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mardi 24 juin 2014

Genèse de la question ethnique et raciale en Mauritanie ou genèse d’une agression: Réponse à Mariella Villasante, l’auteur de chronique politique de la Mauritanie



 
L’objet de cette présente contribution traite de la genèse de la question ethnique et raciale en Mauritanie. Elle prend comme point de départ un point de vue que nous voudrions nuancer et qui concerne les affirmations de l’anthropologue franco-péruvienne Mariella Villasante Cervello et du politologue français  Jean François  Bayard. Ces affirmations abordent d’une certaine manière les rapports de l’Etat et de l’ethnicité dans le contexte pluriethnique de la Mauritanie. 
En effet, dans la série d’articles publiés par Adrar-info,  sur le site de presse en ligne Cridem, sous le titre de «  chronique politique de la Mauritanie » Mariella Villasante Cervello met face-à-face deux types de nationalisme qualifiés de chauvins.  Elle renvoie dos à dos deux nationalismes qui, selon elle, s’affirmèrent dans le champ politique mauritanien dans les années 1980, celui des arabisants prônant «  la supériorité de la langue et de la civilisation arabes » et « celui  …des élites intellectuelles et jeunes auto-nommés négro-mauritaniens ». Le second nationalisme est, à son avis, inspiré de l’idéologie de la négritude de Senghor à la lumière de laquelle, de son point de vue, les forces de libération des africains de Mauritanie (FLAM créées en 1986) abordent la question de la « fracture sociale » dans ce pays sous l’angle raciste, dans leur « manifeste du négro-mauritanien opprimé ». Nous réservons notre appréciation sur le soi-disant racisme qui caractériserait la négritude défendue par Senghor, dans une prochaine contribution. Toutefois nous soulignerons au passage que la négritude, comme le fait remarquer le philosophe africain J.G Bidima, est « une revendication nationaliste dénonçant les justifications politiques, économiques et culturelles de la colonisation, une façon de revaloriser l’Afrique» (cf. Jean-Godefroy Bidima, la philosophie négro-africaine [?], Que sais-je no 2985, presse universitaire de France, 1995, p. 12-13), et les africains qui en étaient victimes. C’est une telle entreprise  qui a sous-tendu les écrits des  chantres de la négritude que sont Aimé Césaire, Léon-Gontran Damas et Léopold Sédar Senghor.  Sartre a écrit que c’est l’antisémitisme qui fait le juif. On pourrait dire que c’est l’esclavage et la colonisation qui ont enfanté la négritude. Cette volonté de « repersonnalisation » de l’homme noir a été saluée par Le philosophe français  Jean Paul Sartre dans Orphée Noir, jugeant  le particularisme auquel s’est attaché la négritude comme un chemin indispensable  à l’homme noir pour défendre sa dignité d’homme et que c’est un moment de la dialectique de l’histoire vers l’universel. Cette démarche est selon Sartre révolutionnaire. Concernant ces références aux écrits du philosophe français  sur la Négritude, nous vous renvoyons aux  articles de Rokhaya Oumar Diagne et de Philippe Gouet publiés dans la Revue négro-africaine de littérature et de philosophie, Ethiopiques No 61-2ième semestre 1989. Fermons cette parenthèse et revenons à notre sujet qui, d’une certaine manière, nous ramène, pour être plus précis, au débat sur la question des rapports entre ethnicité, race et Etat en Mauritanie. Pour aborder cette question, Mariella .V.Cervello commence, avant tout, par souligner, en Afrique, « le caractère restreint des luttes ethniques…en réalité toutes les oppositions ethniques ont une part d’ethnicité, c'est-à-dire de mise en avant des identités restreintes ; et parallèlement, une part de revendications citoyennes d’accès à la pleine égalité nationale » (cf. Mariella Villasante cervello, publication Adrar-info-cridem.org).  Reconnaissant le fait de l’ethnicité dans les oppositions politiques en Afrique, l’auteur ne perd pas de vue l’existence d’une autre  revendication citoyenne adressée à l’Etat  et qui appelle à une égalité de traitement de tous les citoyens. A ce propos, en Mauritanie, l’appel à l’égalité au plan sociopolitique n’a jamais occulté les revendications identitaires qui se sont cristallisées, sous le régime du premier président mauritanien Moctar ould Daddah, autour de la question linguistique étroitement liée à celle de l’enseignement, dès 1966 au lendemain de l’indépendance,  et par la suite en 1979,  sous le régime militaire. C’est pour surmonter cette question qui  pousse de façon récurrente le jeunesse négro-mauritanienne à la révolte, et soutenue en cela par leur communauté, que furent adoptées, le 18 octobre 1979, par le Comité militaire de salut national (CMSN) , l’instance dirigeante en Mauritanie à cette époque, « les orientations d’une nouvelle réforme de l’enseignement intégrant les langues nationales négro-africaines (Poular, Wolof, Soninké) officialisée et transcrites en caractères  latins» (cf. Oumar Moussa. Bâ, Noirs et Beydanes mauritaniens, l’école creuset de la nation- Harmattan). A cet égard, faut-il considérer les revendications identitaires des noirs en Mauritanie  comme le fait exclusif de l’élite intellectuelle noire et non celles des élites traditionnelles noires qui, selon Mariella Cervello, s’accommodent généralement du discours officiel exprimé par l’Etat mauritanien ? Cette élite  traditionnelle à supposer qu’elle soit adepte de «  la politique du ventre » et qu’elle se range  du côté du pouvoir ne constitue, en réalité, qu’une minorité insignifiante par  rapport à l’ensemble des négro-mauritaniens marginalisées culturellement,  économiquement et politiquement, en raison de  leur sous représentation dans ces différent secteurs. Quant à l’idée selon laquelle les revendications identitaires sont une exclusivité des intellectuels, celle-ci  a été  émise à une certaine époque et dans un autre contexte de crise qui est celui des grands lacs où on a laissé entendre,  qu’autant au Rwanda qu’au Burundi, « le sentiment d’appartenance n’est partagé que par les couches dirigeantes ». Ceci a été démenti par des observations selon Filip Reyntjens qui écrit,  dans le cas du Rwanda, « contrairement à ce que  laisse entendre le discours de certains intellectuels et bon nombre de dirigeants, la division ethnique n’est pas un phénomène superficiel qui rongent certains intellectuels ». (cf. Filip Reyntjen, L’Afrique des grands lacs, en crise, Edition Karthala, page.13). Pour ce qui est du Burundi et citant Darbon, Reyjents  rapporte que  « la subjectivité de la mobilisation ethnique s’articule sur l’objectivité de la marginalité politique et économique » (cf. reyjents, idem, page.14). C’est justement ce type de marginalité que dénonce, encore aujourd’hui, la plupart des noirs mauritaniens. Cette dénonciation est relayée publiquement par  leurs élites intellectuelles, à travers  des écrits tels que « le manifeste du négro-mauritanien opprimé ». Outre ce démenti, Reyntjens rejette cette tendance à réduire les revendications identitaires à « un simple partage de gâteau par des élites ». « Cette politique du ventre  » de la part des élites africaines est au cœur de l’ouvrage de Jean François Bayard intitulé l’Etat en Afrique, la politique du ventre. Une politique  qui  se sert de l’ethnicité et du tribalisme  pour arriver à ses fins. A ce  propos Bayard  affirme que « dans le contexte de l’Etat  africain, l’ethnicité existe principalement  comme un agent (moyen) d’accumulation, à la fois de richesse et de pouvoir politique. Le tribalisme est donc perçu moins comme une force politique en soi qu’une voie par laquelle s’exprime la compétition pour l’acquisition de richesse, de pouvoir et de statut( traduit par nous de l’anglais cf. J.F Bayard, The state in Africa, the politics of Belly, Edition Longman London-New York, page.55, L’Etat en Afrique, la Politique du ventre).  Force est de reconnaitre ici que la démarche intellectuelle de Mariella  sur la question identitaire en Mauritanie s’inspire largement de celle de Bayard. Ce dernier insère les revendications identitaires des négro-mauritaniens dans son schéma d’intelligibilité et relève à cet égard de l’ethnicité, qu’il décrit dans son ouvrage susmentionné. C’est dans le contexte mauritanien qu’il choisi ses tous premiers exemples, entre autres,  relatifs au rapport Etat/ethnicité, en Afrique. Le premier est relatif au « manifeste des 19 » émanant des élites  négro-mauritaniennes datant de 1966, dénonçant l’introduction de l’arabe dans l’enseignement en Mauritanie comme moyen de défavoriser les populations noires dans l’accès  aux emplois de la fonction publique, entre autres. Et, le deuxième exemple renvoie au «   manifeste du négro-mauritanien opprimé » de 1986 critiquant  la confiscation de leurs terres fertiles de la vallée du fleuve Sénégal par les « beydanes » (terme qui signifie littéralement « blancs » et  par lequel les arabo-berbères de Mauritanie s’auto-désignent) et l’octroi de prêts bancaires en vue de leur mise en valeur, un manifeste qui selon Bayard appelle à la violence contre les usurpateurs des terres (cf. JF Bayard, idem page.56). Les revendications scolaires et culturelles de 1966 et de 1979, compte tenu de leur ampleur et  des réponses souvent mitigées de la part des autorités mauritaniennes, ne doivent pas être réduites à un problème de partage de richesse nationale,  pour ne pas dire en caricaturant,  à un problème de partage de gâteau. La non résolution correcte de ces revendications débouchera  sur la crise  survenue en 1989. Celle-ci fait  suite à un banal conflit à la frontière entre le Sénégal et la Mauritanie, et qui a conduit à l’épuration ethnique des noirs de Mauritanie, à leurs déportations en masse au Sénégal et au Mali où ils sont présents jusqu’à nos jours, aux exécutions  sommaires de sa composante militaire (près de 1700 victimes) et civile, aux expropriations foncières dans la vallée et aux vols de biens et de milliers de bétails dont ils ont été victimes. Ces événements tragiques ne sauraient être pris à la légère comme en attestent les présentations laconiques qu’en font Mariella Cervello la conquistador franco-péruvienne et son inspirateur à savoir  Jean-François Bayard, le vaillant chevalier, sans peur ni reproche. Pour échapper à une telle légèreté dans les analyse et pour  mieux saisir les enjeux identitaires en Mauritanie  qui ne se réduisent pas à simple « partage de gâteau »  et  en raison des conflits qu’ils suscitent et qui  pèsent sur  l’existence même de la Mauritanie comme entité politique, il convient de se rapporter à la genèse de la question de l’identité raciale et ethnique  dans ce pays. Il s’agit, entre autres, de montrer que les conflits identitaires en Mauritanie ont un fondement idéologique et historique que d’aucuns veulent passer sous silence pour mieux évacuer les responsabilités historiques d’une agression  et d’une domination à l’encontre des  négro-mauritaniens.  Avant de traiter ce sujet à proprement parler, nous allons  tout d’abord commencer par nuancer les affirmations de nos deux auteurs, pour mieux cadrer nos analyses.
Nous ne récusons pas dans le contexte de l’Etat contemporain  africain le rôle de l’ethnicité et du tribalisme dans la gestion prédatrice des biens publics, ni le comportement prédateur de certaines élites africaines adeptes de « la politique du ventre », toutefois nous estimons qu’il faut  nuancer les propos de Bayard qui perçoit dans ce comportement prédateur du personnel de l’Etat africain postcolonial un éloignement du modèle de  « l’Etat, né de l’occupation colonial »… {Qui fait] l’objet  de multiples pratiques de réappropriations… {et] un champ d’indétermination relative ». Il faut tout de même noter que le développement de certains scandales liés à  certaines affaires, en France, au sommet de l’Etat, ces dernières années, impliquant des fonctionnaires français et des dirigeants africains,  prouvent que ce n’est pas seulement  en Afrique que se pratique cette « politique du ventre ». Par ailleurs, Jean suret-Canal estime que Bayard« ne saisit l’Etat qu’à travers son  personnel et les comportements de ce personnel, mais les fonctions de l’Etat, de ses divers services, pour l’essentiel, ne sont pas modifiés. Elles sont héritées directement de la colonisation, prédéterminés dans les structures économiques, la législation, etc. ». En effet, ce que l’on a appelé décolonisation n’a été qu’une procédure de remplacement « du gouverneur [de la colonie] par un président autochtone…les chefs de services européens sont remplacés par des ministres nationaux, les administrateurs coloniaux relayés (souvent immédiatement) par des administrateurs  africains » (cf. Jean Suret-Canal, revue Pensée Janvier-Février 1995, page. 25). Telle est la tâche qui a incombée aux  réseaux de Jacques Foccart nommé conseillé technique à l’Elysée, en 1958, par le général De Gaulle, en charge des problèmes africains. Ces réseaux vont constituer les relais entre l’Etat colonial français et les Etats postcoloniaux issus de la colonisation (cf.,  Pierre Péan, l’homme de l’ombre, Affaires africaines, Edition Fayard p.261). A ce propos, Péan écrit qu’ « on peut affirmer sans grand risque d’erreur qu’une part importante des matériaux dont dispose le fondateur de la 5ième république pour forger sa pensée sur l’évolution de l’ex-empire lui a été fournie par Foccart »(cf. Pierre Péan, l’homme de l’ombre, idem, page.262). Pour conjurer les soi-disant erreurs de la 4ième république, le général De Gaulle « veut réinstaller la France à son rang dans le concert des nations…il invente la « communauté » grand ensemble de cent million d’habitants, liant de manière institutionnelle, sur la base de l’égalité des peuples, les territoires d’outre-mer à la métropole, ensemble dont il est le président » (cf. P. Péan, l’homme de l’ombre,  idem, p.262). La continuité  entre les Etats issus de la colonisation et la France,  la dépendance à son égard sont ainsi assurées. Cette continuité et cette dépendance se sont  affirmées explicitement, lorsque le président François Mitterrand a déclaré lors du sommet franco-africain de la Baule, en juin 1990, la nécessité de la démocratisation des régimes politiques africains jugée inséparable de l’essor du développement. La démocratisation devient une conditionnalité de l’aide au développement. Depuis a-t-on cessé le soutien aux dictatures ? Rien n’est moins sûr. En témoigne en Mauritanie,  le soutien apporté par les réseaux foccardiens ou de ce qui en reste, au coup d’Etat d’aout 2008 du général Mohamed ould Abdel Aziz perpétré contre l’ex- président démocratiquement élu Sidi Mohamed ould cheikh Abdallahi. A une autre occasion, ces réseaux « foccartiens » se sont illustrés à travers un de leurs  canaux à savoir « l’Association des  amis de la Mauritanie », quand il s’est agit de redorer le blason de l’ex-président dictateur exilé de force au Qatar suite à un coup d’Etat militaire en 2005 à savoir Sid Ahmed  ould Taya,  que l’on voulait sortir de son isolement diplomatique, d’une part, en raison  de sa responsabilité au premier chef dans l’épuration  ethnique des années 1989  des négro-mauritaniens ;  et  en raison, d’autre part, du soutien qu’il avait apporté au régime  baasiste de Saddam Hussein, son mentor et celui des nationalistes arabes de Mauritanie, lors de la première crise du golf en 1990.  Soulignons au passage que c’était dans cette même perspective que le régime  d’ould Taya allait établir des relations diplomatiques avec l’Etat d’Israël en 1999 sous la pression, aussi faut-il le dire, de certaines puissances occidentales ; celles-ci seront d’abord gelées en 2009 puis rompues en 2010 par le régime du général putschiste Mohamed Ould Abdel Aziz..
A ce stade de nos analyses, il s’agit de montrer en quoi les acteurs de la colonisation française en Mauritanie ont largement contribué à poser les fondements qui permettront de justifier, dans le cadre de l’Etat postcolonial, la marginalisation culturelle et politique des négro-mauritaniens et la continuation de la pratique  raciste de l’esclavage car seuls les noirs mauritaniens en sont victimes. Par ailleurs, on ne peut pas aborder de façon correcte la question ethnique et raciale qui nous préoccupe ici en faisant fi des théories anthropologiques et  psychosociologiques indispensables à la compréhension de ce qu’est une identité ethnique ou culturelle et les enjeux que leurs revendications impliquent tant au plan des vécus  humains ou des existence sociales,  des  relations interethniques,  qu’au plan politique. Nous donnerons aussi un aperçu de  l’impact des questions identitaires et raciales dans le contexte géopolitique propre à la zone sahélo-saharienne, sur fond, entre autres, de la crise dans le nord Mali et des relations diplomatiques ambigües entre le Sénégal et la Mauritanie.
Aussi, revenons à cette «  association des amis de la Mauritanie » dont les membres en tant que témoins privilégiés  de la politique coloniale française en Mauritanie nous fournissent, à travers la vision de ses membres, des éléments permettant de conduire nos analyses. Cette  association avait  pour président, à l’époque, un professeur de biologie à l’université de Nice du nom de Raoul Carrouba (en remplacement de Gabriel Férral, une figure importante de la colonisation française en Mauritanie),  qui officiait  aussi comme consul honoraire de la Mauritanie dans cette même ville. Le président d’honneur de cette dite association fut, au même  moment, un ex-premier ministre du général De Gaulle, en remplacement d’un grand ami du désert mauritanien, feu Théodore Monod. Aujourd’hui décédé, comme du reste Férral et Monod, Pierre Mesmer a été aussi une grande figure de la colonisation en Afrique et en Mauritanie où il a été  commandant de cercle dans l’Adrar et gouverneur de colonie, entre 1950 et 1954. C’est à travers un colloque consacré à une période de l’histoire coloniale de la Mauritanie et organisée à l’université des sciences de Nice Sophia-Antipolis , en 1995, par l’Association des amis de la Mauritanie, auquel avait assisté l’ ambassadeur mauritanien en France, à l’époque, Dah ould Abdi, que s’est exprimé le soutien à l’ex-président dictateur ould  Taya. Au cours de ce colloque révisionniste de l’histoire coloniale de la Mauritanie, en tant que membre de l’auditoire,  nous avons  entendu dire de la bouche de l’ex-premier ministre Pierre Messmer, en substance, qu’il y avait une bonne entente entre Colonisateurs et colonisés, en Mauritanie, parce qu’il n’y avait pas de « césure raciale » entre eux. Ces propos ont été rapportés par l’historien mauritanien Ibrahima Abou Sall, dans le journal des Flam, le Flambeau No 12-13-14. Autrement dit, entre colonisateurs français et colonisés Beydanes, il y avait une entente parce qu’ils étaient tous blancs. Alors qu’est-ce qu’il faisait  des noirs habitant au sud de la colonie de Mauritanie et des noirs Harratines esclaves des beydanes qui vivent encore, aujourd’hui, comme appendice de la société maure ( maure est un  terme par lequel les français ont désignés les arabo-berbères de Mauritanie) dans une sorte de  parenté fictive, dans laquelle certains leaders du groupe harratine se maintiennent inconsciemment, en revendiquant à tord ou à raison leur arabité, en raison du partage de la  langue arabo-berbère ( hassania) qu’ils ont en commun avec leurs maitres ou anciens maitres beydanes.  En quels termes se posent, pour les noirs mauritaniens que sont  harratines et les négro-mauritaniens (terme utilisé pour désigner les membres des groupes ethniques noirs de Mauritanie),  la question ethnique et raciale en Mauritanie ? Nous reviendrons sur cet aspect de l’identité  fictive des harratines et ce que cela implique au plan idéologique, au sens où l’idéologie  a pour  fonction à la fois d’occulter à ses victimes les véritables enjeux  liés à leurs situations d’opprimés et d’opérer, en même temps, efficacement pour leur maintien dans une exploitation à laquelle malheureusement elles consentent,  au grand bonheur de leurs maîtres. A cet égard, on comprend en quoi un débat éclairé sur la question identitaire en Mauritanie constitue un préalable pour une cohabitation non conflictuelle entre Bedydanes (« maures blancs ») et noirs mauritaniens. Ce débat est salvateur. Dans une approche  diachronique, à savoir en suivant l’évolution des faits, nous essayerons de saisir les enjeux qui la sous-tendent. Cette  approche justifie le détour par la colonisation, pour saisir  mieux ce qui se joue au plan identitaire aujourd’hui en Mauritanie. Cela ne signifie  pas pour autant que nos analyses suivront  forcément une certaine chronologie. Toutefois, nous tenons à préciser que nous  les conduirons à la lumière des théories sur l’identité qui prônent  le dynamisme en la matière et  contrairement à celles qui figent les identités excluant toute possibilité d’échange et de relations interculturelles ou interethniques. Cette conception figée de l’identité n’est pas africaine comme nous le verrons à travers des exemples. La surdétermination du fait ethnique a été une arme du colonisateur pour mieux asseoir sa domination en Afrique.  A ce propos, nous avons évoqué « la politique de la race » conçue par le colonisateur français. A la lumière des théories sur l’identité, en Mauritanie en quels termes se pose la question identitaire aux noirs mauritaniens fussent-ils harratines ou négro-mauritaniens ?
Le débat sur  l’arabité ou non des harratines  est  une actualité dans le milieu intellectuel harratine. S’il est vrai qu’une identité culturelle s’appuie sur des critères objectifs qui sont des traits ou des marqueurs culturels (la langue, les croyances, les us et coutumes, l’art…) qu’un groupe ou un individu d’un groupe peuvent revendiquer comme structurant leur appartenance, il n’en demeure pas moins qu’il y a une part déterminante de subjectivité et de volontarisme dans cette revendication. Ce qui fait dire au grand anthropologue américain Clifford Geertz que l’identité est fluide, dynamique même si elle  n’est pas consciemment perçue comme telle. Les gens peuvent porter des identités comme on porte des habits, et changer d’identité  en fonction de la situation comme on change d’habits selon les occasions. Ce qui ne signifie pas pour autant qu’il n’existe pas de catégories sociales ou plutôt des régularités sociales inflexibles indépendantes de leurs volontés et qui déterminent leurs existences sociales. Il est évident et il est important de rappeler que l’identité ethnique en Afrique n’est pas figée et l’ethnicité n’est pas vécue comme une barrière infranchissable. Prenons quelques exemples pour l’illustrer. Les équivalences de patronymes Wolof et Bambara comme du reste les patronymes communs à différentes ethnies, les relations ou cousinages à plaisanterie entre leurs représentants peuvent témoigner dans le temps et dans l’espace des relations de clientélisme et de réciprocité entre ces  différents groupes. Ainsi, le patronyme wolof Ndiaye est synonyme de Diarra, Fall est synonyme de koulibaly, Gueye est synonyme de Cissokho. Ces patronymes sont interchangeables selon que  l’on se trouve en milieu Wolof ou Bambara. Le patronyme Fall appartient  aussi bien au groupe ethnique Maure, Haalpular que  Wolof. En milieu Haalpular,  le patronyme Kane est associé à Diallo.  Toujours à titre d’exemple, selon une  certaine  tradition, il existe une parenté  entre Koly Tenguella Bâ (le fondateur de la dynastie peulhe qui a dominé le Fouta Toro pendant deux siècles) et l’empereur du Mali Soundiata Keita. Il y’a un récit qui rapporte qu’en reconnaissance d’une dette et d’un engagement auquel il ne pouvait plus se soustraire au risque de violer un serment, l’empereur Soundiata aurait donné  en épouse une de ses femmes enceinte au futur souverain du Fouta à savoir Kolly Tenguella.  Toujours à titre d’exemple, revenons à l’Ethnie Haalpular, il y a des membres de cette  communauté  qui ont des origines Harratines (les hormankobe), et il ne viendrait à l’idée de personne de leur nier leur appartenance Haalpular (qui signifie littéralement celui qui parle la langue pular, celle des Peulhs). Les Haalpularen (pluriel de Haalpular) constituent  un groupe ethnolinguistique. Les relations à plaisanterie ou le cousinage à plaisanterie entre l’ethnie Haalpular et Sérère attestent qu’il y a eu dans le temps des relations tenues et de proximité entre ces deux groupes ethniques. Tous ses exemples militent dans le sens de l’ethnicité telle que le perçoit l’anthropologue Frederick Barth qui a montré dans un article intitulé ethnic groups and boundaries (  groupe ethnique et limites, frontières), que l’ethnicité ne se réduit pas une affaire de traits culturels, dans la mesure où il est difficile, dans les contextes où elle se manifeste, qu’une ethnie puisse revendiquer  un ensemble de traits culturels qui lui soient spécifiques. Du fait que les groupes ethniques partagent des traits culturels en commun, l’identité ethnique peut faire l’objet d’un usage multiple. On peut se dire Haalpular et évoquer ses origines : maure, soninké, peule, wolof, Sérère…selon les situations. Il n’y a en cela aucune contradiction ou  forme de schizophrénie et cela ne remet nullement en cause cette identité haalpular de la part de ses membres. Ce contexte où il n’ya aucun inconvénient à revendiquer des origines différentes tranche avec le contexte des USA, lorsque l’on imagine le tollé soulevé par le célèbre joueur de golf américain Tiger Wood lorsque ce dernier a déclaré être à la fois africain-américain et  asiatique. L’usage de l’identité multiple n’est-il pas permis dans ce contexte américain ? Cela n’est pas si sûr. Pourtant, on se dit à la fois américain et africain, américain et anglo-saxon, américain et hispanique, américain et indien etc.  Revenons au contexte mauritanien, il faut souligner que le harratine use bien de cette stratégie de l’identité multiple,  qui dans son cas peut traduire souvent  ce que le psychosociologue hongrois Laslo Garai appelle les paradoxes de la catégorisation sociale. Autrement dit, le harratine de culture arabo-berbère peut refuser de se revendiquer comme arabo-berbère, en raison de la discrimination traumatisante et le manque de loyauté qu’il expérimente au sein de son groupe culturel. Aussi, peut-il être tenté de se revendiquer uniquement comme harratine, en justifiant cette appartenance par sa condition d’aliéné et d’exploité, ou  bien revendiqué son appartenance négro-africaine qu’il justifierait par ses origines ethniques négro-africaines qui sont incontestables, car sachant pertinemment que cette identité lui a été usurpée et  lui a été aliénée par sa réduction à l’esclavage.  Ces revendications peuvent apparaitre, à ses yeux, plus valorisantes voire plus conséquentes. Loin de nous l’idée d’affirmer que le Harratine a créé une autonomie culturelle distincte de celle des maures.  Il opère  juste un retour aux origines, pour se revaloriser,  comme cela s’est fait dans le contexte des USA. Dans le contexte de la ségrégation raciale qui prévalait aux USA, les noirs américains se sont auto-désignés africain-américains ce qui n’ôte en rien à leur patriotisme en tant que citoyens américains,  et à ce titre,  ils peuvent revendiquer leur part du rêve américain parce qu’ils ont consenti à des sacrifices qui ont largement contribué à la prospérité des USA et à forger ses institutions démocratiques et républicaines. La preuve, encore une fois de plus, que la revendication de la négritude ou de l’africanité n’obéissent pas forcément à une volonté de l’homme noir de fonder son identité sur le stigmate de race, comme le fait d’ailleurs le Beydane  qui se définit comme « blanc » pour se distinguer de ses voisins noirs de l’Afrique sub-saharienne ; mais cette revendication est une stratégie pour l’homme noir de faire face à une aliénation et une agression étrangères qui pour s’imposer à lui intellectuellement et matériellement a usé de l’idéologie qui a consisté à associer la noirceur  de l’homme noir au mal , à l’inintelligence, et  à le lui faire accepter, en lui ôtant ainsi  toute estime de soi, pour mieux le dominer et mieux l’exploiter. La «  repersonalisation »  de l’homme  noir victime de l’esclavage, du racisme et de la colonisation n ‘est pas du racisme qui prônerait une quelconque supériorité raciale, comme  veut le laisser entendre Mariella Villasatne Cervello. Un racisme qui en revanche a eu cours dans la colonie de Mauritanie tant de la part des français que des esclavagistes maures dont les esclaves faut-il le dire sont tous noirs, comme nous l’avons souligné plus haut. Dans la colonie de Mauritanie, de manière générale et par rapport à l’esclavage, la discrimination envers les noirs était flagrante de la part des colonisateurs français quand il s’est agi notamment de favoriser les maures au détriment des noirs. Car,  l’abolition de l’esclavage sur tous les territoires français d’outre-mer par les autorités françaises n’a jamais été observée par l’administration coloniale, en milieu maure. Il est arrivé que des esclaves harratines fuyards soient ramenés à leur maitre Beydane, par l’administration coloniale. Un des acteurs colonialistes de l’époque, présent au fameux colloque de Nice, dira pour justifier un tel acte, qu’il s’agissait de maintenir la stabilité et l’équilibre de la société maure pour qui,  les fuites d’esclaves constituaient une menace. Il  est important de rappeler que  l’esclavage existe toujours en Mauritanie malgré : son abolition en 1980 par l’ordonnance no 81 234, sa criminalisation par une loi votée par l’assemblée nationale en 2007, la création en janvier 2014 d’un tribunal pour juger les faits d’esclavage.  Tous ces acquis au  plan juridique et qui restent  strictement formels, les Harratines les  doivent à leurs mobilisations  et à celles de leurs leaders malgré les politiques de récupération à travers des promotions  professionnelles  et d’une répression constante  de la part du système politique mauritanien qui,  jusque-là, n’a pas pris de mesures adéquates pour éradiquer l’esclavage. Aussi, tour à tour, les leaders Harratines seront amenés à créer des structures de lutte contre l’esclavage, en Mauritanie, telles que : El Hor créé en 1978 (qui signifie l’homme libre),  l’ONG SOS-Esclave,  en 1995 et enfin l’Initiative de Résurgence du Mouvement Abolitionniste en Mauritanie (IRA) Créée en 2008. Le politologue mauritanien d’origine haratine El Arby ould Saleck (en se référant à l’anthropologue mauritanien Abdel Weddoud Ould Cheikh) distingue actuellement deux types d’esclavage en Mauritanie, « un esclavage de « tente » dans les zones rurales alors que dans les centres urbains, il s’agit d’un domestique qui n’a pas pu échapper au réseau de clientèle maure issue de l’Assabia » (cf. El Arby Ould Saleck, Les Haratins, Le paysage politique mauritanien, Edition l’Harmattan, p.83). Cette notion d’Assabia joue un rôle de régulation et d’intégration fondamentale dans la société maure. En partant des réflexions de l’anthropologue mauritanien Abdel Weddoud ould Cheikh sur les rapports entre Nomadisme, islam et pouvoir politique dans la société maure, Marchesin dira de l’Assabia que c’est un « véritable ciment tribal [et] constitue le ressort du quasi-instinct de défense collective de la communauté tribale. La nécessité de défendre l’honneur du groupe pousse les membres issus de la même parenté à  se porter secours en cas d’agressions commises envers l’un des leurs » (cf. Marchesin, Tribus, Ethnies et pouvoir en Mauritanie, Edition  Karthala-1992). Il est de toute évidence que cette solidarité  prônée par l’Assabia ne s’étend pas aux Harratines esclaves ou affranchis qui occupent dans leur majorité un statut servile dans la société tribale maure. Il faut tout de même souligner que selon Abdel Weddoud, les harratines vivant en milieu urbain peuvent suivre un processus de détribalisation vis-à-vis du système tribal maure, ce à quoi rétorquera le politologue d’origine harratine ou faut-il dire d’appartenance harratine  à savoir El Arby qui  laisse  entendre,  que pour autant,  on ne risque  pas de voir émerger chez les harratines une identité culturelle harratine autonome de la culture maure.
 Il ressort, de ce qui précède,  que dans le face-à-face noirs /maures, en Mauritanie, il se pose non seulement le problème de l’esclavage, mais aussi celui  de la production et de l’affirmation d’une identité culturelle nationale qu’une frange arabo-berbère dominante détentrice du pouvoir politique et économique tente d’imposer aux autres groupes ethniques qui composent la Mauritanie, et ceci, en associant la construction d’une identité nationale commune à la nécessaire hégémonie de la langue arabe. Aussi, faut-il rappeler que l’idéologie panarabisme  que sont le baasisme et le  nassérisme ( idéologie fondée sur la pensée du défunt président  égyptien Gamal Abdel Nasser qui influença le monde arabe dans les années 1950-1960-1970, qui prône coups d’état militaire contre les dictatures dans le monde arabes comme étape pour l’unité des peuples arabes dans le cadre du socialisme)  ont  encore de beaux jours en Mauritanie, car leurs défenseurs et tenant   au sommet de l’Etat, malgré la résistance négro-mauritanienne, ont pu imposer dans le pays l’arabisation de l’enseignement et de l’administration. Rappelons que l’idéologie baasiste  prône la résurrection arabe en termes de révolution nationale. Cette résurrection se justifie d’autant plus que la culture arabe est considérée ici comme primordiale par rapport aux autres cultures humaines  grâce à sa langue. A ce propos, le progrès de la culture arabe est attesté dès 1970 et surtout dans les années 1980 avec l’ouverture de centres culturels : syrien très actifs en 1980-1981, saoudiens en 1982 « riches en livres religieux », « marocain qui sera apprécié pour sa bibliothèque universitaire et pour les conférences qui s’y donneront ». Ces centres culturels ont, selon Catherine-Taine Cheikh, « fortement contribué à l’émergence d’une sensibilité intellectuelle arabe moderne » (cf. Catherine-Taine Cheikh, Les langues comme enjeux identitaire, La Mauritanie : un tournant démocratique, Revue Politique Africaine No55 -1994). Il faut souligner que c’est dans ces années 1980 qu’apparaissent dans le champ de la contestation en Mauritanie les mouvements islamistes. Ils obtiendront de la part du régime militaire de l’époque l’application de la charia (loi islamique) dont les seules rares victimes seront deux noirs sans aucune attache sociale, un  immigré guinéen qui se verra amputé d’une main pour un simple vol et un harratine déséquilibré mental qui  passera au peloton d’exécution sous les regards d’une foule de badauds et de curieux à la cherche de sensations fortes et réunis pour la circonstance. Cette application de la charia n’avait aucune motivation religieuse de la part des autorités mauritaniennes de l’époque sinon que de contenter l’Arabie saoudite de qui on attendait en  retour des financements que la banque mondiale était réticente à fournir à l’Etat mauritanien. Aujourd’hui on est en droit de s’inquiéter d’une part du financement par l’Arabie Saoudite d’une faculté d’enseignement en Mauritanie qui consacrera d’avantage l’arabisation de ce secteur ;  et d’autre part la mise  à la disposition de 100.000 hectares de terre à un projet saoudien dans le domaine agricole. Ces terres se situant dans la vallée du fleuve, dans  les zones de Boghé, du Trarza, de Lexeiba. Ce projet privent de leurs terres des milliers de noirs mauritaniens originaires du sud de leurs moyens privilégiés sinon unique de subsistance. Aussi, faut-il- rappeler à Maria.V. Cervello, que  c’est vite  aller en besogne que de  renvoyer dos à dos les acteurs du drame mauritanien, à savoir les nationalistes arabes et les  soi-disant nationalistes négro-mauritaniens, dans une opprobre commune en les taxant de chauvins, on masque ainsi  la genèse de l’agression et l’inégalité des forces en présence. Il n’est pas surprenant alors, si l’on s’inscrit dans l’approche réductionniste de Mariella, qu’en Mauritanie, entre 1989-1992, la communauté internationale ait assisté sans broncher à la terreur contre la population noire perpétrée par les forces  armées et de sécurité  mauritaniennes. Il a fallu attendre onze années pour qu’intervienne la première réprimande internationale adressée à la Mauritanie, qui est venue tardivement de la commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP). Ceci amènera un observateur d’ONG Stephen Humphreys qui avait visité les camps des déportés mauritaniens au Sénégal en 2005 à s’en étonner et  à écrire qu’avant le génocide perpétré au Darfour et à une plus grande échelle au  Rwanda, il y a eu  le précédent mauritanien (cf. Stephen Humphrey, a publication of justice initiatives, february 2005, page.33). Cette tentative d’occulter la purification ethnique en Mauritanie conduit,  encore aujourd’hui, des observateurs avertis à mettre ces violations graves et massives des droits de l’homme subies par les noirs mauritaniens sur le compte de conflits interethniques, alors que l’on sait parfaitement que la violence relative à ces violations étaient ciblées,  programmées et unilatérales. Au plan diplomatique, l’administration américaine, en la personne de monsieur Bishop premier-adjoint pour les droits de l’homme et des affaires humanitaires au Département d’Etat condamnera les violations graves des droits l’homme perpétrées contre les noirs en Mauritanie, lors d’une séance sur le Maghreb organisée entre autres par la sous commission sur les affaires africaines, le 19 juin 1991(cf. Human watch Right Africa, Mauritania’s campaign of terror – april 1994). Cette position des USA a été  un peu altérée par celle de son ambassadrice en Mauritanie en la personne de madame Dorothy Sampas qui a fait pression sur le Hcr-Dakar, pour l’amener à se plier aux vœux du l’ex-chef d’Etat mauritanien ould Taya qui voyait d’un mauvais œil la soi-disant « orchestration » faite par l’institution onusienne autour du recensement des déportés mauritaniens au Sénégal (cf. magazine jeune-afrique, No 219 du 3 juin 1996).  Toutefois, La  tournée du 24 au 25 juin de son Excellence l’ambassadeur des USA en Mauritanie Joseph le Baron, dans les camps des réfugiés mauritaniens du Sénégal (Dagana, Dodel et Ndioum) a effacé le mauvais souvenir laissé par son prédécesseur Madame Sampas victime du lobbying du gouvernement mauritanien. L’ambassadeur américain Le Baron avait laissé entendre qu’une transition politique vers la démocratie avait cours en Mauritanie et il a promis aux réfugiés mauritaniens qu’ils retourneront bientôt chez-eux. Ce qui sera le cas, toutefois tout en n’oubliant pas  de rappeler qu’aujourd’hui le bilan de ce retour des réfugiés mauritaniens dans leur pays n’est pas achevé et reste très mitigé, dans la mesure où  que sur les près de 20.000 rapatriés du Sénégal entre janvier 2008 et  mars  2012, seuls 8000 rapatriés ont obtenu des autorités mauritaniennes des documents d’état civils. Ceux  qui n’ont pas obtenu ces documents sont devenus  des apatrides de facto dans leur propre pays. Pourtant ces rapatriements s’inscrivaient dans le cadre d’un accord tripartite signé entre le Sénégal et la Mauritanie sous l’égide du Haut commissariat des nations unies pour les Réfugiés (HCNUR).  Si  les autorités  mauritaniennes continuent de violer les droits des noirs mauritaniens sans impunité,  c’est en raison du lobbying intense mené par le régime d’ould Taya et ses successeurs en direction de  certains représentants de la communauté internationale et en direction de certaines officines, et ceci, en vue de  remporter le face-à-face  douloureux qu’elles ont  imposé  à la communauté noire de Mauritanie, au nom du nationalisme arabe. Un nationalisme arabe  qui avait emporté l’adhésion de la quasi-majorité des arabo-berbères mauritaniens. Ces derniers n’avaient pas réagi franchement et publiquement contre les exactions subies par leurs  concitoyens noirs. Dans ce face-à-face tragique que se font les deux composantes raciales, en Mauritanie, l’ancien colonisateur français a choisi son camp comme en témoignent les discours révisionnistes du Colloque de Nice. Les diplomates occultes de la France/Afrique savent ce qu’ils font, aujourd’hui, lorsqu’ils privilégient les héritiers d’un Etat qu’ils ont contribué largement à édifié.  En effet, leur parti-pris  et leur esprit partisan remontent  à la période coloniale. Dans la coexistence forcée entre Noirs et Maures dans le cadre de la colonie de Mauritanie, le colonisateur français au nom de ses intérêts a toujours favorisé les maures au détriment des noirs. Ceci est attesté par le comportement et les propos  des membres de l’administration civile et militaire coloniales, en Mauritanie. Suivons à cet égard l’historien mauritanien Ibrahima Abou Sall rapportant  leurs  propos. L’administration coloniale qui considérait les nègres comme culturellement inférieurs en raison « du vide  culturel » qui les caractérise s’est assigné le devoir de leur créer des écoles destinées à « donner satisfaction aux aspirations légitimes des populations noires à la culture française » (cf. Ibrahima Abou Sall,  crise d’identitaire ou stratégie de positionnement politique en Mauritanie : le cas des Fulbe Aynaabe, Revue Horizon nomade, p.83). Ces propos sont attribués au gouverneur colonial Beyries. Ce dernier ajoute : « Il faut tenir compte du fait que qu’il existe une civilisation musulmane fortement poussée que, partout, nous respectons et favorisons {c’est pourquoi à la différence des noirs} l’enseignement chez les maures doit être avant tout un moyen d’action politique[ pour les former} dans d’excellentes conditions et sans porter ombrage à {leur] esprit d’indépendance…{ cet enseignement visait] à doter la nouvelle génération d’une culture arabe que leurs  parents n’avaient pas »(cf. Ibrahima Abou Sall, idem, p.83-84 ». C’est en vue d’atteindre un tel objectif, que l’arrêté No 139 du 24 mai 1954 fut signé par le lieutenant-gouverneur de la Mauritanie « rendant l’enseignement de l’arabe obligatoire sur l’ensemble du territoire ». Voici plantés les germes des conflits qui sur le plan linguistique et de l’enseignement vont, comme nous l’avons vu, marquer de façon récurrente et violente l’histoire de la Mauritanie indépendante. Selon l’historien  Ibrahiama Abou Sall, ces administrateurs civils et militaires se sont constitués en groupe d’influence  et assimilaient la colonie de Mauritanie à une colonie « ethnique maure ».  Ils « s’étaient opposés à l’annexion de la Mauritanie au Sénégal en raison de sa non-rentabilité économique. Il demandait à ce que l’on tienne compte du « refus et de la crainte des maures d’être dominés par les noirs ». Autrement dit, les maures voyaient d’un mauvais œil la circonscription électorale unique Sénégal/Mauritanie représentée par un noir en la personne du député Léopold Sédar Senghor, futur président de la république du Sénégal entre 1960 et 1980. Ainsi, le lieutenant-gouverneur de Mauritanie Christian Laigret estimait que celle-ci devait être maintenue après les élections de juin  1946 « à l’écart de toute réforme et de toute propagande { car] la circonscription électorale unique Sénégal /Mauritanie avait déçu les maures, peu satisfaits de voir « un Noir représenter un pays de Blanc » » (cf. Ibrahima.A.Sall, idem, p.84).  Toute la démarche de cette administration civile et militaire coloniale se fondait sur l’idée d’un « espace  unitaire maure » « et de la  création d’une Mauritanie dont les principes fondamentaux devraient reposer sur les « facteurs de l’unité naturelle maure et saharienne »,  selon l’officier interprète et Directeur des Affaires politiques,  Paul Marty (cf. Ibrahim Abou Sall,  idem, page 82). En 1959,  Cette idée de la création d’un espace unitaire maure réapparaitra, lors de la visite en Mauritanie, du général De Gaulle. Ce dernier proposera au futur président de la Mauritanie indépendante feu  Moctar Ould Daddah vice-président du conseil général (assemblée délibérative élue émanant des clonies), la création de l’organisation  commune des régions sahariennes (OCRS) qui regrouperait les maures et les touaregs et qui serait présidée par oud Daddah. Voilà ce que dit Ould Daddah à son propos « la loi créant une Organisation commune des régions sahariennes alors française ne nous concerne en principe pas, mais les français ne cachent pas leur souhait que nous acceptions d’en faire partie à côté des touaregs et des maures de l’Azaouad » (concernant l’OCRS, cf. Moktar Ould Daddah, La Mauritanie, contre vents et marées, édition Karthala, p.198-199, p.525). Ce dernier déclinera l’offre, comme il l’évoque dans cet  ouvrage posthume susmentionné, en arguant qu’une telle création handicaperait les algériens qui luttaient  pour leur indépendance contre la colonisation française, et il conçoit mal que l’Algérie soit amputée de sa partie saharienne dont il faut dire qu’elle  recèle d’immenses réserves de gaz et de pétrole. Pourtant, le président Moctar Ould Daddah n’a pas été aussi conséquent quand il s‘est agi d’occuper le Sahara occidental en 1975, après le retrait de la puissance colonisatrice à savoir l’Espagne qui avait convenu de céder ce territoire à la Mauritanie et au Maroc. En 1979, le Front Polisario soutenu par l’Algérie et qui se battait pour l’indépendance du Sahara occidental obligera la Mauritanie à se retirer de la partie du territoire qu’il occupait suite à la signature d’un accord de paix signés en 1979 par les deux protagonistes. Dans cette affaire, Ould Daddah n’a fait ni plus ni moins que preuve d’irrédentisme, en revendiquant le Sahara occidental comme une terre non rendue, justifiant ainsi l’argument du non parachèvement du territoire mauritanien amputé de sa partie saharienne. A ce propos,  il dira à feu Hassane II du Maroc dés 1970, parlant du Sahara  qu’il est « partie intégrante de notre territoire national et que nous devons le récupérer pour le réunir à la Mauritanie déjà  indépendante…les colonialistes français et espagnols avaient partagé notre pays en deux colonies : la Mauritanie française, maintenant indépendante, et la Mauritanie espagnole, qu’il fallait libérer » (cf. Moktar ould Daddah, idem, p. 459). Par ailleurs, il y a lieu de se demander si ce n’est pas cet ancien projet de l’OCRS que la France et certains lobbies « amis des Touaregs » voudraient voir relancer en faveur des groupes irrédentistes touaregs et Jihadhjistes du nord Mali qui œuvrent pour la partition du territoire national malien. Y aurait-il un agenda caché  dans la volonté affichée de trouver une solution  à la crise qui sévit au nord Mali  et qui ne prendrait pas en compte le respect de  son intégrité territoriale ? On sait que  certains groupes irrédentistes touaregs ont des bases-arrières  en Mauritanie où ils font des déclarations publiques lors de leurs assemblées ;  les autorités mauritaniennes  nourrissent de la sympathie pour eux et reconnaissent officiellement la légitimité de leurs revendications. Aussi, il n’ya rien d’étonnant que le général putschiste à la tête l’Etat mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz actuellement président en exercice  de l’union africaine ait obtenu le 23 mai 2014 un cessez-le-feu entre  l’armée malienne et les rebelles touaregs du Mouvement national pour la libération de l’Azaoud (MNLA créé en 2010). Ce mouvement indépendantiste affiché  a obtenu le soutien par le Haut conseil pour l’unité de l’Azaouad (HCUA)  et le Mouvement arabe de l’Azouad (MAA) qui ont pris le contrôle de Kidal (ville du nord Mali). Mohamed ould Abdel Aziz n’est ni plus ni moins que l’un des  parrains de ces mouvements irrédentistes du nord Mali. Ce cessez-le-feu fait  suite à une attaque de l’armée malienne le 21 mai visant à  reprendre cette ville de Kidal entre les mains du MNLA. Cette ville échappe aujourd’hui complètement au  contrôle de Bamako. Elle n’est pas seulement entre les mains des séparatistes touaregs mais aussi sous l’emprise  des trafiquants de tout genre et des terroristes islamiques. Ces groupes armés sans aucune légitimité politique circulent dans cette ville de Kidal avec les soldats de  la Mission des nations unies pour le Mali (MINUSMA) et les soldats français de l’opération serval venus au chevet du Mali, pour y rétablir la paix et la sécurité.  Pourtant, suite à des élections générales et locales  en cette année 2014, le Mali avait pourtant  commencé à retrouver progressivement sa stabilité  au plan politique et sécuritaire ; ceci  suite à un coup d’état militaire survenu en 2012 et à l’invasion se son territoire, la même année, par ces mêmes  groupes terroristes islamistes et séparatistes que nous venons d’évoquer.  En ce qui concerne les groupes jihaddistes, on  peut citer : le Mouvement pour l’unicité de la Jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO) issu d’Al-qaida au Maghreb islamique s’adonne au narcotrafic ;  le mouvement Ansar Dine purement touareg qui lors de l’occupation des villes du nord Mali va fusionner avec le MNLA, le 27 mai 2012, dans le cadre d’un « conseil transitoire pour un Etat islamique ».  Toutefois, on comprend mal la passivité  actuelle des soldats de la  Minusma et plus particulièrement des soldats  Français face à la prise récente de Kidal par les mouvements jihadistes et séparatistes au nord Mali, comme cela fût le cas en 2012. On le comprend d’autant plus mal, quand on sait qu’à cette date,  le MNLA  qui avait pris part contre l’armée malienne à l’invasion des villes du nord desquelles il fut chassé, quelques mois après, par ses alliés jihaddistes,  se retrouve malencontreusement à Kidal comme conquérant et ceci grâce à la France qui a fait appel à ses services lors de la reprise de la ville de Kidal le 28 janvier 2013, des mains des  jihaddistes.
Par ailleurs, nous sommes en droit de  nous demander également si ce n’est pas fort de cette idée d’une Mauritanie comme « espace naturelle et  unitaire maure », qu’actuellement les autorités mauritaniennes se croient permis d’exclure des noirs mauritaniens de l’enrôlement visant à établir  un registre d’état civil sécurisé,  et faisant d’eux  ainsi, chez-eux,  des apatrides de facto. Ceci intervient après les déportations massives des noirs mauritaniens au Sénégal et au Mali, en 1989, et qui sont devenus de ce fait  des apatrides de jure. Force est de reconnaitre que le régime politique discriminatoire, encore en place en Mauritanie,  continue à assumer la «  politique des races » du colonisateur, un terme emprunté au gouverneur général William Ponty qui consistait à neutraliser les ethnies colonisées les unes par les autres,  « la règle du  diviser pour régner ». Il y a également  lieu aujourd’hui de se demander pourquoi Moctar ould Daddah avait tenté de rassurer les noirs de Mauritanie en appelant de ses vœux, une Mauritanie « Traits d’union entre le Maghreb et l’Afrique noire » quand on sait qu’il optera lui et ses prédécesseurs pour  l’arabité de la Mauritanie et son ancrage progressif dans le monde arabe et dans le Maghreb. A ce propos Abdel weddoud Ould cheikh écrit « Dans la Mauritanie immédiatement postcoloniale héritière d’un dispositif politico-administratif où les sédentaires noirs du Sud, bien mieux scolarisés que les Maures, jouerait un rôle important, une Mauritanie de surcroit  revendiquée par le Maroc comme une partie intégrante de son territoire, les autorités n’avaient peut-être pas d’autres choix que d’assumer la double appartenance arabe et africaine de la toute jeune république. C’était l’époque où l’on se plaisait à souligner son rôle de « trait d’union » entre le Maghreb et l’Afrique sub-saharienne » (cf. Abdel Weddoud ould Cheikh, in Revue Notre Librairie- Revue du livre : Afrique, Caraïbes, Océan indien- No 120-121 Janvier-mars 1995). Cette position d’Ould Daddah peut être jugée opportuniste car elle tranche avec celle qu’il avait défendue dans le journal français le Monde du 29-30 juin 1958 qui tient en ces mots « si nous devions choisir entre la fédération maghrébine et une fédération de l’Afrique occidentale française 5AOF), nos préférences nous porteraient vers le Maghreb ». Ces propos de prise de position sont en réponse aux craintes des noirs de voir le pouvoir politique échoir totalement entre les mains des noirs à leur détriment. Ce qui avait conduit  un conseiller territorial du Sénégal originaire de la vallée du fleuve, Dr Moustapha Touré à écrire dans l’ hebdomadaire dakarois les Echos du 21-27 avril 1958 « Si les Maures ne veulent pas accepter le jeu normal de la démocratie qui postule la loi du nombre ou qu’il leur coûte beaucoup trop d’être dirigés par des Noirs, le problème qui se pose à nous Africains, nous sénégalais, nous riverains du Fleuve, c’est celui du retour des Noirs de la Mauritanie actuelle dans la Fédération  d’Afrique noire, parmi leurs frères nègres ». L’option  pour un fédéralisme qui pourrait remettre en cause l’unité de la Mauritanie hérité du colonialisme ne plait pas à Moctar ould Daddah qui toutefois reconnait qui si elle est dangereuse l’est moins que  la revendication du territoire mauritanien par le Maroc. Ces menaces qui pèsent sur la Mauritanie sont de l’avis des congressistes mauritaniens réunis dans la ville d’Aleg en 1958 doit être une raison suffisante pour justifier le choix du statut politique de leur pays par rapport à la France métropolitaine. Un choix qui se traduira en termes d’accès à l’autonomie interne et de rejet toute vocation à l’indépendance par rapport à la France. A ce propos, Moctar ould Daddah écrit dans son ouvrage posthume : « La Mauritanie est particulièrement faible. Au nord, son existence est gravement menacée par le Maroc, au sud et à l’est, les menaces venant des deux territoires membres de la future fédération du Mali, le Sénégal et le Soudan, sont moins graves, mais le danger existe tout de même. Ne pouvant nous défendre par nous-mêmes, nous devons nous accrocher à la France, et ne rien faire qui risque de la  chatouiller, de détériorer nos rapports avec elle » ( Moctar Ould Daddah, idem, page 164). Un autre problème fera l’objet d’un débat à ce congrès d’Aleg convoqué par Ould Daddah, en vue de mettre fin aux divergences entre les différents partis politiques de Mauritanie qui dans le contexte de l’époque menaçait son existence. Il s’agissait  du débat  sur l’enseignement de l’arabe. Moctar ould Daddah rapporte  que « pour la majorité des congressistes, l’arabe devait être considéré comme notre langue nationale. Par conséquent, son enseignement devait être rendu obligatoire dans les écoles publiques, au même titre que le français » (cf. Moctar ould Daddah, idem, p.164).  Ce congrès d’Aleg est un tournant annonciateur des discriminations raciales et ethniques qui caractérisent aujourd’hui la Mauritanie et qui vont confirmer les craintes exprimées à ce propos par le Docteur Moustapha Touré, en 1958,  comme nous venons de l’évoquer. La marginalisation des négro-mauritaniens revient plus de quarante ans après sous la plume du journaliste d’investigation sénégalais Abou Latif Coulibaly, et ceci,  dans un  tout autre contexte  qui est  celui du post-colonialisme et des indépendances. Abou Latif Couibaly est aujourd’hui ministre sénégalais de la promotion de la bonne gouvernance et chargé des relations avec les institutions. En abordant la question de  la diplomatie sous-régionale du Sénégal, il écrit « Le voisin qui nous pose le plus de souci à nos frontières, est sans doute la Mauritanie. Abdoulaye Wade doit compter avec cette réalité, pour donner les meilleurs atouts à notre diplomatie dans las sous-région. Entre ce voisin et nous, il y a, heureusement, le « verrou négro-mauritaniens ». Cette population noire qui est à cheval sur les deux rives. C’set à la fois une chance et un problème. Une chance : pour atteindre notre pays, il faut, nécessairement aux autorités de Nouakchott l’aval de la caution de cette population. Ce qui est loin d’être évident. Un problème : le sort qui est fait aux Noirs en Mauritanie, comme l’esclavage et le chauvinisme, les Noirs se trouvent parfois, dans une situation difficile et  délicate , qui ne peut laisser le Sénégal indifférent eu égard  aux relations aux relations diverses et variées qui lient les populations vivant sur les deux rives du fleuve. Malheureusement, les populations négro-africaines cèdent parfois à la tentation d’un racisme à rebours qui se veut antiraciste et aux démons du particularisme. La Mauritanie dispose des moyens de nous faire mal… Il suffit de considérer le rôle joué par le consulat de Mauritanie en Gambie, dans le renforcement de la puissance de feu, du Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC), au cours de ces dix dernières années. Comment ménager diplomatiquement la susceptibilité mauritanienne, sans faiblesse aucune, afin de garder avec ce pays les meilleures relations possibles ? Cette équation se pose à notre diplomatie sous-régionale et internationale depuis toujours » (cf. Abou Latif Coulibaly, Wade un opposant au pouvoir, l’alternance piégée, Edition Sentinelles, 2003, p. ?). On voit qu’Abou Latif  à l’instar de certains observateurs qui s’intéressent à la question ethnique et raciale en Mauritanie tombe dans le travers qui consiste à présenter la résistance négro-mauritanienne au racisme d’Etat mauritanien comme un racisme à rebours. Nous avons montré  jusque-là dans le compte redu de la genèse de cette que nous entreprenons ici que cette approche de ces dits observateurs  n’est pas justifiés et même dangereuses. A regarder de près ces propos de Latif Coulibaly tentent d’occulter, en réalité, l’impuissance de l’Etat sénégalais à contrecarrer les menaces récurrentes d’expulsion massives des sénégalais travaillant en Mauritanie. Menaces que les autorités de ce pays brandissent en direction du Sénégal duquel elles attendent tout activisme politique d’opposants mauritaniens sur le territoire sénégalais qui pourrait les nuire. Outre ces menaces comme moyen de pression sur le Sénégal, la Mauritanie  peut brandir, à tout moment, celle pouvant mettre fin aux licences de pêche qu’elle attribue aux pêcheurs sénégalais exerçant leur activités sur son territoire  et ainsi qu’à des officiels sénégalais qui ont déjà eu à en bénéficier. Il faut dire que les opposants mauritaniens ne manquent pas au Sénégal, en raison de l’expulsion massive de noirs mauritaniens par les autorités de leur propre pays vers le Sénégal et aussi vers le Mali, lors des événements dits de 1989. C’est toujours dans la même perspective de voir  neutraliser toute opposition réelle ou supposée pouvant venir des pays frontaliers du Sénégal et du Mali, que la Mauritanie a soutenu les rebelles de Casamance dans la décennie 1990-2000. Depuis cette période, elle continue à soutenir les rebelles touaregs du nord Mali comme l’avons mentionné plus haut. La raison d’Etat et les intérêts quelle implique amène les pays voisins à faire profil bas chaque  fois qu’il est question de faire cause commune avec les victimes négro-mauritaniennes. Dans ce contexte de relations souvent tendue entre ces pays frontaliers, l’interventionnisme français penche du côté de la Mauritanie qui est considéré comme le principal protégé, pour les raisons que nous avons largement évoquées ici. 
Arrivés au bout de nos analyses nous pouvons dire sans risque de nous tromper, qu’en Mauritanie l’arabisation du pays et son ancrage dans le monde arabe sont allés progressivement de paires et nous avons vu que la colonisation française a dans une certaine façon favorisé cet état de fait. La France continue à favoriser cet état de fait. Par ailleurs,  il n’y a rien d’étonnant à la réponse inadéquate d’Ould Daddah  par rapport aux revendications contenues dans le « manifeste des 19 », qui est  à l’origine des affrontements intercommunautaires de 1966 sur fond de querelles scolaires et de revendications linguistiques. On sait que cette réponse se traduira, par ailleurs,  par la suspension des 19 fonctionnaires noirs  auteurs présumés d’un manifeste en soutien aux grèves des élèves des établissements de Rosso et de Nouakchott contre la loi du 30 janvier 1965 rendant obligatoire l’enseignement de l’arabe dans le second cycle. Par ces mesures arbitraires Moctar ould Daddah  aura indiqué à ses successeurs la plus mauvaise voie à suivre. Il aura empêché la construction d’une Mauritanie pluriethnique et plurilinguistique respectueuse de sa diversité. Par sa politique irréaliste et de courte vue, en occultant le caractère pluriethnique et plurilinguistique de la Mauritanie, il aura fait le lit des conflits culturels actuels de la Mauritanie, pour ne pas dire  qu’il a une grande part de responsabilité dans l’ethnocide subi, aujourd’hui par les populations noires du pays et que commettront des militaires  beaucoup moins subtiles que lui. La seule réponse à la crise de 1966 se limitera pour Ould Daddah à la promotion du concept « repersonnalisation » de l’homme mauritanien  qui doit se ressourcer dans les valeurs nationales héritées du passé notamment de l’islam. Citant J-L-Balans, Marchesin écrit « le seul contenu « opératoire » donné à cette « repersonalisation » sera la justification du bilinguisme et une réforme de l’enseignement basée sur l’arabisation » (cf. Marchesin, idem, page. 129). Cette politique négationniste, comme nous l’avons amplement démontré ici, est un héritage colonial largement assumé encore de nos jours, par les différents régimes politiques qui se sont succédé en Mauritanie. Ce négationnisme a des soutiens sûrs, des parrains,  grâce à un lobbying efficace de la part des réseaux de la France/Afrique.  Aussi devons-nous méditer ces propos  d’André Bourgeot lorsqu’il écrit : « …les pouvoirs coloniaux passés occidentaux et locaux actuels ont procédé à la construction de fausses « ethnies », à leur redéfinition quand elles existaient, ou à leur utilisation à des fins politiques de domination. La présentation ethniciste [des conflits en Afrique] occulte le plus souvent des luttes et des stratégies de pouvoir politique personnel ou lobbyiste, qui réactivent, dénaturent ou fabriquent des conflits anciens entre groupes sociaux imbriqués ou métissés par l’histoire, et transformé en « ethnies » souvent utilisées par des apprentis sorciers et/ou des pouvoirs étrangers » ( cf. André Bourgeot, Afrique : Etat des lieux (1989-1994), Revue Pensée No 301 Janvier-Février 1995, p.6).
S’il est vrai que les pouvoirs coloniaux ont grandement contribué à semer les germes de la division en Mauritanie entre les ethnies, toutefois l’Etat postcolonial  mauritanien hérité  par les Beydanes a accentué cette division en cherchant progressivement à marginaliser les ethnies négro-mauritaniennes au plan culturel et économique. Tout en s’éloignant du monde négro-africain, la Mauritanie maure  se rapproche  d’avantage du monde arabe tout en prenant ses distances avec le monde négro-africain comme en témoignent, son retrait prématuré, en 1965, de l’Organisation commune africaine et Malgache,   son entrée dans la ligue arabe en 1973, son  intégration à l’Union du Maghreb arabe le 17 février 1989 et son retrait de la communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO), en décembre 1999.
A notre sens, la question la plus pertinente relative à la  crise identitaire qui secoue de façon cyclique la Mauritanie et menace son existence-même a été posée par André Breton : « Après la décolonisation les principales oppositions ethniques ont touché la zone sahélienne où voisinent les populations blanches et islamisées au nord, négro-africaine au sud. En Mauritanie l’équilibre précaire, secoué en 1989, entre l’ethnie dominante de Maures nomades arabisés et une majorité réelle de paysans négro-africains islamisés de la vallée du fleuve Sénégal, pourra-t-il être restauré constitutionnellement par la proclamation d’une « république islamique arabe et africaine » » (cf. Rolland  Breton, Les Ethnies,2ième  Edition Que Sais-je mise à jour 1992  PUF, page 106).
A cette question s’ajoute une autre aujourd’hui cruciale : Est-ce que les conséquences fâcheuses laissées par  les anciennes relations diplomatiques mauritano-israéliennes ayant  contribué au renforcement de l’intégrisme islamiste et le glissement progressif de la Mauritanie vers les idéologies panarabismes dans la période 1970-1990 continueront-ils à peser longtemps  d’une part sur les relations entre les communautés ethno-raciales du pays,  et d’autre part sur les questions sécuritaires dans la zone sahélo-saharienne ? Il faut dire à ce propos que l’alignement  de la communauté beïdane aux idéologies pan arabistes et son soutien manifeste à la lutte du peuple palestinien contre l’occupation de ses terres par l’Etat hébreux ne pouvaient s’accommoder des relations diplomatiques établies en dès 1999 entre Tel-Aviv et Nouakchott et rompues en 2010. Ces relations diplomatiques vont alimenter une opposition nourrie notamment par les islamistes et les nationalistes arabes mauritaniens que sont les nasséristes et les baasistes ainsi que par une majorité de la communauté maure. Cette opposition à laquelle on peut ajouter le mécontentement des Noirs mauritaniens victimes des épurations ethniques en 89 conduira l’armée mauritanienne, par un coup d’état, en 2005,   à évincer du  pouvoir ould Taya  venu lui aussi  au  pouvoir   par un coup d’état en 1984. Ce rapprochement diplomatique aura eu pour conséquence le renforcement du courant islamiste intégriste en Mauritanie et son implantation durable dans le champ politique mauritanien. Il ne faut pas se leurrer, le nationalisme arabe et l’intégrisme islamique en Mauritanie sont les deux revers d’une même médaille et constituent par ailleurs des instruments dont les régimes militaro-civils affairistes et tribalistes font  usage multiple selon les circonstances,  même si par ailleurs ces instruments peuvent se retourner contre leur usager. Ces pratiques néfastes se font  au détriment  des mouvements démocratiques et progressistes mauritaniens. C’est dans ce cadre que la lutte contre le terrorisme islamiste  est brandie par le  régime du chef d’Etat mauritanien de fait Mohamed ould Abdel Aziz qui s’en sert comme alibi, pour justifier son maintien arbitraire  au pouvoir  et une aide de la part de la communauté internationale. A cet égard, il n’ya rien de surprenant que les véritables victimes  du terrorisme dans la zone sahélo-saharienne soient les otages occidentaux et un pays frontalier de la Mauritanie à savoir le Mali. Au plan interne à la Mauritanie l’alibi du terrorisme cherche à reléguer au second plan voire à occulter les combats des mauritaniens pour la démocratie et contre toutes les formes de discriminations. Il faut reconnaitre que dans ce contexte où le tribalisme détermine les relations sociales, la solidarité et la loyauté qu’elle exige des congénères tribaux sont des obstacles à une lutte efficace contre le terrorisme. Le soutien de la Mauritanie à la rébellion touarègue du nord Mali qui a des connexions établies avec les mouvements jihadistes qui écument dans cette zone témoigne de ces obstacles. La France marraine du pseudo pouvoir démocratique mauritanien semble parfaitement s’accommoder de cette ambigüité de la part de ses protégés. Cette situation pourra-t-elle longtemps occulter le combat pour l’avènement d’une véritable démocratie en Mauritanie qui cherche à mettre fin à toutes les formes de discrimination en cours dans le pays. Ce combat est porté  et est incarné par les congressistes du Forum pour la Démocratie et l’Unité en Mauritanie tenu du 28 février 2014 au 3 mars 2014.
En conclusion,  la colonisation française en Mauritanie a eu des effets de déstructuration  que l’on peut constater là où elle s’est imposée et particulièrement en Afrique. Ces effets décrits par George Balandier sont, entre autres, «  la dénaturation des unités politiques traditionnelles, la rupture des systèmes traditionnels de limitation de pouvoir, l’incompatibilité de deux systèmes de pouvoir, la désacralisation du pouvoir » (Reyntjens, cf. G. Balandier, Anthropologie politique, Paris, Presse universitaire de France, 3ième édition, 1978, pp.187-192).  Il faut reconnaitre que ces effets se sont répercutés sur les relations ethniques en Mauritanie. Il appartient aux mauritaniens d’entretenir, au nom d’un destin national commun,  des relations ethniques pacifiques et d’envisager une réconciliation nationale sincères en réponse aux traumatisants événements liés à l’épuration ethnique des années 1989-1992. Une réconciliation amorcée par le régime démocratiquement élu de l’ex-président Sidi Ould Cheikh Abdallah destitué en aout 2008, par un coup d’Etat militaire.
                                                                             Moustapha Touré 
                                                                                                              Dakar, le 17 avril 2014


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