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samedi 1 mars 2014

Lorsque les oulémas se brûlent au contact du pouvoir

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Pugilat des oulémas, risée des oumaras, misère ici-bas.
Pugilat des oulémas, risée des oumaras, misère ici-bas.
La science resta précieuse, jusqu’à ce qu’elle fut portée aux portes des sultans et qu’on ait pris un salaire en échange,  Allah a alors enlevé la douceur du cœur (des savants) et les priva de la science à cause (du salaire).
Sofiane Ath-Thawrî  (Rapporté par Ibn An-Nadjdjar dans son «Târîkh »)




Quand un Alem (savant théologien), image de l’homme de Dieu se fait agresser physiquement par l’un de ses propres disciples à la fin d’une prière dans une mosquée, et cela à cause d’un comportement social et matériel, la question qui se pose est de savoir : avons-nous encore des ulémas qui méritent ce titre et cet honneur ? Ne se sont-ils pas brûlés au contact du pouvoir et des matérialités de ce monde ? N’ont-ils pas vendu leurs âmes, aux émirs, rois et présidents entrainant dans leurs sillons, ceux qui croient en eux et qui finissent dans l’ignorance, l’erreur, la pauvreté et la tyrannie de ceux qui les gouvernent et qu’ils servent par leur savoir religieux ?

Nos savants ne semblent pas avoir intégré l’enseignement qui, d’El Boukhari à El Ghazali en passant par des milliers d’ulémas et jurisconsultes - et bien avant eux les enseignements du prophète Mohamed et ses compagnons et disciples-, a mis en garde les savants musulmans contre la fréquentation des gens de pouvoir, allant jusqu’à leur retirer toute intégrité morale et dignité !
Le pugilat de nos oulémas d’aujourd’hui, ne fait que le spectacle des oumaras en place. Ils leur ont aliéné leur peuple en usant de la parole d’Allah.
اشْتَرَوْا بِآيَاتِ اللَّهِ ثَمَنًا قَلِيلًا فَصَدُّوا عَنْ سَبِيلِهِ ۚ إِنَّهُمْ سَاءَ مَا كَانُوا يَعْمَلُون
“Ils troquent à vil prix les versets d'Allah (le Coran) et obstruent Son chemin. Ce qu'ils font est très mauvais!”

Et si cela ne te plaît pas, tu es un sultan…


A l’émissaire du Sultan il dit :
«Dis-lui que je ne me permets pas de rabaisser la science ni de la porter devant les portes des sultans. S'il en a quelque besoin, il n'a qu'à venir dans mon oratoire ou chez moi. »
Et au sultan lui-même il dit : "Et, si cela ne te plaît pas, tu es un sultan et tu peux m'interdire de professer. [J'espère] que cela me soit une excuse devant Dieu le jour de la Résurrection" ...».
C’est la réponse qu’El Imam Al-Boukhari fit à l’émir Khaled ben Ahmad Azouhaly, le gouverneur de Boukhara (ancienne province de Khorassan, du règne des Omeyyades, actuelle ville d’Ouzbékistan), qui lui avait demandé de se présenter avec ses livres pour être écouté de ses fils.
Le refus d’Al-Boukhari d'aller chez l'émir lui valut une dissension qui le força à l’exil, mais il ne renonça pas à sa conviction que les oulémas ne sont pas au service des émirs mais à la parole de Dieu et au salut des hommes.
Cheikh Azzeddine Ibn Abdessalam que les gouverneurs et autres potentats de son époque sollicitaient pour leur rendre visite disait :
« J’ai étudié la science pour être un ambassadeur entre Allah et sa création, penses-tu que je vais me rendre à la porte de ces gens ? »
Ibn Al Hâdjdj dans Al Madkhal a dit : Il convient au savant, il lui incombe même de ne pas se rendre chez les fils de la dounya, car il est plus convenable pour un savant que les gens soient à sa porte que l’inverse.
Ibn An-Nadjdjâr rapporte que Mouflih Ibn Al Aswad raconte que le Calife El Maamoun passant près d’un homme qui guidait la prière d’El icha, pria dans ses rangs et à engagea avec lui, après la prière, une discussion sur le fiqh (jurisprudence). L’homme contredisait le Calife sur les points de fiqh et lui apportait la preuve de ce qu’il avançait. Lorsque l’homme eut exposé de nombreuses contradictions aux avis du Calife, celui-ci lui dit : « Prends l’engagement que lorsque tu rencontreras tes amis, tu leur diras que tu as donné tord à l’émir des croyants ». L’homme ne sachant pas qu’il avait affaire au Calife lui dit : « Par Allah, ô émir des croyants ! J’ai honte que mes amis sachent que je suis venu te voir ». Signifiant par-là qu’en tant que savant ce n’est pas un privilège qu’il l’ait rencontré et que au contraire ce serait une honte qu’il ait rencontré le détenteur du pouvoir !
Alors le Calife El’ Maamoun, comprenant l’humilité de l’homme et la profondeur de sa foi en Dieu pas aux hommes, dit alors : « Grâce à Dieu qui a fait en sorte qu’il y ait parmi mon peuple quelqu’un qui ait honte de me rencontrer » Puis il se prosterna par gratitude envers son Seigneur.
L’Imam derrière lequel il pria n’était autre qu’ Ibrâhîm Ibn Ishâq AlHarbî. »
Al Bayhaqi dans Chouaib Al Imane rapporte que Bichr Al Hâfî a dit «
Qu’il est repoussant de demander après un savant et qu’on réponde qu’il est à la porte de l’émir. »
Foudayl Ibn iyad a dit : «…méfiez-vous des portes des sultans car elles causent la disparition des bienfaits (...) dès que le savant entre les voir et voit ce qu’Allah leur a octroyé comme demeures et servants, il méprisera le bien dans lequel il se trouve et c’est ainsi que les bienfaits disparaîtront.»
Les vrais et respectés oulémas de l’Islam d’autrefois se méfiaient des détenteurs de pouvoirs et ne recommandaient pas leur fréquentation, car cela corrompt l’âme et avilit le rang du savoir.
Aujourd’hui, au contraire, les oulémas sont aux portes des sultans et des émirs et la plupart ont perdu leur âme et la neutralité qu’ils devaient garder pour transmettre le savoir religieux. Ils ont confondu entre le spirituel et le temporel et se sont brûlés aux flammes matérielles du second oubliant les lumières salvatrices du premier.
El Imam El Ghazali écrivit dans son livre «  Ihya Oulum Eddin » (Revivification des sciences de la foi) conseillait ainsi le savant à propos de la fréquentation des gens de pouvoir :
« Sache que tu as le choix entre trois situations avec les émirs et les califes injustes : la première qui est la pire est de rentrer chez eux, la deuxième qui est moindre est qu’ils viennent chez toi, la troisième qui est la plus prudente est que tu t’écartes d’eux, que tu ne les vois pas et qu’ils ne te voient pas »
Mieux et par-dessus,  tout le prophète Mohamed a mis en garde ceux qui prêchent la parole d’Allah  en décrivant certains d’entre eux  comme suit :


«Des prédicateurs aux portes de l’Enfer, dans lequel ils précipiteront ceux qui leur répondent».
Houdhayfa, Compagnon du Prophète, lui demanda:
« Oh Messager d'Allah! Décris-les-nous».
Le Messager d’Allah lui répondit alors :
" Ils sont des nôtres et ils parlent notre langue." (Mentionné par Al-Boukhari)
Le prophète  dit dans un célèbre hadith :

« Allah ne fera pas disparaître la science en l’ôtant aux hommes, mais Il la fera disparaître en faisant périr les savants, si bien que lorsqu’ils auront disparu, les gens prendront pour guides des ignorants qu'ils interrogeront, et qui leur donneront des fatwas sans aucune autorité, ils les égareront en s’égarant eux-mêmes. »
Ce qui explique bien l’injonction de Mouhammad Ibn Sirîne : " Cette science est une religion, prenez donc garde de qui vous prenez votre religion " (rapporté par Mouslim)
Il est donc apparu, de nos jours,  des porteurs de la parole de Dieu qui l’utilisent pour leur intérêt personnel ou pour leur rayonnement. Ils fréquentent les gens de pouvoir et utilisent les médias pour rayonner. Alors que l’humilité et la discrétion sont les caractéristiques du vrai savant. Son rayonnement nait de sa propre science et la reconnaissance de ses disciples et des croyants et non point forcée par une quelconque autorité au pouvoir ou un média quelconque.
Ces savant qui fréquentent le pouvoir et agissent pour quelques deniers en appliquant sa volonté et souvent son despotisme ce sont les oulémas du pouvoir.
L'imam Ibn Taymiyya écrivit :
« Quand le savant abandonne ce qu’il connaît du Coran et de la sounna du messager qu’Allah le bénisse et le Salue, et suit le jugement du gouverneur qui contredit le Coran et la sounna, il est alors un mécréant apostat, qui mérite le châtiment ici-bas et dans l’au-delà. » [Majmoua Al Fatawa 35/372]
Nous avions dans un article précédent consacré des développements aux oulémas du pouvoir et aux oulémas de la dignité (voir « de l’obeissance au gouvernant »)
  
Assassiné sans couteau…

Certains savants de l’Islam, on considéré que la fréquentation des oulémas des couloirs du pouvoir conduit à assimiler leur dégradation morale et spirituelle à leur mort par  assassinat  sans couteau.
Voici ce que dit Abu Bakr al-Aajurri (savant du 4ème siècle de l’hégire) du savant du pouvoir :

(Qadhi) - alors il va chercher à en devenir un. Ainsi il ne sera possible d'en devenir un qu'en propageant sa Religion, donc il va se rabaisser devant le gouverneur et ses ministres, en étant à leur service et en leur donnant sa notoriété comme tribut. Il garde le silence lorsqu'il voit leurs mauvais actes après être entré dans leurs palais et leurs maisons. Alors sur ce il se peut même qu'il loue leurs mauvais actes et les déclarer bonnes grâce à quelques mauvaises interprétations afin d'améliorer sa position auprès d'eux.

Puis lorsqu'il devient habitué à faire ceci durant une longue période et que le faux a complètement pris racine en lui - alors ils le promulguent à la position de juge (qadhi) et l'assassinant ainsi sans couteau. [1]
Ainsi il lui a été accordé une telle faveur qu'il est obligé et doit leur montrer sa gratitude, alors il use de grands efforts pour s'assurer qu'il ne les fâche pas et ne se fasse pas retirer sa position. Mais il ne se soucie pas de ce qui peut attirer sur lui la colère de son Seigneur, le Très-Haut, et ainsi il détourne le bien des orphelins, des veuves, des pauvres et nécessiteux, le bien réservé des waqf (dotations religieuses) pour ceux qui combattent au Jihad et les besoins de la Mecque et de Médine, et le bien qui est supposé profiter à tous les Musulmans - mais à la place il l'utilise pour satisfaire ses commis, chamberlains et domestiques. Alors il mange ce qui est haram (interdit) et se nourrit de ce qui haram et augmente ce qui lui cause du tort. Ainsi la routine prend celui que la science lui vaut d'avoir ces caractéristiques. Alors qu'au contraire c'est dans la science où le Prophète, - allait chercher refuge et dont il nous ait ordonné d'aller chercher refuge. C'est à propos de la science que le Prophète, - a dit : « Ceux parmi les gens qui recevront un sévère châtiment le Jour de la Résurrection sont les savants qui n'ont pas tiré bénéfice de leur science auprès d'Allah »[2]
Al Imâm Abû 'Amr 'Abdourrahman Al Awza’i, disait quant à lui : « Il n’y a rien de plus détesté par Allah qu’un savant qui rend visite à un calife. » (rapporté par El Imam El Ghazali)
El Imam Ghazali rapporta qu’il entendit dire : « Si vous voyez le savant rendre visite au sultan alors soupçonnez-le au sujet de votre religion. Je ne suis jamais rentré chez ces gens-là sans faire un examen de mon âme à la sortie et je l’examine en profondeur même si je les affronte avec dureté et que je contredis leurs passions ».
Said Ibn Al Moussayib - faisait du commerce d’huile et disait : « Il y a en ceci ce qui nous dispense (d’avoir recours aux) sultans ».
Wahb a dit : « Ceux qui rentrent voir les rois sont plus nuisibles à la Oumma (communauté musulmane) que les personnes s’adonnant aux jeux de hasard ».
Mohammed ibn Maslama a dit : « Les mouches sur les restes de nourriture sont meilleures qu’un lecteur (de Coran) à la porte de ces gens-là ».
Qaunt à Alî Ibn Al Hassan As-Sandali, il répondit au Sultan qui demandait pourquoi il n’est pas venu lui rendre visite : « J’ai voulu que tu fasses partie des meilleurs rois en rendant visite aux savants et je n’ai pas souhaité faire partie des pire savants en rendant visite aux rois. »[3]
L’histoire des savants musulmans qui refusèrent de rencontrer les sultans, les émirs et les rois de leurs temps est si éloquente qu’il semble bien que nous vivons actuellement une époque où nos oulémas ne semblent jamais avoir appris cette histoire. Pourtant, ils se brûlent au contact du pouvoir et scellent avec eux le sort de populations entières qui croient en eux et qui finissent dans l’ignorance, l’erreur, la pauvreté et la tyrannie de ceux qui les gouvernent et qu’ils servent par leur savoir religieux.


Tout le monde n’est pas satisfait de ton émirat, et je déteste mentir…

Nous sommes loin de l’attitude des oulémas et des hommes saints d’autrefois qui craignaient de rencontrer les détenteurs de pouvoir et quand par la force on les obligeait à les rencontrer savaient leur dire les vérités au risque de leur propre vie.
C’est l’exemple de Tawous ben Qiçan Al Yemeni El Hamdani :
A son arrivée en pèlerinage à la Mecque, Hicham Ibn Abdel Mâlik , Calife omeyyade (71-125 de l’hégire ), demanda qu’on fasse venir un homme parmi les compagnons du prophète.
On lui répondit : « Ô émir des croyants, Ils sont tous morts.»
« Un parmi les Tabi’in, alors », demanda-t-il.
On lui ramena Tawous ben Qiçan Al Yemeni El Hamdani, l’un des disciples du prophète ,


Dès qu’il entra chez le sultan, il se déchaussa au bord du tapis et lui adressa le « salam » sans l’interpeller par son titre « émir des croyants ».
Au lieu de cela, il dit : « Assalamou alayka Ya Hicham ».
Il ne l’appela pas non plus par sa kounya ( qui est une appellation traditionnelle par référence à la progéniture exemple:Abou Ali, Abou Ahmed etc.) - mais plutôt s’assit face lui en demandant : «Comment vas-tu Ô Hicham ? ».
Hicham se mit en colère au point qu’il faillit le tuer et lui demanda ce qui le poussait à agir de la sorte.
Tawous ben Qiçan Al Yemeni El Hamdani lui dit alors : « Agir comment ? »
Hicham s’énerva de plus belle et lui répondit : « Tu t’es déchaussé au bord de mon tapis, tu n’as pas baisé ma main, tu ne m’as pas salué en m’appelant émir des croyants, tu ne m’as pas non plus appelé par ma kounya et tu t’es assis en face de moi sans m’en demander la permission et tu m’as interpellé en disant ‘ô Hicham’ ».
Tawous lui répondit:
- « Concernant le fait de m’être déchaussé au bord de ton tapis, je le fais cinq fois par jour entre les mains de mon Seigneur, il ne me punit pas, ni ne se met en colère contre moi.
- Quant au fait que je n’ai pas baisé ta main, et bien j’ai entendu Ali Ibn Abi Talib dire : « Il n’est permis à personne de baiser la main de quelqu’un si ce n’est sa femme par désir ou son fils par miséricorde. »
- Quant au fait de ne pas t’avoir salué en t’appelant « émir des croyants », c’est parce que tout le monde n’est pas satisfait de ton émirat, et je déteste mentir.
- Pour ce qui est de ne pas t’avoir appelé par ta kounya, Allah soubhanahou wa ta‘âla a appelé ses alliés en disant : « Ô Dawoûd, ô Yahyâ, ô Îssâ » et a appelé ses ennemis par leur kounya:« Périssent les mains d’Abou Lahab » (Sourate 111, Verset 1.)
- Si je me suis assis face à toi, c’est parce que j’ai entendu Ali Ibn Abi Talib dire : « Si tu veux regarder un homme parmi les gens du feu, regarde un homme assis et autour de lui un groupe de gens se tenant debout. »
Hicham lui dit alors : « Conseille-moi ! »
Il lui dit alors : « J’ai entendu Ali Ibn Abi Talib dire : « Il y a dans la géhenne des serpents tels une clôture et des scorpions tels des mules, ils mordent chaque émir qui est injuste envers ses gouvernés
Il se leva alors et sortit.
Alors véritablement où se situent dans leur comportements et leurs attitudes face aux gouvernants nos « oulémas » d’aujourd’hui par rapport à Tawous ben Qiçan Al Yemeni El Hamdani ?
Il n y a aucune commune mesure.


  Par ta faute, ils ont semé la suspicion au sujet des savants et ont meurtri les cœurs des ignorants.
Les savants digne de ce nom en Islam n’ont pas hésité à prévenir leurs condisciples contemporains sur les dangers spirituels et temporels qu’ils courent en fréquentant les détenteurs du pouvoir, la lettre d’un contemporain au grand érudit AbouBakr Azzahri (vécu de 50 - ou 51 – à 124 de l’hégire) est un chef-d’œuvre en la matière :


« Qu’Allah nous préserve des Fitans (guerres intestines) ainsi que toi ô Abâ Bakr, tu t’es mis dans une situation où il convient à celui qui te connaît d’invoquer pour toi et d’implorer la miséricorde d’Allah sur toi.
Tu es devenu vieux et les bienfaits d’Allah t’ont alourdi alors qu’Il t’a accordé la compréhension de Son Livre et t’a appris la Sounna de son Prophète . Ceci n’est pas l’engagement que les savants ont pris envers Allah.
Sache que le plus aisé de ce que tu as commis et le moins grave de ce que tu as porté (comme fardeau) est d’avoir tenu compagnie à celui qui est injuste et que tu as facilité la voie de l’égarement, tu as donné de l’importance à celui qui n’a pas rendu aux gouvernés leurs droits, et qui n’a pas délaissé le faux alors qu’il t’a rabaissé.
En effet, il t’a pris comme pôle autour duquel tourne le moulin de leur injustice, un pont à travers lequel ils traversent en direction de leur affliction et une échelle par laquelle ils montent vers leurs égarements.
Par ta faute, ils ont semé la suspicion au sujet des savants et ont meurtri les cœurs des ignorants.
Ce qu’ils ont construit pour toi est insignifiant par rapport à ce qu’ils ont ruiné en toi. Comme sont nombreuses les choses dont ils t’ont dépossédé en corrompant ta religion. Qu’est-ce qui te garantit de ne pas faire partie de ceux au sujet desquels Allah a dit :
« Vinrent à leur suite d’autres générations qui délaissèrent la prière et suivirent leurs passions »?
Tu as affaire à quelqu’un qui n’est pas ignorant, et ceux qui ont appris de toi ne sont pas insouciants, soigne donc ta religion car s’y est introduite une maladie et prépare ta provision car va survenir un voyage lointain, et rien n’échappe à Allah dans les cieux et sur Terre, wa as Salâm ».
Notons la clairvoyance de celui qui adressa ce message. Une clairvoyance qui ferait pâlir nos oulémas d’aujourd’hui. C’était  quelques années après l’Hégire.
Et ce qui renforce encore davantage la suspicion qui doit régner à l’égard des oulémas qui fréquent les émirs ce hadith du prophète Mohamed .
D’après Al-Hassan Ibn Soufian, d’après Ibn Malik, le Prophète Mohamed , a dit :

« Les savants sont les garants des Prophètes auprès des serviteurs d’Allah, tant qu’ils ne fréquentent pas les sultans. Car, quand ils fréquenteront les sultans, ils auront trahi les Prophètes. Prends alors garde à eux et ne les approche plus » (Rapporté par l’Imam Souyouti, , dans son livre «  les pionniers et leur comportement à l’égard des sultans »)


  Au temps où le savant faisait pleurer de piété le Calife

Voici enfin le récit de la lettre que Sufiane Ibn Said Ethawri envoya au Calife Harouna Errachid qui l’invitait à lui rendre visite lorsqu’il devint Calife .Harouna Errachid entretenait pourtant une amitié avec Sufiane Ibn Said Ethawri et pourtant celui-ci ne vint pas à son invitation alors que tous les ulémas du Califat sont venu lui rendre hommage.
Le récit de cette lettre est rapporté par l’Imam Ibn Balban et l’Imam el Ghazali.
La lettre de Harouna Errachid à Sufiane Ibn Sa’id Ethawri :


« Au Nom d’Allah le Clément le Miséricordieux,
De la part du serviteur d’Allah, Harun, le chef des croyants à son frère en Allah Sufiian Ibn Said Ethawri
Tu sais, qu’Allah subhana wa ta‘ala a lié les croyants par des liens de fraternité .Quant à moi, je te considère comme mon frère en Allah, et pour cette fraternité, je n’ai pas rompu les liens d’amitié que j’ai pour toi, j’ai en moi une grande amitié pour toi et je suis à ton entière disposition. S’il n’y avait pas les responsabilités dont Allah subhana wa ta‘ala m’a chargé, je serais venu à toi, même à quatre pattes, et ce, en raison de l’amour que j’ai pour toi dans mon cœur.
Sache, ô Abou Abdallah ! Qu’il n’y a pas un de nos frères à tous les deux qui ne soit venu me rendre visite et me féliciter pour les fonctions qui m’ont été confiées. J’ai ouvert la trésorerie et je leur ai donné des cadeaux magnifiques, ce qui m’a fait plaisir et qui m’a réjoui. J’ai trouvé que tu as tardé à venir me voir, et c’est pour cette raison que je t’écris cette lettre pour t’informer du désir ardent de te voir que j’éprouve envers toi.
Oh Abou ‘Abdallah ! tu connais les hadiths qui ont été rapportés au sujet du fait de rendre visite au croyant et d’entretenir les liens avec lui, alors dès que ma lettre te parviendra, empresse toi de venir à moi ! »
La réponse de Sufiane Ibn Said Ethawri au Calife Harouna Errachid :
«  Au Nom d’Allah le Clément le Miséricordieux
De la part du serviteur et du pécheur Sufiane, à l’attention du serviteur berné par l’espoir de vivre longtemps, Haroun, celui a qui, la douceur de la foi, ainsi que le plaisir de la lecture du Coran ont été enlevés.
Je t’écris afin de t’informer que j’ai coupé les liens avec toi et que j’ai rompu l’amitié que j’avais pour toi. Tu as fait de moi, un témoin contre toi, et ce, car tu as reconnu toi-même, dans ta lettre, que tu as assaillis la trésorerie des musulmans, et que tu as dépensé et gaspillé à tort ; sache que je témoigne contre toi, moi et mes frères qui ont assisté à la lecture de ta lettre, et nous allons nous servir de ce témoignage auprès du Juge Juste ;
Ô Haroun ! Tu as assaillis la trésorerie des musulmans sans leurs consentement ;
Les nouveaux venus à l’Islam, ainsi que ceux qui s’occupent d’eux et qui se trouvent sur la terre d’Allah, les combattants pour la cause d’Allah et les orphelins t’ont-ils agrée pour ton acte ?
Ceux qui connaissent le Coran par cœur et les gens de science, c'est-à-dire ceux qui mettent cette dernière en pratique, t’ont-ils agrée pour cet acte ?
Les orphelins et les veuves t’ont-ils agrée pour cet acte ?
Les gens parmi tes sujets t’ont-ils agrée pour cela ?
Alors ô Haroun ! Sers ta ceinture et prépare les réponses que tu vas donner lors de ton interrogatoire et arme toi de patience pour les malheurs que tu vas subir.
Et sache que tu vas te tenir debout entre les mains du Juge Juste, alors crains Allah pour toi-même, et ce, si t’ont été ôtés la douceur de la science et de l’ascétisme, les plaisirs du Coran et le fait de t’asseoir avec les bienfaisants, et que tu as accepté pour toi-même, d’être un tyran et d’être pour les tyrans un chef.
Ô Haroun ! Tu t’es assis sur le trône et tu t’es habillé de moelleux ; tu as baissé les rideaux devant ta porte et tu t’es assimilé au Maître du monde avec ton planton ; ensuite, tu as mis devant ta porte tes soldats tyrans, qui oppriment les gens et qui ne sont pas justes ; ils boivent du vin et ils punissent ceux qui boivent le vin, ils commettent l’adultère et ils punissent celui qui commet l’adultère, ils volent et ils coupent la main du voleur, ils tuent et ils celui qui tue.
Ces jugements devraient tout d’abord s’appliquer à toi et à eux, avant qu’ils ne soient appliqués sur les gens.
Ô Haroun ! Quel sera ton état demain lorsque l’on criera auprès d’Allah : « Rassemblez les injustes et leurs épouses » [Coran 37 : 22 ],
« Où sont les tyrans et leurs aides ? »
Et que l’on te mettra devant Allah subhanahou wa ta‘ala alors que tes deux mains seront attachées à ton cou. Seules ta justice et ton équité pourront les détacher. Les tyrans seront autour de toi, et toi tu seras leur chef pour les guider vers l’enfer. C’est comme si je te voyais, alors que tu es attaché par une courte corde au cou et que tu endures les souffrances. Tu vois tes bonnes actions dans la balance des autres personnes, et les mauvaises actions des autres personnes s’ajoutent aux tiennes dans ta balance, tu vis malheur sur malheur et ténèbres sur ténèbres.
Alors, Ô Haroun ! Crains Allah subhanahou wa ta‘ala en ce qui concerne tes sujets, et prends soin de la communauté de Mohamed .
Sache que ce que tu possèdes ira à autre que toi, et il en est de même pour la vie terrestre qui se déplace d’une personne à l’autre.
Certaines personnes font des provisions qui leurs seront utiles, d’autres personnes perdent leur vie terrestre et perdront leur vie de l’au-delà.
Fais attention et prends garde de m’écrire après cette fois, car je ne te répondrai pas et reçois mes salutations. »
Le Calife Haroun Errachid conserva la lettre de Sufiane Ibn Said Ethawri et il ne cessa de la lire après chaque prière et il pleurait, et ce, jusqu’à ce qu’il mourut.[4]

Alors, si aujourd’hui nous sommes soumis à des ulémas de ce bas monde qui œuvrent pour ici-bas et se mettent au service des potentats, ce n’est pas seulement de leur faute, mais aussi de la nôtre, celle d’avoir ignoré notre histoire islamique, celle de ses hommes pieux, de ses savants de lumière, de sa sagesse éternelle en pensant avoir tout inventé, alors que tout existait avant nous jusque les réponses à notre ignorance.
C’est cette ignorance-là que tant et tant de ceux qui pensent détenir le savoir spirituel exploitent pour maintenir des âmes innocentes et des esprits crédules, en sommes l’essence humaine des peuples, dans la domination de leurs maitres temporels.
Maintenant qu’ils se violentent eux-mêmes jusque dans les mosquées à l’heure de la prière, il n’est plus permis de penser autre chose sinon d’invoquer, encore une fois et toujours,  les paroles divines :
اشْتَرَوْا بِآيَاتِ اللَّهِ ثَمَنًا قَلِيلًا فَصَدُّوا عَنْ سَبِيلِهِ ۚ إِنَّهُمْ سَاءَ مَا كَانُوا يَعْمَلُون
“Ils troquent à vil prix les versets d'Allah (le Coran) et obstruent Son chemin. Ce qu'ils font est très mauvais!”
Pr ELY Mustapha

[1] Allusion un hadith du Prophète : «Il est celui qui est promu comme un juge qui a été tué sans couteau » (rapporté dans Sunan Abī Dāwud qui est une collection de hadiths par le savant Abū Dāwud Sulaymān ibn al-Ash‘ath - 817 à 888 de l’Hégire)
[2] Cités par Ibn 'Abdel-Barr dans Jaami' Bayaanil-`Ilm al-Aajurri at-Tabaraani dans as-Saghir mais son authenticité est douteuse du fait de l’intégrité contestable de l’un de ses rapporteurs dans la chaine source de transmission des hadiths.
[3] Rapporté par l’ imam as-Souyouti , dans Tabaqât Al Hanafiyya


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