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vendredi 31 janvier 2014

Écrire pour survivre, par Oumar Diagne



Oumar

On peut se demander ce qui pousse à écrire. Est-ce un besoin de reconnaissance, de communiquer, d’influencer  le cours de l’histoire, d’éduquer, etc.  Chacun peut avoir ses motivations mais il est certain que l’on peut écrire pour survivre.
Certains êtres sont plongés dans une quête de sens et cette quête peut les entraîner  dans des abîmes douloureux. Dans le silence et la solitude, ils sont habités par des volcans  intérieurs qui les rongent. Et face  à cette situation, ils n’ont pas beaucoup de choix car les forces qui demeurent en eux les lient.
Chaque être humain aspire au bonheur. Malheureusement, pour certains esprits, il est difficile à atteindre non pour des raisons matérielles, familiales, de relations mais à cause de leur nature. Leur situation est d’autant plus délicate que nous vivons dans un monde où l’idée du bonheur est modélisée. La  bonne santé, l’amour, la famille idéale, la réussite sociale, la richesse sont considérés comme les  choses à acquérir pour être heureux. Pourtant toutes ces aspirations humaines répondent à des aléas et conduisent souvent à la désillusion.
Il ne s’agit pas de nier l’importance de la santé, de la vie de famille, etc. mais ce que je veux dire est que toutes ces aspirations sont aléatoires, volatiles. La vie  elle-même faite de fragilités, de réussites, d’échecs. Le vrai bonheur ne dépend d’aucun aléa. Il  vient de notre for intérieur  et celui-là intègre la vulnérabilité de l’existence.
Il n’est nullement interdit, bien au contraire, d’améliorer ses conditions matérielles de vie, d’habiter son corps, d’en prendre soin et de le chérir. Mais le bonheur ne pourrait être confondu avec le  plaisir et l’agréable, le bien-être et le confort physique.
«Le bonheur vient de nous-mêmes. Il représente une disposition, une aptitude interne psychique. Il prend son origine dans cette extraordinaire  mais simple sensation d’exister, dans cette ineffable certitude d’être vivant et entier dans un corps réel. Il se trouve dans le plaisir de vivre, dans le désir et l’«en-vie»  d’exister, vivant parmi les vivants, et non dans les plaisirs de la vie.»[1]
Ces êtres dont je parle qui sont minés par une quête profonde, voient l’absurdité de la vie et voient la limite de ce qui leur est proposé pour donner sens à leur destinée. Ils ne se trouvent pas dans le plaisir de vivre.
Un des écrivains les plus célèbres qui s’est penché sur cette question est Albert Camus.
L’idée de l’absurde a été  pensée  par cet auteur dans le Mythe de Sisyphe (1942), reprise dans l’Etranger(1942) puis au théâtre dans Caligula et le Malentendu (1944).
Pour cet auteur, L’Absurde est lié à la situation de  l’homme qui ne saisit pas le sens du monde et qui est incapable de donner un sens à la vie. Il s’agit de « ce divorce entre l’homme et sa vie, l’acteur et son décor, c’est proprement le sentiment de l’absurdité. » Ainsi Albert Camus refuse toute transcendance ou idéologie. Il fait face à une situation dont il tirera des conséquences. Il s’agit pour le commun des mortels, d'une attitude difficile à supporter.
Cette condition conduit, la plupart des gens, à un désespoir, à une dépression. On peut ainsi comprendre pourquoi de nombreuses personnes s’accrochent à des idéologies, à des croyances pouvant les amener aux plus ignobles violences. La vérité est, qu’au fond d’eux, ils sont envoutés par la peur de faire face à leur condition d'homme.
Je fais, pour ma part, une différence entre la religion et la spiritualité. La spiritualité grandit tandis que la religiosité aveugle.
L’homme, d’une façon générale, cherche le bonheur à tout prix. Malheureusement, cette quête est souvent teintée d’illusions, de cécité, de peurs. Le vrai bonheur est celui qui conduit à la vie. Être heureux, c’est être vivant, être habité par une libido qui circule avec fluidité. La libido est entendue, ici, non pas au sens freudien mais comme une énergie.
Le problème de ces êtres confrontés à l’absurde est justement de concilier leur perception du monde et la vitalité. C’est pour cette raison que j’ai intitulé mon article « Ecrire pour survivre » car il est difficile d’être habité par l’absence de sens et,  en même temps, être heureux.
Le sentiment de l’absurde conduit chez de nombreux êtres humains   à un blocage de la circulation de l’énergie. Il faudrait une grande habileté pour parvenir à dépasser cet état.
Il y a chez l’être humain un penchant pour donner  un sens  à sa vie. C’est pourquoi depuis le début de l'histoire humaine, il s'y est adonné. C’est cette propension humaine qui a donné naissance aux mythes qui, contrairement à ce que l’on croit, ne sont pas encore morts. Sauf, qu’aujourd’hui, ils sont habillés de science.
La quête de sens est aujourd’hui criante. Après le siècle des lumières, on a cru que l’être humain serait habité par la raison et qu’il trouverait des réponses à ses questions, le vrai sens de la vie. Tel n'est pas le cas. De nos jours, la déconvenue est criante et nombre de violences sont liées à cette quête. L'économie libérale fait des ravages, les guerres au nom de Dieu démolissent des peuples et créent des zizanies entre nations.
Bref, il est difficile de vivre sans sens et l’écrivain de l’absurde est celui qui s’investit pour explorer son univers intérieur pour ne pas sombrer car il faut s’investir quelque part pour faire circuler son énergie souvent chancelante. L’écriture devient ainsi une source de  survie. C’est pour cette raison que, souvent, certains écrivains ou artistes, de manière générale, boivent, s’investissent dans le sexe, la drogue, etc.
La circulation de la libido est nécessaire à la survie. Et l’absence de sens conduit souvent à une difficulté de vivre. L’écriture devient ainsi comme  un pansement. L’inhibition de la libido conduit à un  tel comportement.
La force de l’écrivain de l’absurde est qu’il habite une nuit éclairée. Il  fait face à l’étrangeté de la vie. Il ne se contente pas d’idées qui figent. Il interroge sans fin dans la douleur avec courage. L’écriture devient  pour lui une des rares sources où il peut s’altérer pour étancher sa soif. Face à la feuille blanche, il fouille les coins et les recoins pour avancer à petits pas à la quête d’un sens qui fuit toujours. Il est l’albatros aux grandes ailes dont parlait Charles Baudelaire. Il est le moineau qui s’envole de lieu en lieu pour trouver sa pitance. Il ne se contente pas de la tyrannie des idées ambiantes. Il marche sur des chemins rocailleux, trainant de lancinantes plaies aux pieds. Il se faufile au cœur d’immenses et opaques forêts à la recherche de clairières.
L’écrivain de l’absurde « procède par éclairs, par brisures, définissant une dialectique des contraires, héritées d’Héraclite, qui oppose tour à tour lumière et ténèbres, amour et amitié, petits et grands, mal et bien, homme et Dieu, musique et silence, mort et éternité.»[2]
Il ne faut pas croire que ce fouineur est un masochiste. Il est simplement pris par le tourment de sa quête sans fin. Il ne peut se contenter de la facilité. Il est lié par sa  propre nature.
Oumar Diagne, poète écrivain

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