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dimanche 1 décembre 2013

MondAfrique.com :Mauritanie, les abolitionnistes se mobilisent contre l’esclavage



Par Louise Dimitrakis18 Nov,
Depuis la création de l’IRA, l’ONG anti-esclavagiste qu’il a fondée en 2008, Biram Ould Abeid s’est imposé comme l’une des figures de proue des abolitionnistes en Mauritanie, engagé dans une lutte frontale avec les autorités politiques et religieuses de son pays. Entretien
Sa notoriété explose en avril 2012, lorsqu’il brûle publiquement un texte de droit musulman codifiant la pratique de l’esclavage, ce qui lui vaut 4 mois d’emprisonnement et une menace de peine de mort. A coups de manifestations de rue, et de sit-ins marathoniens, les militants de l’IRA ont renouvelé le répertoire d’action des luttes anti-esclavagistes dans le pays.

Mondafrique : Comment est né le mouvement « abolitionniste » en Mauritanie ?

Biram Ould Abeid : La contestation de l’esclavage dans le pays a commencé a s’organiser en 1978 lorsque certains cadres de la communauté « Haratin » -- les anciens esclaves assujettis par les populations arabo-berbères -- ont crée le premier mouvement anti-esclavagiste « El-Hor », « l’homme libre ». Ce mouvement a pratiquement disparu un an après sa création lorsque les dirigeants ont été emprisonnés. Puis, ce n’est qu’en 1995 que l’organisation SOS Esclaves a pris la relève de la lutte contre l’esclavage. Mais les membres de ces organisations sont issus du milieu des élites instruites du pays. Elles mènent la lutte à coup de conférences de presse, de rapports et de communiqués contestant les pratiques esclavagistes, qu’elles transmettent aux organisations internationales et aux ONGs. Lorsque nous créons l’IRA le 23 octobre 2008, nous proposons une philosophie et des méthodes nouvelles fondées sur la dissidence politique, sociale et religieuse. Il s’agit de remettre en cause l’idée selon laquelle l’esclavagisme serait une pratique inscrite dans le Coran, une sorte de sixième pilier de l’islam qu’il faudrait respecter. L’IRA a donc cherché dès le début à délégitimer le clergé mauritanien -- principal détenteur du leadership d’opinion dans le pays -- qui couvre l’esclavage d’une justification religieuse. C’est une nouveauté dans la lutte abolitionniste. Ensuite, l’IRA s’est doté de méthodes d’action nouvelles : manifestations dans les rues, sit-in, grèves de la faim… Elles ont amené l’Etat à recourir à des actions répressives, prouvant ainsi que les lois mauritaniennes anti-esclavagistes ne sont qu’une façade. L’IRA a donc fini par être interdite et des membres de l’organisation ont été emprisonnés. A ce jour, trois de nos militants sont en prison.

M : Pourquoi les nombreuses lois anti-esclavagistes nationales ne sont-elles pas appliquées ?

B. O. A. : En Mauritanie, il existe un code de l’esclavage que l’on nomme les « livres de Khalil ». Ce sont des textes de droit musulman qui date du XII et XIIIème siècles. Ils fournissent une interprétation du Coran considérée comme étant la seule valable par l’Etat et justifient la pratique de l’esclavage. Ce code est élevé au niveau constitutionnel comme principale source de loi dans le pays. Les juges, les personnes chargées d’enquêter, les imams, les administrateurs, connaissent tous ce texte et l’appliquent textuellement. Il a valeur de loi divine, supérieure à toutes les autres. Lorsque nous avons présenté aux juges des cas de pratiques d’esclavages tous plus sordides les uns que les autres, jamais aucune peine n’a été prononcée. On nous a toujours répondu que ce texte était plus fort que toutes les lois sur lesquelles nous prenions appui. C’est pourquoi le 27 avril 2012, nous avons décidé de brûler publiquement ce code. Il s’agissait pour nous dénoncer les forfaits commis par la Mauritanie au nom de l’islam, alors même que l’esclavage est contraire à l’esprit et la lettre de cette religion.

M : Aujourd’hui, comment se caractérise l’esclavage dans le pays?

B. O. A. : L’esclavage moderne revêt de nombreuses formes : travail non ou piètrement salarié, travail des enfants, oppression des femmes par leurs maitres, mariages forcés... Mais il s’agit quasiment toujours d’un esclavagisme « traditionnel par ascendance ». Cela signifie que les maitres considèrent leurs sujets comme des biens meubles qu’ils peuvent vendre, louer, céder etc. Ils n’ont pas le droit à l’éducation, à la propriété, au mariage, ils subissent des mutilations, des châtiments corporels, toutes sortes de violences. Et la communauté ethnique minoritaire et dominante en Mauritanie, le groupe arabo-berbère, a fondé son mode de vie sur ce genre de pratiques esclavagistes. Ceux qui en ont le plus souffert dans l’histoire sont les « Haratins ». En dialecte arabe hassanya, le « Haratin » signifie « l’affranchi ». Or, les affranchis en Mauritanie ont encore dans un statut intermédiaire, entre l’homme libre et l’esclave. Et cette condition se transmet de génération en génération. Il n’est donc pas pertinent de séparer les « Haratins » (environ 30% de la population) des esclaves (20% de la population), justement parce que les premiers sont eux-mêmes soumis à des discriminations extrêmement dures qui trouvent leur racine dans l’esclavage que leurs ancêtres ont subi.

M : Le cas de la jeune esclave Noura Mint Aheimed que vous défendez est devenu un symbole de la lutte contre l’esclavage dans le pays. Pour quelles raisons ?

B. O. A. : A 19 ans, Noura Mint Aheimed a osé fuir la maison des maîtres qui la tenaient en esclavage depuis l’âge de 4 ans pour aller porter plainte à la gendarmerie de Boutilimit, le chef-lieu du département où elle vivait. Son père a ensuite reçu des pressions de la part de la gendarmerie et de la famille des maîtres pour qu’il accepte de retirer la plainte de sa fille. Il a finit par céder mais Noura, elle, a résisté et a pris contact avec l’IRA. Malgré les menaces et les sommes d’argent importantes qu’on lui a proposées, elle n’a pas reculé. Ce fut d’autant plus difficile que le chef de famille des maîtres de Noura, Amar Ould Sidi Ould Ely est un membre influent de l’Union Pour la République (UPR), le parti au pouvoir, et un proche du chef de l’Etat, Mohamed Ould Abdel Aziz. Enfin, le fait que toute cette affaire se soit déroulée à Boutilimit rend le symbole encore plus fort car cette ville est un centre religieux et politique extrêmement important en Mauritanie. C’est d’ici que viennent à la fois le religieux le plus vénéré du pays, Cheikh Sidiya El-Kebir, et le premier chef d’Etat de la Mauritanie indépendante, Moktar Ould Daddah.

M : Quelles sont vos relations avec les partis politiques mauritaniens ?

B. O. A. : Lorsque l’IRA a commencé à gagner en popularité, les partis politiques en place ont tenté de se rapprocher de nous. Nous avons finalement fait alliance avec les partis de l’opposition unis au sein de la Coordination de l’opposition démocratique (COD) le 11 mars 2012, suite à un pacte dans lequel nous posions certaines conditions. Nous demandions surtout aux membres de la COD de s’exprimer clairement contre l’esclavage. Ils ont accepté, mais cette union a volé en éclat lorsque nous avons brulé le code de l’esclavage. La COD, composée principalement d’hommes politiques arabo-berbères, a dénoncé cette action comme un acte d’apostasie. Dès lors, on nous a traité d’ennemis de Dieu, parfois même de sionistes cherchant à détruire l’islam. Finalement, la bataille autour de ce livre a occasionné l’unité de tous les partis contre nous et j’ai été emprisonné avec plusieurs autres militants pendant 4 mois. Mais cela a créé un déclic chez les « Haratins ». Le 3 septembre 2012, nous sommes sortis de prison accompagnés de milliers de personnes venues nous soutenir. Elles avaient été déçues par l’attitude des partis d’opposition. Devant un tel succès, nous avons décidé, en octobre 2012, de créer notre propre parti politique : le Parti radical pour une action globale (RAG). Un mois après cette annonce, les autorités ont d’abord pris le soin d’interdire les candidatures indépendantes pour éviter qu’un membre de l’IRA ne se présente à des élections. Puis, nous avons déposé les statuts du RAG en avril, et les autorités ont finalement décidé d’interdire le parti deux mois plus tard.

M : Que pensez-vous de l’Agence pour la lutte contre les séquelles de l’esclavage, l’insertion et la pauvreté, créée en mars 2013 à l’initiative du gouvernement ?

B. O. A. : Cette agence est comme le Ministère de la Justice ou de l’Intérieur. Elle protège les esclavagistes. D’ailleurs, elle est dirigée par un anti abolitionniste bien connu, Hamdi Ould Mahjoub qui a dirigé toutes les campagnes d’inquisition contre l’IRA dans ses fonctions précédentes de Ministre de la Communication.

M : On vous a menacé de la peine de mort, pourtant vous vivez toujours en Mauritanie.

B. O. A. : Oui. L’objectif du pouvoir est justement de nous pousser à l’exil pour faire semblant qu’il n’y a pas de contestation en Mauritanie. L’IRA doit rester sur place pour empêcher les autorités de vendre une fausse image à l’étranger. La répression, les procès en série contre nous vont, à la longue, entamer leur crédibilité.

M : Quels sont vos projets à venir ?

B. O. A. : Nous continuons les actions sur le terrain. Notamment  la mobilisation en faveur de Noura pour que des sanctions soient enfin appliquées. Et pour 2014, nous souhaitons engager des actions de soutien aux villageois « Haratins » à qui des populations arabo-berbère imposent de lourdes redevances sur l’exploitation des terres. Il y a quelques années, l’Etat a en effet exproprié des « Haratins » qui vivaient de leurs terres au profit de grands propriétaires arabo-berbères. C’est notre prochain cheval de bataille.

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