Rendu célèbre par le journal "Al Bayane", lors d’une enquête journalistique réalisée dans les années 90, Sorimalé est devenu le symbole de la terreur et de la souffrance dont furent victimes les populations de la Vallée du Fleuve Sénégal, soumises en ces années de braise à une véritable épuration ethnique. Vingt et une années après, Sorimalé parle de nouveau de lui. C’est là en effet où, le mardi 18 mars 1991, quatre personnes, deux septuagénaires, dont un père et son fils, furent froidement abattues puis jetées dans une fosse commune. Vendredi 23 novembre dernier, une délégation d’ONG de droits de l’homme a commémoré le souvenir des victimes au milieu d’une vive émotion. Reportage.
La route vers Sorimalé est un véritable souffre-bonheur. De Nouakchott, le voyageur bifurque au kilomètre 360, sur la route Boghé-Kaédi. A la petite localité d’Abdallahi Diéri. Un panneau surchargé de plaques d’ONG vantant leurs réalisations dans ce hameau situé à mi-chemin entre Bababé et Niabina, signale la piste à prendre. Un entrelacs de détours sinueux, serpentant dans une forêt de jujubiers, d’acacia, de bohinia, de balantes et d’endivofera, qui s’ouvre par moment sur d’immenses étendues de champs. Courbés sous le soleil tendre de ce mois de novembre, des agricultures sont plongés dans la culture du walo. Au dessus de leurs têts survolent quelques oiseaux clea-clea et des nuées de minuscules papillons blancs, tandis que le sol se couvre de paille séchée et d’herbe verdoyante, dans un contraste saisissant. La route vers Sorimalé est semée d’embûches. Une rivière argileuse à traverser, un chemin chaotique par moment, des effluves de fleurs sauvages et l’odeur des étangs. La féérie du paysage fait oublier tout autre désagrément. Quelques hameaux dépenaillés, Danguel, Mamadou Dia, Demba Dioum, effleurent le regard. Puis, NIaki, le lieu où reposent pour l’éternité les tués de Sorimalé. Sous des arbres touffus bordant l’ancienne forêt de Thiakal, aujourd’hui disparu, des dizaines de jeunes et de vieux sont assis sur des tapis de natte, à quelques enjambées d’un groupe de femmes affairées autour de gigantesques marmites posées sur des tas de bois mort incandescents. L’odeur de la cuisson se mêle aux relents lourds des cours d’eau et des lacs qui entourent la place, au milieu du gazouillis de multitudes d’oiseaux et des fumées blanchâtres dégagés par la cuisine en plein air.
L’histoire revivifiée
Sur une plaque de cuivre à la couleur noire, se détachent des écritures blanches indiquant le nom des victimes entassées dans une fosse commune recouverte d’un tas de brindilles. Il s’agit de Ly Mamadou Oumar, né en 1918, Dia Samba Diouldé né en 1918, Diallo Thierno né en 1946 et Ly Abou Mamadou né en 1967. Tous tués le mardi 18 mars 1991. "Ils étaient partis du village à la recherche de leurs troupeaux perdus. Ils avaient la permission du brigadier-chef de la section de la garde de Sorimalé. Ils ne sont plus revenus", raconte Abdoulaye Yéro Dia, un proche des victimes. Les habitants accusent ceux qu’ils appellent "la bande à Ould Saïbott" de leur assassinat. Il s’agirait selon eux d’un gang dirigé par un certain Mokhtar Cheikh Saibott qui sévissait et ramassait tout le bétail des peulhs, faisant régner une véritable terreur dans la zone, avec l’appui d’une garnison militaire qui campait non loin. Des peulhs expulsés au Sénégal opéraient en effet souvent en commandos armés pour récupérer leur bétail laissé en Mauritanie. Ils les ramenaient à la nage vers l’autre côté du Fleuve. Des accrochages les opposaient souvent aux militaires mauritaniens. Parmi les populations de la zone, seules celles de Sorimalé n’avaient pas souffert de la déportation. Ils vivront terrés chez eux pendant des années, n’osant s’aventurer au-delà de leur campement. Il était facile de les prendre pour des membres des commandos peulhs. Un prétexte qui aurait permis à Ould Saïbott et à sa milice de faire main basse sur tout bétail errant.
Les autres villages, quelques 470 localités comme Niaki, seront par contre vidés de leur population. Ceux de Niaki s’étaient installés à Barobé, un village peulh de l’autre côté de la rive. C’est à Niaki où l’un d’eux, Amadou Thiongane, aurait été enterré vivant sous un mur, selon Abdoulaye Yéro Dia. Aujourd’hui, une simple petite pierre posée sur un petit monticule de ciment, à peine visible, permet de localiser sa sépulture. Il faudra attendre le 10 décembre 2010, pour que les habitants de Niaki reviennent chez eux, à la faveur des opérations de rapatriement initiées depuis 2008. Ils ont tout perdu, même leurs champs. "Nous avons perdus nos terres de culture. Un certain Ahmed Ould Jouly, de la société Mitsibuchi, a tout pris, entourant de barbelés une superficie de 800 ha qu’il ne prend même pas la peine d’exploiter, nous privant de notre gagne-pain", raconte Anne Amadou, un habitant du village.
Au cours de ces années de braise et de terreur qui soufflèrent sur toute la Vallée du Fleuve Sénégal, de 1989 à 1991, plusieurs charniers marqueront à jamais la mémoire de plusieurs générations. "Il y a quatre grands charniers dans la Vallée ", raconte Sow Saïdou, activiste et poète. "Il y a Wothié, 4 morts, Winding 7 morts, et le plus grand charnier se trouve à Taïdoumal au Guidimagha. Il renferme 27 tués" poursuit-il. Vingt ans après la chasse aux négro-mauritaniens, une page noire dans l’histoire de la Mauritanie, le sang des martyrs reste encore frais dans la mémoire meurtrie de leurs familles. Ces dernières ne parviennent pas à oublier, malgré la loi d’amnistie de 1993 destinée à absoudre les crimes commis et malgré la prière de Kaédi et l’indemnisation des ayants-droits, initiée par Mohamed Ould Abdel Aziz pour clore le dossier du Passif humanitaire. Vendredi 23 novembre dernier, les populations du Fouta, disent n’avoir rien oublié.
La commémoration
C’est en novembre 2011, juste après le voyage historique d’Inal, un autre lieu d’exaction, que le pèlerinage de Sorimalé a été programmé. Birame Ould Dah Ould Abeid, président du mouvement IRA (Initiative de résurgence du mouvement abolitionniste) en avait fait la déclaration au cours d’une conférence de presse. Après les 28 pendus d’Inal, des soldats négro-mauritaniens exécutés par leurs frères d’armes au nom de la pureté raciale, Sorimalé a ainsi connu vendredi 23 novembre 2012, sa visite historique. Plusieurs organisations étaient présentes, SOS Esclaves, Kawtal Jaalitaré, l’Observatoire mauritanien des droits de l’Homme, la Coordination de la Jeunesse Haratine, l’Observatoire pour le dialogue contre les disparités sociales, Touche pas à ma nationalité (TPMN), Coordination des victimes civiles de la répression (COVIRE), en plus d’IRA. Mais l’absence des chefs de fil, à l’image de Birame Ould Dah Ould Abeid en tournée en Europe, Boubacar Ould Messaoud, entre autres, enlèveront à la cérémonie toute sa plénitude. Là, à deux jetées du village sénégalais de Diarangal, dont le minaret a été détruit par l’armée mauritanienne en 1991, la prière de l’absent fut dirigée par l’imam de Sorimalé, à quelques pas de la fosse commune. C’était juste après le mot de bienvenu du chef de village, Sow Amadou.
La " Fermeture " classique récitée à la fin de la lecture collective et fragmentée du Saint Coran, fit ressortir toute l’humilité, l’innocence, la soumission totale à Allah, l’abnégation et le sens du pardon qui font la valeur des gens du Fouta. Un pardon qui est la seule fosse commune, selon le chef du village, où doivent s’entasser aujourd’hui tous les ressentiments ressassés au cours de ces décennies de souffrance et d’injustice. Les témoignages furent poignants, déclenchant des torrents de larmes et des ressacs de reniflement. Le fils ainé de Ly Mamadou, un sexagénaire, pleurait, accroupi à quelques pas de la sépulture commune. Anne Amadou, ancien fonctionnaire à la retraite et membre de l’UFP, fit un discours entrecoupé de sanglots. Il dressa la liste des personnes tuées dans la commune et leurs ayants droits. Ainsi, Ly Mamadou Oumar a laissé derrière lui 2 filles et un garçon, en plus d’une veuve ; Dia Ibrahima Mamadou dit Samba Dioulé, 8 enfants et deux veuves ; Diallo Oumar a laissé 6 enfants et deux veuves ; Thiongane Amadou Dioulé, 11 enfants et trois veuves ; Amadou Abou Gaye, tué le 11 avril 1991, a laissé deux filles et une veuve ; Hamath Amadou Dia 71 ans, imam de Sorimalé tué le 26 août 1991, a laissé 8 enfants et deux veuves ; Abou Lawal, un ressortissant de Dabal (MBagne) a été tué et enterré aux environs de Sivé. Parmi ceux qui n’ont jamais été retrouvés, Amadou Thila de Niaki et Mamadou Hamidou de NDiawaldi. Dans la foulée des exactions, trois jeunes de Sorimalé auraient été arrêtés à l’époque, d’après Anne Mamadou, après la mort d’un paisible boutiquier. Un seul d’entre eux, Sarr Amadou sera jugé coupable et condamné à perpétuité. Mais quelques mois plus tard, un autre citoyen sera arrêté et accusé du même meurtre. Parmi les victimes vivantes de ce pogrom des années de braise, Anne Oumar Samb, ancien brigadier de la garde. Torturé à mort à l’époque, il est paralysé à vie. "Il aurait souhaité être là aujourd’hui pour commémorer les morts de Sorimalé " déclare Anne Amadou, la voix étreinte par l’émotion. A ses côtés, un jeune homme ne parvenait pas à cacher son émotion. Le visage caché derrière un morceau d’étoffe, le mouvement saccadé de sa tête et les veines tendues sur son front, dénotaient de la puissance de ses sanglots.
Les représentants des ONGs présentes prendront par la suite la parole, Brahim Ould Bilal d’IRA, Djibril Sow de Kawtal Jaalitaré, Ahmed Ould Wedia au nom de SOS Esclaves, Alassane Dia de TPMN, Aly Ould Youssouf de la Coordination Jeunesse Haratine, Mohamed Ould Razegh de l’Observatoire pour le dialogue contre les disparités sociales, Mohamed Hafedh Ould Mohamed Lemine de l’Observatoire mauritanien des droits de l’homme. Tous ont compati à la souffrance des populations et réclamé la réouverture d’une enquête sur ces douloureux évènements qui ensanglantèrent la Vallée et endeuillèrent les familles. La prière de Kaédi et l’indemnisation des victimes, initiées par le président Mohamed Ould Abdel Aziz, sont jugées insuffisantes pour solder le passif humanitaire. Aujourd’hui, tous réclament un règlement judiciaire qui passerait par la traduction en justice des auteurs des crimes et la restitution des terres ancestrales. "Nous sommes prêts à pardonner et encore, faudrait-il que nous sachions à qui pardonner", susurre un quadragénaire, la mine déconfite.
Cheikh Aïdara Envoyé spécial à Sorimalé.