Louanges à Dieu et paix et salut sur le Prophète Mohamed
Honorables,
nous ne pouvons que remercier vivement, l’ONU et l’ensemble de ses institutions,
pour s’être tournées vers la cause, la misère et les douleurs de dizaines de
millions d’êtres humains qui continuent à subir le fait de l’esclavage.
Et
parmi les États qui tolèrent ce
phénomène s’ils ne l'entretiennent, hélas mon pays, la Mauritanie, détient le
triste record du plus grand taux de population réduite en servitude ;
ainsi, la distinction que vous avez eu l’humanité de m’accorder, représente une
assistance précieuse aux victimes et une formidable marque de solidarité avec
les militants, de toutes obédiences, qui se dressent contre les dénis
d’humanité, les persécutions religieuses et ethniques, les violences sur le
corps humain et les privations de liberté.
En
2013, plus qu’à tout autre moment de l’effort universel pour la dignité de
notre espèce, votre geste renferme une alerte, crédible, aux gouvernants
oppresseurs, quand ils rechignent à reconnaître et respecter le droit
international de la personne. Vous rappelez, ici, qu’au dessus des États, des
institutions et des identités, l’individu reste la valeur de référence, l’aune
de toute éthique, le but même des conventions sociales.
Aujourd’hui,
chers amis, je voudrais vous faire
entendre, les plaintes et gémissements de personnes propriétés d’autres
personnes, dès la naissance, astreintes aux travaux forcés, privées de rémunération,
de repos et d’éducation, du bétail humain sans état civil, ni soins, soumis aux
violences sexuelles et châtiments, un groupe servile où je suis né et où j’ai
refusé de grandir ; la déshumanisation de ces êtres dépasse votre
entendement ; la liste de pratiques esclavagistes - en plus de
la castration, de la vente et de la cession de gens, comme des biens meubles, -
trouve sa justification dans des codes d’inégalité raciale, auxquels
nos législateurs et la majorité des classes dominantes en Mauritanie, accordent
l’immunité d’une vérité sacrée. Quiconque la viole
s’expose au procès en apostasie ; ainsi, l’Islam, notre foi forgée
aux origines dans la révolte contre l’iniquité, est-il détourné et voué à la
défense du préjugé raciste. Ces usages que mes amis et moi
combattons sans répit revêtent, dans mon pays, aux yeux des législateurs de
fait, le statut d’une loi supérieure aux normes internationales, à commencer
par la déclaration universelle des droits de l’Homme.
De
tels écrits qui décrètent l’inégalité des sexes, la minorité éternelle de la
femme et légitiment les atteintes à l’intégrité du corps et de la vie, sont le
seul ancrage du droit, qui inspirent notre code pénal et organise le statut
personnel ; un tel corpus, conçu et édicté par des jurisconsultes d’entre
les 10 éme et 16 éme siècle après J.C, de surcroît au sein de sociétés
esclavagistes, restent un quasi-monopole de valorisation et de stigmatisation,
la norme absolue, source d’études à la base de la formation de nos magistrats,
de nos officiers de police judiciaire, de nos administrateurs, nos imams et
pseudo érudits.
Aujourd'hui, à l'heure
où je vous écris, des militants de mon organisation, Initiative pour la
Résurgence du mouvement Abolitionniste (IRA), que vous avez tenu à honorer en
me distinguant par ce prix, croupissent en prison. Leur seul crime est
d'avoir pris la défense d'une jeune esclave venue réclamer leur assistance.
Cette jeune esclave s'appelle Noura mint Aheimed. Elle a porté plainte contre
une famille qui la maintenait en esclave depuis 14 ans. Je salue, du haut de
cette illustre tribune, ces militants et ces militantes qui, pour défendre
Noura, viennent de parcourir à pied 150 Km dans une marche de protestation courageuse
et pacifique.
Notre
combat contre l'esclavage, en dépit de la violence morale et physique que
constitue cette pratique d'un autre âge, est toujours pacifique et civilisé.
Nous nous inspirons en cela des grands éclaireurs du combat contre la
soumission et l'ignominie et en premier lieu de celui parmi eux qui vient
de nous quitter, je veux parler, avec respect et reconnaissance de mon père et
exemple Nelson Mandela, que Dieu ait son âme.
Vous
récompensez, par ce prix, notre combat contre l'esclavage, contre le maintien
dans la servitude de personne par d'autres personnes. Ce combat est loin d'être
terminé. Votre soutien nous sera utile pour la suite, pour la lutte que nous
entamons et que nous annonçons à l’occasion de cette grande journée pour que
les esclaves et anciens esclaves obtiennent leurs droits sur les terres arables
et celles d’habitats urbains, pour que l'Etat mauritanien engage, sans plus
tarder, une réforme agraire et foncière juste et équitable.
L'esclavage
en Mauritanie est multiforme. Notre pays, hélas, est connu pour l'esclavage par
ascendance, celui qui fait de nous les esclaves par naissance des maîtres de
nos parents. Mais, en Mauritanie, nous avons aussi toutes les autres formes d'esclavage
et notamment, l'esclavage moderne. Très souvent et le plus naturellement au
monde, les Hratine (communauté d'esclaves et d'anciens esclaves) passent du
service des maîtres à celui des contremaîtres. Les bassins miniers, les ports
de marchandises, les chantiers de toutes sortes sont peuplés d'anciens
esclaves, très souvent proie facile des négriers modernes que sont certains
employeurs. Là aussi votre assistance sera toujours la bienvenue.
Notre
organisation IRA, toujours privée de reconnaissance par le gouvernement
mauritanien et ce malgré sa présence tous les jours aux côtés des victimes et
en dépit du soutien dont elle jouit au sein de la communauté internationale, a
libéré et aidé à libérer des centaines d'esclaves. Mais ces esclaves libérés, en
absence de structure d'accueil et de relais d'assistance, finissent toujours
dans la misère qui était leur lot chez leurs bourreaux. Il est temps que la
conscience internationale se préoccupe de ce volet.
Chers
responsables onusiens, mon devoir de
témoignage m’intime de vous rapporter le calvaire de centaines veuves et
d’orphelins de chez nous, qui ont vu disparaitre leur mari, père, parents et
voisins au cours d’une tentative d’épuration macabre qui a endeuillé les
populations négro-mauritaniennes entre 1986 et 1991 ; leur tort s’enracine
même dans ce que nous recevons tous, en héritage, sans l’avoir jamais
choisi : le crime de la diversité ethno-linguistique, pourtant fondement
et but de l’une des instances prestigieuses de l’ONU : j’ai cité l’Unesco ;
le système politique de chez nous, leur reproche de naître Peulh, Soninké,
Wolof ou Bambara, dans un Etat qui aspire à l’illusion d’une arabité
sans relief ni exception; les victimes et nous courrons toujours derrière la
vérité, à la recherche de la justice, pour la restitution des terres encore
usurpées, la réparation des assassinats de masse, la publication de la vérité.
Chers
messieurs et dames, je devrai aussi souligner l’abus et l’arbitraire auxquels
s’exposent beaucoup de citoyens mauritaniens face aux lois anti-terroristes, en
contradiction avec les principes généraux de droit tels l’Habeas corpus, la
présomption d’innocence, la séparation des pouvoirs, les voies de recours, la
prohibition de la torture. A ce propos, il y a lieu de souligner le cas de 14
détenus présumés djihadistes disparus de la prison civile de Nouakchott depuis
plusieurs années sans que leurs familles et avocats puissent connaitre leur
sort.
Bien
que le système de domination mauritanien bénéficie de l’appui de
puissances occidentales, pour des motifs , ô combien fondés , de prévention de
l’intolérance et de la terreur pseudo-religieuse, il rivalise avec les segments
les plus obscurantistes de la société, dans l’appel au meurtre, l’inquisition
et la diabolisation des démocrates et défenseurs des droits humains; ainsi,
tient-il deux langages et affiche, au regard du monde libre, un vernis de
modernité, pas très résistant à l’épreuve du pouvoir.
Nous
espérons que les Nations-Unies engagent, avec la Mauritanie officielle, une
démarche franche et conséquente afin d’y éradiquer l’infériorité de naissance
et l’impunité du racisme. Nous réclamons, en cas de non-coopération avec les
instances de l’ONU, l’application, sans réserve, des mesures de rétorsion
prévues par le droit international.
Que
vive le droit international, que vive l’universalisme, envers et contre le
relativisme culturel et l’insidieuse diplomatie du « laisser le temps au
temps » !
Je vous remercie.
Biram Dah ABEID
New York, le 10 décembre 2013
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