I-Introduction
« La Société mauritanienne est traversée en profondeur par des pratiques persistantes de discrimination de nature ethnique et raciale, ancrées dans les traditions culturelles et prégnantes dans les structures sociales et les mentalités. Des facteurs récurrents dans la société mauritanienne ont donné substance et profondeur sur le long terme à ces discriminations, parmi lesquels la centralité de l’esclavage(..), la prégnance du paradigme racial et ethnique dans des Institutions Centrales de l’Etat comme les Forces armées ( et de sécurité ) et de la Justice (..) et l’instrumentalisation politique du facteur ethnique, notamment par des politiques linguistiques qui on contribué de manière décisive à la polarisation des différentes communautés »
Telle est en substance , l’une des
conclusions du Rapporteur Spéciale des Nations-Unies dans son rapport de 2009 sur
la Mauritanie , un pays au carrefour de
civilisations dont la France, ancienne puissance coloniale, a voulu faire un
pont entre l’Afrique Noire et le Monde Arabe, et qui reste encore un défi sur
lequel il est très tôt de porter un jugement définitif. Il convient néanmoins,
sans faire ici l’histoire de la Mauritanie, de rappeler quelques données
contextuelles indispensables à la compréhension de l’ampleur du défi, dont les
Enjeux du Recensement contesté, actuellement en cours, constituent l’une des
expressions.
II Quelques
données historiques de la Mauritanie
Depuis l’accession de la Mauritanie à
l’indépendance le 28 Novembre 1960, l’Etat fut confronté au défi majeur de la
construction de l’identité de la Nation, qui s’articule principalement autour
de deux polarités fondamentales : l’Arabité et l’Africanité.
Cette tension a été instrumentalisée
politiquement par les différents régimes qui se sont succédés , privilégiant la dimension arabe
dans la construction de l’identité
officielle du pays dont la première
manifestation fut l’enseignement obligatoire de l’arabe dans le Secondaire
« 3 » à partir du 1er octobre 1965, provoquant
exacerbation des passions identitaires et la création d’un afro-nationalisme
dont le ‘Manifeste des 19 ‘ contre la volonté de favoriser le contrôle des
leviers de l’Etat par la communauté arabe en
fut l’expression.
Depuis cette date rien n’arrêta la marche
forcée de l’arabisation de la Mauritanie comme expression d’un chauvinisme
d’Etat exclusif, qui prit un tournant
décisif et historiquement daté avec la prise du pouvoir du Colonel OULD TAYA à la suite du coup d’Etat du 12 12
1984, et sous le règne duquel la dérive chauvine du pouvoir atteint son
paroxysme dans les années 1989-1991 marquées par les assassinats des cadres
militaires et civils Négro-mauritaniens, la déportation de dizaines milliers de
négro-africains au Sénégal (environ 60.000) et au Mali (40.000 ), la radiation
de milliers de cadres civils et militaires de la Fonction Publique , viols,
destruction de documents d’état-civil, confiscation de biens et de terres…
Il
s’agit sans nul doute de l’évènement le plus significatif de la politique
d’épuration ethnique de l’histoire de la Mauritanie, accomplie méthodiquement
et fondée sur une idéologie de la négation et de l’exclusion, légitimant
l’arabisation forcée des populations non arabes et, à défaut, leur exclusion et
la relativisation de la discrimination.
Le coup d’Etat du 03 août 2005 qui mit fin à
plus de 20 ans de dictature chauvine et raciste permit, après une période de
transition de 18 mois, l’organisation d’une élection présidentielle libre et transparente
au terme de laquelle Monsieur Sidi Mohamed OULD Cheikh Abdallah fut élu Président de la République. Mais le noyau dur du système d’OULD TAYA dont
l’ossature, constituée d’officines occultes du chauvinisme et du racisme, de
membres des forces armées et de sécurité, est resté en place.
Le Président
élu prit l’engagement dans un discours à la Nation prononcé le 29 juin 2007 de
restaurer l’Unité Nationale et l’Etat de droit. A cet effet, les journées de
concertation des 21, 22 et 23 novembre
2007 ont permis l’adoption d’un programme et un plan d’action pour le retour
des mauritaniens déportés, le règlement du passif humanitaire et l’éradication
définitive des pratiques de l’esclavage.
Sur cette base, un accord tripartite fut
signé entre la Mauritanie, le Sénégal et le Haut Commissariat aux Réfugiés
(HCR) le 12 Novembre 2007 (4), portant sur l’organisation des opérations de
retour dans la dignité des réfugiés mauritaniens qui vivaient en exil forcé
hors de leur pays depuis 1989-1990. Un établissement public, l’Agence National
pour l’Accueil et l’Insertion des Réfugiés, a été crée à cet effet et s’est
attelé dés sa création à coordonner et à superviser les opérations du retour
des réfugiés et la mise en œuvre de
programmes visant leur insertion dans la vie nationale. Le premier contingent de rapatriés a été
accueilli officiellement en Mauritanie
le 29 Janvier 2008. A ce jour, on estime à
20.000 le nombre de mauritaniens réfugiés qui ont regagné leur pays.
Toutefois, la plupart de ces rapatriés n’ont
obtenu aucune pièce d’état-civil (5) , estampillés encore « rapatriés »
et vivent sous des tentes avec enfants et femmes dans des conditions
humainement inacceptables et contraires au
droit international, en particulier de l’Accord tripartite du 12 Novembre
2007 qui engage l’Etat mauritanien à accueillir ses ressortissants dans des
conditions dignes, à leur accorder des pièces d’état-civil et à leur restituer
leurs biens et leurs propriétés spoliés (6).
Dans la
pratique, ceux qui rentrent dans leurs villages constatent que leurs terres
sont occupées. Certains sont arrêtés lorsqu’ils tentent de récupérer leurs
propriétés (7).
Ceux qui
sont rentrés sont donc dans des conditions précaires, subissent humiliations et
frustrations, et vivent en
périphéries de leurs villages et de leurs propriétés confisquées (8).
Telle est la situation inacceptable des
mauritaniens rapatriés qui sont aujourd’hui réfugiés dans leur propre pays en
raison notamment du coup d’Etat du 06
août 2008, qui à remis en cause les bonnes volontés exprimées et les efforts
accomplis en vue de restaurer l’Unité
Nationale
Pour le
règlement du passif humanitaire, il avait été décidé, lors de la conférence
de Nouakchott des 22 et 23
janvier 2008, la mise en place d’une
structure chargée de faire la lumière
sur la sombre période 1989-1991
sur la base des principes de vérité
historique, de Justice, de réparation et de réconciliation.
Cette structure Nationale indépendante spécialement
dédiée au passif humanitaire serait
composée notamment, en concertation avec
la société civile, de représentants des
victimes, des organisations des droits
de l’homme, des membres de l’ordre
des avocats, des leaders religieux et de personnalités indépendantes.
Mais à la
place de cette Structure Nationale de vérité et Réconciliation, il n’y a eu, comme
injure à l’histoire, que la prière de Kaédi.
Sur la
question de l’esclavage, qui
constitue de longue date un problème qui affecte dangereusement la Communauté Nationale, l’on
rappellera son abolition en 1905,
puis par la constitution de 1961
intégrant la déclaration Universelle des Droits de l’homme des Nations Unies du
10 décembre 1948 et par l’ordonnance n° 081-134 du 9 Novembre 1981 très
critiquable dans ses prémisses idéologiques et politiques en ce qu’elle
prévoyait des compensations au profit des « ayants-droits » , c’est à
dire des maîtres. Tout cet arsenal juridique est resté lettre morte par
l’absence de volonté politique des plus Hautes Autorités de l’Etat qui nient
l’existence même des pratiques de l’esclavage. Le Président OULD TAYA disait à cet égard en 1997, que
« ceux qui évoquaient la question de l’esclavage ne cherchaient qu’à
ternir l’image du pays » (9). En 2001, le représentant du Gouvernement
Mauritanien déclarait au Comité des droits de l’Enfant des Nation Unies, que « la société mauritanienne n’a jamais connu de servitude, de
l’exclusion ou la discrimination (..)
et que par conséquent il ne
pouvait y’avoir en Mauritanie de vestiges de cette pratique »10.
Dans ce contexte de négation des droits
fondamentaux de l’homme, la loi du 3
Septembre 2007 portant criminalisation de l’esclavage et réprimant la pratique
de l’esclavage devait marquer un tournant fondamental dans l’approche de cette
question en Mauritanie, puisqu’elle vise dans son exposé des motifs
« l’élimination de toutes les tares héritées du passé, la promotion
d’une culture d’égalité.. » (11)
Mais, là aussi les faits ont eu raison de la
loi, les militants pour le respect des droits de l’homme, notamment ceux du Mouvement
abolitionniste IRA sont systématiquement arrêtés et emprisonnés pour oser
demander l’application de la loi et dénoncer des faits avérés de pratiques de
l’esclavage. Et, comme pour faire échos
aux propos du Président OULD TAYA tenus en 1997, le Président OULD Abdel AZIZ déclarait le 5 août 2011 à la Télévision
Nationale qu’il n’ya pas d’esclavage
en Mauritanie et que ceux qui en parlent ne cherchent qu’à en faire leur fonds
de commerce. Poursuivant dans sa logique, il affirme même,
dans l’interview à KASSATAYA en date du 14 Septembre 2011, que « N’est
esclave que celui qui veut l’être ».
L’on comprend alors que l’objectif du coup
d’Etat du 06 Août 2008 était bien la « rectification » de la volonté
de réformer le système politico-administratif de l’Etat fondé sur la
discrimination. C’est dans ce contexte
de crise politique, identitaire et sociale qu’intervient ce recensement à
vocation identitaire comme nouvelle méthode dans le processus d’épuration pour
parachever le dispositif multiforme mis en place par le système
politico-administratif. Ce recensement
revêt par conséquent des enjeux majeurs pour l’avenir même de la
Mauritanie.
III Discussion
« La
richesse de la démocratie tient bien plus à l’usage qu’on en fait, qu’à l’attribut
qu’on en acquiert et qu’au ressort qu’on en gagne » donc, la démocratie se
présente ainsi comme une panacée par excellence pour toutes les crises politiques qui se
manifestent. Et, elle est le vecteur principal de la stabilité sociale et de la
paix civile, bref, elle est le rempart bien fortifié contre les carcans
religieux, idéologiques et ethniques. Mais seulement, l’usage qu’en font ses
propres théoriciens et hérauts que sont : les « défenseurs » du monde libre, en
est tout autre.- sur le plan politique, économique et social-.
Même si nul
n’ignore que la substance de la démocratie se conjugue avec : l’Etat de droit,
l’existence des libertés citoyennes sans exception, l’indépendance de la
justice et la séparation des Pouvoirs, etc. Et, il n’en demeure pas moins
évident, que la notion de la démocratie, varie selon la compréhension des uns
et des autres, et que ses normes varient aussi parfois selon : les
latitudes, positions et autres typologies sous régionales et
également les contraintes des interlocuteurs.
Il faut que
les dirigeants à la tête de notre pays
fassent preuve d’autant ou plus de patriotisme pour leur pays, en
se scindant les reins et en travaillant durement rien pour l’intérêt supérieur
de la Mauritanie. Ceci devrait commencer par le président Ould Abdel Aziz, au
lieu d’être un administrateur, il devrait s’engager comme un vrai bâtisseur,
pour sortir son pays du trou dans lequel il se trouve en ce moment. C’est cela
qui devrait être le vrai challenge pour Abdel Aziz, aujourd’hui.
Notre idéal sociologique de
justice sociale s’arrime-t-il avec les principes sécularisés de gouvernance
politique ? L’exemple des passe-droits et privilèges accordés aux
tribalismes est patent. Le choix de les
institutionnaliser ou de les contenir s’impose, à tout le moins, pour l’égalité
de traitement pour des services publics de qualité. L’incompatibilité entre
l’égalité devant la loi et la conception patrimoniale des prérogatives de
fonction dresse une distance du texte de son application.
Le défi ne consiste pas au
changement de mentalité encore moins à imposer un quelconque mode de vie. Nous
ne pouvons faire l’économie d’une précision des modalités de gouvernance et la
prise en compte claire des réalités sociologiques et d’administration rigoureuse.
Jusque-là, la mauvaise foi et la politique de l’usure ont guidé nos pas.
1 NATIONS UNIES
Conseil des Droits de l’Homme
11è session A/HRC/11/36/ add.2
16 mars 2009, p2§ 2
2 ibid.. p 2
3
La “ longue Marche de l’arabisation en Mauritanie”
Ambroise Queffélec UMR 6039
(CNRS ) Unv. Provence
Bah Ould Zein, Unv.
Nouakchott htt: unice.Fr/LF
4
Accord Tripartite entre le Gouvernement de la République islamique de
Mauritanie, le Gouvernement de la République du Sénégal et le Haut Commissariat
des Nations unies Pour les Réfugiés, signé le 12 Novembre 2007
5
Département d’Etat des Etas Unis, in country Reports in Human Rights
praices for 2009 (E-U 11mars 2010, sect. 2.d.) v. ég. Unhcr.org/refworld/’4e 02edf éé. Html
6
Accord Tripartite, opcit, Art 9
7
In Jeune
Afrique mars 2010
8
ibid
9
Nations Unies
Conseil des Droits
de l’Homme opcit, p 9 § 26
10
Compte rendu analytique de la 724e réunion du Comité des droits de l’enfant, 25
Septembre 2001 (CRC/C/SR .724), in Nations Unies,
Conseil des droits
de l’Homme opcit, pp 9-10
11
ibid p 9
12
Nation Unies
Comité pour
l’élimination de la Discrimination raciale
65e session 2620 août 2004, Observations finales
du Comité pour l’Elimination de la Discrimination Raciales,
Conclusions sur la
Mauritanie.
13 ibid.. , p 2 § 9
14 ibid..,p 3 § 14
15
Convention internationale des Nations Unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale
Conclue à New York
le 21 décembre 1965
16
opcit, p 17
17
Article 1 de la Convention : l’expression « discrimination
raciale » vise toute distinction,
exclusion, restriction ou préférence fondée sur la race, la couleur,
l’ascendance ou l’origine ethnique, qui a pour but ou pour effet de détruire ou de compromettre
la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice, dans des conditions d’égalité,
des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans les domaines
politique, économique, social et culturel ou dans tout autre domaine de la vie
publique . cf Convention opcit, p 2
18
Mohamed Moustapha Ould Bedredine « Non à la politique de
la confiscation de la volonté populaire » in www. Ufpweb, 22 août 2011
19
20
bis : Bâ Mamadou Alassane Président du PLEJ : Parti Liberté,
Egalité et Justice
Ce recensement est raciste 12 octobre
2011 site WWW plejweb.
19 Lô Gourmo Abdoul
« Recensement des Populations : J’ai honte et je proteste ! »
www Ufpweb ; cridem 22 août 2011
20 « l’enrôlement et la question de citoyenneté : lire entre
les lignes » Maître Moctar Touré Avocat aux barreaux de Versailles et
de Nouakchott in kassataya (France),
www. Cridem.org.
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