L’expérience en matière de justice transitionnelle dans près d’une trentaine de pays montre que celle-ci peut se réaliser à travers cinq axes principaux : poursuite en justice des auteurs des crimes ; initiatives en faveur de la recherche de la vérité dans le but de s’informer sur la nature et l’étendues des violences commises par le passé ; réconciliation ; octroi de réparations aux victimes des violations des droits de l’homme ; réformes des institutions judiciaires et politiques. Dans le contexte mauritanien, la question de la justice transitionnelle est franchement problématique. Nous ne pouvons pas nous prononcer sur la valeur et les limites du processus de justice transitionnelle engagé par l’ancien président démocratiquement élu Sidi Mohamed ould Cheikh Abdallahi à travers les journées nationales de concertation et de mobilisation pour le retour des « réfugiés » et le règlement du « passif humanitaire » des 20-21-22 novembre 2007 organisées à Nouakchott. Pour cause, les recommandations consensuelles et démocratiques issues de ces journées -notamment concernant la création d’une commission nationale indépendante d’enquêtes devant appréhender et édifier les mauritaniens sur les violations graves et massives des droits de l’homme de 1989 à 1992 – ont été carrément ignorées par le régime putschiste du général Mohamed ould Abdel Aziz , suite à son coup d’Etat du 6 aout 2008. Ce régime illégitime, qui n’avait pas le choix que de poursuivre l’engagement du régime démocratique précédent de régler la question du « passif humanitaire », s’est livré à une arnaque en proposant des réparations partielles en faveur de quelques ayants-droit à qui on aurait fait signer subrepticement, le 24 mars 2009, un protocole attestant qu’ils auraient reçu une allocation d’un montant compris entre 1 8000 000 d’ouguiyas et 2 000 000 d’ouguiyas, et à ce titre, ils auraient renoncé à toute poursuite judiciaire présente et à venir. Cette arnaque sera couronnée, le 25 mars 2009, par des prières aux victimes des violations des droits de l’homme des années 1989-1992 et qui selon le général Abdel Aziz permettent de tourner une page « d’atrocités et de grandeur d’âme où le pardon et la miséricorde l’ont emporté sur l’aveuglement et l’obstination.» Ceci témoigne bien de la mauvaise volonté du régime du général Abdel Aziz de trouver une solution à une question nationale que représentent les crimes de génocide et les crimes contre l’humanité commis contre les négro-mauritaniens. Par ailleurs, tant que demeure en vigueur la loi d’amnistie de ces crimes par une loi adoptée, en 1993, par une assemblée qui étaient aux ordres du régime de Sid’ Ahmed ould Taya, nous sommes autorisés à penser que l’option de l’impunité est celle qui prévaut au plan politique en Mauritanie. Et, il n’a jamais été question un seul moment, de la part de la classe politique mauritanienne, de lever cette amnistie, et il n’en sera certainement pas question en ce moment où l’Etat de droit a été enterré depuis l’avènement du régime putschiste d’aout 2008. A ce propos et avec du recul, on se rend mieux compte qu’en réalité, la transition politique dirigée par le Comité Militaire pour la Justice et la Démocratie(CMJD) en 2005, qui a mis fin au régime d’ould Taya dont il a dénoncé les dérives dictatoriales et les menaces qu’elles constituaient pour la stabilité de l’Etat, n’a en réalité jamais signifié de rupture institutionnelle significative avec le régime d’exception que ce dit comité a pourtant fustigé. On comprend donc aisément les objections du président du parti de l’AJD/MR de Ibrahima Moctar Sarr faites au cours du Colloque organisé le 6 et le 7 décembre 2011 conjointement, par le Forum national des organisations des droits de l’homme (FONADH) et Open Society, sur le thème de la Justice transitionnelle et de la Réconciliation nationale. Objections, selon lesquelles la classe politique mauritanienne serait responsable du « piétinement » du dossier sur le passif humanitaire. Mettant, par ailleurs, en parallèle ces propos avec ceux relatifs à sa demande, entre autre demandes, de ne pas voter le projet de réforme constitutionnelle proposée par le CMJD, en 2006. Il aurait gagné en cohérence, s’il avait refusé de participer à tout le processus de démocratisation en cours à cette époque, dans la mesure où le vote de cette réforme constitutionnelle n’était qu’une étape de ce processus. Il a eu raison de penser que la responsabilité de tout ce qui est advenu par la suite doit être collective. Toutefois, il ne faut pas généraliser les problèmes pour mieux les évacuer. Il n’en demeure pas moins qu’il reste vrai que si la question du règlement du « passif humanitaire » avait été prise en compte sérieusement dans le cadre d’une constitution transitionnelle par le CMJD, nous n’en serions pas là à nous plaindre de son « piétinement.» On aurait eu des garanties quoiqu’il advienne. Par ailleurs, on sait que le CMJD a préféré ne pas assumer la responsabilité concernant le règlement du « passif humanitaire », en invoquant la question de sa légitimité, et qu’à cet égard, il en a laissé la charge au prochain gouvernement qui sera démocratiquement élu au terme de la période transition qui durera dix-neuf mois. Il est utile de souligner que la nécessité impérieuse de cette transition a été dictée par les années de « braise » que la Mauritanie a connu sous le régime du colonel Ould Taya, avec sa cohorte de déportations massives des négro-mauritaniens accompagnées d’expropriations à grande échelle, d’exécutions extra-judicaires et sommaires, d’épurations ethniques dans la société civile et dans l’armée qui constituent un génocide ne serait-ce qu’en raison de l’intention de porter atteinte à l’intégrité physique et mentale d’un groupe dont on visait le démembrement, des coups d’Etat avortés. Pourtant dans ce contexte de désastre sociopolitique qui avait conduit à diviser profondément les populations mauritaniennes, les groupes socio-économiques et ethnoculturelles du pays, le CMJD aurait gagné à écouter les propositions contenues dans la Déclaration de Dakar du 14 aout 2005 émanant des groupes d’opposants mauritaniens en exil qui ont combattu ouvertement et farouchement le régime d’ould Taya et qui se verront amnistier, pleinement et entièrement, par les autorités de transition, des condamnations prononcées par le régime déchu du colonel Taya, non sans avoir pour leur part renoncer à la lutte armée et accepter par la suite de participer au projet de transition démocratique proposé par le CMJD. En effet, dans son septième point, cette déclaration proposera : l’« Elaboration d’une nouvelle constitution qui sera adoptée par referendum, dans les 6 mois suivants. Elle garantira les libertés fondamentales, les équilibres essentiels de la Mauritanie et la diversité de son identité. » Il est bien mentionné une « nouvelle constitution ».On sait le tollé que cette déclaration a provoqué dans la classe politique mauritanienne qui n’a pas hésité à la fustiger. Aussi, doit-on aujourd’hui se demander dans le contexte pluriethnique et pluriculturel mauritanien, que valent réellement le vote des réformes politiques de la constitution mauritanienne de 1991 qui ne consacrent pas les libertés démocratiques et fondamentales relatives à l’égalité des communautés, des langues et des cultures nationales et n’abolit pas l’esclavage ?Il y a encore pire comment peut-on reconduire même réformée une constitution votée par un régime d’exception qui avait érigé l’impunité comme règle de gouvernance à travers la loi d’amnistie de 1993 ?
Aussi, ceux qui prônent la justice transitionnelle et la réconciliation nationale en Mauritanie doivent se demander : est-ce que les tenants de l’Etat putschiste ont la légitimité et la volonté, pour engager le processus qu’une telle justice exige. La réalité ce qu’en Mauritanie, les conditions d’une réconciliation nationale ne sont pas réunies, car à notre sens, pour que cela soit possible, il faudrait une nouvelle constitution qui puisse déboucher sur un Etat multiracial, comme en Afrique du sud. Pour arriver à cette étape ultime, il faut une transition constitutionnelle, à la manière de l’Afrique du sud qui mette côte à côte la sortie de crise et le processus constitutionnel. Il faut souligner que la conférence pour une Afrique du sud démocratique, dans les années 1990, fut l’occasion de mettre en place un armistice, la préconstitution et un traité de paix qui a permis d’aboutir à une démocratie multiraciale. Ce compromis n’a été possible selon Nelson Mandela, que parce que l’opposition n’a pas vaincu le régime de l’apartheid et de l’autre côté celui-ci a échoué à faire survivre le great Apartheid. A notre sens, en Mauritanie, tant que les rapports de forces seront en faveur du groupe hégémonique au pouvoir et qui bénéficie de surcroît, en ce moment, du soutien politique, matériel et logistique de l’occident dans la lutte contre le terrorisme islamique qui sévit dans la zone sahélo-saharienne, la justice transitionnelle en Mauritanie devant déboucher sur une démocratie multiraciale ne sera qu’un vain mot. Et, l’impunité y sera toujours exercée avec vigueur.
Il faut se souvenir qu’au temps de la guerre froide, la politique visant à contenir la poussée du communisme à l’échelle mondiale a largement contribué à réconforter le régime d’apartheid en Afrique du sud. De même, nous craignons que le régime d’exception qui prévaut aujourd’hui en Mauritanie ne profite de sa coopération dans le cadre de lutte contre le terrorisme islamique, pour freiner l’émancipation sociopolitique et culturelle des populations mauritaniennes.
Moustapha Touré: président du comité Inal Sénégal
Dakar, le 23 décembre 2011
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