Par Louise Dimitrakis18 Nov,
Depuis la création de l’IRA, l’ONG anti-esclavagiste
qu’il a fondée en 2008, Biram Ould Abeid s’est imposé comme l’une des figures
de proue des abolitionnistes en Mauritanie, engagé dans une lutte frontale avec
les autorités politiques et religieuses de son pays. Entretien
Sa notoriété explose en avril 2012, lorsqu’il brûle
publiquement un texte de droit musulman codifiant la pratique de l’esclavage,
ce qui lui vaut 4 mois d’emprisonnement et une menace de peine de mort. A coups
de manifestations de rue, et de sit-ins marathoniens, les militants de l’IRA
ont renouvelé le répertoire d’action des luttes anti-esclavagistes dans le
pays.
Mondafrique : Comment est né le mouvement
« abolitionniste » en Mauritanie ?
Biram Ould Abeid : La
contestation de l’esclavage dans le pays a commencé a s’organiser en 1978
lorsque certains cadres de la communauté « Haratin » -- les anciens
esclaves assujettis par les populations arabo-berbères -- ont crée le premier
mouvement anti-esclavagiste « El-Hor », « l’homme libre ».
Ce mouvement a pratiquement disparu un an après sa création lorsque les
dirigeants ont été emprisonnés. Puis, ce n’est qu’en 1995 que l’organisation
SOS Esclaves a pris la relève de la lutte contre l’esclavage. Mais les membres
de ces organisations sont issus du milieu des élites instruites du pays. Elles
mènent la lutte à coup de conférences de presse, de rapports et de communiqués
contestant les pratiques esclavagistes, qu’elles transmettent aux organisations
internationales et aux ONGs. Lorsque nous créons l’IRA le 23 octobre 2008, nous
proposons une philosophie et des méthodes nouvelles fondées sur la dissidence
politique, sociale et religieuse. Il s’agit de remettre en cause l’idée selon
laquelle l’esclavagisme serait une pratique inscrite dans le Coran, une sorte
de sixième pilier de l’islam qu’il faudrait respecter. L’IRA a donc cherché dès
le début à délégitimer le clergé mauritanien -- principal détenteur du
leadership d’opinion dans le pays -- qui couvre l’esclavage d’une justification
religieuse. C’est une nouveauté dans la lutte abolitionniste. Ensuite, l’IRA
s’est doté de méthodes d’action nouvelles : manifestations dans les rues,
sit-in, grèves de la faim… Elles ont amené l’Etat à recourir à des actions
répressives, prouvant ainsi que les lois mauritaniennes anti-esclavagistes ne
sont qu’une façade. L’IRA a donc fini par être interdite et des membres de
l’organisation ont été emprisonnés. A ce jour, trois de nos militants sont en
prison.
M : Pourquoi les nombreuses lois
anti-esclavagistes nationales ne sont-elles pas appliquées ?
B. O. A. : En
Mauritanie, il existe un code de l’esclavage que l’on nomme les « livres
de Khalil ». Ce sont des textes de droit musulman qui date du XII et
XIIIème siècles. Ils fournissent une interprétation du Coran considérée comme
étant la seule valable par l’Etat et justifient la pratique de l’esclavage. Ce
code est élevé au niveau constitutionnel comme principale source de loi dans le
pays. Les juges, les personnes chargées d’enquêter, les imams, les
administrateurs, connaissent tous ce texte et l’appliquent textuellement. Il a
valeur de loi divine, supérieure à toutes les autres. Lorsque nous avons
présenté aux juges des cas de pratiques d’esclavages tous plus sordides les uns
que les autres, jamais aucune peine n’a été prononcée. On nous a toujours
répondu que ce texte était plus fort que toutes les lois sur lesquelles nous
prenions appui. C’est pourquoi le 27 avril 2012, nous avons décidé de brûler
publiquement ce code. Il s’agissait pour nous dénoncer les forfaits commis par
la Mauritanie au nom de l’islam, alors même que l’esclavage est contraire à
l’esprit et la lettre de cette religion.
M : Aujourd’hui, comment se caractérise
l’esclavage dans le pays?
B. O. A. : L’esclavage
moderne revêt de nombreuses formes : travail non ou piètrement salarié, travail
des enfants, oppression des femmes par leurs maitres, mariages forcés... Mais
il s’agit quasiment toujours d’un esclavagisme « traditionnel par
ascendance ». Cela signifie que les maitres considèrent leurs sujets comme
des biens meubles qu’ils peuvent vendre, louer, céder etc. Ils n’ont pas le droit
à l’éducation, à la propriété, au mariage, ils subissent des mutilations, des
châtiments corporels, toutes sortes de violences. Et la communauté ethnique
minoritaire et dominante en Mauritanie, le groupe arabo-berbère, a fondé son
mode de vie sur ce genre de pratiques esclavagistes. Ceux qui en ont le plus
souffert dans l’histoire sont les « Haratins ». En dialecte arabe
hassanya, le « Haratin » signifie « l’affranchi ». Or, les
affranchis en Mauritanie ont encore dans un statut intermédiaire, entre l’homme
libre et l’esclave. Et cette condition se transmet de génération en génération.
Il n’est donc pas pertinent de séparer les « Haratins » (environ 30%
de la population) des esclaves (20% de la population), justement parce que les
premiers sont eux-mêmes soumis à des discriminations extrêmement dures qui
trouvent leur racine dans l’esclavage que leurs ancêtres ont subi.
M : Le cas de la jeune esclave Noura Mint Aheimed
que vous défendez est devenu un symbole de la lutte contre l’esclavage dans le
pays. Pour quelles raisons ?
B. O. A. : A
19 ans, Noura Mint Aheimed a osé fuir la maison des maîtres qui la tenaient en
esclavage depuis l’âge de 4 ans pour aller porter plainte à la gendarmerie de
Boutilimit, le chef-lieu du département où elle vivait. Son père a ensuite reçu
des pressions de la part de la gendarmerie et de la famille des maîtres pour
qu’il accepte de retirer la plainte de sa fille. Il a finit par céder mais
Noura, elle, a résisté et a pris contact avec l’IRA. Malgré les menaces et les
sommes d’argent importantes qu’on lui a proposées, elle n’a pas reculé. Ce fut
d’autant plus difficile que le chef de famille des maîtres de Noura, Amar Ould
Sidi Ould Ely est un membre influent de l’Union Pour la République (UPR), le
parti au pouvoir, et un proche du chef de l’Etat, Mohamed Ould Abdel Aziz.
Enfin, le fait que toute cette affaire se soit déroulée à Boutilimit rend le
symbole encore plus fort car cette ville est un centre religieux et politique
extrêmement important en Mauritanie. C’est d’ici que viennent à la fois le
religieux le plus vénéré du pays, Cheikh Sidiya El-Kebir, et le premier chef
d’Etat de la Mauritanie indépendante, Moktar Ould Daddah.
M : Quelles sont vos relations avec les partis
politiques mauritaniens ?
B. O. A. : Lorsque
l’IRA a commencé à gagner en popularité, les partis politiques en place ont
tenté de se rapprocher de nous. Nous avons finalement fait alliance avec les
partis de l’opposition unis au sein de la Coordination de l’opposition
démocratique (COD) le 11 mars 2012, suite à un pacte dans lequel nous posions
certaines conditions. Nous demandions surtout aux membres de la COD de
s’exprimer clairement contre l’esclavage. Ils ont accepté, mais cette union a
volé en éclat lorsque nous avons brulé le code de l’esclavage. La COD, composée
principalement d’hommes politiques arabo-berbères, a dénoncé cette action comme
un acte d’apostasie. Dès lors, on nous a traité d’ennemis de Dieu, parfois même
de sionistes cherchant à détruire l’islam. Finalement, la bataille autour de ce
livre a occasionné l’unité de tous les partis contre nous et j’ai été
emprisonné avec plusieurs autres militants pendant 4 mois. Mais cela a créé un
déclic chez les « Haratins ». Le 3 septembre 2012, nous sommes sortis
de prison accompagnés de milliers de personnes venues nous soutenir. Elles
avaient été déçues par l’attitude des partis d’opposition. Devant un tel
succès, nous avons décidé, en octobre 2012, de créer notre propre parti
politique : le Parti radical pour une action globale (RAG). Un mois après
cette annonce, les autorités ont d’abord pris le soin d’interdire les
candidatures indépendantes pour éviter qu’un membre de l’IRA ne se présente à
des élections. Puis, nous avons déposé les statuts du RAG en avril, et les
autorités ont finalement décidé d’interdire le parti deux mois plus tard.
M : Que pensez-vous de l’Agence pour la lutte
contre les séquelles de l’esclavage, l’insertion et la pauvreté, créée en mars
2013 à l’initiative du gouvernement ?
B. O. A. : Cette
agence est comme le Ministère de la Justice ou de l’Intérieur. Elle protège les
esclavagistes. D’ailleurs, elle est dirigée par un anti abolitionniste bien
connu, Hamdi Ould Mahjoub qui a dirigé toutes les campagnes d’inquisition
contre l’IRA dans ses fonctions précédentes de Ministre de la Communication.
M : On vous a menacé de la peine de mort,
pourtant vous vivez toujours en Mauritanie.
B. O. A. : Oui.
L’objectif du pouvoir est justement de nous pousser à l’exil pour faire
semblant qu’il n’y a pas de contestation en Mauritanie. L’IRA doit rester sur
place pour empêcher les autorités de vendre une fausse image à l’étranger. La
répression, les procès en série contre nous vont, à la longue, entamer leur
crédibilité.
M : Quels sont vos projets à venir ?
B. O. A. : Nous
continuons les actions sur le terrain. Notamment la mobilisation en
faveur de Noura pour que des sanctions soient enfin appliquées. Et pour 2014,
nous souhaitons engager des actions de soutien aux villageois
« Haratins » à qui des populations arabo-berbère imposent de lourdes
redevances sur l’exploitation des terres. Il y a quelques années, l’Etat a en
effet exproprié des « Haratins » qui vivaient de leurs terres au
profit de grands propriétaires arabo-berbères. C’est notre prochain cheval de
bataille.
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