Afrique Les Mauritaniens regardent le Mali avec anxiété
GENÈVE DE NOTRE ENVOyÉE SPÉCIALE
Directement
concernée par la guerre au Mali, la Mauritanie fait profil bas, mais
elle risque de subir les conséquences directes de l’intervention
française : c’est chez nous que les islamistes dispersés viendront se
réfugier… »
Abidine Merzough, ingénieur de formation, vivant
en Allemagne mais effectuant de nombreux séjours dans son pays, suit de
près l’évolution de la situation au Mali, même si l’essentiel de son
combat personnel se joue ailleurs : lui, il a voué sa vie à dénoncer la
situation d’esclavage que connaissent les Mauritaniens noirs. Alors que
le cas de la Mauritanie va être examiné par la Commission des droits de
l’homme de l’ONU qui entame sa session à Genève cette semaine, Abidine
Merzough a participé à un « sommet parallèle » consacré aux
droits de l’homme et à la démocratie, organisé à Genève par UN Watch,
une ONG qui tient à replacer sous les projecteurs plusieurs crises
oubliées : l’Iran, le Tibet, le Pakistan, le Soudan, l’Est du Congo et
même Cuba.
Estimant que la loi de 2007, qui abroge l’esclavage et
place sur le même pied, en théorie, tous les citoyens de la République
islamique de Mauritanie, n’a jamais été réellement appliquée, Abidine
Merzough se bat pour sensibiliser l’opinion internationale au sort
réservé à ses compatriotes noirs. Il rappelle qu’au-delà des apparences
la population de Mauritanie est mélangée : « Les Maures monopolisent
les postes importants, dans l’armée, l’administration, les affaires et
se considèrent comme une majorité. Mais en réalité, les “Maures blancs”
ne représentent qu’un quart de la population. La confusion vient du fait
qu’au sein de toutes les familles maures vivent les “Haratins” . Ces
Noirs représentent 50 % de la population, mais ils sont confondus avec
les Maures car ils partagent la même culture, le même langage, la même
religion, un islam sunnite de rite malékite et souvent les familles
blanches et noires vivent sous le même toit ».
Pour Merzough, lui-même Haratin d’origine, la différence se résume aisément : «
Les uns sont les maîtres et les autres des serviteurs dépourvus de
droits. Toutes les tâches domestiques leur sont dévolues, la famille
“blanche” se repose sur ses domestiques noirs pour tout, amener l’eau,
cuisiner, nettoyer, cultiver… En principe certes, les Haratins peuvent,
s’ils le veulent, quitter la maison de leurs maîtres. Mais dans ce cas,
ils se retrouvent dépourvus de moyens et de logement. La réalité de leur
situation, c’est qu’ils sont exclus de la richesse et du pouvoir. On
les retrouve aussi dans l’armée, mais ils ne seront jamais officiers… »
Les Haratins ne sont pas les seuls Noirs du pays, qui accueille
d’autres groupes négro-africains (Peuls, Wolofs et Soninke). Apparentés à
leurs voisins sénégalais, ils représentent 25 % de la population et
sont aussi victimes de discriminations.
Malgré l’abolition
officielle de l’esclavage, Abidine Merzough, dont les parents étaient
des Haratins, estime qu’au sein des familles mauritaniennes on trouve
encore des Noirs en captivité : « L’an dernier, nous avons traversé
le pays d’Est en Ouest sur 1000 km et à chaque étape de cette caravane,
nous avons tenu des meetings, demandant aux esclaves de refuser leur
situation. Six d’entre eux sont sortis du rang, et nous avons demandé en
vain aux autorités de les protéger »…
La population, qu’elle
soit blanche ou négro-africaine, suit de près l’évolution de la
situation au Mali mais Merzough décrypte le double langage : d’un côté,
les autorités, par la voix du président Mohamed Ould Abdelaziz, se
déclarent solidaires de l’intervention française ; mais nul n’est dupe :
« Parmi les islamistes traqués, il y a des Algériens, des
Mauritaniens, des Sahraouis. Chacun sait que, s’ils sont défaits par
l’intervention française, ces hommes vont se replier et se réorganiser
chez nous… De plus, l’opposition est hostile à la participation de
troupes mauritaniennes tandis que la population, elle est absolument
opposée à la guerre. » Merzough y voit l’influence des prêches dans les mosquées : «
Chaque semaine, les imans, sans être inquiétés, assurent que la France
mène au Mali une nouvelle croisade et que le devoir de tout vrai
musulman est de s’y opposer. Les autorités veulent rester neutres, mais
les fidèles assurent qu’ils sont solidaires des “frères” ».
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