Deuxième Partie
Pour en revenir à Cette « association des amis de la Mauritanie », elle avait pour président, à l’époque, un professeur de biologie à l’université de Nice du nom de Raoul Carrouba (en remplacement de Gabriel Férral, une figure importante de la colonisation française en Mauritanie), qui officiait aussi comme consul honoraire de la Mauritanie dans cette même ville. Le président d’honneur de cette dite association fut, au même moment, un ex-premier ministre du général De Gaulle, en remplacement d’un grand ami du désert mauritanien, feu Théodore Monod. Aujourd’hui décédé, comme du reste Férral et Monod, Pierre Mesmer a été aussi une grande figure de la colonisation en Afrique et en Mauritanie où il a été commandant de cercle dans l’Adrar et gouverneur de colonie, entre 1950 et 1954. C’est à travers un colloque consacré à une période de l’histoire coloniale de la Mauritanie et organisée à l’université des sciences de Nice, en 1995, par l’Association des amis de la Mauritanie, auquel avait assisté l’ ambassadeur mauritanien en France, à l’époque, Dah Ould Abdi, que s’est exprimé ce soutien à l’ex-président dictateur ould Taya.
Dans ce colloque révisionniste de l’histoire coloniale de la Mauritanie, en tant que membre de l’auditoire, j’ai entendu dire par la bouche de l’ex-premier ministre Pierre Messmer, en substance, qu’il y avait une bonne entente entre Colonisateurs et colonisés, en Mauritanie, parce qu’il n’y avait pas de « césure raciale » entre eux. Ces propos ont été rapportés par l’historien mauritanien Ibrahima Abou Sall, dans le journal des Flam, le Flambeau No 12-13-14. Autrement dit, entre colonisateurs français et colonisés Beydanes, il y avait une entente parce qu’ils étaient tous blancs. Alors qu’est-ce qu’il faisait des noirs habitant le sud de la colonie de Mauritanie et des noirs Harratines esclaves ou esclaves affranchis des beydanes qui vivent , encore aujourd’hui comme appendice de la société maure ( maure est un terme par lequel les français ont désignés les arabo-berbères de Mauritanie) dans une sorte de parenté fictive, dans laquelle certains leaders du groupe harratine se maintiennent consciemment ou inconsciemment, en revendiquant à tord ou à raison leur arabité, en raison du partage de la langue arabo-berbère( hassania) qu’ils ont en commun avec leurs maîtres ou anciens maîtres beydanes.
Le débat de l’arabité ou non des harratines est une actualité dans le milieu intellectuel harratine. S’il est vrai qu’une identité culturelle s’appuie sur des critères objectifs qui sont des traits ou des marqueurs culturels (la langue, les croyances, les us et coutumes, l’art…) qu’un groupe ou un individu d’un groupe peuvent revendiquer comme structurant leur appartenance, il n’en demeure pas moins qu’il y a une part déterminante de subjectivité et de volontarisme dans cette revendication. Ce qui fait dire au grand anthropologue américain Clifford Geertz que l’identité est fluide, dynamique même si elle n’est pas consciemment perçue comme telle. Les gens peuvent porter des identités comme on porte des habits, et changer d’identité en fonction de la situation comme on change d’habits selon les occasions. Ce qui ne signifie pas pour autant qu’il n’existe pas de catégories sociales ou plutôt des régularités sociales inflexibles indépendantes de leurs volontés et qui déterminent leurs existences sociales. Il est évident et il est important de rappeler que l’identité ethnique en Afrique n’est pas figée et l’ethnicité n’est pas vécue comme une barrière infranchissable. Pour exemples, les équivalences de patronymes Wolof et Bambara qui peuvent témoigner dans le temps et dans l’espace des relations de clientélisme et de réciprocité. Ainsi le patronyme wolof Ndiaye est synonyme de Diarra, Fall est synonyme synonyme de koulibaly, Gueye est synonyme de Cissokho. Ces patronymes sont interchangeables selon que l’on se trouve en milieu Wolof ou Bambara. Le patronyme Fall se retrouve aussi bien, en milieu Maure, Poular que Wolof.
En milieu Poular, le patronyme Kane est associé à Diallo. Il y a des membres de la communauté Poular, les hormankobe, qui ont des origines Harratines et il ne viendrait à l’idée de personne de leur nier leur appartenance Haalpular (qui signifie littéralement celui qui parle la langue poular, celle des Peulhs). Les Haalpularen (pluriel de Haalpular) constituent un groupe ethnolinguistique. L’anthropologue Fréderick Barth a raison de dire que l’ethnicité, dans le contexte où elle s’exprime ne se réduit pas qu’à une affaire de traits culturels et que d’ailleurs aucun des groupes pris dans ce contexte ne peut revendiquer un ensemble de traits culturels qui lui soient spécifiques, les frontières entre les ethnies ne sont pas aussi infranchissables, ce qui rend les identités ethniques fluides, flexibles ( cf. Frederick Barth, Ethnics groups and Boundaries). Cette flexibilité rend possible, de la part du sujet ethnique, des stratégies de positionnement identitaire multiples vis-à-vis de tel ou tel groupe autre groupe ethnique que le sien et selon les situations. Elle permet aussi d’éviter les conflits interethniques. Par ailleurs, l’esclave harratine peut vivre ce que le psychosociologue Laslo Garai appelle le paradoxe de la catégorisation sociale. Autrement dit, le harratine de culture arabo-berbère peut refuser de se reconnaitre comme tel, en raison de la discrimination traumatisante et le manque de loyauté qu’il expérimente au sein de son groupe culturel maure. Aussi, peut-il être tenté de se revendiquer comme harratine en justifiant cette appartenance par sa condition d’aliéné et d’exploité ou soit revendiqué son appartenance négro-africaine qu’il justifierait par ses origines ethniques négro-africaines qui sont incontestables, car sachant pertinemment que cette identité lui a été usurpée et lui a été aliénée par sa réduction à l’esclavage. La preuve, encore une fois de plus, que la revendication de la négritude n’obéit pas à une volonté de l’homme noir de fonder son identité sur le stigmate de race, comme le fait d’ailleurs le Beydane qui se définit comme « blanc » pour se distinguer de ses voisins noirs de l’Afrique sub-saharienne ; mais cette revendication de la négritude est une stratégie pour l’homme noir lui permettant de faire face à une aliénation et une agression étrangères qui pour s’imposer à lui intellectuellement et matériellement a usé de l’idéologie. Une idéologie qui a consisté à associer la noirceur de l’homme noir au mal, à l’intelligence, et à les lui faire accepter, lui faisant perdre ainsi toute estime de soi, pour mieux le dominer. Par ailleurs, Il faut dire, que dans la colonie de Mauritanie, l’esclavage, la discrimination envers les noirs étaient flagrantes de la part des colonisateurs français, car l’abolition de l’esclavage sur tous les territoires français d’outre-mer par les autorités françaises n’a jamais été observée par l’administration coloniale, en milieu maure. Il est arrivé que des esclaves harratines fuyards soient ramenés à leur maitre Beydane, par l’administration coloniale. Un des acteurs colonialistes de l’époque, présent au fameux colloque de Nice, dira pour justifier un tel acte, qu’il s’agissait de maintenir la stabilité et l’équilibre de la société maure pour qui les fuites d’esclaves constituaient une menace. Il est important de rappeler que l’esclavage existe toujours en Mauritanie malgré : son abolition en 1980 par l’ordonnance no 81 234, sa criminalisation par une loi votée par l’assemblée nationale en 2007, la création en janvier 2014 d’un tribunal pour juger les faits d’esclavage. Le politologue mauritanien d’origine haratine El Arby ould Saleck distingue actuellement deux types d’esclavage en Mauritanie, « un esclavage de « tente » dans les zones rurales alors que dans les centres urbains, il s’agit d’un domestique qui n’a pas pu échapper au réseau de clientèle maure issue de l’Assabia » (cf. El Arby Ould Saleck, Les Haratins, Le paysage politique mauritanien, Edition l’Harmattan, p.83). En partant des réflexions de l’anthropologue mauritanien Abdel Weddoud ould Cheikh sur les rapports entre Nomadisme, islam et pouvoir politique dans la société maure, Marchesin dira de l’Assabia que c’est un « véritable ciment tribal [et] constitue le ressort du quasi-instinct de défense collective de la communauté tribale. La nécessité de défendre l’honneur du groupe pousse les membres issus de la même parenté à se porter secours en cas d’agressions commises envers l’un des leurs » (cf. Marchesin, Tribus, Etnhies et pouvoir en Mauritanie, Edition Karthala-1992). Il est de toute évidence que cette solidarité prônée par l’Assabia ne s’étend pas aux Harratines esclaves ou affranchis qui occupent dans leur majorité un statut servile dans la société tribale maure.
Il ressort, de ce qui précède, que dans le face-à-face noirs /maures, en Mauritanie, il se pose non seulement le problème de l’esclavage, mais aussi celui de la production et de l’affirmation d’une identité culturelle nationale qu’une frange arabo-berbère dominante détentrice du pouvoir politique et économique tente d’imposer aux autres groupes ethniques qui composent la Mauritanie, en associant la construction d’une identité nationale commune à la nécessaire hégémonie de la langue arabe. Aussi, faut-il rappeler que l’idéologie baasiste a encore des beaux jours en Mauritanie, car ses adeptes qui au sommet de l’Etat, malgré la Resistance négro-mauritanienne, ont pu imposer dans le pays l’arabisation de l’enseignement et de l’administration. La résistance négro-mauritanienne s’oppose farouchement, depuis 2011, par le truchement du mouvement Touche Pas A ma Nationalité (TPMN), à une volonté des autorités mauritaniennes d’exclure une frange importante de la population noire mauritanienne, de l’enrôlement de la population du pays dont le but déclaré est de mettre en place un fichier d’état civil sécurisé, mais qui s’est avéré être une manière visant à exclure une frange non négligeable de noirs mauritaniens de ce fichier. On bafouerait ainsi leurs droits civils et civiques. Une manière plus subtile d’épuration ethnique qui tranche avec celle très brutale liée aux déportations des années 1989. L’arabité exclusive de la Mauritanie est toujours un programme auquel les autorités mauritaniennes n’ont pas renoncé. Rappelons que cette arabité agressive se fonde sur l’idéologie baasiste qui prône la résurrection arabe en termes de révolution nationale. Cette résurrection se justifie d’autant plus que la culture arabe est considérée ici comme primordiale par rapport aux autres cultures humaines et, ceci, grâce à sa langue. A ce propos, le progrès de la culture arabe est attesté dès 1970 et surtout dans les années 1980 avec l’ouverture de centres culturels : syrien très actifs en 1980-1981, saoudiens en 1982 « riches en livres religieux », « marocain qui sera apprécié pour sa bibliothèque universitaire et pour les conférences qui s’y donneront ». Ces centres culturels ont, selon Catherine Taine Cheikh, « fortement contribué à l’émergence d’une sensibilité intellectuelle arabe moderne » (cf. Catherine Taine Cheikh, Les langues comme enjeux identitaire, La Mauritanie : un tournant démocratique, Revue Politique Africaine No55 -1994). Il faut souligner que c’est dans ces années 1980 qu’apparaissent dans le champ de la contestation en Mauritanie les mouvements islamistes. Ils obtiendront de la part du régime militaire de l’époque l’application de la charia (loi islamique). Aussi, faut-il s’inquiéter d’une part , de la décision récente de l’Arabie Saoudite de financer une faculté d’enseignement en Mauritanie, et d’autre part de la mise à la disposition de 100 000 hectares de terre à un d’un projet saoudien dans le domaine agricole. Des terres se situant dans la vallée du fleuve, dans les zones de Boghé, du Trarza, de Lexeiba. Un projet qui priverait de leurs terres des milliers de noirs de la vallée du fleuve et qui sont leurs moyens privilégiés de subsistance. Aussi, au regard de ce qui précède, c’est vite aller en besogne que de renvoyer dos à dos les acteurs du drame mauritanien, à savoir le nationalisme arabe et le soi-disant nationalisme négro-mauritanien, dans une opprobre commune en les taxant de chauvins, on masque ainsi la genèse de l’agression et l’inégalité des forces en présence. On revoie dos-à-dos les bourreaux et leurs victimes. On occulte ainsi l’exécution et la progression d’un nettoyage ethnique déjà programmé et idéologiquement justifié.
Aussi, faut-il rappeler, qu’en Mauritanie, entre 1989-1992, la communauté internationale a assisté sans brocher à la terreur contre la population noire perpétrée par les forces armées et de sécurité mauritaniennes. Il a fallu attendre onze années pour qu’intervienne la première réprimande internationale adressée à la Mauritanie, qui est venue tardivement de la commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP). Ceci amènera un observateur d’ONG Stephen Humphreys qui avait visité les camps des déportés mauritaniens au Sénégal en 2005, à écrire qu’avant le génocide perpétré au Darfour et à une plus grande échelle au Rwanda, il y a eu le précédent mauritanien (cf. Stephen Humphrey, a publication of justice initiatives, february 2005, page.33). Au plan diplomatique, l’administration américaine, en la personne de monsieur Bishop premier-adjoint pour les droits de l’homme et des affaires humanitaires au Département d’Etat condamnera les violations graves des droits l’homme perpétrés contre les noirs en Mauritanie, lors d’une séance sur le Maghreb organisée entre autres par la sous commission sur les affaires africaines, le 19 juin 1991 (cf. Human watch Right Africa, Mauritania’s campaign of terror – april 1994).
Moustapha Touré pour Afrikum@ A suivre
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