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vendredi 10 janvier 2014

Cérémonie du souvenir à Wothié (Boghé) : Sous une pluie de grenades


Cérémonie du souvenir à Wothié (Boghé) : Sous une pluie de grenades

Les organisations de la société civile (Kawtal Nyelitaaré ; COVIRE, COVICIM, IRA, Collectif des veuves, SOS Esclaves, AMDH) ont déroulé, le vendredi 3 janvier, leur programme de célébration des victimes extra-judicaires. Après Inal (2011, 2012) et Sorymalé(2012), la forêt de Fondé Mody Arf, à Wothié (18 kilomètres au nord de Boghé), a été le point de ralliement de pèlerins venus des villages environnants du Fouta et de Nouakchott. Les caravaniers entendaient édifier, vingt-quatre ans après les faits, une stèle à la mémoire de quatre victimes, exécutées sommairement et enterrées dans une fosse commune. Dans son mot de réception, Djiby Sow, président de Kawtal Nyelitaaré, a retracé le contexte, salué la tenue de la cérémonie et la forte participation des populations. 

En dépit des différentes manœuvres des gendarmes, présents sur les lieux à l’arrivée des caravaniers, l’ouverture de ces commémorations s’est accomplie dans wothie prière2un profond recueillement, avec la lecture de chapitres du Coran, suivie d’une émouvante prière mortuaire. Les pandores exigeaient la présentation d’une autorisation officielle. « Nous n’en avons pas besoin », rétorquèrent calmement les organisateurs, « depuis quand les gens ont-ils à présenter des autorisations pour prier au repos des âmes ou ériger des stèles ?» La situation dégénèrera, pourtant, à l’arrivée des autorités départementales qui se souciaient, manifestement, de voir se rassembler une telle assistance. Une pluie de grenades lacrymogènes s’est alors abattue, sans sommation, sur les militants des différentes associations de défense des droits humains et les ressortissants du village de Wothié qui comptaient ériger le mémorial dans la zone champêtre. Les éléments des compagnies de gendarmerie de Boghé, Bababé et M’Bagne, armés jusqu’aux dents, agissaient sur ordre du préfet de Boghé, H'Mada Ould Cheikh Ould Khattra, présent au moment de l’assaut. Prétextant des« troubles à l’ordre public et destructions de biens d’autrui », les pandores ont fait usage d’une violence inouïe. Pourtant, le propriétaire du champ avait manifesté sa compassion à l’endroit des victimes, laissant entendre qu’il ne cultiverait plus cet espace, sachant désormais que des corps y étaient ensevelis. Mais il aurait, depuis la destruction de son périmètre, exigé réparation. 

C’est au moment de la séance de témoignage des parents et proches des victimes que la gendarmerie intime l’ordre, à l’assistance, de « vider immédiatement les lieux ». Sans attendre la réponse des caravaniers qui, de fait, n’entendent pas obtempérer, les forces de gendarmerie épaulées par la garde lancent alors l’assaut. Ni les personnes âgées, ni les enfants, ni les religieux ne sont épargnés par la furie des pandores. Suffocant sous l’effet des gaz, plusieurs personnes dont le président Biram, s’évanouissent. Le président de l’IRA titube. Le chef de la colonne militaire se penche vers lui : «Alors », nargue-t-il, « est-ce que le prix de l’ONU viendra te porter secours ? » Commentant l’anecdote, le professeur Mohamed Baba Saïd, membre de l’IRA, aura ces mots : « L’ONU et ses représentants en Mauritanie apprécieront sûrement... Et il se trouvera, probablement, quelque responsable gouvernemental mauritanien pour affirmer que, derrière cette prière de Wothié à la mémoire des victimes de l’épuration ethnique, il y a Israel omettant de mentionner que les munitions utilisées, pour réprimer les pèlerins de Wothié, pourraient bien provenir de la coopération établie entre services de sécurité mauritaniens et israéliens»
Toujours sur instruction du préfet, la gendarmerie a procédé à des arrestations. Kane Mamadou, président du COVIRE, Djiby Sow, président de Kawtal N’Yelitaaré, Coumba Dada Kane, vice-présidente d’IRA Mauritanie, Kadja Fall et Maïmouna Alpha Sy, du comité des veuves victimes de la répression seront ainsi appréhendés quelques heures, avant d’être relâchés.

Indignations
Au bout de deux heures, la situation reviendra à la normale. Les caravaniers finiront par tenir leur cérémonie et prieront pour que les âmes des défuntes victimes reposent pour toujours en paix. Kane Mamadou et Birame Dah Abeïd dénoncent la répression de la gendarmerie sur des militants pacifistes et s’élèvent contre l’état de siège permanent dans la vallée. Evoquant les assassinats collectifs et racistes, Biram marque, une nouvelle fois, sa solidarité avec les parents et les enfants des victimes : « Je suis venu, ici, manifester mon engagement et vous réaffirmer mon soutien à ce que toute la lumière soit faite, que des sanctions soient appliquées, aux auteurs de ces lâches exactions. Ni la prison ni l’argent ne me feront reculer. Ce que nous souhaitons, c’est que les parents des victimes retrouvent leur dignité, par la loi et la justice. C’est notre devoir d’être à côté des enfants des victimes, de les soutenir et de militer pour la vérité. Les auteurs des exactions doivent répondre de leurs actes. L’Etat n’a pas le droit de pardonner et de protéger les criminels. Le préfet ne peut pas nous interdire de prier. Nous prions Dieu, pour la paix et le repos des âmes des victimes ». 

Samedi, le président d’IRA-Mauritanie donnait une conférence de presse à Nouakchott. « Pourquoi », s’est-il interrogé,« les partis politiques, dits de gauche, de droite, islamistes modérés ou autres, ne s’engagent-ils pas aux côtés des victimes ? Pourquoi refusent-ils de jouer leur rôle, dans ce dossier de génocide et d’épuration ethnique ? Je voudrais interpeller, ici, notre ministre des Finances, Thiam Diombar. Ses cousins sont dans les fosses. Je demande à ses parents, à tous les citoyens mauritaniens, de s’approprier leurs libertés et de juger, entre lui [Thiam Diombar] et les militants de l’IRA, de Kawtal, de l’AMDH, qui étaient à Wothié, battus et agressés parce qu’ils venaient donner, aux populations, une petite portion de droit, celle de pleurer leurs martyrs. Pourquoi l’oncle, le neveu, le cousin se range-t-il du côté de ceux qui empêchent sa famille de prier sur ses morts ? C’est le comble de l’ignominie et de la honte ! ».
Rappelons que trente-deux fosses communes ont été répertoriées sur toute l’étendue du territoire mauritanien. Le président du COVIRE demande l’application de la décision gouvernementale, prise en mai 2011, visant à « élaborer un plan topographique, permettant de localiser et de marquer les tombes de tous les disparus mauritaniens depuis l’Indépendance », de manière à « permettre aux parents des défunts de visiter leurs tombes […] ».
THIAM Mamadou
Envoyé spécial à Wothié

Encadré

Des témoignages poignants

Couchés en position carré, les quatre corps (de Ba Hamady Amadou, dit Dono ; Lô Boubacar Hamath, dit Leyoune ; Niang Hamet Amar, dit Samba, et Moussa Demba Sow) ont été ensevelis dans la forêt de Waboundé, avant d’être retrouvés par deux de leurs proches parentes, Haby Moussa Sow et Aïssata Dieng, grâce aux indications d’un berger haratin du nom de Awbek. Vingt-cinq ans après, c’est devenu un champ.
Barka, un déficient mental, fut aussi sommairement exécuté. «Nous avons vécu des choses vraiment horribles», rappelle l’un des fils de Sow Demba Korka. «Nous réclamons la mise sur pied d’une commission d’enquête pour faire la lumière sur ces atrocités, identifier et juger les auteurs des exécutions extra-judiciaires ». Idrissa Amadou avait huit ans lorsque son père disparut. Ni son frère Demba ni sa sœur Farmata n’ont souvenir de leur géniteur, un ancien garde arrêté, libéré, puis repris et exécuté, en février 1990. Salamata Sow avait quatorze ans, lorsque son père, Idrissa Amadou, un religieux, fut tué, à bout portant, par des soldats. Depuis lors, elle et ses sœurs, Djenaba, Aminata et Aïssata, ne cessent de s’interroger. Pourquoi ? Qui ? Sur quels ordres ?
Tous saluent l’organisation de cette caravane : « C’est une première reconnaissance qui a une signification particulière, pour nous. Nous ne cesserons jamais de demander que justice soit faite ».
Le calame Mauritanie 

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