Il est entendu que l’esclavage
est l’une des pires choses qui soient arrivées au continent africain. Nous
frissonnons d’indignation chaque fois que nous pensons à tous ces êtres, nos
ancêtres, arrachés à leur terre, notre terre, transportés dans des conditions
inhumaines sur un autre continent où ils étaient ravalés à un rang pire que
celui des animaux. Nous tremblons de colère en lisant le « Code
Noir » édicté par la France sous le règne de Louis XIV, pour régir les
esclaves et qui les considérait comme de simples objets. Oui, la traite
négrière a vidé le continent africain de ses bras les plus valides et elle
n’est pas pour rien dans la situation de pauvreté généralisée que vivent nos
pays. Nous avons toutes les raisons d’en vouloir à l’Amérique et à l’Europe qui
ont bâti leurs économies avec la force des bras de nos ancêtres. Aujourd’hui
nous réclamons réparation en espèces sonnantes et trébuchantes pour le mal qui
nous a été fait.
Ce qui est étrange est que notre
colère n’est dirigée que contre l’Europe et l’Amérique, et nous oublions
sciemment que l’esclavage fut aussi le fait de ceux que nous appelons nos
cousins, lorsque nous partageons les mêmes galères en Europe, à savoir les
Arabes. Notre cousinage s’arrête en Europe, lorsque nous sommes face au Blanc,
mais il en est autrement lorsque nous sommes dans le monde arabe. De la
Mauritanie au sultanat d’Oman en passant par le Maroc, la Tunisie, le Soudan,
l’Arabie Saoudite, l’esclavage fut pratiqué à grande échelle pendant des siècles.
Les séquelles de cette traite en sont la présence, de nos jours, d’importantes
populations noires dans ces pays, et les discriminations dont elles sont
toujours victimes. Le mot couramment utilisé pour désigner les Noirs Africains
dans bon nombre de pays arabes signifie « esclave ». Dans un pays
comme la Mauritanie, qui se trouve en Afrique de l’ouest, à côté du Sénégal,
l’esclavage ne fut officiellement aboli qu’en 1981. Et en 2014, c’est-à-dire il
y a deux ans, l’ONG Walk Free estimait qu’il y avait encore 4% d’esclaves, soit
environ 150 000 personnes au sein de la population du pays. Il est vrai
que le 13 août 2015, le parlement mauritanien avait adopté une loi considérant
l’esclavage comme un crime contre l’humanité. Cependant, le 20 août 2015, c’est-à-dire
une semaine plus tard, c’est Biram Dah Abeid, figure emblématique de la lutte
anti-esclavage qui était condamné à deux ans de prison, pour avoir réclamé la
fin de l’esclavage. En 2000, au moment où Mouammar Kadhafi militait pour la
création de l’Union africaine, les Noirs subsahariens qui vivaient dans son
pays étaient victimes de terribles pogroms dans le silence assourdissant des
chefs d’Etat et des intellectuels africains. Au moment de la chute de Kadhafi,
les Noirs Africains qui vivaient dans son pays furent massacrés par les forces
rebelles du pays. Et depuis que l’organisation terroriste Etat Islamique s’est
emparée d’une partie du pays, c’est l’enfer pour les Noirs Africains qui y
vivent. Et bon nombre d’Africains qui empruntent les bateaux de fortune pour
tenter de traverser la méditerranée au péril de leur vie le font pour fuir cet
enfer. Il y a quelques mois, ce sont tous les Noirs Africains d’une ville
algérienne qui ont été victimes d’un autre pogrom.
Toutes ces informations sont
régulièrement données dans la presse, mais rien de tout cela ne nous émeut.
Jamais nous n’avons organisé de manifestations pour protester contre
l’esclavage qui est encore pratiquée dans un pays comme la Mauritanie. Malgré
la pratique de cette abomination, ce pays fut membre de la CEDEAO jusqu’à ce
qu’il décide lui-même de la quitter, pour rejoindre l’Union du Maghreb arabe.
Il est toujours membre de l’Union africaine qui ne lui a jamais demandé de
faire encore plus d’effort dans sa lutte contre l’esclavage. Nous n’avons
jamais manifesté contre les discriminations dont sont victimes les Noirs dans
les pays arabes, comme nous l’avions fait du temps de l’apartheid. On a
l’impression que pour nous Africains, ce qui se passe dans ces pays arabes dont
certains se trouvent sur notre continent est une sorte de folklore local dont
il ne faut surtout pas se mêler. Il s’agit pourtant de la dignité d’êtres
humains, de notre dignité à nous autres Africains, qui subissons aussi ces
discriminations et vexations lorsque nous nous rendons dans ces pays.
Nous ne doutons pas un seul
instant de la volonté des gouvernements de ces pays de mettre fin à ces
pratiques moyenâgeuses profondément ancrées dans les mentalités. Nous les
aiderions mieux en manifestant nous aussi de temps à autre notre indignation,
en leur mettant la pression, comme nous l’avions fait du temps de l’apartheid
en Afrique du sud. Mais je crois que la vérité est que notre indignation dépend
de celle de l’occident. Quand il s’est indigné contre l’esclavage qu’il avait
lui-même pratiqué, nous nous sommes aussi indignés. Et dans la foulée, nous lui
avons réclamé un peu de sous, comme si nous reconnaissions que nous avions
vendus nos aïeuls à un prix trop bas. Il en fut de même pour l’Afrique du sud.
Nous avons accompagné l’indignation du monde occidental. Pour le moment
l’Occident ne s’est pas encore indigné contre l’esclavage arabe. Les Arabes non
plus. Nous attendons donc.
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