Moustapha Touré, coordinateur des associations et collectifs des réfugiés mauritaniens au Sénégal et au Mali
Afrikum@ : Quelle est la situation actuelle des
réfugiés mauritaniens au Sénégal ?
Moustapha Touré : La situation des réfugiés mauritaniens au
Sénégal est loin d’être aisée, pour ne pas dire qu’elle est très
difficile. Celle-ci est pénible pour la majorité des réfugiés, en raison
des manques tant au plan sanitaire, alimentaire, du logement,
qu’au plan administratif. Sur ce
dernier point, il est important de souligner que des décisions utiles et
bénéfiques en faveur des réfugiés ont été prises par le gouvernement du
Sénégal. Celles-ci concernent l’octroi, après 24 ans de déni, d’un statut
de réfugié aux Mauritaniens, pour la plupart déportés au Sénégal lors des
évènements douloureux de 1989. Et ceci, par la délivrance d’une carte
d’identité biométrique de réfugié valant titre de séjour pour cinq ans et
renouvelable. Une carte d’identité qui vient remplacer heureusement un
récépissé de dépôt d’une demande pour une carte d’identité de refugié qui
n’était valable que pour un an et renouvelable et n’était d’aucune utilité pour
ces détenteurs. Si près de dix mille cartes d’identité biométriques ont été
confectionnées par les autorités Sénégalaises et que bon nombre ont été
délivrées à leurs bénéficiaires, permettez-nous, tout de même de
rappeler que beaucoup de réfugiés mauritaniens restés au Sénégal ne
bénéficient toujours pas de ces cartes. Pour cause, ils n’ont pas été encore
recensés et enregistrés lors des campagnes organisées à cet effet, en vue de
l’obtention du statut de réfugié. Donc, ils ont été laissés en rade. Aussi,
nous appelons les autorités compétentes pour que ce statut soit élargi à tous les
réfugiés mauritaniens. Toutefois, il faut reconnaître qu’une certaine
assistance nous est apportée à travers des programmes d’appui. Ces derniers
couvrent des domaines variés: santé, éducation, accés à l'eau potable et
activités génératrices de revenus. Mais pour être honnête, avec toute la
bonne volonté de l’OFADEC (Office Africain pour le Développement et la
Coopération), bras opérationnel du Haut Commissariat des Nations Unies
pour les Réfugiés (HCR), des difficultés demeurent faute de moyens financiers
conséquents.
Afrikum@ : Selon vous, qu’est-ce qui explique
encore la présence des réfugiés mauritaniens au Sénégal?
Moustapha Touré : La présence des réfugiés mauritaniens au Sénégal
n’est pas de notre goût, contrairement à ce que pense une certaine opinion.
Nous envisageons toujours le retour au pays si les conditions satisfaisantes à
cet égard sont remplies, c’est la raison pour laquelle nous avons refusé toute
application de la
clause de cessation au statut de
réfugié concernant notre cas, en témoigne notre refus de toute
naturalisation comme sénégalais, après 24 ans d’exil. Aussi faut-il
rappeler, qu’en faveur du changement du régime politique consécutif à
l’éviction de l’ancien président Ould Taya à la tête de notre pays, en août
2005, nous avons accepté la main tendue du régime de transition
notamment celle du régime issu de cette transition politique et
qu’incarnera l’ancien Président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi,
démocratiquement élu en avril 2007. En tant qu’organisation de réfugiés, nous
avons été l’un des principaux artisans du processus de rapatriement des
réfugiés mauritaniens. Par ailleurs, nous étions présents à Nouakchott, en
novembre 2012, lors de la signature de l’accord tripartite
(HCR-Mauritanie-Sénégal) concernant le rapatriement des réfugiés mauritaniens
au Sénégal. Nous avons été également des acteurs essentiels ayant pris part aux
journées nationales de concertation et de mobilisation pour le
retour des réfugiés et le règlement du passif humanitaire, organisées à
Nouakchott entre le 20 et 22 novembre 2007.Il faut ajouter, que nous avons
accueilli en juillet 2007, la délégation interministérielle venue au Sénégal,
nous inviter, au nom du chef de l’Etat, à rentrer au pays. Cette invitation
fait suite au discours de l’ex- président Sidi Mouhamed Ould Cheikh Abdallahi,
qui dans une adresse à la nation en juin 2007 reconnait qu’il y a eu des
« pratiques absurdes » qui ont porté atteinte massivement et
gravement aux droits de l’homme en 1989-90-91 contre des citoyens mauritaniens
victimes de « dénis de droit d’une grande ampleur ». Aussi, tout en
exprimant la compassion de la république à l’égard des victimes, il appelle à
la mobilisation et à la tolérance des mauritaniens afin de rechercher les
voies et moyens appropriés pour le retour des réfugiés et le règlement du
passif humanitaire grâce à l’appui du HCR et des partenaires au développement.
Fort de toutes ces démarches comme préalables, nous avons estimé impérieux de
convaincre nos frères réfugiés d’opter pour le retour au pays sous l’égide du
HCR, dès lors où il leur est garantie une réhabilitation dans tous leurs
droits. A savoir, entre autres, le recouvrement de leurs nationalités
mauritaniennes, de leurs biens, ou à défaut leurs indemnisations,
leurs réintégrations dans la fonction publique pour ceux qui en avaient
été radiés à l’époque des déportations. C’est dans ce contexte, que les
opérations de rapatriement des réfugiés mauritaniens allaient débuter en
janvier 2008. Par la suite, compte tenu du coup d’Etat militaire
d’août 2008, nous avons estimé que la confiance ne pouvait plus régner entre
nous et le régime issu du coup de force que nous avons condamné vigoureusement
dans une déclaration. Ce coup d’Etat constitue, à notre avis, un recul
démocratique qui allait remettre en cause les acquis issus des concertations
antérieures. C’était le retour du régime militaire responsable de
l’élargissement du fossé existant entre nos communautés nationales,
de la difficulté de cohabitation entre elles, du déséquilibre politique de
notre pays. Nous ne croyons pas nous tromper, aujourd’hui, si nous disons
que le processus d’enrôlement pour sécuriser notre état civil est perçu par une
partie des citoyens mauritaniens comme une volonté d’exclure une partie de la
communauté nationale, comme en témoignent la controverse toujours actuelle
autour de cette question et les manifestations et la répression qui en
découleront. Nous ne vous apprenons rien, lorsque nous disons que l’institution
parlementaire de notre pays est en panne, dans la mesure où son mandat est
arrivé à terme depuis plus d’un an et qu’une crise politique profonde y sévit
depuis le coup d’Etat militaire d’aout 2008. Par ailleurs, nul ne peut nier les
difficultés vécues par les rapatriés du Sénégal qui sont au nombre de 24.542.
Le Forum des Organisations Nationales des Droits de l’Homme en Mauritanie
(FONADH) regroupant 13 structures, ne reconnaissait-t-il pas récemment qu’il y
a eu certes des avancées en matière d’insertion de ces rapatriés, mais que cela
cache mal des situations défavorables liées notamment à la non délivrance des
pièces d’Etat-civil à bon nombre d’entre eux et à la persistance des
questions liées au foncier, touchant ceux qui ont été dépossédés de leurs
terres, lors de leurs expulsions en 1989 ? Vous comprenez alors pourquoi
les réfugiés mauritaniens restés au Sénégal ont décidé de sursoir à leurs
rapatriements, les évènements douloureux de cette époque sont encore
vivaces dans leurs esprits. Beaucoup de ces réfugiés ont perdu des proches dans
des conditions tragiques et ces crimes restent impunis malgré
certaines recommandations décidées au plan national relatif au devoir de
mémoire, la création d’une commission nationale indépendante devant éclairer
l’opinion sur de graves violations des droits de l’homme. Ces recommandations
ressortent des journées nationales de concertations de novembre
2007. Par ailleurs, nous sommes ahuris par les propos de nos autorités qui
affirment avoir soldé le passif humanitaire, quand on sait que plus de 10.000
déportés mauritaniens enregistrés au Mali grâce aux bons soins du
HCR ne sont pas pris en compte par celles-ci. L’actuel ministre de
l’intérieur mauritanien va jusqu’à affirmer qu’il n’existe pas de réfugiés
mauritaniens au Mali. Il faut souligner, jusqu’à aujourd’hui, que de nombreux
ayants-droit des victimes de la répression et des pogroms des années 1989
exigent, au nom du devoir de mémoire, que justice soit rendue. C’est ainsi
qu’une grande manifestation sera organisée en ce mois de février, par le
parti politique AJD-MR et qui a regroupé des organisations des droits de
l’homme et de la société civile mauritaniennes qui ont exigé que soit levée
la loi d’amnistie votée en 1993 par l’assemblée nationale et
consacrant l’impunité octroyée aux présumés responsables des violations
graves des droits de l’homme de cette époque. De toute façon, il y a lieu
de savoir quel sort a été réservé à la recommandation issue des journées
nationales de concertation de 2007 et concernant la création d’une commission
nationale indépendante d’enquête devant faire la lumière sur ces violations
graves et massives des droits de l’homme et situer les responsabilités.
Afrikum@:Que
pensez-vous de la position du HCR concernant les réfugiés mauritaniens
qui sont actuellement au Sénégal ?
Moustapha Touré : Nous pensons que les Nations Unies ont
tendance à réduire la question des réfugiés mauritaniens à une dimension
strictement humanitaire. Cette question, pour être définitivement et
correctement résolue ne
devrait pas être
séparée de la crise multiforme et multidimensionnelle internes à la Mauritanie.
Et pour ce faire, il serait plus judicieux de la considérer donc dans sa
globalité, en la rattachant aux solutions devant être apportées à la crise
politique relative à la bonne gouvernance, à la crise d’identité
nationale liée à la cohabitation difficile des cultures et de des communautés
nationales et aux règlement des problèmes de justice en raison du règne de
l’impunité, toutes choses qui prévalent dans notre pays à savoir la Mauritanie
et menacent de façon récurrente sa stabilité. Pourquoi ne pas alors, à l’instar
de ce qui est prévu par les nations unies dans le cas du conflit au nord
Mali, prendre en compte la question des réfugiés mauritaniens au Sénégal et au
Mali dans le cadre d’une stratégie intégrée pour le sahel prenant en
considération les questions humanitaires, politiques, de gouvernance, de droits
de l’homme et de développement ? Par ailleurs, je ne saurais faire
fi dans cette interview de la nécessité pour les autorités mauritaniennes de
prendre en charge la question de l’esclavage dont sont victimes une frange
importante de citoyens noirs mauritaniens et ce de la part d’une certaine
féodalité arabo-berbère. Compte tenu de ce que nous venons d’évoquer, si
l’on ne prend pas garde, la haine pourrait insidieusement s’installer entre les
communautés noires et arabes, berbères vivant en Mauritanie et au Mali et alors
les risques d’une tragédie dont les retombées catastrophiques en matière
de paix et de sécurité dans la sous-région pourraient être inévitables. La
présence, de dizaines de milliers de réfugiés maliens touarègs dans les
pays voisins et plus particulièrement au Niger et en Mauritanie et celle
des réfugiés mauritaniens au Mali et au Sénégal victimes des déportations en
1989 par les autorités de Nouakchott, est un problème qui doit être
impérativement réglé, au risque de constituer une source d’instabilité durable
de la zone sahélo-saharienne.
Je souhaiterais conclure cette
interview, si vous me le permettez, par ces propos de Rolland
Breton tirés d’une de ses publications intitulée les Ethnies et qui est à
méditer: « En Mauritanie, l’équilibre précaire, secoué en 1989, entre
l’ethnie dominante des maures nomades arabisés et une majorité réelle de
paysans négro-africains islamisés de la vallée du fleuve Sénégal, pourra-t-il
être
restauré constitutionnellement
par la proclamation d’une « république islamique arabe et africaine ?
A l’inverse, au Mali et au Niger, l’octroi aux touaregs, par les majorités
négro-africaines islamisées, de droits culturels antérieurement à ceux des
autres berbères du Maghreb ne les a pas mis à l’abri d’une répression
permanente». Cette répression ne serait-elle pas, en partie, pour être honnête,
la réponse à des velléités indépendantistes violentes de certaines franges de
ces groupes ethniques qui veulent remettre en cause l’intégrité des
territoires d’Etats issus du découpage colonial lors du Congrès de Berlin de
1884-1885 proclamé intangible par l’organisation de l’unité africaine sur le
principe uti possidetis : utilise ce que tu possèdes. La menace,
sur la stabilité territoriale du Mali dont certaines villes du nord avaient été
occupées illégalement par les extrémistes islamistes d’Ançar Eddine, du MUJOA
affiliés à AQMI et leurs anciens alliés indépendantistes du MNLA dont certains
des dirigeants seraient basés en Mauritanie, vient nous rappeler la fragilité
de nos Etats pluriethniques et pluriculturels que des forces centrifuges et
souvent obscurantistes tentent de démembrer. Des forces qui cherchent à
remettre en cause une cohabitation entre communautés culturelles ou religieuses
partageant un même espace national et que l’histoire lie presque
irréversiblement dans des cadres institutionnels internationalement et
juridiquement reconnus qui fonctionnent depuis plus d’un quart de siècle. Pour
que ces cadres soient durables, ils ont le devoir et l’obligation, pour leur
survie et leur stabilité : d’une part, de respecter et de défendre le
principe du pluralisme culturel, religieux ; et d’autre part, de veiller à
distribuer aussi équitablement que possible les ressources naturelles que des
communautés de destin ont en commun.
Je vous remercie pour cette
interview qui m’a obligé à dresser un bilan de la situation des réfugiés
mauritaniens en l’inscrivant dans une perspective plus globale.
Voir la vidéo du premier
rapatriement en Mauritanie en Janvier 2008
Afrikum@ : Propos recueillis à
Dakar par Moulaye Ismael KEITA
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