Introduction :
On dit souvent que
derrière chaque homme fort il y a une femme. Partant de ce postulat, nous avons
souhaité savoir le secret de l’organisation IRA qui a réussi là ou d’autres
mouvements mauritaniens n’ont pas trop brillé pour ne pas dire échoué, à
savoir le succès médiatique à l’étranger.
Depuis sa création en 2008, le mouvement IRA a battu un record dans la notoriété sur la scène internationale. En 3 ans, l’ONG
de lutte contre l’esclavage s’est fait un écho énorme, devenant ainsi l’interlocuteur privilégié des
défenseurs des droits de l’homme, l’hôte apprécié des cercles de la communauté
internationale, le porteur de l’espoir
des milliers de victimes de l’esclavage et du racisme… mais aussi la bête noire
du régime mauritanien.
IRA s’est fait des
réseaux partout dans le monde, mais spécialement l’Europe était la clef
Sim-sala-sim de toutes les portes qui semblent maintenant grandement ouvertes
en permanence pour permettre au leader abolitionniste, Biram Dah Abeid, d’y
entrer et d’en sortir à sa guise. Dans notre réflexion, nous avons jugé intéressant
de jeter la lumière sur une personnalité qui apparait comme une des énigmes du
succès extérieur de IRA. Cette personne, invisible, discrète et efficace dans
le travail de lobbysme mais aussi l’établissement des liaisons avec les
ONG de défense des droits de l’homme en
Europe, n’est autre que notre compatriote Abidine Merzough. Après des hésitations qui ont duré des mois,
il a accepté de répondre à nos questions.
Nous devons préciser qu’il n’a pas voulu se prononcer sur certaines
questions qu’il juge soient trop polémiques soient trop sensibles pour être
traitées en public. Nous comprenons son souci, ce qui confirme ainsi le
caractère énigmatique de cet ingénieur avec un passé riche d’enseignements. Il
est le fils d’un grand militant anti-esclavagiste, qui était le chef et le
guide de la communauté haratin de Tagath, fraction Idewach. Le vieux Merzough,
décédé en Mars 2013 (paix à son âme), à un âge avoisinant 80 ans, a mené une
révolte des Haratine, esclaves de cette tribu, entre 1976 et 1982 qui a aboutit à leur libération
du joug de l’esclavage.
Mr Abidine Merzough, vous êtes mauritanien vivant en
Allemagne depuis plusieurs années. Vous avez milité dans les mouvements EL HOR
et Conscience et Résistance, dans les partis Action pour le Changement et
Alliance Populaire Progressiste et dans les ONGs SOS Esclave et IRA. Pouvez-vous
éclairer nos lecteurs sur la nature du combat que vous menez dans ces
différentes organisations ?
Je me considère comme un
citoyen mauritanien, simple, normal et
patriotique que des événements de la vie ont obligé plus ou moins à faire de
l’Allemagne Fédérale son pays de résidence. Ma zone natale est Chagar Gadel, un
village de la commune de Djonaba qui se situe à environs 70 Km de Magtalahjar
(Brakna). Après un Bac technique en 1988,
j’ai eu la chance et le privilège d’obtenir une bourse de la Coopération
allemande. Après mes études d’ingénieur en construction mécanique, spécialité aéronautique,
j’ai commencé ma vie professionnelle en 1996 chez le constructeur de l’automobile
Ford. Depuis lors, je travaille dans son centre de développement européen à Cologne, où nous débutons les
projets de développement 4 à 5 ans avant le lancement de la production en série
des véhicules. Souvent, notre job se
termine 6 à 8 mois après le démarrage de la série. De là, nous nous orientons
vers d’autres projets.
Malgré mon « exil»
volontaire en Europe, je suis resté lié à ma Mauritanie profonde, je n’ai jamais oublié les souffrances de mes
compatriotes, en général, et les difficultés de ceux parmi eux qui restent
marginalisés, victimes de l’injustice et de la dictature. Je parle des milliers
de Mauritaniens qui croupissent encore sous le joug de l’esclavage et le
racisme, mais aussi de ceux qui ont été tués ou déportés par leur propre pays pour se retrouver exilés
par la force dans des pays étrangers.
La lutte de IRA : Pouvez-vous nous en dire plus sur ce qui la
différencie de ELHOR et SOS Esclaves ?
En réalité, je considère
que le combat mené par IRA maintenant est le même que celui de Elhor de
1975-1980 et plus tard celui de SOS Esclaves, mais avec des moyens, des méthodes et outils plus
performants. Ici, je peux aussi mentionner le bouleversement qu’a fait le parti
Action pour le changement. Malgré tout ça,
la situation des esclaves et haratines de 1970 est quasiment la même que celle
de 2013, avec la différence que chez les
activistes haratines la peur de subir des répressions de la part du régime est
dépassée et que la masse haratine est prête à participer au combat pour sa
libération. Il faut aussi signaler que
parmi le système féodal, il y a, aujourd’hui, plus de forces qui supportent et
demandent le changement dans les rapports entre les communautés ethniques. Si
IRA a pu avoir un grand succès en peu de temps, cela s’explique par le fait que
la masse populaire haratine était assoiffée d’un porte-parole, d’un leadership
qui ose dépasser les limites jusque-là considérées comme des lignes rouges. Pour moi,
il s’agit ici de la même médaille, le même jeu mais juste avec une
totale révision de la méthode et de la stratégie,
en tenant compte des manquements du passé.
En engineering, nous appelons ça « lessons learned» , tenir compte
des leçons du passé pour mieux faire dans l’actuel et le futur.
Quelle lecture donnez-vous à l'inimité entre Monsieur
Biram Ould Abeid, Président d'IRA, et de certains leaders haratine, dont en
particulier, le Président Messaoud Ould Boulkheir?
Vous savez, tout combat
a son lot de problèmes. Je pense que tous les leaders et cadres haratines ont
trop de points communs pour ne pas se laisser désorienter de leur tâche :
le même sort, la même situation de vie, les mêmes ennemis et adversaires. Si nous revenons au mouvement Elhor pour y
analyser les raisons qui l’ont fait échouer
dans sa mission nous découvrirons sans grande surprise que ce sont les mêmes
motifs qui pèsent sur les rapports entre les cadres et personnalités haratin
qui sont actifs sur la scène politique actuelle. Je peux en citer les manipulations
entreprises de la part de certains cercles qui ne souhaitent pas qu’il y ait
une alliance ou rapprochement entre les porte-paroles des haratine. Il y a des
forces obscures qui se sentent menacées dans leur existence, dans leur pouvoir, dans leur positon de dominance et de
supériorité. Donc, ces forces se sont donné la mission de casser, par tout les
moyens, toute alliance entre les cadres haratines. Ce qui est important à signaler ici est que souvent
les concernés eux même, les Haratines, ne réalisent ou ne voient pas ce danger. Il y a aussi le vide qui s’est établi depuis
la cassure du mouvement Elhor. Ici, je rappelle que durant les années 82-88,
étant jeune collégien et Lycéen, avec d’autres amis, nous cherchions
inlassablement, mais sans succès, à faire la connaissance des dirigeants de
ELHOR. Nous faisions Sebkha, Elmina, ELKEBA et autres quartiers de Nouakchott.
C’était peine perdue. Dans le temps, nous côtoyions nos camarades négros-africains,
probablement la jeunesse des FLAM, qui nous semblaient mieux organisés
politiquement et nos rêves n’étaient que d’avoir des leaders qui nous forment
sur les principes et idéologies de ELHOR. Mon ami du Lycée technique, Sadvi
Ould Bilal, actuellement représentant de IRA à Nouadhibou pourra certainement
en témoigner. Ceci dénote de ce vide
entre les leaders et la jeunesse dont je parle.
Les rares acteurs parmi
les anciens qui ont continué à influencer la scène politique, comme les
présidents Messaoud, Boubacar, Bodiel et autres, pour la nouvelle génération hartin, sont
restés trop loin de la nouvelle génération des centaines de jeunes qui pensent
que le moment est venu pour être impliqué dans la lutte, pour être écouté et
consulté dans le choix des méthodes de lutte.
Donc, le manque de la coordination permanente entre les anciens, qui
pensent tenir les clés de la lutte et la
jeunesse qui se sente marginalisée ou pas considérée, résulte de ces frictions
entre frères, entre les soldats de la même armée, pour, en fin, perdre de vue
l’essentiel : la cause haratine. C’est malheureusement ce qu’attendent nos
ennemis, opposés á l’émancipation des Haratine.
Pour ne pas vouloir entrer dans les détails sur les sources et les
causes de ces rivalités, dont beaucoup m’échappent, je pense que des mauvaises
langues, mal intentionnées, ont joué en grande partie leur rôle négatif dans
cette affaire.
Je mentionne que j’ai de
bons rapports avec les deux côtés ; j’en parle plus avec mon ami Biram, à
qui je tente de faire comprendre l’importance
de la nécessité de tirer du même bout de la corde, au lieu de tomber
dans les pièges tendus partout. Je
signale ici que mon succès dans ma démarche
est resté limité.
IRA et la Politique : le parti APP (et avant lui AC)
et la nouvelle formation politique RAG (parti non encore reconnu) deux partis
politiques distincts ; vous êtes militant du premier et sympathisant du
second. Cela va-t-il de pair ?
Je fais partie des
éléments de IRA qui pensent que le moment de se lancer dans l’optique purement
politique n’est pas venu. Pour moi, nous devons d’abord nous concentrer sur les
droits de l’homme, sur la médiation de l’existence et la persistance de
l’esclavage, à l’intérieur et à l’extérieur. Nous devons dénoncer les autorités
de la Mauritanie devant l’opinion internationale, dans les medias
internationaux, dans les rencontres mondiales,… C’est mon objectif primordial
que j’ai voulu d’ailleurs depuis 2000 avec Boubacar, en organisant une action
lors de la journée mauritanienne à la foire
mondiale de Hanovre en Allemagne. J’ai établi la première liaison entre
SOS esclaves et l’ONG allemande « la Société pour les peuples
menacés » basée dans la ville de Goettingen. Cette ONG dont je suis membre
depuis 1997 est aujourd’hui le premier soutien de IRA en Allemagne. C’est grâce à elle que nous avons eu le prix
des droits de l’homme 2011 de la ville de Weimar. Ce prix était enfin la clé
qui nous a ouvert pas mal de portes qui seraient probablement fermées devant
nous. Vous voyez que SOS Esclaves avait aussi toutes les chances si
les conditions l’avaient permis. Avec le déménagement de mon ami Jemal Yessaa
de la France vers l’Afrique, SOS
Esclaves a presque cessé ses activités à l’extérieur. Dommage !
Donc, je pensais que le
travail pour la lutte contre l’esclavage et le racisme devait être intensifié,
avec des nouvelles orientations. Quand on aura préparé le terrain, à l’intérieur
et à l’extérieur, quand on aura gagné la confiance des masses haratine, les
cadres démocrates universalistes de toutes les communautés de notre nation, là
le jeu politique sera à notre porté et nous n’échouerons pas.
Mais, comme la majorité des cadres de IRA ont décidé de faire une aile
politique, en l’occurrence le parti RAG, je considère que c’est leur droit. Ils
ne se sentent pas représentés par les autres partis politiques en place. Quand à moi, mes amis de IRA et de RAG
connaissent parfaitement et respectent
ma position ; je suis et resterai sympathisant de APP, même si je
ne suis pas actif sur le terrain. Au niveau de ma zone natale, j’apporte mon
soutien moral et financier au parti ; mes gens écoutent mes conseils et
demandent mon implication active. Mais, vu le lieu de ma résidence, je ne peux
pas faire plus que le possible.
Les élections : Selon vous, ces élections seraient-elles
transparentes ou plutôt une nouvelle parodie électorale?
Je pense que les élections devrons avoir lieu le plus vite que possible et
ce depuis longtemps. Bien sûr que les conditions devront être réunies pour
garantir la transparence et la chance pour toutes les forces en compétitions.
Je ne m’attends pas à une surprise. Le régime est en campagne depuis plus de 2
ans, il utilise les moyens et les ressources de l’Etat, donc les choses lui
sont favorables. La nature du citoyen mauritanien « soumission à celui
qui est aux commandes du pays » et
l’expérience que nous avons des hommes politiques du pays («toujours courir
derrière l’enrichissement gratuit ») laisse penser que le parti au pouvoir
UPR remportera, en grande partie, les élections avec les manipulations et
bourrage des urnes. Les choses ne
changeront pas si on recule les échéances d’un mois ou de deux ans, ni si la COD participera ou pas. Les premiers indices d’irrégularités sont
apparus avant même le début de la campagne et se sont intensifiés le jour du
vote. Si les hauts gradés supervisent le vote de leurs subalternes, ou si les
femmes civiles et étrangères aux corps de l’armée et de sécurité votent avec
les militaires, si les listes d’électeurs disparaissent dans certains bureaux
de votes dans les zones favorables á l’opposition, tout cela dit beaucoup sur
la non transparence des élections. Mais, ne nous trompons pas : la
Mauritanie et les Mauritaniens sont encore très loin de la capacité de faire
mieux, nous restons avec notre marque de bédouins, chaotiques sans règles,
champions en improvisation. Cela, nous l’avons hérité de notre vie de
nomade dans le vaste désert.
Quelle
lecture faites-vous du scrutin du 23 novembre 2O13 ?
Nous sommes d’accord que
ces élections ont été mal organisées, avec une CENI incapable, dont le président
Messaoud Boulkair en a tout dit, sans compter que le temps était vraiment insuffisant pour
faire mieux.
Ce scrutin surprendra
énormément, car il démontre entre autres deux enseignement importants. Le
premier est le fait que le taux de participation avec 50-70% représente pour
moi un rejet total de la stratégie des partis boycottistes. Donc, ces partis
doivent revoir leur ligne de conduite et doivent comprendre la réalité des Mauritaniens
et identifier ce qu’attend d’eux le
citoyen simple. Le deuxième enseignement est la mise à nu totale du parti Etat,
l’UPR. Il est maintenant clair que ce que pense une grande partie des Mauritaniens
sur la popularité de l’UPR est une supposition trompeuse. Derrière ce parti, il
n y a que des acheteurs de conscience, des corrompus, des affamés de richesse
et d’influence. C’est ce que nous avons connu avec le parti PRDS de Ould Taya.
Je pense que notre General-Président, Aziz, en sera plus édifié que nous le
pensons. Sinon, il finira certainement comme son ancien chef. Donc, à lui de
choisir le quand et le comment ; il en a encore les moyens et le temps,
avant qu’il soit tard.
Comment
expliquez-vous le score de votre parti ?
La manière dont les
élections se sont déroulées n’est pas vraiment en faveur des partis à électorat
aléatoire, comme le nôtre. Il parait que les bulletins de vote sont trop
compliqués même pour les électeurs
lettrés, donc ne parlons pas des citoyens analphabètes qui fonts 50 à 80% des
sympathisants de notre parti APP. Il y
aussi les moyens financiers qui ont joué leur rôle important pour influencer
nos électeurs, souvent pauvres et sans sources.
Malgré tout cela, nous
pensons que si les choses s’étaient déroulaient dans de bonnes conditions, nous
arriverions à un positionnement confortable entre la 4ème et la 2ème
classe.
Maintenant, le grand point d’interrogation est comment vont se positionner notre APP, parti avec le
plus grand potentiel d’électeur, et les islamistes de Tawassoul, parti qui ne
souffre pas de liquidité, grâce aux sources financières des pays du Golf.
Sachant que mes amis de IRA ont décidé le boycott, en tout cas je lance un
appel aux militants et sympathisants de notre parti APP, aux militants de la
lutte contre l’esclavage et le racisme, aux populations marginalisées de voter
massivement au deuxième tour le parti de l’espoir, le parti de la libération,
le parti de l’unité, le Parti Alliance Populaire Progressiste, APP. C’est leur
parti AC d’hier et c’est leur parti AC nouvelle. Cet appel, je le fait en mon nom et cela n’engage
que ma seule personne.
De gauche à droite: M. Colin Wrafter,
Directeur Droits de l'Homme et Nations Unies, Ministère des affaires étrangères
d'Irlande, M. Biram Dah Abeid, M. Engelbert Theuermann, Président du Groupe de
travail du Conseil de l'Union européenne sur les Droits de l'Homme, M. Abidine
Merzough, Coordinateur Europe de l'IRA
De gauche à droite: au ministère des affaires
étrangères allemand Abidine Merzough ; Biram Dah Abeid ; Ulrich
Delius de la société pour les peuples menacés.
Propos recueillis par
Elian SEI (Nouvelle Expression)
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