On dit souvent que « comparaison n’est pas raison », n’empêche! je ne puis, malgré tout, résister à la tentation de comparer le Soudan et la Mauritanie, tant leur ressemblance me parait frappante! Entre la Mauritanie et le Soudan on trouve beaucoup de traits communs, allant de l’espace à la géographie humaine, aux politiques, stupides, mises en œuvre, que dictent des idéologies et des préjugés sous-jacents, tout aussi stupides. Deux vastes territoires, coupés en Nord et Sud, groupant des populations ethniquement diverses, aux mœurs, cultures et habitudes mentales différentes. Un Nord essentiellement peuplé par des Arabes, un Sud, majoritairement, peuplé de Noirs africains.
Deux pays qui souffraient de complexes et d’un problème d’affirmation, et peinaient à se faire reconnaître dans leur identité arabe (exclusive ), ardemment revendiquée par les gouvernants et des fractions importantes de l’élite politique et intellectuelle!
Deux pays qui se situent sur la ligne de contact entre l’Afrique noire et l’Afrique « blanche » ( sémite) , entre Arabes et Négro-africains. La Mauritanie et le Soudan, à l’image de tous les pays de cette zone de contact, du Mali à l’Ethiopie en passant par le Niger, n’échappent pas aux turbulences, aux tensions et crises de coexistence qui surgissent, périodiquement , comme de brusques poussées de fièvre, et parfois comme de formidables secousses tectoniques !
Crises et secousses dont la source principale est à chercher dans les politiques nationales, inaptes à construire une réelle unité , menées depuis les indépendances à nos jours, fondées sur des préjugés, profondément enracinés, qui reposaient sur la croyance que les races humaines seraient inégales, que certaines seraient supérieures à d’autres , que les Arabes seraient supérieurs aux Noirs… ; croyance et mentalité que traduit toute la charge négative de mépris contenue dans le mot (arabe )« jange » !
A cause de ces présupposés, absurdes, qui fondent ces politiques ineptes , l’on tourne le dos à l’esprit de tolérance, et l’on se refuse à prendre en compte la diversité –facteur de richesses-, nous exposant, sans cesse, à la descente aux enfers, aux travers de terribles excès observés , jusqu’ici, tant au Soudan qu’en Mauritanie !
Au Soudan , le gouvernement du Général Al Bashir , soutenu par les faucons de son régime et par des Islamistes intolérants, chercha à islamiser , de force , les Sud soudanais , de foi chretienne ou animiste !
Parceque les populations Sud -soudanaises opposèrent une résistance à son dessein , le Gouvernement du président Al Bashir, par le biais de ses généraux , pratiqua la politique de terre brûlée pour éliminer ou chasser les populations du sud dont il ne voulait pas, et récuperer, ainsi, leurs terres qui, seules, comptaient à ses yeux !
Son mépris pour ces populations décupla avec la découverte du pétrole sur le haut Nil , source de toutes les bavures et de tous les excès , dont Achak Deng nous rapporte ici, quelque illustration :
« Quand le pétrole fut découvert, en 1974 au Sud -Soudan, dans la région du Nil, Khartoum élabora une stratégie pour éloigner les populations noires de cette zone .
D’abord , à travers des délégations, Khartoum suggera aux populations Nuer de quitter leurs terres, contre indemnisations ou compensations; ce qu’elles refusèrent. Puis suivit la phase de menaces du gouvernement de Al Bashir, mais rien n’y fit! Les murahaleen ou janjawides, équipés d’armes automatiques par les soins du Gouvernement , sont alors envoyés, pour intimider, piller , voler et violer , afin de pousser ces populations autochtones à quitter les lieux ; mais ce fut là encore sans succès !
Alors , un beau matin un régiment de l’Armée entra dans le village , calmement prit position , et commença à tirer sur la population ; 32 personnes sont tuées , un homme est pendu .
Tranquillement les soldats regagnent leurs camions et se retirent …. C’est la panique ! La zone est nettoyée . Chevron pouvait, enfin , tranquillement pomper l’or noir »
Cette intolerance , ce peu d’interêt que manifestait le Gouvernement soudanais pour les populations Noires autochtones, on les retrouve aussi, en des termes plus ou moins identiques, en Mauritanie. Depuis l’indépendance de ce pays, les régimes arabo-berbères cherchent, obstinément , à transformer les Noirs Africains, en Arabes, par assimilation; en jouant subtilement sur la confusion entre Islam et Arabité ! en les forçant à l’usage de la langue arabe, instrumentalisée à souhait, à l’Ecole et dans l’Administration , au fin de maintenir et perpétuer le pouvoir « blanc », ou l’hégémonie de la seule composante arabo-berbère . Les Négro- africains de Mauritanie sont , certes, musulmans mais pas arabes, pour disposer de leurs propres langues et cultures millénaires, mais que méprisait le Pouvoir arabo-berbère !.
Ici également, comme au Soudan , on pratiqua la politique de terre brùlée, pendant les évènements de 1986-1990 , suite à la publication d’un document qui dénonçait le racisme d’Etat en Mauritanie ; l’Armée sillonna la vallée du fleuve pour intimider , piller , violer, tuer !
Dans un petit hameau Peulh du département de Ould- yengé , - raconte un refugié-, les habitants furent , un jour de septembre 1987, encerclés au petit matin, par une section de l’Armée mauritanienne; hommes et femmes furent sommés de se coucher à plat ventre . Les mains liées derrière le dos , ils furent tous exécutés, puis empilés dans une chaumière. L’information ne tarda pas à se propager , amplifiée par la rumeur, ce qui eut pour effet , prévisible, de créer la panique ; en quelques jours les Départements de Ould yenge et de Kankossa se vidèrent de milliers de familles négro-africaines qui fuyaient vers le Mali, voisin ! Elles y sont toujours par refus du Gouvernement de les rapatrier !
L’objectif, –vider le sol mauritanien de ces Noirs indesirables – , était atteint ! Tout comme il avait failli être atteint au Fouta, où l’Armee encercla des villages , deporta, entierement, les habitants vers le Sénégal , dans des conditions les plus humiliantes. Elle s’empara de milliers de têtes de vaches vendues à Nouackchott , comme le bétail Dinka avait été razzié et vendu au Darfur et à Khartoum ! Le Gouvernement mauritanien s’accapara de leurs terres , occupa leurs villages qu’il repeupla , exactement comme cela se fit au Sud -Soudan !
Au Soudan il y’eut les milices Janjawides créées et armées par le gouvernement , en Mauritanie ce furent quelques franges haratines , inconscientes , téléguidées , qui avaient été dressées contre leurs frères Negro- africains !
Avec le Gouvernement actuel du général ould Abdel Aziz , le même processus de dépossession des Noirs mauritaniens était toujours en marche ; par la spoliation de leurs terres vendues aux Saoudiens et aux Soudanais . Le même objectif de négation ou d’élimination demeurait , à travers ce recensement de populations, à caractère totalement raciste, qui visait les priver de la nationalité ! Mais cette fois, au lieu de recourir à la violence physique comme avec les déportations , le Gouvernememt procédait de manière plus subtile, optant pour une méthode plus fine qui posait les fondements légaux de leur exclusion .
En Mauritanie comme au Soudan , on cherchait à préserver et perpétuer un Système qui servait les intérêts d’une seule composante nationale ; les populations noires ne comptaient pas , seules comptaient leurs terres !
Comme on le voit donc , identité forte et profonde entre ces deux pays, qui semble se reflèter jusque dans les rapports inter-personnels entre les deux généraux , au point de faire de Al Bashir le premier invité de marque post investiture, en 2009; comme si Aziz tenait à témoigner à son homologue considération et solidarité, au mépris des deux millions de victimes du génocide soudanais; au mépris de la sensibilité des Négro-africains !
Ce sont, sans nul doute , ces secousses et ces tensions récurrentes sur toute cette ligne de contact , entre le Nord et le Sud, affectant tant de pays dont le Soudan et la Mauritanie, qui faisaient dire à Cheikh Anta Diop ceci : « Aussi longtemps que les Arabes qui vivent en Afrique se sentiront plus attachés à leurs frères de race du Proche- orient qu’au reste de l’Afrique , nous aurons le devoir et le droit de nous défendre contre leur attitude raciste ».
C’est à croire qu’il s’adressait, précisement, aux mauritaniens…
Nous défendre nous dit-il ! Nous défendre ….
De quelle manière ? C’est toute la question !
Bara Ba ,
Dakar le 16 octobre 2011
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