Translate

mercredi 1 août 2012

Génocide et délits de complicité en Mauritanie (II)


 
 

Le  sang noir a beaucoup coulé en Mauritanie.  Les noirs ont subi toutes les animosités dans les casernes militaires et dans les villages de la vallée du fleuve Sénégal.  Tous les citoyens ont encore en mémoire les dérives du système raciste  commises par ses sbires anti-négros du régime de Maouiya Ould Sid Ahmed Taya. Mais avant d’aborder quelques détails concernant des exactions tragiques, il est nécessaire de signaler quelques  points significatifs.Le Président de la République Mohamed Ould Abdel Aziz avait déclaré, lors de sa dernière tournée à Nouadhibou, connaitre « nominativement les  véritables coupables » de toutes les exactions extrajudiciaires perpétuées par des officiers  de l’armée contre leurs frères d’armes issus de la communauté noire du pays. C’est un secret de polichinelle. Les bourreaux sont connus de tous, il oublie que les peines des victimes sont devenues une part de l’héritage que l’on partage désormais dans les familles.  Le problème ne se situe pas au niveau de la connaissance des véritables tortionnaires, il réside dans le fait que l’Etat les a toujours projetés en instituant des projets pour sauvegarder leur immunité. La preuve la plus illustrative est celle d’un officier qui est reconnu unanimement tortionnaire, a été promu au grade de Général au sein des forces de l’armée.  Donc, le discours du Président n’était qu’un trompe-œil, autrement dit une mise en garde destinée à son « cousin-ennemi »  l’ex-chef de l’Etat, le colonel Ely Ould Mohamed Vall.
La volonté du Président à clore ce douloureux dossier ne sera pris en considération que lorsqu’il s’engage en premier lieu à revoir des lois complices, telles que la loi  d’Amnistie du 12  juin 1993 rendant irrecevable toute plainte contre des agents des forces armées entre le 15 Avril 1990 et le 15 Avril 1991. Aucun dénouement ne se profile tant que l’Etat continue de protéger des assassins au sein de la grande muette.  Maintenant, au Président de choisir entre la justice rendue à son peuple, et la protection de ces derniers au grand dam des instructions religieuses et constitutionnelles de notre pays.  Je pense que quelque soit le risque à prendre, le Président Mohamed Ould Abdel Aziz souhaite inscrire son nom dans les grandes pages de l’histoire de ce pays. Il faut rendre la justice aux éternels opprimés. Tel était son crédo et son cheval de bataille depuis le 06 Août 2008. S’il réussit ce pacte : son nom sera psalmodié avec celui de l’érudit feu Boudhaha Ould Bouseri et du Président Sidi Ould Cheikh Abdallahi . Le premier avait refusé de cautionner la tuerie des noirs et le second était le seul qui avait  eu le courage d’affronter le dossier du passif humanitaire à branle-le-corps en organisant  le retour des réfugiés.
Vous ne revendiquerez point vos droits!
Lorsque les autorités d’un Etat désirent éliminer une composante de son peuple, ils commencent par bafouer les droits les plus fondamentaux en  les limitant. C’est le phénomène que l’on constate dans tous les pays dans lesquels il eut des génocides à savoir : les violations massives des droits civils. Mais lorsqu’un Etat s’acharne arbitrairement et fait de cet acharnement une priorité nationale, la finalité ne peut-être qu’à la fois horrible et hallucinante. Cependant, 1989 constitue l’aboutissement de la programmation du meurtre du peuple noir par les autorités mauritaniennes.
Les signes annonciateurs des pogroms ont été bien aperçus et ignorés au milieu des années 60. Et jusqu’à présent, l’Etat mauritanien s’est distingué à travers la prise des décisions unilatérales à l’encontre des  revendications des citoyens noirs. Les révoltes des élèves noirs contre des réformes éducatives discriminatoires au milieu des années 60 en est une illustration  convaincante. Mais la matraque du chamelier était traumatisante dans les rangs des élèves de la vallée. Et depuis, ce fut un projet étatique  de tuer l’œuf, toute organisation de masse issue des communautés noires, subissait une exclusion progressive par le biais des appareils étatiques.
Nous avons récemment vécu le procès des étudiants noirs du SNEM accusés à tort de la profanation, alors qu’au départ ils n’étaient que des grévistes exigeants de manière globale un enseignement de qualité. Les militants de l’Initiative pour la Résurgence Abolitionniste sont considérés comme des potentiels ennemis de l’Etat mauritanien parce qu’ils combattent l’exploitation esclavagiste du  Hartani par l’homme maure. C’est cette politique qui conduira l’Etat vers une transformation des droits humains aboutissant à des injustices : Exclusion massive des élèves noirs, exil forcé des élèves, limogeage des cadres  noirs et maures solidaires, chasse aux sorcières, viols des femmes, emprisonnements arbitraires…
Mentir pour exterminer : « La terreur raciste »[1]
En septembre 1986, une répression sans précédant s’abat sur la communauté négro-africaine de Mauritanie. Des centaines de cadres civils issus de cette communauté sont arrêtés, torturés, jugés et condamnés à de lourdes peines de prison. Ces peines sont accompagnées de bannissements, de pertes de droits civils et politiques. Ils sont accusés de réunions non autorisées et de diffusion de documents illégaux, alors qu’ils sont tous arrêtés à domicile, au bureau ou en voyage.
En octobre 1987, à peine une année, c’est au tour des soldats, sous-officiers, officiers de la même communauté qui sont soumis à la même logique répressive du régime dictatorial et raciste de Ould Taya.  Accusés d’atteinte à la sûreté de l’Etat. Ils sont  jugés par une cour spéciale qui n’a pu présenter aucune preuve univoque à ce chef d’accusation infondé. Cela n’empêchera pas les autorités judiciaires  de prononcer une sentence lourde de conséquences et dictée par une volonté programmée de réprimer les cadres militaires de cette communauté. Trois condamnations à la peine capitale, dix-huit aux travaux forcés à perpétuité, et d’autres peines de vingt ans, dix ans et cinq ans de réclusion criminelle sont prononcées.
Les détenus civils qui, jusque là, purgeaient leur peine à Nouakchott sont regroupés le lendemain de l’exécution, avec leurs frères militaires pour être déportés au mouroir de Oualata. Dans ce fort colonial transformé en prison, les nouveaux arrivants y subirent des conditions de détention inhumaines, dégradantes et avilissantes. Ces mauvais traitements provoquèrent la mort de Tène Youssouf Gueye, Tafsirou Djigo, Abdoul Khoudouss Ba et Alassane Oumar Ba.
En 1989, sous prétexte, un conflit anodin entre éleveurs et cultivateurs à Diawara causa une mort d’homme. L’irresponsabilité des propos désobligeants de certaines autorités devant cet incident, sera la goutte qui  fera déborder le vase : des hordes hystériques enivrées par la haine  à Dakar et à Nouakchott pour des mobiles différents, déclenchèrent des pillages et la chasse au voisin devenu ennemi ; les uns profitant de la confusion  pour le gain matériel facile, et les autres pour assouvir un dessein génocidaire et  d’épuration ethnique.
De 1990 à 1991, des militaires restés encore dans l’armée malgré les complots permanents et imaginaires  sont  torturés, assassinés et jetés  dans des fosses communes à Azlat-Bouhdida (Aleg), Inal, Jreida.
Il faut signaler qu’au début du mois d’octobre 1991, un télégramme  parvint  aux responsables militaires de la base  de la 7 éme Région située à Brakna (Sud de la Mauritanie) pour leur aviser de la visite prochaine d’une commission d’investigation financière en provenance de Nouakchott. Mais comme la transparence dans la gestion budgétaire et des fonds n’était pas de mise, ces derniers ont très vite trouvé des faux alibis pour sauver leur carrière.  En tout d’état de cause cette enquête constaterait un coup fatal.  Le colonel Mohamed Ould Mohamed Salah n’a pas tersivergé, il a improvisé une réponse dans laquelle il déclare : « La région s’excuse de recevoir l’équipe d’investigation et cela à cause de ses préoccupations très urgentes liées aux enquêtes que ses responsables mènent à propos de la tentative d’un coup d’Etat que préparaient par les noirs de la dite région ».  Convaincu ou complice, l’État-major des forces armées a laissé faire sans chercher amplement la véracité des propos de ce dernier. Ainsi le colonel Ould Salah mis aux arrêts son propre chauffeur, il fut parmi les premiers militaires noirs arrêtés. Il imposa une sorte d’embargo sur la base en ordonnant la confiscation  des armes de tous les soldats et officiers noirs. Une équipe d’investigation et d’interrogatoire composée d’Ely Ould Dah et Hassen Ould Maguet,  fut aussitôt dépêchée par l’État-major sur les lieux.
Les arrestations sont amplifiées dans les rangs des officiers noirs sous l’ordre du chef d’Etat Major le colonel Mohamed Emine.  Les militaires noirs mis aux arrêts furent au départ parqués dans des bases militaires avant d’être transférés dans des camps militaires  notamment à Nouakchott, à Nouadhibou, à Inal,  à Assalat et  à Jreida. Très vite,  Taya bénéficia de l’aide des mains étrangères pour réussir son projet d’épuration ethnique. Saddam Hussein (Président de l’Irak) et Khaddafi (le Guide Lybien) ont soutenu l’armée mauritanienne. Certains tortionnaires ont fait des séjours de stage dans ces deux pays. Par ailleurs, faut-il signaler que certains théoriciens nationalistes maures ont vendu l’arabité du pays au moment des faits à ces deux présidents. Le camp de la mort avait ses théoriciens et ses praticiens sous le slogan : Tuer le noir, le sang est  souillé donc  licite.
C’est ainsi que commença la torture aveugle des militaires noirs. Les tortionnaires s’appliquaient dans leur sale besogne. Ils utilisaient tous les moyens pour extorquer des aveux bon gré malgré afin de justifier un coup d’Etat fantôme. Même pour achever un agonisant, ils le faisaient avec précision pour que la victime retienne la portée de leur haine raciste.
Les  scènes étaient horribles : Pendaisons massives, mort sous les coups des barres de fer, mutilations des organes génitaux, mort par noyade (la tête trempée dans une eau chaude)… les tortionnaires récitaient le coran et buvaient du thé devant le sang noir qui coulait sans arrêt sur un agonisant. Voilà ce que me disait un rescapé : « On regardait des hommes mourir comme des bêtes pendues, il ne maquait qu’on les dépèce. On ne lisait aucune consternation de la part des bourreaux. Ceux-là nous obligèrent d’aller enterrer nos miens sous leur surveillance. J’ai perdu mes qualités et mes moyens lorsque j’ai vu un soldat abattre son frère d’arme en récitant quelques versets du Coran. Je suis scandalisé toutes les fois que je repense aux tortures les yeux bandés et les mains ligotées ou les pieds liés comme un mouton. J’avais perdu confiance lorsque j’ai vaincu les scènes où l’on voyait un homme mourir devant nous comme s’il ne s’agissait pas d’une personne ». [2]
Des camps comme celui d’Inal, il n’y avait que la mort, le sang ou les gémissements des hommes retenus sous la torture. Pour les tortionnaires, il fallait faire le  mieux pour nettoyer les Kwars[3] ( noirs) de l’armée mauritanienne.  » Ces gens là n’étaient pas entièrement conscients de ce qu’ils faisaient. Ils devraient être psychologiquement anormaux ou du moins sous la pression car la brutalité a des limites ». A Inal, elle était un mot d’ordre national notamment  » Kittlou lekhwar el vrouka »  » Tuer les noirs … ces batards » me confia un rescapé.
La torture a conduit bon nombre d’officiers noirs à reconnaitre placidement leur participation à un coup d’Etat fantôme pour sauver leur vie, même s’il fallait croupir le restant de leur vie en prison.
Selon des témoignages dignes de foi, un haut gradé chargé de fournir des renseignements, aujourd’hui promu au grade de général, s’était rendu à Akjoujt pour liquider sommairement un officier noir avec lequel il avait un différend. Il dégaina son arme, un pistolet (PA)  à bout portant sur l’homme en proférant ces mots : « En enfer le bâtard, tu apporteras ton dossier le jour de la résurrection ! ».
Le Général Felix Negri, un rescapé du camp d’Inal, porte jusqu’à ce jour des traces laissées par les scènes de tortures. Ses bourreaux avaient versé sur lui de l’eau bouillonnante. Il est resté malade pendant longtemps après sa libération. Il a vécu toutes sortes d’animosités relatées par le rescapé Sy Mohamadou dans son livre l’Enfer d’Inal[4].
Mais à coté des tueurs de noirs, il y’avait des officiers dignes et patriotiques qui ont refusé de collaborer. Pour ces derniers, ces vagues d’arrestations arbitraires n’étaient fondées que sur un pur mensonge dans le but de régler des comptes. Leur argument était le suivant : en 1990, il n’y avait aucune tentative de coup d’Etat de la part des officiers noirs. Et parmi eux, on peut citer le colonel feu Mohamed Ould Jayan. On considère aussi que le commandant  Oumar Ould Abou Bekr(garde nationale) fut le premier qui refusa d’arrêter ses propres hommes à Néma. L’homme disait que ces arrestations sont arbitraires et il ne cessait de mettre en garde contre le résultat désastreux.
Le Colonel Ould Chein a sauvé plus de 600 militaires noirs à Jeirdra. Il les sauva de la mort imminente car ces derniers croupissaient dans la soif et la faim. Il leur procura de l’eau, de la nourriture et des couvertures. Et mieux, il ordonna à ce qu’on retire immédiatement leurs chaines. Ould Chein disait aux tortionnaires que ces gens sont-là pour être entendus, et non plus, pour être soumis à la torture sauvage. Mais lorsque le camp de la haine a pris de l’ampleur, étant seul devant les « gens de la mort », Ould Chein n’avait que sa voix pour créer : C’est Injuste… c’est injuste. Il disait à ces derniers « Même les juifs ne font pas pareil sur le territoire occupé ». Et le monde a entendu sa voix, lorsqu’il criait désespérément que « la Mauritanie n’est pas le Liberia ».
Certaines révélations ont été faites lors du procès des « Chevaliers du Changement » en 2005 à Wade-Ngua sur la portée du génocide et la complicité des hauts gradés de l’armée nationale. Salah Ould Hanena a confié lors de son jugement, d’avoir refusé d’obéir à l’ordre de son supérieur le colonel Mohamed Mahmoud Ould Mokhtar lequel l’ordonnait de tuer l’ensemble des noirs qui se trouvaient dans un camion militaire à Jerdra. Selon lui, ces derniers furent assassinés et enterrés dans une fosse commune à quelques encablures du fort militaire.
A coté de la bêtise humaine, le bon sens nous oblige à rendre un hommage à tous les hommes et femmes, qui ont au péril de leur vie, ont sauvé des vies humaines. Nous ne pouvons oublier les officiers maures qui faisaient des colis aux familles des prisonniers militaires en 1989. Ceux-là sont aujourd’hui à la marge de la mémoire collective nationale, après avoir essuyé toutes ces décennies la malédiction des officines de Taya notamment ses actuels héritiers.
On estime que 542 militaires noirs ont été tués dont la majorité prés de 200 à inal, 130 à Jreida , prés de 100 à Bababé et les autres ont sombré dans d’autres mouroirs notamment à Azalat et à Sori-Malé. Les  victimes ont légué leurs noms : souvenirs horribles de leur mort, des photos justifiants leur rangs militaires, des fosses communes. Tout comme ils ont laissé des veuves et des orphelins endeuillés qui côtoient quotidiennement les bourreaux leurs familles dans la rue sans être inquiétés.
Bâ Sileye (Pour le texte en Français) et Diallo Djibril (pour le texte en Arabe).

[1] Lire le document  du COVIRE: Contribution pour le règlement consensuel et durable du passif humanitaire, Nouakchott, 2007. 16 pages sans les annexes.
[2] Lire mon article : Témoignage d’un rescapé : Un vivant parmi les morts (partie 1 et 2).
[3] Appellation vulgaire du noir
[4] Sy Mohamadou, L’Enfer d’Inal : l’horreur des camps, l’Harmattan, 2000, 186 pages.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire