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lundi 13 août 2012

Interview du journaliste chevronné de la presse Mauritanienne Mohamed Sneiba du Quotidien l’Authentique.






Bonjour Mohamed Sneiba, vous êtes journaliste talentueux du journal L’authentique Quotidien, présentez-vous à nos lecteurs. Parlez-nous aussi du quotidien des journalistes d’ascendance haratine dans le milieu de la presse Mauritanienne.

MS : Me présenter ? Que dire sinon que je suis professeur de français de formation (Promotion 1988 de l’ENS de Nouakchott), muté à sa sortie au lycée de Boghé, là où j’ai passé moi-même mon bac en 84. Je suis arrivé au journalisme tout à fait par hasard, en 1987, quand j’ai obtenu le 3ème prix d’un concours organisé par le quotidien national CHAAB. J’ai alors collaboré avec ce dernier, en écrivant essentiellement des nouvelles « moralisatrices », telles, « A double tranchant » (qui parlait déjà à l’époque des détournements et du sort qui attend ceux qui sont pris la main dans le sac), et « Le passé ne renaîtrait plus » qui était plutôt centré sur le « mal du siècle » de la jeunesse mauritanienne (la découverte des feuilletons latino-américains et égyptiens). Après dix ans passés à l’intérieur du pays (Boghé puis Aleg), j’ai été affecté à Nouakchott (Lycée National), en 1998, ce qui m’a donné l’occasion d’exercer pleinement le journalisme devenu pour moi une véritable passion.
Ma première vraie expérience dans le domaine a été avec L’Essor, premier magazine économique du pays. C’est Rassoul Ould Khal, l’actuel Conseiller en Communication du président de la République, qui m’a présenté à Cheiguer, le directeur de publication qui fut surpris de m’entendre dire que je cherche un journal pour écrire…sans rémunération. Il s’engagea tout de même à me payer un salaire symbolique de 12.000 UM. Deux ans après, j’étais nommé Rédacteur en chef de ce mensuel que je devais quitter en 2001 pour la rédaction de Nouakchott Info. J’ai alors commencé un long exode qui m’a mené tour à tour au Méhariste, à L’Eveil Hebdo, au Journal du Jeudi, au Rénovateur et, pour finir, à L’Authentique et à Afrimag, magazine économique basé à Casablanca.
Pour en venir à la seconde partie de votre question, je dirai que, franchement, c’est des expériences vécues sans vraiment tenir compte de la « tête » du chef. Bien sûr, qu’ils n’ont pas été tous pareils dans leurs manières de traiter avec un journaliste indépendant, qui n’avait pas de contrat, haratine de surcroit, et donc obligé de se soumettre pour ne pas être mis à la porte à la moindre protestation. J’ai tout de même gardé de bonnes relations avec tous ces patrons de presse mais, pour être juste, il faut reconnaitre que c’est véritablement à L’Authentique Quotidien que je me suis épanoui. J’écris sans contrainte, sur le sujet que je veux, en fonction de l’actualité et des informations qu’il m’arrive d’avoir par mes propres sources. C’est aussi dans ce journal particulièrement (et aussi au Rénovateur) qu’il m’a été permis d’aborder des questions sensibles comme celles liées à l’esclavage et aux relations entre communautés nationales. Pour le reste, disons que l’ambigüité de mon aventure tenait plus à mon « éparpillement », comme disait Cheikhna Ould Nenni, qu’à ma qualité de « nègre de service » pour la plupart des journaux de la place.

Nous avons constaté l’absence totale des journalistes haratine lors de la rencontre médiatique  avec le « peuple » organisée par le pouvoir de Mohamed Ould Abdel Aziz le 05 Aout 2012 à Atar, fief de l’ancien dictateur Maouiya Ould Sid’ahmed Taya. Pourtant,  il existe dans la profession des journalistes haratine capables de poser des bonnes questions dans l’intérêt national, avez-vous une explication à cela ?
MS : Oui, j’ai fait le même constat. Et j’avoue que, jusqu’au dernier moment, je m’étais dit, que si les choses se passent normalement, il y avait une chance que je sois coopté. Question de compétences (excusez mon manque de modestie) mais aussi de représentativité vue le contexte actuel où le pouvoir a tout intérêt de montrer qu’il tend, autant que faire ce peut, vers une redistribution équitable entre les différents groupes sociaux. Cet oubli donc des journalistes haratine ne s’explique, à mon sens, que par une seule chose : La peur qu’ils ne soient plus portés à évoquer des questions que le pouvoir considère comme « marginales » (esclavage, conditions de vie des hratin dans les milieux urbains, représentativité, etc) et donc de troubler l’ordre établi, la mise en scène, pour que la « rencontre du président avec le peuple) ne soit autre chose qu’une succession d’autosatisfactions et de louages programmés.  Heureusement que Dia Cheikh était là pour évoquer, au moins, le cas de Biram et, par ricochet, celui de la question de l’esclavage que le président Aziz a, une fois encore, occultée.

Justement, le pouvoir de Nouakchott nie l’existence de l’esclavage, mais soutient la thèse des séquelles de l’esclavage, aucun effort de la part du pouvoir pour combattre même ces séquelles ni l’application de la loi incriminant le phénomène en bonne et due forme. Nous avons entendu plusieurs fois, le président Ould Abdel Aziz en personne défendre : « n’est esclave que celui qui veut l’être, il y a des lois qui condamnent l’esclavage », pourquoi la justice et les autorités Mauritaniennes refusent d’appliquer les lois  alors ?

M.S : Ecoutez, je crois que c’est l’une des plus grandes erreurs du président Ould Abdel Aziz que de vouloir suivre, à la lettre, la stratégie négationniste de Taya. Dire que l’esclavage n’existe plus en Mauritanie tient d’un entêtement dont les auteurs se couvrent de ridicule aussi bien à l’intérieur du pays qu’à l’extérieur. Il y a meilleure attitude à adopter : Celle qui consiste à évoquer l’esprit de la loi criminalisant cette pratique et, donc, à la présenter comme un crime dont les auteurs s’exposent à des sanctions. Mais mêmes si l’on cherche au pouvoir actuel des circonstances atténuantes, l’on voit qu’il manque de volonté pour donner un gage de bonne foi, quand on entend Ould Abdel Aziz nier lui-même l’existence du phénomène et accuser ceux qui le combattent d’en faire un fond de commerce. Une vieille rengaine qui a failli sous Taya et qui connaitra le même sort avec Aziz. De sorte que, pour la plupart des haratine, le pouvoir protège les esclavagistes par « instinct de conservation » et par solidarité qui dépasse le niveau de l’individu (victime ou coupable) pour déterminer le rapport (de force) et d’intérêts entre communautés nationales. Je ne vois pas d’autre explication à ce refus de lutter contre le phénomène, même si l’on concède au pouvoir qu’il ne s’agit plus que de séquelles.

Biram Ould Dah Ould Abeid et ses codétenus sont en prison depuis le 28 Avril 2012 après l’acte de désespoir qui les a conduits à incinérer des livres faisant l’apologie de l’esclavage. Le juge  chargé des affaires criminelles s’est dessaisi de leur dossier faute de charges suffisantes et vice de procédure, ils sont incarcérés en toute illégalité selon leurs avocats. Le président Mohamed Ould Abdel Aziz avait promis publiquement le châtiment des abolitionnistes, pensez-vous, comme les militants des droits de l’homme, que Biram et ses codétenus sont des détenus d’opinion ?
M.S : Nul doute là-dessus. Biram et ses compagnons sont maintenus en prison pour leurs opinions exprimées publiquement, ici et à l’extérieur, contre l’esclavage et ceux qui nient son existence en Mauritanie. C’est parce qu’il ose dire haut et fort ce que beaucoup pensent en eux-mêmes sans oser l’exprimer ouvertement que le président de l’Initiative pour la Résurgence d’un Mouvement Abolitionniste en Mauritanie (IRA) est devenu l’ennemi public n°1, l’homme à abattre par tous les moyens. L’acte d’incinération de livres du rite malékite, aussi offusquant soit-il pour les mauritaniens, n’a été suivi d’effets que quand des marches suscitées se sont ébranlées vers le Palais présidentiel et quand Ould Abdel Aziz, accueillant ces soi-disant défenseurs du rite malékite – parce qu’on ne peut pas dire que Biram a blasphémé – a pris les devants de la justice et promis de punir l’homme. Et même quand la justice, pour une fois, n’a pas suivi la volonté de l’Exécutif, Biram a tout de même était maintenu en prison. Et l’on nous parle d’Etat de droit !
Beaucoup de nos compatriotes se plaignent d’être victime du racisme, subissez-vous le racisme et des pressions dans votre profession de journaliste au quotidien ? Comment sentez-vous le racisme dans le pays ?

M.S : Ecoutez, je n’ai jamais voulu personnaliser cette question, que ce soit au niveau de l’enseignement, quand j’étais encore dans les classes, ou dans l’exercice du journalisme. Le racisme, on le subit tous les jours et, s’il n’y avait pas une volonté de notre part de résister à cette oppression, plutôt d’ordre moral, il y a longtemps qu’on aurait cherché à quitter ce pays. Je ne reviendrai pas ici sur les torts subis au niveau de l’enseignement (cela nécessite l’écriture d’un livre) mais je dirai qu’au niveau de la presse même, il n’est pas donné à n’importe qui de tirer son épingle du jeu. Etre journaliste et haratine, c’est, dans le contexte actuel, être condamné à travailler pour les autres. Dans un Etat où tout est régi par la tribu, la région et le clan politique, les haratines, comme en toutes autres choses, n’ont pas droit au chapitre. Parce que la tribu, la région et le parti politique ont leurs priorités fixées qui font du statu quo social leur règle d’or. Si vous voyez qu’un journal comme L’Authentique, reconnu pourtant comme l’un des plus lus, des plus sérieux médias de la place, éprouve des difficultés énormes à maintenir le cap, c’est justement parce qu’il est fiché comme l’organe d’une communauté, bien que les cadres de cette dernière soient les premiers à ne pas lui faire des faveurs, comme les autres le font pour certaines feuilles de choux. C’est dans ce même ordre d’idées qu’il faut aussi inscrire l’oubli des journalistes haratines, quand il s’agit de rencontres ou de voyages avec le président ou tout simplement de débats à la TVM. Si ce n’est pas du racisme, qu’est-ce que c’est alors ?
Les haratine sont souvent greffés d’appartenir à la communauté de leurs maitres arabo-berbères intégralement alors que cela ne se traduit pas sur les faits, selon vous sont-ils : des arabes, négro-africains où une communauté à part différente des autres  qui doit être reconnue dans la constitution?
M.S : Je vais vous raconter une anecdote. Au tout début de ce que j’ai l’habitude d’appeler la « démogâchis » - et qui continue encore, je crois – un ami professeur, beydane comme on dit, de chez moi (Aleg) a voulu m’entrainer au PRDS, parce que, disait-il, pratiquement « toute la tribu y va ». J’ai répondu que moi je n’ai pas de tribu. Et pour dire vrai, je le croyais sincèrement. Parce que, dans la terminologie même, on ne dit pas « un hartani de la tribu telle », mais « appartenant à » (Lehel vlan). Ensuite, parce que le rapport de la tribu à l’Etat était établi par les chefs, les marabouts et les hommes d’affaires de la tribu, rarement, pour ne pas dire jamais par un cadre haratine qui ne doit son ascension sociale – si cela arrive comme pour Messaoud, Merzoug ou Boidiel - qu’au mérite ou à la lutte qu’il a menée pour se faire reconnaître.
Pour revenir à cette question de l’appartenance à la communauté arabo-berbère ou à celle négro-africaine, je dirai que c’est un faux problème. Il faut laisser les haratines être eux-mêmes. J’ai même revendiqué, une fois, pour eux le statut de « tribu »  à part entière, eh oui, pour pouvoir rivaliser avec les autres, tant que le partage du pouvoir se fait en fonction du poids électoral. Je sais que la volonté de les maintenir dans ce dilemme de « n’être pas deux », pour paraphraser un peu Cheikh Hamidou Kane, évoquant le tiraillement que vit Samba Diallo entre l’Occident et l’Afrique, arrange bien ceux qui veulent en faire l’objet du conflit entre Arabo-berbères et Négro-africains pour régler, une fois pour toutes, la question de la représentativité démographique, mais les haratines doivent refuser ce jeu malsain. Tout au plus, ils doivent être à l’avant-garde de ce combat que mène une partie de l’élite du pays : faire en sorte qu’il n’y ait plus qu’UN mauritanien pour que cesse cette « compartimentation » inadéquate avec la démocratie que nous revendiquons tous. Mais cela ne veut pas dire que les haratines doivent cesser de reconnaitre leur appartenance aux deux sphères (Négro-africaine, comme origine, et Arabe, comme identité culturelle) et refuser qu’on joue l’une contre l’autre dans un rapport de force qui, sans eux, n’est pas si évident que ça.

Certains sur la toile accusent les haratine d’être responsables des tueries des événements de 1989, ils semblent même écarter les autorités de l’époque de toute responsabilité de ce drame qui s’est abattu sur les Noirs, donnez-nous votre sentiment sur la tournure autour de ce dossier brûlant source de tous nos malaises nationaux actuellement ?
M.S : Responsables des tueries des évènements de 1989, c’est trop dire. Instrumentaliser, peut-être. Avec tout de même des circonstances atténuantes pour ces pauvres haratines, ignorants dans leur écrasante majorité, qui ont été invités, dans les villes et villages à servir d’instruments d’exécution pour la basse besogne. Les vrais responsables de ces tueries sont connus. C’est d’abord l’Etat raciste de l’époque et les élites qui ont voulu s’en servir pour tenter de « dénégrifier » le pays autrement qu’ils ne l’avaient déjà fait pour l’administration, en arabisant à outrance le système éducatif. Qu’on cherche maintenant, vingt ans après, à réécrire l’histoire pour rendre les haratines responsables de ces tueries, relève de la machination. Je dirai seulement que nos frères Négro-africains ne doivent pas suivre cette voie qui cherche plutôt à brouiller les pistes et à couvrir les vrais responsables. Ensuite, il faut éviter d’évoquer une responsabilité collective. Des associations négro-africaines ont réussi, je crois, à dresser la liste de ceux qui sont directement impliqués dans ces crimes. Il y a des bourreaux et des complicités dans toutes les communautés, y compris celle des victimes. Si Aziz veut vraiment régler la question du passif humanitaire, il doit refuser l’impunité dont bénéficie toujours les auteurs connus de ces exactions.

L’association des haratine de Mauritanie en Europe (A.H.M.E) a été créée en juillet 2001, comment jugez-vous les activités qu’elle mène depuis l’étranger sur le plan médiatique de la problématique sur l’esclavage ? Est-elle efficace dans les démarches d’alertes et de pressions qu’elle exerce sur les autorités mauritaniennes dans les affaires liées à l’esclavage ? Le racisme est-il indissociable de l’esclavage ?
M.S : L’A.H.M.E est indispensable comme relai et comme complément à l’action que d’autres mènent ici sur le terrain. N’eut été son action, celle de son président Mohamed Yahya Ould Ciré, le monde extérieur n’aurait pas eu l’image exacte de ce qui se passe ici. Certes, les militants des droits de l’homme, notamment ceux qui dénoncent l’esclavage, voyagent et portent la question dans tous les forums mondiaux, mais c’est une action ponctuelle qui a besoin d’être entretenue et valorisée pour maintenir la pression sur le pouvoir et l’amener à aller dans le sens de la mise en œuvre de l’arsenal juridique censé être élaboré pour punir les esclavagistes, et non pas continuer à faire semblant.

Avez-vous un message à adresser à nos lecteurs ?
M.S : Oui, je leur souhaite bonne fin de Ramadan et qu’Allah les préserve de tout mal pour qu’ils le revivent encore et encore. Je les remercie pour l’attention qu’ils accordent à ce blog qui est l’une des rares vitrines qui donne aux journalistes et intellectuels haratines l’opportunité de parler de nos problèmes et de ceux qui nous tiennent à cœur, en tant que mauritaniens désireux de voir leur pays sortir de toutes ces pratiques (racisme et esclavage) qui ternissent encore son image à l’extérieur. Je vous remercie.

L’équipe du Blog au secours des haratine : SOS abolition remercie infiniment Mohamed Sneiba d’avoir accepté de répondre à nos questions. 

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