En Mauritanie il fait partie de nos mœurs
politiques que la promotion d'un homme politique ou d’un fonctionnaire soit un
symbole très spécial pour les siens. Toutes les dispositions théoriques pour
l'exercice démocratique et citoyen des différents pouvoirs sont contenues dans
les textes fondamentaux du pays mais le clientélisme règne en maître dans la
pratique.
En effet ce clientélisme tisse ses liens sur
les pouvoirs tribaux et coutumo-traditionnels à différents niveaux des organes
étatiques. Depuis l'indépendance du pays le navire "Mauritanie" est
dirigé plus ou moins en représentativité par quota au portefeuille ministériel
entre les tribus, les communautés voire les clans familiaux. Au temps du
président Maaouiya ould sidi ahmed Taya, à la suite de la relative
démocratisation aux débuts des années 90, le parti Prds (Parti républicain, démocratique et social) au pouvoir avait
exploité à fond ce système clientéliste en s'appuyant sur les cadres issus de
différentes tribus, communautés et clans.
Ainsi le jeu démocratique libre pour les
citoyens fut faussé au profit d'un vote identitaire, clientéliste et clanique à
toutes les échelles nationales. Les partis politiques d'opposition qui
s'étaient structurés sous un modèle mettant en avant les programmes et les
hommes de qualité engagés en dehors de toute cooptation clientéliste n'avaient
pas pu suivre la cadence politique loin d'être franche.
Profitant d'un niveau faible d'instruction
civique des populations sur le libre exercice du choix politique, le parti-état
de Taya avait régné en maître sur la scène politique jusqu'au coup d'état
d'août 2005 qui s'apparentait à une révolution de palais. La transition d'après
coup d'état s'était soldée en 2007 par l'élection d'un président civil Sidi
ould cheikh abdallahi largement soutenu par presque tous les piliers du régime
faux mourant de Taya.
Chez les soninkés du Guidimagha les réseaux
clientélistes de l'ancien parti état de Taya s'étaient mis au service de Sidi.
Ainsi les cadres guidimaghanké de l'ex Prds qui exploitaient les droits
citoyens des masses populaires avaient continué les mêmes pratiques pour se servir
et servir Sidi. Ce dernier était évincé en 2008 par ceux qui avaient chassé
Taya en 2005, les militaires, vrais maîtres du pays depuis 1978 avec Mohamed
ould Abdelaziz en tête. Nos leaders politiques clientélistes s'étaient mis en
hibernation en attendant le sens du vent pendant la crise politique
d'après-putsch.
Juillet 2009, Ould abdelaziz était candidat
et pendant la campagne nos politiciens du guidimagha opportunistes dans l'âme
ayant servi Taya et Sidi s'étaient recyclés pour servir le général avec les
mêmes méthodes c'est à dire exploiter nos faiblesses en culture politique au
profit de leurs promotions personnelles. Dans certains milieux au guidimagha,
le général semble être le grand président que la Mauritanie n'avait jamais
connu par le passé. La finalisation tant espérée du projet le plus visible qui
est la route bitumée "
kaedi-gouraye" suffit pour convaincre les masses populaires habituées
à ne rien avoir de concret majeur pour l'intérêt général de la part de l'Etat
et surtout des cadres issus de la région. Nous sommes habitués plutôt à voir et
subir l'influence de certains de nos cadres bien introduits dans les cercles du
pouvoir central à Nouakchott au profit de leurs clans familiaux. Comme du temps
de Ould Taya, le pouvoir central continue de s'appuyer sur ces cadres issus de
la région prétendant avoir une certaine légitimité quasi exclusive de la
représentativité des populations du guidimagha sur la base de l'ancien ordre
coutumo-féodal en vigueur dans nos terroirs.
Cet ordre coutumo-féodal est présent chez
d'autres communautés noires comme les peulhs et différents régimes étatiques
avec le tribalisme beïdane semblent trouver leur versant légitimiste pour
régner paisiblement. Par conséquent sur la base d'un tel système
traditionaliste du pouvoir nous déduisons aisément pourquoi l'Etat-Nation
mauritanien garantissant droits et devoirs pour tous les citoyens en dehors
tout determinisme, a toutes les peines d'émerger depuis 53 ans d'existence. Il
est lieu de tout relativiser sur la question nationale en Mauritanie, car le
système arabo-berbère esclavagiste par passivité tant décrié sous tous les
cieux a ses alliés coutumo-féodaux au sein des communautés noires (soninké,
peulh et même harratine) allergiques à certains sujets notamment l'esclavage et
ses diverses séquelles qui consolident sa pérennité. Imaginons une autonomie
même limitée pour les régions du Sud mauritanien, nous verrons l’ancien ordre
féodal resurgir avec force et l’émiettement en une multitude des
demi-principautés par clans familiaux donc l’actuel état central avec ses
innombrables défauts à travailler semble le moins mauvais pour cette étape de
notre histoire.
Cependant tous les partis politiques, les
mouvements politico-associatifs et les milieux intellectuels œuvrant pour l’avènement
de l’état de droit en Mauritanie doivent prendre en compte cette problématique
dans leurs débats.
Les élections
de 2013; les dangers du vote clientéliste: le cas DAFORT
Le parti au pouvoir UPR (Union pour la
république) impose des listes uniques en son nom pour les candidatures, donc
pas des listes indépendantes, une situation qui a occasionné des turbulences
politiques inédites au sein de la sphère politique du Guidimagha.
Depuis l’élection du général Ould abdelaziz
et par la suite la création de son parti l’Upr, toutes les sources villageoises
prétendent que toute la population de Dafort village localité principale de la
commune de Dafort dans le département de Ould Yengé est pour l’Upr. En réalité
cette adhésion quasi forcée à la soviétique masque une division profonde entre
deux tendances locales incarnées par les
Hayaninko et les Hokolounko.
Hayané et Hokolou sont deux quartiers d’habitation du village Dafort mais surtout deux entités
politico-féodales qui transposent leur ancienne rivalité pour le leadership
villageois sur l’échiquier politique moderne. Lors des investitures des
candidats, les deux camps se sont déchirés faute d’entente sur un candidat du
parti Upr pour la Mairie. La tendance Hayané se disant majoritaire a eu
l’investiture de son candidat pour l’Upr et la tendance Hokolou quitte le parti
en rejoignant le parti Elwiam de Boidiel ould hamoid pour briguer la Mairie
avec le maire sortant. Pour une fois dans l’histoire politique daforoise, le
maire sortant ne brigue pas sous les couleurs du parti du président de la
république. Le vote clientéliste mauritanien sur le plan national a donné son
versant local par cet affrontement clanique sous haute tension comme dans
d’autres communes à majorité soninké du Guidimagha. Ainsi pour les citoyens peu
avisés sur le libre exercice du droit de vote démocratique classique, les
étiquettes des partis de couverture (Upr et Elwiam) sont secondaires voire
mêmes sans importance par rapport à leur supposée appartenance clanique.
Les autres localités de la commune se sont
vues imposer ce clivage vif et déchirant entre Hayané et Hokolou par différentes
manœuvres (promesses politiciennes, divisions, chantages et surtout l’arme du
portefeuille : l’argent).
Les programmes et les qualités personnelles
des candidats ont été éclipsés par cet enjeu très discutable en soi du “Nous, les légitimes à régner, à diriger et
pas vous”
Et si ces appartenances claniques (Hayaninkaxu et Hokolounkaxu) étaient
des partis politiques seraient-elles démocratiques par leur fonctionnement
interne..???
En effet elles forment deux entités
politico-féodales qui fonctionnent en grande partie par la hiérarchisation
sociale en vigueur chez les Soninkés qui fait que toutes les composantes ne se
valent pas en droits et en devoirs dans l’organisation sociale coutumière. Par
exemple le chef coutumier du clan Hayane ou Hokolou est exclusivement une
personne issue de la caste HORO en tous lieux quel que soit son âge par rapport
aux membres d’autres castes.
Les dispositions intrinsèques de ces entités
d’appartenances sont contraires aux valeurs d’égalité entre tous les membres
qui les composent en droits et en devoirs. Par ces réalités en contradiction
avec le libre exercice du vote citoyen, les personnes issues des castes
subissant les stigmatisations par l’histoire et les coutumes avaient une
occasion en or, de réfuter toute identification à ces entités coutumo-féodales
qui les exploitent dans un affrontement ne relevant pas de la politique
classique. Certaines personnes issues des castes dites inférieures dans la
stratification sociale soninké souvent des animateurs des festivités de la
campagne électorale saisissent rarement leur qualité de citoyens de plein droit
pour mettre dans le débat leur éternel statut coutumier de subalterne. Il
fallait admettre courageusement qu’on pourrait naitre à Dafort dans n’importe
quel quartier d’habitation et partager les positions politiques progressistes
et sur programme de tout candidat ou même d’un concitoyen né à Bir Moghrein ou
à Djéol.
Si le combat politique s’assume ouvertement
en affrontement lié au leadership coutumo-féodal du village, il est sans doute
souhaitable et motivant que les anciens esclaves stigmatisés par les coutumes
puissent se défaire de toutes les stigmatisations en refusant de se faire utiliser
dans un enjeu qui légitimerait plus leur statut coutumier. Dans cette échéance électorale
basée sur ce modèle, nous estimons que le futur vainqueur et le futur vaincu
sont interchangeables car tous incarnant l’un et l’autre des tendances
identitaires ne respectant pas en leur sein les principes démocratiques les
plus basiques.
L’Etat-nation mauritanien naitrait si on
acceptait d’être plus mauritanien au sens noble de citoyen de plein droit et
d’être moins soninké, moins peulh, moins harratine, moins beïdane et moins
wolof au sens coutumo-traditionaliste et ethno-tribaliste.
KOUNDOU SOUMARE
Membre de
l’ARMEPES-France
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