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mardi 20 novembre 2012

La mémoire des 28


Tous les humains meurent, mais tous ne décèdent pas de la même façon. C’est pourquoi on ne naît pas martyr, on le devient.
Et comme c’est un statut particulier, Dieu lui-même l’a honoré. Auprès de Lui, Sa Miséricorde a promis aux martyrs le paradis sans jugement et loin des tourments des châtiments. Le martyr a donc une connotation divine. C’est du moins ce que nous signifie le Petit Larousse : « Qui a souffert la mort plutôt que de renoncer à sa foi, à sa croyance ».
Qui dira aux linguistes proches de Larousse d’y ajouter aussi « pour sa race, pour son sexe et pour ses principes » ? Car somme toute, c’est une grande souffrance morale. Puisse Dieu honorer la mémoire des 28 officiers pendus le 28 novembre 1990 et de tous les martyrs de Sorimalé à Oualata. C’est une histoire lugubre. Pas seulement pour les morts. Même pour les autres, ceux qui en parlent en permanence. En parler même constitue un martyre à l’esprit et au cœur. La preuve, lorsqu’on énonce ce qui s’est passé dans les bagnes d’Inal en présence d’un rescapé ou d’une famille des victimes, les mots sont empreints de commisération. La honte des langues traduit le paroxysme de la bêtise humaine.
Les 28 officiers noirs ont été pendus dans une nuit obscure par des bourreaux qui n’avaient de projet que d’exterminer l’homme noir de la Trab el beidane chère aux millions de poètes. En 1990, le pouvoir, sous le régime de l’ancien dictateur Maaouiya Ould Sid’Ahmed Taya, avait choisi le 28 Novembre pour exécuter 28 officiers noirs. Il fallait symboliquement humilier le peuple noir, et le jour de la fête nationale était opportun.
Les 28 officiers noirs se sont regardés avant de rendre l’âme, leurs yeux fixaient l’avenir de tout un peuple déchiré, meurtri et hypocrite. Certains sont morts en lisant quelques versets du Coran, Dieu a sans doute entendu leur voix. D’autres gémissaient avec les chiens des bourreaux, la tuerie était un art incontestable à Inal. Car tous les moyens étaient envisagés pour tuer dans l’œuf toute volonté de soulèvement populaire chez les Noirs. Aux instigateurs, nous disons qu’une nouvelle race est née. Celle-là dont le ministre de l’intérieur et de la décentralisation Mohamed Ould Boilil ont ainsi qualifié les membres de « rebuts et de sauvageons qui troublent l’ordre public : les étudiants noirs ».
Le 28 Novembre prochain, la Mauritanie va célébrer la fête de l’indépendance. Le contexte est encore différent de toutes les années précédentes. Le chef suprême des forces armées, Mohamed Ould Abdel Aziz, Président de la République, est malade. Il a été atteint à abdomen par un tir « ami » ou une tentative d’assassinat, rien n’est élucidé dans cette histoire. L’armée tient les rennes du pouvoir puisque l’exécutif est absent-présent. Marginalisé, le gouvernement n’a aucun mot à dire. L’armée dirige le pays.
Elle prépare donc les festivités de la fête d’indépendance. Certainement, des défilés et une démonstration de force vu le contexte de va-t-en-guerre qui prédomine dans la sous-région. Mais cette armée qui tue ses propres fils est-elle crédible ? Cette armée qui au lieu de servir ses fils, les exécute. C’était sous le colonel Taya. Les généraux et les escadrons sont remplis de ses dauphins avec à leur tête le convalescent Mohamed Ould Abdel Aziz.
Simultanément, la diaspora en collaboration avec les organismes de droits de l’homme organise la deuxième édition du pèlerinage d’Inal lancé par le leader abolitionniste Biram Dah Ould Abeid. C’est une façon noble d’honorer la mémoire des martyrs.
L’Etat va-t-il cesser sa complicité pour enfin ériger un monument mémorial à l’honneur des 28 officiers sommairement exécutés à Inal ? Quel bâtiment public portera le nom de l’un des rescapés du massacre ? Quelle école sera dédiée aux martyrs des camps militaires dans lesquels reposent les braves fils noirs de ce pays, tués à cause de leur race ? Et qui le fera, quand l’on sait que l’Etat affiche un négationnisme qui ne dit pas son nom ?
N’oublions pas que le martyr a une connotation divine. Honorons la mémoire que Dieu à Lui-même béni par Ses promesses. A l’heure où les sépultures des victimes tardent à être communiquées par la fameuse commission, le seul devoir citoyen et patriote demeure impérativement d’exiger un devoir de mémoire. C’est un gage de reconstruction de notre unité nationale et de la réconciliation entre le pouvoir central et la communauté noire.
Bâ Sileye
Sileye87@gmail.com

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