«La
Mauritanie n’est pas islamique mais laïc»
L’actualité
nationale a été dominée en ce début janvier 2014 par les réactions suscitées
par l’écrit du jeune Mohamed Ould Cheikh, jugé offensant contre le Prophète
(PSL). Le Prix 2013 des Nation Unies pour les droits de l’homme, président du mouvement
Initiative de résurgence du mouvement abolitionniste (IRA), Birame Dah Abeid, a
tenu à cet effet à exprimer la position de son organisation par rapport à ces
évènements. Au cours de la conférence de presse qu’il a animée mercredi 15
janvier dernier, il a tiré la sonnette d’alarme sur ce qu’il considère être une
«exploitation et une instrumentalisation de l’Islam par la classe politique,
les groupes dominants esclavagistes et le clergé local». Selon lui, cette
exploitation menace la paix civile et l’achèvement de l’Etat de droit, tout en
exacerbant les tensions sociales liées à des stratifications qui n’ont rien à
voir avec les idéaux libérateurs et égalitaires de l’Islam.
Birame
Dah Abeid s’est d’emblée porté en faux contre l’affirmation du président
Mohamed Ould Abdel Aziz selon laquelle «la Mauritanie est un Etat islamique et
non laïc». Pour le leader d’IRA, «la Mauritanie n’a jamais été une République islamique,
car ayant toujours ignoré l’égalité entre ces citoyens, ce principe fondateur
et substance centrale du message coranique prophétique». Pour lui, l’Islam est
loin d’être l’inspiration essentielle des groupes dominants en Mauritanie qui
ont bâti selon lui un Etat basé sur l’esclavage et l’oppression. Pour Birame,
la Mauritanie est plus proche de l’Etat laïc qui par définition est un Etat qui
n’applique pas la loi divine, en l’occurrence la Chari’a. «Cessons cette
démagogie et cessons de tromper les hommes car nul ne peut tromper Allah » dira-t-il.
Selon le président d’IRA, «un pays qui continue d’être régi par l’esclavage, le
racisme, la ségrégation, l’injustice et le Ribâa, ne peut prétendre être
islamique». Birame mettra ainsi en garde contre «la division des Mauritaniens
entre bons pratiquants fidèles de l’Islam et mauvais musulmans ennemis de l’Islam
». Pour lui, une telle distinction est fausse et doit être combattue par «les
hommes de bon sens » qui doivent selon lui «conjuguer leurs efforts pour tirer
la sonnette d’alarme sur les graves dérives qui menacent le pays». S’exprimant
au nom de son organisation, Birame dira qu’IRA «est en total désaccord avec
ceux qui appellent au meurtre de Mohamed Ould
Cheikh
Ould MKheïtir», réitérant en même temps son rejet contre tout ce qui peut
égratigner la personnalité du Prophète (PSL). A l’adresse des opprimés,
esclaves, forgerons, Zanaga, griots, tous ceux que les multiples
interprétations de la religion ont légué au bas de la stratification sociale,
Birame leur dira «ne vous trompez pas de combat ; celui-ci ne doit pas être
dirigé contre l’Islam et son Prophète (PSL), mais contre ceux qui ont
instrumentalisé l’Islam pour imposer la domination de classe et l’auréoler du
vernis religieux». Selon lui, les opprimés doivent au contraire brandir l’Islam
et son Prophète comme arguments de combats contre ces dieux de la supercherie
et de la falsification religieuse.
«Politique
de deux poids deux mesures»
D’autre
part, Birame s’interroge sur cette logique de deux poids deux mesures, qui veut
que l’Islam mauritanien ne se sente menacé que lorsqu’il s’agit de gens issus
des classes opprimées, esclaves, Haratines ou forgerons. «Beaucoup d’illustres
fils de marabouts et de fils de grandes tentes ont pourtant fait des offenses
encore plus grands envers Allah et son Prophète, sans que personne n’ait crié
au scandale, sans qu’ils n’aient jamais été inquiétés ou que les tribunaux n’aient
été saisis » scandera-t-il. Il cite le cas d’un ancien journaliste, fils d’une
grande famille de marabout qui, lors d’une visite du président Ould Taya dans
le fief de sa famille, lui tendit un exemplaire du Coran en lui disant
«acceptez monsieur le président ce modeste présent». Personne n’a bronché,
devant cette énormité qui consiste à traiter le Saint Coran de «modeste cadeau»,
dira Birame en substance. Birame cite également «toutes ces insanités que les
groupes dominants ont rattaché à l’Islam, l’esclavage, la stratification
sociale, l’inceste et le viol des jeunes esclaves, le captage d’héritage, etc
». Il s’interroge également sur ces «meurtriers élevés au rang de dignes personnalités
qui peuplent le rang des partis politiques de la majorité et de l’opposition,
coiffent des organisations de la société civile et occupent de hautes fonctions
de l’Etat, alors que leurs mains sont souillées du sang de centaines de
négro-africains » Et de se demander «pourquoi le président Aziz qui parle d’Etat
islamique n’a jamais traduit ces bourreaux devant les tribunaux, ou est-ce que
les peines, les sanctions et les pogroms au nom de l’Islam ne sont destinées qu’aux
classes dominées ?». De se demander aussi «pourquoi les érudits qui prétendent
défendre l’Islam contre le jeune Ould MKheïtir ne l’ont jamais défendu contre l’esclavage
et les assassinats collectifs des noirs en Mauritanie ?» Pour Birame, la
réponse est simple. «Ils ne dénoncent pas parce qu’ils sont actionnaires dans
ces pratiques». S’attaquant à un célèbre érudit de la place, il dira que ce
dernier «doit commencer par balayer devant sa tente avant d’émettre des Fatwas
tout azimuts ». Selon lui, le père de cet érudit avait un esclave qui avait
perdu quelques vaches. Fatigué de les chercher et rattrapé par la nuit, l’esclave
aurait passé la nuit avec son épouse qui vivait dans un autre village de la
famille de ses maîtres dans un village situé dans l’Awkar. Le lendemain, il
rejoignit ses maîtres sans les vaches perdues. Selon Birame, «l’esclave fut
pendu devant sa mère, par le propre frère de l’érudit en question. Et de l’apostropher
«que dit aujourd’hui cet érudit par rapport à ce crime fait de sang froid pour quelques
vaches perdues ? » Pour lui, ce crime n’a jamais fait des remous, mais promet
qu’IRA le déterrera dès qu’il aura obtenu l’assentiment des ayants-droits.
Cheikh
Aïdara
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