Centre Africain de Recherches sur les Traites et les Esclavages
(CARTE) - UCAD, Dakar-
Sénégal
Centre d'Études et de Recherches Pluridisciplinaires sur
l'Esclavage et la Traite en Afrique
(CERPETA), Yaoundé, Cameroun National Museums of Kenya, Shimoni
Slavery Museum, Mombasa, Kenya Catholic University of Eastern Africa, Nairobi,
Kenya
IRD – Urmis "Migrations et Societés", Université de
Nice, France
CNRS- Ciresc– Centre International de Recherche sur les Esclavages
(CRPLC, Centre
National de la Recherche Scientifique), Paris, France
1. Enjeux du colloque
Les recherches sur les esclavages connaissent depuis plus d’une
décennie un nouveau dynamisme. Plusieurs facteurs ont concouru à ce vigoureux
regain d’intérêt. La conférence mondiale contre le racisme, la discrimination
raciale, la xénophobie et l’intolérance, réunie à Durban, en Afrique du Sud, du
31 août au 7 septembre 2001 a contribué à cette dynamique tout en mobilisant
les organisations de la société civile. Elle a mis l’accent sur les relations
étroites entre certaines des injustices sociales les plus marquantes du monde
contemporain et les expériences historiques de captivité, d’inégalité et de
domination, de traite et de mise en esclavage des êtres humains. La conférence
de Durban a également mis en évidence d’importantes lignes de fracture entre, d’une
part, les différentes mémoires en compétition relativement aux valeurs et
fonctions associées à ces expériences et, d’autre part entre les discours
mémoriels et les résultats les plus récents des recherches sur les esclavages
et les traites. La recherche s’est aussi nourrie d’expériences sociales et
politiques car dans de nombreux conflits sociaux et mémoriels entre
communautés, la référence à l’esclavage et au statut servile a ressurgi comme
facteur explicatif, soulignant ainsi comment l’esclavage et la servilité
exerçaient une certaine influence sur les luttes sociales, idéologiques,
politiques et religieuses.
Toutefois, l’examen des résultats de cette recherche dévoile un
déséquilibre notoire en termes de production entre les parties du monde
concernées par les traites et les esclavages. Les zones les mieux représentées
dans les études historiques, anthropologiques, économiques, politiques, littéraires
et artistiques sont les Amériques et les îles de la Caraïbe. Le lien clairement
posé entre des expériences historiques d’esclavage et des formations sociales
contemporaines de discriminations a aussi été exploré différemment. Au sein des
sociétés européennes et étatsuniennes, dans un questionnement polymorphe sur la
colonisation et le multiculturalisme, le silence longtemps entretenu sur l’importance
de la traite négrière et de l’esclavage dans l’élaboration des définitions de
la Nation a été levé. Le voile qui a longtemps couvert, dans le monde arabe, de
l’Afrique du Nord au Moyen-Orient, l’esclavage des Subsahariens dans les traites,
transsaharienne et océan-indienne, commence à se déchirer. En effet, en dépit
de son inscription dans la longue durée, la mise en esclavage des Subsahariens
dans cette région du monde est demeurée une question refoulée de l’espace
public et peu examinée par les sciences sociales.
Du côté de la recherche africaine, des efforts notoires ont été
investis dans l’étude des traites exportatrices de l’Atlantique principalement,
de l’océan Indien et du Sahara subsidiairement.
Depuis les vingt dernières années, à la suite des travaux
pionniers de Claude Meillassoux, de
Suzanne Miers et d’Igor Kopytoff, d’Harris Memel Fotê et plus
récemment, d’Akosua Perbi, de
Paul Lovejoy, de Martin Klein, ou encore de Roger Botte et Charles
Becker, de nouvelles recherches sur l’esclavage en Afrique ont émergé mais ont
très peu essaimé dans le champ académique en Afrique. Certaines questions
demeurent des angles morts de la recherche africaine et africaniste bien que l’esclavage
ne soit pas un problème éloigné des sociétés contemporaines. Le quotidien
(matériel et symbolique) de nombreuses communautés du continent reste, en
effet, largement marqué par les héritages et l’actualité de systèmes de domination
et d’inégalités largement répandus sur le continent.
2. Présentation générale des thématiques de la conférence
A. L’esclavage et ses héritages en Afrique
Différentes raisons ont été avancées pour expliquer, en Afrique,
le quasi-silence sur les traites et les esclavages dont l’importance dans l’histoire
et l’actualité des sociétés africaines est pourtant largement attestée. Cette
situation, qui a enregistré ces dernières années une remise en cause certaine
mais encore timide, a elle-même une histoire intéressante à interroger. Ne
participe-telle pas de logiques de pouvoir qui ont des impacts sur les
recherches universitaires ? Le mouvement anticolonial, cherchant à masquer les
conflits internes aux sociétés africaines, n’a-t-il pas participé à la
pérennisation du silence, rarement brisé, sur l’esclavage en Afrique ? N’a-t-il
pas également contribué à rendre inaudibles les voix des groupes subalternes en
général et celle des descendants d’esclaves en particulier ? Passif ou actif,
issu d’un passé lointain ou récent, pratiqué de manière continue ou non, l’esclavage
et ses héritages ont grandement influé sur des questions aussi importantes que
l’accès à la terre, à l’éducation, à l’exercice de certaines fonctions politiques,
religieuses ou administratives d’une part, la reconnaissance de la citoyenneté
des personnes ou la marginalisation sociale des groupes serviles ou de leurs
descendants, d’autre part. Par exemple, dans certains contextes, on constate de
réelles discriminations résidentielles avec des descendants d’esclaves confinés
dans des villages ou quartiers ségrégués, avec un accès limité aux ressources
publiques.
À la faveur de la reconfiguration récente des espaces publics et
politiques, marquée par des mouvements revendicatifs en vue du respect des
droits humains et citoyens, les victimes de l’esclavage ancien ou contemporain
se font de plus en plus entendre, exigeant la prise en compte de leur passé par
leur Nation voire même la réparation des torts qu’ils auraient subis du fait de
leur statut social. Il en résulte une mise en débat de plus en plus fréquente
de la question de l’esclavage en Afrique, même si les sciences sociales et les
humanités accusent un retard relatif par rapport aux revendications
mémorielles. Ainsi, ces questions et les débats qu’elles suscitent sont encore
timidement explorés par la recherche académique africaine alors qu’ils sont massivement
présents dans les réseaux sociaux relayés par internet.
B. Les logiques de légitimation
La condition d’extranéité par rapport à la société du maître s’attache
à la personne mise en esclavage. L’intégration de l’esclave dans un système de
parenté fictive comme la position subalterne de cadet à vie participe au
camouflage de cette extranéité. Ce mode de gestion des esclaves permet-il d’affirmer
que le système de mise en servitude des personnes en Afrique ne saurait être
caractérisé d’esclavage ? Quoiqu’il en soit, en Afrique comme ailleurs, le
système se reproduit par acquisition de nouveaux captifs ou par transmission du
statut servile à la descendance de l’esclave. Chaque système esclavagiste
produit une idéologie de légitimation, un environnement culturel et social
partagé et des cadres juridiques de gestion de la relation servile entre maître
et esclave. Une relation régie par des rapports de force qui s’expriment dans
les lois et traditions de chaque société, pesant sur les protagonistes, avec
des possibilités de s’en défaire suivant des conditions spécifiquement
déterminées. L’intégration du rapport servile dans le système de parenté,
souvent rencontrée dans le mode de gestion des esclaves en Afrique mais non
exclusive à ce continent, participe de ces rapports de force. Est-il alors
pertinent d’en déduire l’existence d’« un esclavage africain » qui serait plus humaniste
ou figé dans des traditions immuables, ou devons-nous parler d’ « esclavage en
Afrique » prenant des formes et des contenus en évolution et qui
dépendent du rapport de forces entre maîtres et esclaves ? Les initiateurs de
la traite transsaharienne ont d’abord mobilisé la différence de religion pour
légitimer la mise en esclavage des Subsahariens dont la présence massive dans
les sociétés nord-africaines et moyen-orientales a contribué à la «
racialisation » des rapports serviles. Quel impact cette combinaison du
religieux et du racial, a-t-elle eu dans l’histoire des relations entre les
communautés impliquées dans cette traite et la mise en esclavage des
Subsahariens dans les sociétés nord-africaines ? Qu’en est-il des
spécificités du régime de l’esclavage en Afrique par rapport, à la traite et à
l’esclavage atlantiques ? L’esclavage atlantique qui a stabilisé la catégorie
de « noir » et son équivalence avec le statut d’esclave à partir du XVIIIe siècle
a-t-il eu une influence sur la façon de percevoir l’esclave et l’esclavage dans
les sociétés d’Afrique ? L’esclavage sahélo-saharien a-t-il influencé les
catégories de l’esclavage atlantique ?
Quelles sont les similitudes et les divergences observables dans
les trois espaces de la traite, atlantique, océan-indienne et
sahélo-saharienne, à propos du passage de la règle religieuse à la règle raciale
dans le traitement de l'esclavage en Afrique ?
Répondre à ces questions passe par un retour sur la genèse de
cette caractérisation d’humaniste ou d’intégrateur qui émerge au moment de l’abolition
de l’esclavage. Pour se défaire de la pression des mouvements abolitionnistes
en Europe, à partir de l’imposition d’une double référence à l’esclavage – la
référence atlantique héritière de l’esclavage antique et du servage médiéval,
et de l’esclavage au Maghreb et au Moyen-Orient - l’administration coloniale a
inventé un « esclavage africain » assimilable à la domesticité, assertion
reprise à son compte par le mouvement nationaliste et les descendants des
propriétaires d’esclaves pour nier le statut servile de leurs esclaves. Les
vocables « esclavage de case », « esclavage domestique » dont l’histoire reste
à faire, sont les expressions caractéristiques de la bibliothèque
administrative et ethnologique coloniale. La conférence discutera de ces
questions théoriques déjà largement débattues dans les études pionnières sur l’esclavage
en Afrique et ailleurs.
C. Les formes de contestation : résistances et abolitions
Révoltes armées, exodes massifs ou fuite individuelle, les
résistances aux traites et à la mise en esclavage ont jalonné l’histoire de l’Afrique
et revêtu des formes multiples. La violence et la fréquence des révoltes se
sont accentuées avec l’intensification de la mise en captivité et de l’esclavage
due à l’essor de la traite atlantique. Les rébellions des esclaves contre les
maîtres ont abouti dans certaines régions du continent à la libération de
vastes espaces d’où ont émergé des
États dirigés par d’anciens esclaves. Les témoignages sont
également nombreux sur des évasions, des révoltes victorieuses ou sévèrement
réprimées dans les captiveries des comptoirs de la côte atlantique, à partir du
XVIIe siècle. Plusieurs fois, les activités de traite ont été remises en cause dans
différentes régions du continent par des révolutions politiques victorieuses.
La contestation du système esclavagiste a pu aussi prendre des
chemins paradoxaux. Les abolitions juridiques qui ont accompagné l’expansion
coloniale du XIXe siècle ont été ainsi des opportunités saisies par les victimes
des traites internes pour développer des refus collectifs de la servitude, sous
la forme d’exodes massifs et de retours en masse vers leurs pays d’origine.
Nombreux sont, à cette époque, les esclaves fugitifs qui se réfugient dans les
enclaves atlantiques où l’abolition est proclamée même si son effectivité
demeure problématique.
L’affranchissement, expression de la volonté du maître ou
conséquence d’une situation juridique spécifique, et le rachat, constituent
également une voie d’accès à l’émancipation. Ils se réalisent fréquemment dans
des conditions qui laissent le bénéficiaire dans un état de dépendance et/ou une
infériorité sociale qui lui rappellent, et à sa descendance aussi, les anciens
liens de la servitude.
Toutes ces logiques de libération de l’esclave attestées dans les
systèmes serviles en Afrique seront interrogées par cette conférence. L’objectif
est de mettre en évidence leurs spécificités en rapport avec leurs contextes
historiques et les cadres juridiques et idéologiques qui les régissent.
2. Objectifs de la conférence
3.
La conférence internationale à laquelle nos institutions invitent
les chercheurs a pour ambition de marquer un moment important de relance et d’amplification
de la recherche sur l’esclavage en
Afrique. La conférence valorisera toutes les sources, orales,
écrites et iconographiques tout en aménageant une place spéciale à celles plus
rares qui permettent de reconstituer des récits de vie pouvant faire entendre
la voix des esclaves et celle de leurs descendants. En outre, elle encourage l’étude
de l’esclavage en Afrique pour mieux saisir son rapport avec les traites exportatrices
auxquelles l’historiographie de l’Afrique a consacré des efforts considérables.
La réflexion se penchera alors sur les thèmes suivants :
1. L’esclavage et les traites dans les sociétés africaines, des
origines de l’esclavage au VIIe siècle
2. L’esclavage et les traites en Afrique du VIIIe au XVe siècle
3. L’esclavage, les traites esclavagistes et la colonisation en
Afrique
4. Les mouvements anti-esclavagistes et les abolitions en Afrique
5. Le vocabulaire de l’esclavage : les termes désignant les
esclaves et les descendants d’esclaves en Afrique
6. Le travail servile en Afrique
7. L’esclavage, la citoyenneté et les relations de pouvoir en
Afrique, du passé au présent
8. L’esclavage et la question foncière en Afrique
9. Les idéologies et discours esclavagistes en Afrique. De la
construction de l’altérité de l’esclave autour des notions de « sang » et de «
race »
10. Les formations sociales esclavagistes en Afrique
11. L’esclavage en Afrique et les traites exportatrices
12. L’esclavage contemporain et le trafic des êtres humains en
Afrique
13. L’esclavage et les systèmes juridiques en Afrique
14. Esclavage et culture en Afrique : littérature, musique, arts
et cinéma
15. Religions et esclavage en Afrique
16. Les biographies et les voix d’esclaves en Afrique
17. Esclavage et relations internationales en Afrique
18. Patrimoine et mémoires de l’esclavage en Afrique
19. Taire l’esclavage : déni, non-dits d’une expérience
20. Migrations, circulations des personnes en Afrique
4. Comité de parrainage
Edward Alpers
Thierno Mouctar Bah
Boubacar Barry
Catherine Coquery-Vidrovitch
Martin Klein
Doulaye Konaté
Paul Lovejoy
Elikia M’Bokolo
Amadou Mokhtar Mbow
Binetou Sanankoua
Abdul Sheriff
5. Comité scientifique
Patrick Abungu
Zekeria Ahmed Salem
Antonio Almeida Mendes
Mamadou Badji
Marie Pierre Ballarin
Maurice Bazémo
Alice Bellagamba
Giulia Bonacci
Alpha Boureima Gado
Myriam Cottias
Mamadou Diouf
Patrick Harries
Alioum Idrissou
Herman Kiriama
Catarina Madeira Santos
Henri Médard
Samuel Nyanchoga
Solofo Randrianja
Benedetta Rossi
Ahmadou Sehou
Ibrahima Thioub
Salah Trabelsi
Begniña Zimba
Ephraim Wahome
6. Organisation de la conférence
Il est demandé aux personnes souhaitant présenter une
communication à cette conférence d’envoyer un résumé de 1500 signes (espaces
compris) en français et en anglais et une notice biographique indiquant l’affiliation
universitaire et l’adresse complète avant le 28 février 2014.
Les personnes souhaitant présenter un panel de 4 ou 5 intervenants
au maximum (2500 signes, espaces compris) doivent joindre à sa présentation les
résumés et les notices biographiques de tous leurs intervenants. La sélection
sera faite par le comité scientifique et les réponses seront envoyées le 31 mars 2014 au plus tard.
Les communications, d’une longueur maximale de 50 000 signes
(Times 11 ou équivalent, espaces, notes et bibliographie compris) devront
parvenir aux organisateurs avant le 31 juillet
2014.
Chacun des intervenants devra s’assurer de réunir le financement
nécessaire à sa participation à la conférence. Un budget restreint sera dédié
au soutien à la participation de quelques jeunes chercheurs africains. Un
formulaire de demande d'aide financière sera mis en ligne sur le site de la
conférence.
Durant le colloque, chaque participant disposera de 15 minutes
pour présenter sa communication. Un discutant reviendra sur les papiers de
chaque panel pendant 10 minutes. Le public aura 30 minutes pour discuter,
dialoguer avec les intervenants. Les langues du colloque seront le français et
l’anglais.
Les résumés pour proposition et les textes des communications sont
à envoyer par E-mail à l’adresse suivante : slafco2014@gmail.com
La conférence se tiendra à Nairobi, des lieux d’hébergement seront
proposés. Outre les circuits classiques, toutes les informations utiles aux
participants seront disponibles sur le blog suivant :
http://slafco2014.blogspot.com/ à partir du mois de janvier 2014.
Des militants associatifs anti-esclavagistes seront invités à
prendre part à des forums publics pour débattre avec les scientifiques de leurs
engagements d’une part et de leurs attentes par rapport à la recherche
africaine d’autre part. Au programme de la conférence figure la projection de
films documentaires sur l’esclavage et les traites esclavagistes en Afrique.
Comité d’organisation
· Patrick Abungu - National Museums of Kenya, Shimoni
Slavery Museum, Mombasa, Kenya
· Marie Pierre Ballarin - IRD / URMIS – Nice, France
· Giulia Bonacci - IRD / URMIS / CFEE, Addis Ababa,
Ethiopia
· Myriam Cottias - CNRS- CIRESC "Centre International
de Recherches sur les Esclavages", Paris,
France
· Alioum Idrissou - Centre d'Études et de Recherches
Pluridisciplinaires sur l'Esclavage et la Traite
en Afrique (CERPETA), Yaoundé, Cameroun
· Herman Kiriama - Australian Cultural Heritage Management
(ACHM), Melbourne, Australia
· Samuel Nyanchoga - Catholic University of Eastern Africa,
Nairobi, Kenya
· Ahmadou Sehou - Centre d'Études et de Recherches
Pluridisciplinaires sur l'Esclavage et la Traite
en Afrique (CERPETA), Yaoundé, Cameroun
· Ibrahima Thioub - Centre Africain de Recherches sur les
Traites et les Esclavages – UCAD,
Dakar,
Sénégal
Source :
Abderrahmane Ngaide
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