle. Pour que ces cadres soient durables, ils ont le devoir et l’obligation, pour leur survie et leur stabilité : d’une part, de respecter et de défendre le principe du pluralisme culturel, religieux ; et d’autre part, de veiller à distribuer aussi équitablement que possible les ressources naturelles que des communautés de destin ont en commun.
Je vous remercie pour cette interview qui m’a obligé à dresser un bilan de la situation des réfugiés mauritaniens en l’inscrivant dans une perspective plus globale.
Voir la vidéo du premier rapatriement en Mauritanie en Janvier 2008

Afrikum@ : Propos recueillis à Dakar par Moulaye Ismael KEITA

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire