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jeudi 22 novembre 2012

Kaaw Touré, porte-parole des FLAM: « En Mauritanie, l’esclavage et le racisme d’Etat continuent à sévir »

 
L’auteur: Ndeye Khady Lo

Mohamadou Touré dit Kaaw Touré est un réfugié politique mauritanien résidant en Suède. Originaire de Djéol dans le Sud de la Mauritanie, il est le Porte-parole des Forces de Libération des Africains de Mauritanie (FLAM), un mouvement créé le 14 mars 1983. Il a été arrêté en 1986 et condamné suite à la publication du manifeste du Négro-mauritanien opprimé. Poursuivi en 1987 pour avoir dirigé des soulèvements scolaires à Kaédi après l´exécution de trois officiers noirs, il s´exile au Sénégal jusqu’en 1999 après son expulsion. Depuis, il vit en Suède. Dans cet entretien, il revient sur le sens du combat que mène leur mouvement et l’actualité politique mauritanienne.


1. Vous êtes le porte-parole des Forces de libération africaines de Mauritanie (FLAM), un mouvement créé en mars 1983 et vous vivez en exil depuis 1991 en Suède. Quel est le sens du combat que vous menez contre l’establishment en Mauritanie depuis 30 ans?

D´abord je tiens à préciser que j´ai vécu mes 12 premières années sur les 25 ans d´exil au Sénégal jusqu’à mon expulsion de ce pays-frère, que je considère toujours comme ma seconde patrie, en juillet 1999 pour la Suède suite aux pressions diplomatiques des autorités de Nouakchott. Depuis, et bien avant notre exil, nous dénonçons et combattons le racisme d´Etat et l´esclavage en Mauritanie. Ce que nous mettons en cause en Mauritanie c´est le système raciste mis en place depuis l´indépendance qui opprime la communauté Négro-mauritanienne. Ce Système repose sur des mécanismes bien conçus:
- Le contrôle de la réalité du pouvoir politique, militaire et économique par l´élément arabo-berbère.
- Une arabisation sélective visant à éliminer les écoliers Négro-mauritaniens de la compétition;
- Une option fondamentale de tous les régimes pour une Mauritanie exclusivement arabe.- L’exacerbation par ce Système des problèmes de cohabitation entre les deux communautés racio-culturelles dont les rapports historiques ont toujours été jalonnés à la fois de conflits et de serments d´amitié.
Pour les FLAM, il faut changer ce système vicié à la base parce que ne prenant pas en compte les Négro-Mauritaniens dans la vie de la nation. Il faut œuvrer pour l’unité et non pour l´unitarisme; une unité qui tienne compte de la réalité sociologique, historique et géographique du pays qui est un carrefour culturel-;une unité qui respecte la dignité de chaque Mauritanien et garantisse l’équilibre entre les grandes composantes nationales. Oui pour l’unité, mais qui soit assise sur des fondements inébranlables parce que intrinsèquement justes et égalitaires, afin de construire “le mieux vivre ensemble”, dans une Mauritanie viable, parce que réconciliée avec elle-même. Grâce à notre combat, grâce à la pression internationale et au rôle non négligeable d’acteurs politiques, de la société civile de l´intérieur, le Système a vacillé se parant d´un vernis démocratique, sans changer dans ses fondements. Nous ne nous arrêterons pas avant sa destruction complète, condition nécessaire pour la mise en place d’un Etat de droit, égalitaire et démocratique. Voilà le sens de notre combat.

2. Votre mouvement se définit comme une force de libération, est-ce que dans votre plan d’action la lutte armée est une option ?

N’allez pas croire que «libération» rime forcément avec lute armé! Nous voulons libérer le peuple mauritanien de la misère, de l’obscurantisme, du racisme, de l´esclavage, du joug des militaires; en particulier libérer ses composantes les plus opprimées que sont les Négro-africains et les Harratines.
Enfin, précisions que si, par le passé, l’action armée fut une option, aujourd’hui cette option reste loin derrière nous. Nous nous inscrivons résolument dans la lute politique, pacifique. Nous sommes porteurs d’idées et de projets novateurs que nous souhaitons faire connaitre au people mauritanien, qui seul sera juge.
Bref les FLAM sont un mouvement pacifiste qui privilégie la lutte politique, le dialogue et la concertation, et entendent inscrire leur action dans la confrontation des idées.


3. Votre mouvement dont la plupart des membres ont été contraint à l’exil n’est-il pas coupé des réalités mauritaniennes ?

Comme vous l’avez bien dit, nous avons été contraints à l´exil. Hier, on ne pouvait pas s’exprimer et agir de l´intérieur, sans risquer la prison et même la mort; ce droit à l´expression nous a valu la dénonciation, la répression jusqu’à l’élimination physique de ceux que nous comptions de plus chers dans notre mouvement. L’exil ne peut être une orientation politique parce qu´il n’y a rien de plus pénible que de vivre loin des siens et de sa patrie. L’exil doré n´est qu´un fantasme pour ceux qui n´ont jamais subi les affres de cette contrainte. Mais depuis notre dernier congrès ordinaire, tenu à Paris, notre mouvement a décidé de se redéployer à l´intérieur et de poursuivre notre lutte dans la légalité, pour le règlement de la question nationale et sociale, en vue de l´instauration d´un Etat de droit garant de l´épanouissement économique, social et culturel de toutes nos communautés. Le retour au pays natal se prépare sérieusement et certains de nos camarades anciens déportés au Sénégal sont déjà sur place.
J’ajoute que notre mouvement n’a jamais été, à vrai dire, totalement absent de notre pays, ni socialement, ni politiquement. Nous allons donc reprendre notre place dans notre milieu naturel, entièrement, très bientôt.


4. L’actualité récente a été marquée par l’affaire dite « des tirs amis » qui ont blessé le président Ould Abdel Aziz qui est en convalescence en France. Quel commentaire en faites-vous ?

Nous avons suivi comme tout le monde l´accident subit du président ou « l´erreur des tirs amis » comme le dit la version officielle. Nous déplorons comme tous les Mauritaniens l´opacité qui entoure aussi bien cette hospitalisation que les circonstances réelles du prétendu accident. Nous pensons que le peuple a droit à l´information sur l´état de santé du président de la République. Le Conseil constitutionnel devait se saisir du dossier et statuer s´il y a vacance du pouvoir ou si le président est capable de diriger le pays et préparer la transition le cas échéant.
Puisque de plus en plus on entend parler de transition, la classe politique devra prendre garde de reconduire celle, désastreuse, du Colonel Ely Ould Mohamed Vall, qui avait occulté les problèmes essentiels du pays, tel le problème de la cohabitation. Il ne faudrait surtout pas que cette transition, si elle avait lieu, se réduise, une fois de plus à un changement de régime ou d’homme. C’est le système qu’il faut changer.!

5. En Mauritanie, Messaoud Ould Boulkheir, le président de l’Assemblée nationale, est issu de la communauté Haratine. N’est-ce pas là une avancée remarquable ?

Les nominations des présidents du Sénat, Ba Mbaré, et de l’Assemblée nationale, Messaoud Ould Boulkheir entrent dans le cadre de la politique de réconciliation qu´avait initiée le président déchu Sidi Ould Cheikh Abdallah et ses engagements pendant les négociations du 2ème tour des élections de 2007. Ces deux personnalités Négro-mauritaniennes n´ont malheureusement pas le pouvoir de décision, ils sont maintenus seulement pour banaliser la question noire et tromper l´œil de l´observateur étranger. La réalité du pouvoir est ailleurs. Depuis le putsch du mois d´août 2008, la page de réconciliation ouverte par le président Sidi a été mise sous le boisseau malgré les larmes de crocodile du nouveau président à travers la prière de Kaédi. Le dossier du passif humanitaire reste entier, l´esclavage continue à sévir, le racisme d´Etat continue de plus belle au vu des nominations de chaque conseil de ministres sous l´ère du Général-président. Tout cela vient montrer qu’on n´est pas encore sorti de l´auberge.

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