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Vers minuit, le groupe des prisonniers numérotés est placé devant le grand hangar. Khattra et d'autres soldats mettent en place des cordes, ils font un noeud avec l'un des bouts et passent l'autre par dessus le rail qui sert de support à la toiture, à l'entrèe du hangar. Les officiers de la base passent, discutent un peu avec Jemal Ould Moilid puis s'en vont. Ce dernier s'approche du sergent chef Diallo Abdoulaye Demba, le responsable de peleton du port de la Guerra qui porte le numéro un et lui demande s'il désire quelque chose, comme il l'a vu faire dans les anciens films western, Diallo lui demande du tabac, on lui passe une tabatière, il aspire goulûment la fumée comme pour conserver avec lui un dernier souffle d´énergie. Deux soldats l'encadrent et le trainent vers l'une des cordes. Pendant que Khattra lui passe le noeud de la corde autour du coup,il tourne la tête vers le hangar comme pour solliciter de l'aide, la dernière image de la vie qu´il emportera avec lui sera ces sombres formes allongées ou assises étroitement ficelées et dont les yeux exorbités ne peuvent se détacher de lui. Avec l'aide d'un autre soldat, Khattra le hisse jusqu'à ce que ses pieds ne touchent plus terre. Ensuite il attache le deuxième bout au rail. D'autres prisonniers suivront. Khattra est particulièrement excité, ils le sont tous d'ailleurs mais lui et Souleymane le sont encore plus. Non seulement ils seront tous pendus mais tout le monde doit regarder jusqu'à la fin, les bourreaux y tiennent . Mais il ne faut surtout pas manifester sa désaprobation. Entre deux pendaisons, Khattra s'assoit sur un cadavre pour siroter son verrre de thé ou au pied d'un pendu en récitant le coran. Il va d'un pendu à l'autre, achevant ceux qui tardent à mourir à coups de barre de fer, s'appliquant à porter les coups dans la région du cou. Pendant ce temps Souleymane et les autres préparent les prochaines victimes tout en veillant à respecter l'ordre des numéros. Quand arrive le tour du numéro onze, Diallo Sileye Beye ne peut s'empêcher de pousser un cri. Il recoit un violent coup de pied pour avoir osé perturber le déroulement de la cérémonie. Ses yeux ne se détachent plus de cet homme à qui on est en train de passer la corde au cou. Cet homme qui n'est autre que son petit frère, le matelot Diallo Abdoul Beye, qui cessera d'exister dans moins de trois minutes et que plus jamais il ne reverra. Abdoul Beye ne proteste même pas, il est hissé au bout de la corde sous le regard ahuri de son frère. Il n'ya pas de mots pour exprimer la douleur de Diallo Silèye Beye.
Quand arrive le tour de Diallo Oumar Demba et son frère le soldat Diallo Ibrahima Demba(le hasard a voulu
qu'ils soient,tous les deux séléctionnés pour les pendaisons et que leurs numéros se suivent, ils ont toujours tenu à rester ensemble), chacun d'eux, ne voulant pas assister à la mort de l'autre, demande à passer en premier. Un tirage au sort organisé par les bourreaux les départage, Ibrahima Demba l'ainé, passe le premier. Le soldat de première classe, Ndiaye Samba Oumar,le chauffeur qui conduisait le véhicule le jour de mon arrstation, fait partie du lot. Le deuxième classe Samba Demba Coulibaly de Djeol, un soldat de mon escadron, qui porte le numéro 28 ferme cette macabre liste.
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Les pendaisons durent plus d´une heure. Après cela, tel des bêtes excités par l´odeur du sang, le groupe de bourreaux, pris d´une euphorie collective, s´acharne sur les autres prisonniers et tape sur tout ce qui bouge. Conséquences de cette folie collective, cinq morts supplémentaires. Parmi eux, le soldat de première classe Ly Mamadou Ousmane, le seul spécialiste de l´arme antiaérienne de calibre 14,5mm de toute la région militaire.(...)
La démence a été poussée jusqu´à symboliser la date du trentième anniversaire du pays par 28 pendaisons. Vingt -huit vies humaines sacrifiées sur l´autel de la bêtise humaine. Plus jamais 28 novembre n´aura la même signification pour les Mauritaniens. Quand certains sortiront dans les rues des villes ou dans les campagnes brandissant fièrement les couleurs nationales sous les youyous des mauritaniens, pour d´autres, ce sera un jour de deuil et de recueillement à la mémoire de ces 28 militaires pendus.
Mahamadou Sy -L´enfer d´Inal "Mauritanie: L´horreur des camps"
L´Harmattan- septembre 2000.
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