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mardi 2 juillet 2013

Birame Ould Dah face à la presse



« La campagne agricole dont Ould Abdel Aziz supervise le lancement au Trarza consacre la colonisation du Nord sur le Sud par l’expropriation des terres appartenant aux noirs au profit de l’oligarchie dominante »
Au cours de la conférence de presse qu’il a animée hier, lundi 1er juillet 2013 à Nouakchott juste après son retour de Dakar, le président de l’Initiative de résurgence du mouvement abolitionniste (IRA), Birame Ould Dah Ould Abeid, est revenu sur ce qu’il a appelé la guerre non achevée de son organisation contre le système juridico-religieux en vigueur en Mauritanie et ses suppôts au niveau local. Il a également évoqué la persistance de la torture dans le pays et l’impunité accordée aux tortionnaires en titre, ainsi que sur le voyage de Mohamed Ould Abdel Aziz au Trarza. Selon le président d’IRA « Ould Abdel Aziz est en train de consacrer l’expropriation des terres agricoles appartenant aux communautés noires des régions du Sud au profit d’hommes d’affaires fabriqués par le système féodal en vigueur ». Il s’agit, dira-t-il en substance, d’une colonisation de la Vallée par des gens du Nord, un droit de prince qu’IRA combattra, selon lui, jusqu’à la dernière énergie. Le déni de reconnaissance d’IRA, la confiscation des moyens de l’Etat par une seule communauté et une seule force politique, la gouvernance démocratique en Mauritanie, le caractère raciste de l’enrôlement et la configuration politique en Mauritanie ont aussi été abordés par le détenteur du Prix Front Line Defender 2013 et du Prix Weimar 2012 pour les droits de l’homme.

Dans une salle archicomble de l’hôtel Wissal de Nouakchott prise d’assaut par une flopée de militants, le président d’IRA, Birame Ould Dah Ould Abeid, entouré de sa vice-présidente Coumba Bâ, de son Secrétaire aux relations extérieures Balla Touré et du Sénateur Youssouf Sylla, est longuement revenu sur ce qu’il nomme « le combat légitime d’IRA contre le Code noir en vigueur en Mauritanie » allusion aux livres du Fiqh en vigueur dont il avait inséré les principales références. Aujourd’hui plus que jamais, Birame et ses militants, toujours en liberté provisoire, exigent leur jugement ou leur acquittement par le juge en charge du dossier. C’est la seule façon, d’après lui, de trancher entre la thèse qu’il défend et qui renie tout caractère religieux ou islamique aux livres qu’IRA avait incinéré et la thèse de la sacralité défendue par le système féodalo-religieux qui les avait traité d’apostats. Pour Birame, ce combat qui l’oppose au système en place, c’est le combat entre « le clan du Coran et de la Sunna du Prophète qu’IRA et son président défendent, et le clan de Khlil et de ses adorateurs ».
Il estime toutefois qu’en brûlant les livres de base du système de domination, IRA a libéré des masses jusque-là assujettis par de fausses interprétations religieuses, déclenchant en même temps le premier mouvement d’appropriation du droit à la pensée en Mauritanie. « Au lieu de m’avilir, l’autodafé de Riadh m’a au contraire grandi et grandi IRA, dans la mesure où nous sommes entrés le 28 avril 2012 en prison avec un effectif de 800 militants seulement et nous sommes sortis libres le 5 septembre 2012 avec des milliers de sympathisants » a déclaré Birame. « Aujourd’hui, précisera-t-il, c’est contre cette République autocratique, celle des érudits de Khlil, qu’IRA ira en croisade ».
La torture
Pour le président d’IRA, la pratique de la torture reste une constante dans les commissariats de police et les brigades de gendarmerie en Mauritanie, malgré la ratification de la Convention contre toute forme de tortures, de traitements dégradants et humiliants, et son Protocole facultatif. Il cite le dernier rapport d’Amnesty International sur la Mauritanie qui condamne la persistance de la torture contre les détenus. Selon lui, les tortionnaires rompus à la tâche sont bien connus, mais le plus tristement populaire, dira-t-il en substance, « reste Mohamed Ould Amar en service au commissariat antidrogue de Nouakchott ». Birame affirme avoir reçu beaucoup de plaintes d’anciens détenus passés sous sa poigne et affirme que deux de ses compagnons d’infortune, El Id et Boumediene Ould Bate en sont les exemples les plus vivants. Il cite aussi l’exemple de ce policier, Horma Ould Bilal, actuellement aux arrêts pour avoir répondu aux insultes de Mohamed Ould Amar qui l’avait traité « d’esclave ». Et de conclure que « les corps constitués en Mauritanie, les magistrats, les administrateurs, les érudits n’arrivent pas encore à conceptualiser l’idée de l’égalité entre les races et entre les citoyens ».
Expropriation des terres agricoles
« Mohamed Ould Abdel Aziz est actuellement au Trarza pour lancer la campagne agricole, mais de quelle campagne agricole s’agit-il ? » s’est interrogé Birame. Selon lui, la réponse est que cette campagne agricole c’est celle des maîtres esclavagistes, à qui l’Etat a remis indûment des parcelles de terre appartenant à des communautés noires du Sud qui les exploitaient depuis des siècles et qui constituent leurs seules sources de revenus. Il s’agit selon lui d’une expropriation au profit d’hommes enrichis sur le dos de l’Etat et qui se font appeler hommes d’affaires, mais aussi des officiers, des érudits, des administrateurs, qui n’ont jamais travaillé la terre. « C’est enfin une expropriation à caractère raciste qui prive des milliers de paysans de leurs anciennes terres de culture » soulignera Birame pour qui la « révolution agricole prétendument déclenchée n’est en réalité qu’une révolution féodale et esclavagiste ». Et il cite des noms bien connus dans la nomenklatura militaire et gouvernementale, d’anciens officiers supérieurs, d’anciens membres de gouvernement et parlementaires à la retraite politique, qui accumulent des domaines et des fazendas alors que des communautés entières souffrent de la privation de terres ancestrales. Birame a promis qu’IRA mènera une guerre sans merci contre cet esclavage agricole et contre l’argent du Crédit agricole qui n’a profité qu’à ces entités, sans que les vrais bénéficiaires en aient cueilli les fruits.
La gouvernance démocratique
Le seul point qu’IRA partagerait avec l’opposition, soulignera Birame, c’est le caractère non démocratique du régime de Mohamed Ould Abdel Aziz, trouvant inacceptable que des organisations et des partis cartables soient reconnus parce qu’ils font l’éloge du régime alors que des mouvements populaires et crédibles aussi bien sur le plan national qu’à l’international comme IRA se voient refuser une reconnaissance légale. Selon lui, le régime mauritanien doit s’inspirer de l’histoire de l’ANC, une organisation non reconnue pendant 80 ans et qui a fini par prendre le pouvoir en Afrique du Sud. Il a invité ainsi les autorités à reconnaître IRA, le parti RAG qui est issu de ses rangs et le syndicat de travailleurs qu’IRA compte mettre en place.
L’enrôlement
Après avoir salué le courageux combat du mouvement Touche pas à ma nationalité (TPMN), Birame a fustigé le caractère raciste et discriminatoire de l’enrôlement en Mauritanie. Pour lui, il y a « une forte volonté politique qui empêche l’enrôlement de la population noire en Mauritanie, pour faire prévaloir une dominance démographique biaisée de la communauté maure ». Il cite le témoignage de parlementaires qui lui ont divulgué sous le sceau de l’anonymat les instructions fermes dans ce sens du président Mohamed Ould Abdel Aziz. Cet avis sera largement partagé par le sénateur Youssouf Sylla qui a souligné que l’unité nationale doit être la pierre angulaire pour la cohésion de la Mauritanie en tant que nation. Il en a appelé à l’intervention du président François Hollande de France et de Barak Obama et par delà, de la communauté internationale toute entière, pour mettre fin au caractère discriminatoire de l’enrôlement dont souffrent des milliers de Mauritaniens noirs à l’étranger, notamment en Europe. Et Birame de s’interroger « pourquoi on n’entend aucune réclamation de la part des Mauritaniens vivant dans les pays du Golfe et qui sont à dominance maure ? Parce qu’on ne leur empêche pas de s’enrôler, au contraire des Mauritaniens installés en France, en Italie, Espagne ou Allemagne pour ne citer que ceux-là, parce qu’ils sont à dominance négro-africaine et haratine ». Pour Youssouf Sylla, les Noirs ayant peu de chance de travailler ou de réussir en Mauritanie partent gagner leur vie ailleurs et s’ils parviennent à décrocher la nationalité dans leur pays d’accueil, on les prive de leur Mauritanité, comme si la Mauritanie est la propriété d’une partie qui l’accorde ou la prive à d’autres. Aussi, en a-t-il appelé à la légalisation en Mauritanie de la double nationalité comme cela est de rigueur dans tous les pays limitrophes. Le comble selon lui, est que pareilles décisions viennent de personnes dont on connaît l’origine non mauritanienne.
Pour finir, Birame a déclaré ne pas reconnaître sur le plan politique, l’existence de trois pôles, la majorité, la COD et la CAP, jugeant que ces trois pôles n’en font en réalité qu’un, car ils partagent la même vision féodalo-religieuse qui fonde le système en vigueur, reconnaissent la suprématie du fiqh dominant, nie l’existence de la composante Harratine, vouent la même haine à IRA, et ne constituent en définitive que les deux faces de la même monnaie. Il se demande à la rigueur, pourquoi ne fusionnent-ils pas dans un seul ensemble ?

Cheikh Aïdara

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