Officiellement interdit, l’esclavage est encore
une réalité pour 20 % de la population mauritanienne.
Mauritanie :
Plusieurs fois remises depuis deux ans, les élections municipales et
législatives en Mauritanie sont maintenant annoncées pour le 23 novembre. Une
partie de l’opposition, regroupée dans la Coordination de l’opposition
démocratique (COD), en a annoncé le boycott, pour insuffisance de garanties
démocratiques.
Mais il y a également des pans
entiers de la société qui sont interdits d’y présenter des candidats : les
esclaves (20 % des 3,5 millions de Mauritaniens) et les descendants
d’affranchis (20 à 30 %). Le parti qui défend leurs droits, le RAG (Radicaux
pour une Action globale) a en effet vu rejetée, en juin dernier, sa demande de
reconnaissance officielle, "parce que, q uand ses statuts
avaient été déposés, il y avait eu une forte mobilisation en sa faveur",
indique à "La Libre Belgique" Biram Dah Abeid, président de l’ONG de
lutte contre l’esclavage et contre l’exclusion des descendants d’esclaves
"Initiative de la Résurgence antiesclavagiste" (IRA, non reconnue par
l’État). Pire : "Ils ont ensuite également interdit les candidats
indépendants, afin que nous ne puissions nous présenter sous cette étiquette
aux scrutins."
Peine de mort
M. Abeid est en liberté
provisoire et passible de la peine de mort pour avoir brûlé publiquement, en
2012, un exemplaire de "l’Abrégé", code rédigé au IXe siècle
qui a, en Mauritanie, valeur de charia - source de la loi - et qui justifie
l’esclavage. Des milliers de Mauritaniens, choqués de voir que la COD appuyait
"l’Abrégé" et les poursuites contre M. Abeid pour apostasie, atteinte
aux préceptes de l’islam et à la sécurité de l’État, ont voulu que son ONG crée
un parti anti-esclavagiste.
Ce dernier, le RAG, porte un
nom à double sens, explique M. Abeid. "Chez nous, "rag"
désigne la place, au centre des villages arabo-berbères, où les esclaves se
rassemblent, la nuit, quand ils ont fini leur travail - car ils ne sont libres
de leurs mouvements que quand leur maître dort. C’est là que, de minuit à
l’aube, ils bavardent, chantent, jouent à la lutte, se font la cour… Et c’est
dégradant, pour un Arabo-Berbère, de s’y rendre et de se mélanger à nous",
poursuit le militant, lui-même fils d’affranchi.
Interdits, le parti RAG et
l’ONG IRA font quand même campagne - "l’ANC de Mandela n’a-t-il pas été
interdit durant 80 ans ?", souligne notre interlocuteur dans un
sourire - en faveur du boycott des élections "puisqu’on refuse à des
personnes et des groupes porteurs d’idées de participer à la compétition".
Jusqu’ici, les rassemblements qu’organisent les militants anti-esclavagistes "sont
tolérés. Nous pensons que le pouvoir réfléchit à la manière de réprimer parce
qu’il ne veut pas que l’opinion internationale voie la répression".
Officiellement, en effet,
l’esclavage est criminel en Mauritanie : une loi de 2007 punit de 5 à 10 ans de
prison ceux qui le pratiquent. Mais elle n’a été appliquée qu’une fois en six
ans, tandis que les militants anti-esclavagistes sont régulièrement l’objet de
sanctions.
Une des raisons du retard des
élections est, d’ailleurs, l’explosion des tensions raciales provoquée par le
recensement électoral en 2011.
Marie-France Cros
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